lundi 30 janvier 2012

Actu. Sortir de l'absurdité.

Voilà des années
que l’on dépouille la collectivité

et que l’on ruine la démocratie.
Le romancier Ingo Schulze (1)
ne mâche pas ses mots.
Dans Süddeutsche Zeitung,
l'Allemand dénonce rageusement
ce double phénomè
ne
.
Auquel, dit-il,
nous nous sommes
inexplicablement
accoutumés
... (2)

«Il y avait à peu près trois ans que je n’avais plus écrit d’article.
Pour la simple raison que je ne savais plus quoi écrire.
Tout est à ce point manifeste: le délabrement de la démocratie, l'accroissement de la polarisation économique et sociale entre pauvres et nantis, la ruine de l’Etat social, la privatisation et, de là, la marchandisation de tous les domaines de la vie, etc., etc. etc.
Quand, jour après jour, on nous présente le non-sens comme quelque chose de naturel, il est normal que, tôt ou tard, on finisse par se sentir soi-même malade et déviant.
Voici, résumées ici, quelques considérations qui me paraissent importantes...
1. Parler d’atteinte à la démocratie est un euphémisme.
Quand la minorité d’une minorité peut en toute légalité porter gravement préjudice à l’intérêt général au nom de l’enrichissement personnel, cette situation est post-démocratique.
Et le coupable est tout désigné: c’est la collectivité elle-même, qui s'avère incapable d’élire des représentants qui soient à même de défendre ses intérêts.
2. On nous serine quotidiennement que les gouvernements doivent "regagner la confiance des marchés".
Et par "marchés", on entend principalement les bourses et les marchés financiers.
Soit ces acteurs de la finance qui spéculent pour le compte d’autrui ou pour leur propre intérêt, dans le but de dégager un maximum de profit.
Ceux-là mêmes qui ont dépossédé la collectivité de sommes exorbitantes.
Et les représentants suprêmes du peuple devraient se battre pour regagner leur confiance?
3. Nous nous indignons à juste titre de la conception de démocratie "dirigée" proposée par Vladimir Poutine.
Mais alors pourquoi Angela Merkel n’a-t-elle pas été poussée à la démission à l’époque où elle parlait de "démocratie conforme aux marchés"?
4. A la faveur de l’effondrement du bloc de l’Est, certaines idéologies se sont transformées en hégémonies.
Et ont acquis une telle emprise qu’elles ont fini par apparaître naturelles.

Exemple: le privatisation, qui fut longtemps considérée comme un phénomène en tous points positif.
Tout ce qui restait aux mains de la collectivité était jugé inefficace et contraire aux intérêts du client.
Ainsi, on a pu voir émerger un état d'esprit qui devait conduire, tôt ou tard, à déposséder la collectivité de son pouvoir.
5. Autre idéologie à avoir connu un succès retentissant: la croissance.
"Sans croissance, il n’y a rien", a un jour décrété un jour la chancelière, il y a plusieurs années.
On ne peut parler de la crise de l’euro sans citer ces deux idéologies.
6. La langue dont usent les responsables politiques qui sont censés nous représenter n’est plus du tout en phase avec la réalité (j’ai déjà vécu une situation similaire en RDA).
C’est le langage des certitudes, déconnecté de la vie réelle.
La politique n’est plus rien d’autre aujourd’hui qu’un véhicule de croissance, un soufflet dont la seule raison d’être est d’attiser ce sacro-saint concept.
Au point de réduire le citoyen au rôle de consommateur.
Or, la croissance ne signifie rien en soi.
L’idéal de la société serait le play-boy qui consommerait un maximum de choses en un minimum de temps.
Une guerre déclencherait un joli sursaut de croissance.
7. Les questions simples : "A qui cela sert-il?", "A qui cela profite-t-il?" sont aujourd’hui jugées déplacées.
«Ne sommes-nous pas tous dans le même bateau?
Quiconque est en proie au doute devient un apôtre de la lutte des classes».
La polarisation sociale et économique de la société émane d’un concert d’incantations renvoyant à l'idée que nous aurions tous les mêmes intérêts.
Il suffit de traverser Berlin.
En règle générale, les rares bâtiments des beaux quartiers à ne pas avoir fait l'objet d'une rénovation sont les écoles, les crèches, les maisons de retraite, les piscines ou les hôpitaux.
Dans les quartiers dits "à problèmes", les bâtiments publics non rénovés se voient moins.
C’est aux trous dans la dentition que l’on juge le niveau de pauvreté.
Aujourd’hui, on entend souvent le discours démagogique selon lequel nous aurions tous vécu au-dessus de nos moyens, que tous, nous sommes gourmands.
8. Nos élus ont précipité et précipitent encore systématiquement la collectivité dans le mur en la privant de revenus.
Le taux maximum d’imposition allemand a été ramené de 53 à 42% par le gouvernement Schröder.
Et l’impôt sur les sociétés a été quasiment divisé par deux entre 1997 et 2009 pour s’établir à 29,4 %.
Personne ne devrait donc s’étonner d’entendre que les caisses sont vides, alors que notre produit intérieur brut augmente d’année en année. (...)
10. Nous serions en démocratie si la politique, par le jeu des impôts, du droit et des contrôles, modelait la structure économique existante en contraignant les acteurs des marchés à suivre une route compatible avec les intérêts de la collectivité.
Les questions qu’il convient de poser sont simples...
A qui cela sert-il?
A qui cela profite-t-il?
Est-ce bon pour la collectivité?
Ce qui revient, au bout du compte, à se poser la question suivante: quelle est la société que nous appelons de nos voeux?
Voilà ce que serait pour moi la démocratie.
Mais j'en termine ici.
Je pourrais vous parler du reste...
De ce professeur qui avouait sa tendance à renouer avec la vision du monde qu’il avait eue à 15 ans.
Ou de cette étude de l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich qui traite de l’interpénétration des entreprises et qui débouche sur le chiffre 147: 147 groupes qui se partagent le monde, dont les 50 plus puissants sont des banques et des assureurs...
Je vous dirais bien aussi qu’il convient de renouer avec le bon sens.
Qu'il s'agit de trouver des personnes qui partagent le même point de vue que vous (parce qu’on ne peut pas se retrouver seul à parler une langue).
Et que j’ai retrouvé l’envie d’ouvrir ma grande gu.....»

Ingo Schulze (2)(3)

(1) Né en 1962 à Dresde, le romancier Ingo Schulze est très connu en Allemagne. Il a notamment écrit ce best seller qu'est Simple Storys ("Histoires sans gravité", éd. Fayard, Paris, 1998).
(2) La version originale (en allemand) de ce texte est parue le 27 janvier 2012 dans
Süddeutsche Zeitung (Munich). Elle a déjà été traduite en français (par Caroline Lee) pour le site Presseurope.
(3) Merci à Eric Watteau de nous avoir transmis cet article. Et à
Eglise-Wallonie de le lui avoir auparavant signalé.

2 commentaires:

  1. Bonjour à tous et à toutes,

    J’ai le plaisir de vous inviter à la projection du film de Tom Hooper «Le discours d’un roi», lors de la prochaine diffusion-débat des «Rencontres du GSARA» qui se déroulera le mardi 7 février prochain à 20 h. à la Maison Galilée de Genappe (Belgique).

    La diffusion du film sera précédée par la projection du micro-trottoir “Le handicap” réalisé dans le cadre du projet Cap 48 de la Régionale Brabant wallon du GSARA “La vie, l’avis des gens“.

    CAP 48 – L’atelier “La vie, l’avis des gens” au JT de la RTBF : http://gsarabw.wordpress.com/2011/10/08/2477/

    Je vous y attends très nombreux. N’hésitez pas à en parler autour de vous.

    A bientôt.

    Monique Deveen

    Voir aussi la programmation complète du premier semestre 2012 pour les diffusions/débats des “Rencontres du GSARA” à Genappe (Maison Galilée, 14a rue de Bruxelles – Parking Beguin).

    Un partenariat du GSARA Brabant wallon et de la Maison Galilée de Genappe, avec l’aide de la Province du Brabant wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

    Thématique : Le handicap

    Date : 7 février 2012

    Le discours d’un roi, un film de Tom Hooper.

    Australie/Royaume-Uni, 2010, Drame/Film historique, 1h58min.

    Le film raconte l’histoire vraie et méconnue du père de l’actuelle Reine Elisabeth, celui-ci va devenir, contraint et forcé, le Roi George VI, suite à l’abdication de son frère Edouard VII. D’apparence fragile, incapable de s’exprimer en public, considérés par certains comme inapte à la fonction ; George VI affrontera son handicap grâce au soutien indéfectible de sa femme et surmontera ses peurs grâce à un thérapeute du langage aux méthodes peu conventionnelles. Sa voix retrouvée, il réussira à convaincre le peuple anglais de déclarer la guerre à Hitler…

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  2. La lettre du Centre d'Enseignement et de Recherche en Ethique (CEERE) de février 2012 est disponible sur
    http://ethique-alsace.unistra.fr/uploads/media/49_Lettre_CEERE_fevrier_2012.pdf

    CEERE - Centre Européen d'Enseignement et de Recherche en Éthique
    ceere@u-strasbg.fr - tél. +33 (0)3 68 85 39 68
    http://ethique-alsace.unistra.fr
    Adresse postale : CEERE - Faculté de médecine - 4 Rue Kirschleger - F - 67085 Strasbourg cedex
    Adresse de localisation du CEERE : Hôpital civil - 1 Place de l’Hôpital – Bât. d’Anatomie (Entrée par l’arrière du bâtiment)

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