mercredi 26 mai 2010

Développement durable. Tout petit, ma planète...


Nom: Jackson (1).
Prénom: Tim.
Nationalité: anglaise.
Fait marquant: dévoilait récemment à l'Université Libre de Bruxelles la version en français d'un livre (2) tiré du rapport (3) préalablement écrit en sa qualité de commissaire à l’économie d'outre-Manche (4).
«Dans la foulée de sa présentation officielle l’année passée, ce document a été accueilli par… un silence poli, raconte-t-il. Pas le moindre écho médiatique pendant une semaine! En revanche, le rapport s’est répandu comme une traînée de poudre sur internet. Par ce biais, et par ce biais seulement, les félicitations et les réactions se sont bousculées. Au point que me voici, ce soir, devant une salle plus grande et plus remplie que jamais auparavant. Pour moi, c’est une sorte de consécration!».
Premières notes de lecture...

Partout dans le monde depuis le début du XXème siècle, la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) a été l’objectif majeur du monde politique.
Et pourtant…
Pour Tim Jackson, cette logique n’est ni réaliste ni efficace ni juste ni épanouissante.
. Pas réaliste dans la mesure où elle se heurte aux limites écologiques de notre «planète finie».
. Pas efficace parce que son mode de fonctionnement appelle inévitablement une impasse socio-économique.
. Pas juste puisque, au mieux, les avantages auxquels elle donne lieu sont fort inégalement répartis.
. Pas épanouissante car, au-delà d’un certain stade, la recherche permanente de la croissance économique ne semble plus favoriser le bonheur humain et peut même l’empêcher.

Irréalisme

«L’idée d’une économie qui ne croît pas est peut-être une hérésie pour un économiste, rappelle l'auteur. Mais l’idée d’une économie en croissance continue est une hérésie pour un écologiste.» (5)
Ce dernier reste en effet fort sceptique devant la réponse conventionnelle qui est apportée à ses interrogations sur le dilemme de la croissance. A savoir le «découplage». Qui mise sur l'innovation, sur le progrès technologique et, de là, sur une reconfiguration des processus de production, puis sur une adaptation des biens et services pour affranchir progressivement l'économie de sa dépendance aux flux de matières.
Découplage, d’accord, répond Jackson. Mais lequel? Découplage relatif, qui désigne une baisse de l’intensité écologique par unité produite? Ou découplage absolu, qui tient également compte de l’accroissement à peu près permanent du volume global de production?
Le premier, en effet, «ne couvre que la moitié du problème. Il mesure uniquement l’utilisation des ressources (ou les émissions) par unité de production économique. Pour que le découplage offre une échappatoire au dilemme de la croissance, l’efficacité dans l’utilisation des ressources doit augmenter au moins au même rythme que ne le fait la production économique. Et pour que les impacts mondiaux liés à l’utilisation des ressources cessent d’augmenter, il faut aussi que cette efficacité continue à s’améliorer au fur et à mesure que croît l’économie. Pour accomplir cette tâche plus difficile, nous devons démontrer l’existence d’un découplage absolu, ce qui s’avère beaucoup plus complexe.» (6)
Un petit exemple vaut mieux qu’un long discours. La société PriceWaterhouse Coopers a estimé à trois pour cent du PIB mondial le coût d’une réduction de 50% des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Or, 3%, c’est à peu près ce qui sépare une économie en croissance d’une économie en stagnation. Le coût en question suffirait donc à signer l’arrêt de mort de la croissance. Et encore… Ce raisonnement ne tient pas compte du devoir moral auquel devraient se sentir tenus les pays riches de contribuer davantage que les pays pauvres à un tel effort. Et certainement pas du scénario moins inéquitable qui, idéalement, devrait prévoir une distribution plus égalitaire des revenus entre pays favorisés et défavorisés.
«Pour être franc, il n’existe à ce jour aucun scénario de croissance permanente des revenus qui soit crédible, socialement juste, écologiquement soutenable dans un monde peuplé par neuf milliards d’habitants.» (7)
La croissance «verte»? Elle est porteuse de nombreux avantages, surtout si elle se décline selon des modalités qui contribuent à soutenir les populations les moins privilégiées. Mais qu’il soit vert ou non, tout plan de relance se construit sur l'hypothèse implicite du retour à un état de croissance permanente de la consommation.
Or, il est «difficile d’échapper à la conclusion qu’à long terme nous aurons besoin de quelque chose de plus.» (8)
Un autre type de structure économique s’impose donc.
«Nous n’avons pas d’autre alternative que de remettre la croissance en question.» (9)(10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
3. Jackson Tim, Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy, Sustainable Developement Commission, Londres, 2009.
4. Dans le cadre d'une Commission britannique pour le développement durable.
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 31.
6. Jackson Tim, ibidem, p. 81.
7. Jackson Tim, ibidem, p. 94.
8. Jackson Tim, ibidem, p. 125.
9. Jackson Tim, ibidem, p. 31.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
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