L'électeur en appelle
de plus en plus souvent
aux expédients des
d'expliquer ce constat,
un paramètre semble sous-estimé.
Qui apparaissent, au mieux,
Les hommes politiques sont accusés de tous les maux.
Excessivement sans doute.
Car, de plus en plus, ils se retrouvent pieds et poings liés.
Liés aux banques, à cause (surtout) de l'endettement public.
Liés aux entreprises multinationales, en raison (essentiellement) de la montée du chômage.
Liés, aussi, aux agences de notation
américaines.
A la législation européenne.
Aux traités
internationaux.
Etc., etc., etc...
Bref, l'impuissance grandit toujours davantage.
Et se traduit par une incapacité de plus en plus manifeste à résoudre les problèmes
structurels de notre temps.
Efficacité et légitimité: la double crise
Faut-il fustiger sans nuance nos hommes politiques nationaux?
Leur faire porter le chapeau?
Leur faire endosser toute la responsabilité de la morosité, de l'irascibilité, voire de l'exaspération ambiante?
Non, évidemment.
Pas plus qu'il ne convient, sauf à céder aux sirènes du nauséabond populisme, de les mettre tous dans le même sac.
Il n'empêche.
Globalement et quelles qu'en soient les raisons, les problèmes de fond semblent insuffisamment pris en charge.
Pire: l'impuissance en question «s'accompagne d'une surexposition du trivial,
encouragée par un système médiatique qui, (...) fidèle à la logique du
marché, en est venu à préférer monter en épingle des conflits futiles
plutôt que d'analyser des problèmes réels, surtout en période de baisse
des parts de marché de l'audiovisuel.» (1)
Ainsi s'exprime, sans détour, l'historien culturel David Van Reybrouck.
Qui, non content de frapper fort, réussit à taper juste.
En expliquant, par exemple, que «Le caprice du moment règne comme jamais auparavant.» (2)
Ou alors que «Les incidents attirent plus facilement l'attention des médias que des débats de qualité» (3), donnant même naissance à un judicieux néologisme: «incidentalisme»...
La démocratie du roquet
Et la démocratie de céder toujours davantage aux... roquets de l'ambivalence, elle qui, d'un côté, perd tout ou partie de son mordant et qui, de l'autre,
se fait de plus en plus bruyante.
«L'homme
politique d'aujourd'hui peut ou plutôt doit crier sur les toits ses
propres vertus -les élections et les médias ne lui laissent pas le
choix- de préférence en serrant les points, en raidissant le jarret et
en ouvrant en grand la bouche, car c'est une posture avantageuse qui
donne une impression d'énergie, décrit, avec autant d'impertinence que de pertinence, le grand pourfendeur belge du "syndrome de fatigue démocratique".
Du moins le croit-il.
Au
lieu de reconnaître avec humilité la modification des rapports de
pouvoir et d'aller à la recherche de nouvelles formes de gouvernement
qui fassent sens, l'homme politique est obligé de continuer à jouer le
jeu médiatico-électoral, souvent contre son gré et celui du citoyen, qui
commence à trouver le spectacle un peu fatigant: toute cette hystérie
exagérée et artificielle n'est pas de nature à restaurer sa confiance.» (4)
«J'accuse...»
Plus que jamais, dénonce Van Reybrouck, le
débat public est devenu un
spectacle...
. Soigneusement contrôlé.
. Géré par des équipes rivales de
professionnels spécialisés dans les techniques de persuasion.
. Réduit à un nombre limités
de sujets, choisis au préalable par ces équipes.
Un petit jeu électoral qui relègue l'essentiel à l'arrière-plan.
Car c'est en coulisses que prend forme la véritable politique.
Celle des contacts directs entre les gouvernements élus et ces élites qui représentent surtout les intérêts des milieux
d'affaires.
Les coulisses du spectacle
D'un côté, donc, la scène, où se joue le spectacle.
De l'autre, les coulisses, où siègent les véritables enjeux.
De la première, la démocratie tire-t-elle la légitimité qui détermine le soutien des citoyens à l'action publique?
Des secondes, obtient-elle l'efficacité qui correspond à la capacité d'agir?
«Aujourd'hui, les démocraties occidentales sont confrontées simultanément
à une crise de la légitimité et à une crise de l'efficacité» (5), explique en tout cas celui qui est aussi archéologue.
- Une crise de légitimité?
Oui.
Qui se manifesterait par trois symptômes indéniables...
. D'abord, les gens se dérangent de moins en moins pour aller voter.
. Ensuite, les électeurs se révèlent toujours moins constants dans leurs choix.
. En outre, les partis politiques sont en perte d'adhérents.
- Une crise d'efficacité?
Tout autant.
Qui serait, elle aussi, entrée dans une triple zone de turbulences...
. D'une part, les consultations préparatoires à la formation d'un gouvernement durent de
plus en plus longtemps, surtout dans les pays gouvernés par des
coalitions complexes.
. D'autre part, les partis de gouvernement sont sanctionnés de plus en plus lourdement.
. Enfin, l'action publique prend de plus en plus de temps.
Assez!
Et un constat de se révéler en filigrane de cet état des lieux: la mauvaise foi de nos politiciens ne passe plus.
Car l'électeur est lassé.
Fatigué.
Ereinté.
Excédé.
Assez, donc, des effets de manche!
Plus qu'assez des formules creuses!
Marre des petites phrases!
Ras le bol des excès de langage!
Ras la casquette des discours et comportements ignominieusement partisans!
Basta, le refus d'une complexité dont on redoute qu'elle affaiblisse la rhétorique d'un discours et, de là, la force de conviction!
Plein le dos de ces argumentations conçues pour percuter à tout prix, au détriment même de toute préoccupation renvoyant à une conviction profonde, voire carrément à la vérité!
Par dessus la tête de ces cadres de parti qui, en désaccord profond avec la
tendance que prend leur formation, n'en continuent pas moins à la défendre effrontément!
Jusque là de ces militants qui, aveuglement engagés dans la défense d'un courant politique, se refusent obstinément
à enclencher une marche arrière devenue indispensable!
Ras la casquette de ces opposants qui ne cherchent même plus vraiment à cacher que leur travail de sape se justifie essentiellement, sinon exclusivement, par le plus vulgaire des règlements de compte!
...
Bonne foi bien ordonnée commence par soi-même...
Les institutions, bien sûr, ont vocation à limiter
l’influence de la mauvaise foi dans l’exercice du pouvoir.
Et ni les procédures de contrôle ni les processus de division et d'équilibre des pouvoirs n'ont plus à démontrer leur (grande) utilité.
Mais de tels garde-fous ne suffisent plus.
Car la mauvaise foi ronge notre démocratie jusqu’à la moelle.
Or, «Se
résigner à la mauvaise foi en politique, c’est accepter que s’instaure
une facilité simplificatrice dans les débats démocratiques, là où
pourtant la complexité en fait sa richesse.
La mauvaise foi tue la
démocratie et c’est elle, en chacun de nous, que nous devons détruire si
nous voulons un jour trouver les véritables solutions aux problèmes
plus terre à terre mais non moins complexes qui empoissonnent la vie de
nos concitoyens et qui sont l’objet de la Politique.» (6)
Ainsi s'exprime l'auteur d'une réflexion engagée sur «La mauvaise foi en politique».
«La
lutte contre la mauvaise foi en politique est donc d’abord une affaire
personnelle, que chacun doit régler en son âme et conscience.» (7)
Chacun.
Donc pas seulement l'homme politique...
«Ainsi,
un électeur ne devra pas seulement être de bonne foi dans ses
raisonnements, il devra aussi s’efforcer de voter pour un homme ou une
femme qui en plus d’être apparemment de son avis, sera sans mauvaise
foi.» (8)
Et pour cause.
Sans bonne foi, la politique se pervertit.
De vertueuse, elle se fait virtuelle.
Et vire, du coup, à la «politique politicienne».
Celle-là même qui dérive en «affaire».
Celle-là même qui crée un appel d'air extrémiste, nationaliste et/ou populiste.
Celle-là même dont tant de citoyens se sont lassés.
Et dont nous ne voulons plus. (9)
Christophe Engels
(1) Van Reybrouck David, Contre les élections, Acte Sud, coll. Babel, Arles (France), p.25.
(2) Van Reybrouck David, idem, p.25.
(3) Van Reybrouck David, idem, p.25.
(4) Van Reybrouck David, idem, p.27.
(5) Van Reybrouck David, idem), p.27
(6) La mauvaise foi en politique, http://reflexions-engagees.tumblr.com/post/16059869957/la-mauvaise-foi-en-politique.
(7) La mauvaise foi en politique, idem.
(8) La mauvaise foi en politique, idem.
(9) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.
Enthousiasme et suspicion: le paradoxe de la démocratie (1)
«Il se passe une chose bizarre avec la démocratie: tout le monde semble y aspirer, mais personne n'y croit plus. (...)
Cette baisse de confiance est partiellement imputable aux jeunes démocraties. (...)
La pratique est souvent moins rose que l'idéal, surtout si la démocratisation de leur pays va de pair avec la violence, la corruption et la récession économique.
Mais là n'est pas la seule explication.
Même des démocraties solidement établies sont de plus en plus souvent confrontées à des signes contradictoires d'attraction et de rejet.
Nulle part ce paradoxe n'est aussi frappant qu'en Europe. (...)
L'intérêt pour la politique est plus grand aujourd'hui qu'hier.
Il n'est donc pas question d'une vague d'apathie.
Cela doit-il nous rassurer?
C'est à voir.
Une époque où l'intérêt pour la politique s'accroît tandis que la confiance dans le monde politique diminue a forcément une composante explosive.
Le fossé s'élargit alors en effet entre ce que pense le citoyen et ce qu'il voit faire par l'homme politique, entre ce qu'il estime indispensable en tant que citoyen et ce que l'Etat néglige de faire selon lui.
Il en résulte de la frustration.»
David Van Reybrouck
(1) Extrait de Van Reybrouck David, Contre les élections, Acte Sud, coll. Babel, Arles (France), pp.11-15.