jeudi 3 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (25) Militants et méditants: l'impasse individualiste



Une lourde tendance au repli sur soi
renforcée par un contexte économique morose
semble avoir durablement transformé 
l’activité humaine.
Même le monde des a.s.b.l. n'est pas épargné.
Qui, non content de s'ouvrir à l’individualisme, 
paraît en avoir fait l'une de ses valeurs premières.
Associatif: miracle ou mirage?

La vie n'est pas un long fleuve tranquille.
Car le rapport à l'autre peut aussi, parfois, s'avérer destructeur.
L'univers des a.s.b.l. ferait-il exception à la règle?

Même pas.
L'associatif, en effet, n'est pas le pays des bisounours.
Ce que rappelle fort bien, pour les revues Citoyens et D-CAPP, le personnaliste Vincent Triest (1)...
«L'associatif serait-il le pays de la confiance?
Pas de capitalistes, pas de rapport de force, pas d'exploitation, rien que de l'engagement, du bénévolat, des idéaux partagés?
En fait, le monde associatif n'est pas moins marqué par les luttes pour le pouvoir et par les conflits.

S'il y a indubitablement de l'idéal et de la générosité à la pelle dans les associations, elles sont aussi l'arène des quêtes identitaires et des luttes pour la reconnaissance, qui sont parmi les plus terribles et les plus meurtrières.
Pour chacun, il faut s'interroger lucidement sur les motivations de sa militance.
Quelle est la part du besoin d'être reconnu?
Quel désir de pouvoir et de prestige?
Se poser la question, d'abord pour soi, ce n'est pas sombrer dans la version obsessionnelle, c'est éviter la naïveté et consolider la confiance.» (2)
Une analyse confirmée par cet autre Vincent belge qu'est le dénommé Commenne, créatif culturel de son état...
«Le monde associatif est aussi un espace où les égos prennent le pouvoir, souvent sous des formes sophistiquées ou cachées. 
Des groupes explosent ou implosent à cause des égos des militants. 
Des conflits larvés minent l’action collective.» (3)
Pour l'heure, en effet, les distances semblent plus marquées que jamais au sein des différents groupes et sous-groupes.
Entre «méditants» et «militants» par exemple.
Mais aussi entre «méditants psy» et «méditants spi», qui peuvent se regarder en chiens de faillance. 
Ou alors entre «militants altermondialistes» et «militants alterlocalistes», qui s'appréhendent souvent avec incompréhension, parfois avec condescendance. (4) 

«Ce que tu dis est inéteressant, mais...»

En ce sens, la sphère associative s’est donc, elle aussi, dégradée.
Un processus qui participe du phénomène d’éclatement d’un contre-pouvoir déchiré par des conflits internes dont le sociologue français Pierre Bourdieu écrivait déjà qu’ils mobilisent «80% de son énergie» (5).
Ce constat est révélateur d'un phénomène plus général qui caractérise les courants de pensée et modes de vie émergents.
«Il existe (…) de multiples sous-groupes qui, chacun à leur manière, oeuvrent pour un renouveau de la société, reprend Commenne. 
Certains sont organisés ou semi-organisés, d’autres sont juste "des personnes qui…". (…)  
Tous ces gens sont à l’origine de multiples transformations lentes de société. 
Lentes, et peut-être trop lentes face à l’urgence des enjeux.» (6)

Petit bout de la lorgnette 

«Le plus souvent, chacun regarde à travers sa lorgnette, poursuit l'auteur. 
Et effectivement, chaque sous-groupe à lui seul ne représente qu’une toute petite proportion de la population.» (7)
Et notre guide d'ajouter...
«Les gens intéressés à une évolution de société à la fois convergent et divergent.
Ils se rejoignent sur leurs valeurs mais s’éloignent dans les moyens qu’ils mettent en œuvre pour participer à faire évoluer notre société. (…) 
Cette divergence quant aux moyens crée des regards réciproques qui peuvent être en tension. (….) 
Des méfiances de part et d’autre donc, avec une implication réduite ou nulle dans le monde de l’autre qui ne permet donc aucunement de renverser par l’expérience son a priori sur l’autre partie.» (8)

On demande reliance

Conséquence: le secteur associatif perd de son efficacité.
Comment, dans ces conditions, se serrer les coudes?
Comment, au niveau collectif, recourir aux actions de masse, seules susceptibles de s’opposer au tsunami de ce tout à l’ego qui étrique les personnes et les cultures, ouvrant ainsi le chemin d’une multiplication des laissés-pour-compte, souvent accusés, qui plus est, d’entraver la course au profit maximal?
Et comment, à l'échelon proprement associatif, inscrire des microprojets dans un projet de synthèse?
Ne s’agirait-il pas, pour ce faire, de mettre les différences au service d’une convergence?
Une convergence qui, le cas échéant et aussi loin que nous nous tenions de l'utopie désincarnée, n’en devrait pas moins passer par un appui plus marqué au souci de la «reliance» (9)(10)

Christophe Engels 


(1) Vincent Triest est membre actif de La Vie Nouvelle (Paris) et président du Centre d'Action pour un Personnalisme Pluraliste (CAPP, à Louvain-la-Neuve).  
(2) Triest Vincent, La confiance, un élan vital!, Citoyens, n°345, octobre 2012, p.4. Ce passage a déjà été cité dans un précédent message. 
(3) Commenne Vincent, Evaluation des valeurs et des comportements. Un nouveau regard sur les acteurs de changement, Créatifs Culturels en Belgique, 2013, p.61.
(4) Cfr. Commenne Vincent, idem, pp.68-69.
(5) Cité dans Blairon Jean, Des formes nouvelles de mobilisation pour l’éducation citoyenne?, in Echos n°73, p.19. 
(6) Commenne Vincent, ibidem, pp.66-67.
(7) Commenne Vincent, ibidem, p.68.
(8) Commenne Vincent, ibidem, pp.68-69.
(9) Les lecteurs les plus assidus et attentifs de ce blog se souviendront peut-être que ce passage est extrait d'un précédent message, auquel on se référera utilement pour plus de précisions.   
(10) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents, 
.  une enquête sur l'immigration...


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