lundi 7 juin 2010

Développement durable. Alter-croissance.










La croissance du Produit Intérieur Brut favorise-t-elle réellement l’épanouissement humain ? Ne s’apparente-t-elle pas plutôt à une fuite en avant ? N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez» ? Et dans ce cas, n’avons-nous pas besoin de dépasser le système économique actuel ? Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à celle, artificielle, du PIB. Plaidoyer en faveur d’une «alter-croissance».
Signé Tim Jackson (1).

En plus d’être inefficiente (2), irréaliste (3) et injuste (4), la recherche permanente de la croissance économique pèche par son incapacité à générer l’épanouissement personnel. Car, au-delà d’un certain stade, elle ne semble plus en mesure de favoriser le bonheur humain. Pire: elle peut même l’empêcher.
Autant une telle stratégie relève donc d’une logique qui a de quoi séduire les pays les plus pauvres de la planète, autant se pose la question de l’opportunité de son maintien dans les pays plus riches, où les besoins de subsistance sont largement rencontrés.
Seulement voilà… La croissance articule deux dynamiques qui, en s’appelant mutuellement, donnent lieu à une espèce de «mouvement perpétuel».
D’un côté, la motivation du profit stimule la création de produits et de services nouveaux, meilleurs ou moins chers par un processus continu d’innovation et de «destruction créatrice». C’est ce que rappelle l’économiste Joseph Schumpeter: des technologies et des produits inédits font sans cesse leur apparition, reléguant leurs prédécesseurs aux oubliettes.
De l’autre, une logique sociale complexe contribue à gonfler en (quasi) permanence la demande de consommation de ces biens.
D’où l’apparition d’un cycle continu. Qui, pour faire les affaires de la croissance, n’en pose pas moins questions.
Favorise-t-il réellement l’épanouissement humain?
Ne s’apparente-t-il pas plutôt à une fuite en avant?
N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez»?

Chronique d’une évolution annoncée

Récapitulons. La croissance est à la fois inefficiente, irréaliste, injuste et - nous venons de le voir - porteuse d'imposture.
En ce sens, on ne regrettera pas outre-mesure l’évolution qui s’annonce.
Trois des caractéristiques distinctives de la nouvelle économie devraient en effet contribuer à tirer la croissance vers le bas:
. l’imposition de limites écologiques,
. la transition structurelle vers des types particuliers d’activités de service à forte intensité de main d’œuvre,
. l’allocation de ressources importantes aux investissements écologiques.
Si l’on en croit Tim Jackson, cette évolution à la baisse s’avère inéluctable.
Rien ne suffira à la contrer.
L’économie sociale? Elle «est un point de départ incroyablement utile pour construire une société sobre en ressources» (5). Mais elle restera marginale.
La réduction et le partage du temps de travail? L’une améliorerait l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et l’autre favoriserait l’équité. Mais aucun des deux n’est susceptible de relancer la croissance.
Le glissement vers une base de revenu totalement différente, comme l’allocation universelle? Elle serait encore plus difficile à mettre en place.
Quant à l’économie verte…
«Les réponses dépendront de la composition de l’investissement nécessaire pour la transition. Il s’agit plus précisément de trois types d’investissements écologiques:
. les investissements qui améliorent l’efficacité dans l’utilisation des ressources et entraînent des économies en matière de coûts des ressources (par exemple l’efficacité énergétique, la réduction des déchets, le recyclage);
. les investissements qui substituent aux technologies conventionnelles des technologies propres ou sobres en carbone (par exemple les énergies renouvelables);
. les investissements dans l’amélioration de l’écosystème (adaptation climatique, reforestation, renouvellement des zones humides, etc.).
L’impact sur la capacité productive de l’économie différera sensiblement selon ces différents types d’investissement.
Les investissements dans la productivité des ressources sont susceptibles d’avoir un impact positif sur la productivité globale. Mais ils ne produiront pas nécessairement des rendements supérieurs aux investissements classiques.
(…)
Certains investissements dans les énergies renouvelables généreront des rendements concurrentiels dans certaines conditions de marché. D’autres ne généreront des rendements que sur des périodes beaucoup plus longues que ce qu’attendent les marchés financiers traditionnels. Les investissements dans l’amélioration de l’écosystème et l’adaptation
climatique ne produiront peut-être aucun rendement financier classique (…).
En d’autres termes, les prescriptions simplistes selon lesquelles l’investissement contribue à la productivité ne fonctionneront pas dans ce contexte.
» (6)
On aura compris la conclusion de Jackson: il ne suffira pas de «remettre l’économie dans un état de croissance perpétuelle de la consommation» (7). Pour toutes les raisons préalablement esquissées, cette «hypothèse par défaut du keynésianisme» (7) «reste toujours aussi peu durable» (7). Nous avons donc besoin de dépasser le système économique actuel. Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à la croissance du PIB. (8)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

Un emploi du temps chargé nous contraindra

à ralentir sensiblement le rythme de parution

des messages de ce blog

au cours des prochaines semaines.

Ralentissement provisoire mais inéluctable.

Pour information.

Et avec nos excuses.


1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Voir le 35e message de ce blog:
Développement durable. Tout petit, ma planète…
3. Voir le 36e message:
Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Dépasser l’individualisme matérialiste et l’innovation sans lendemain...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 138.
6. 7. Ibidem, pp. 143-144 et 225.
8. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

2 commentaires:

  1. Cher Christophe,

    Tu n'as pu soustraire ton oreille attentive à la proclamation du prix Francqui de cette année. C'est à mon sens une très bonne chose qui mérite la plus large plublicité et l'intégration dans toutes les démarches réflexives concernant l'évolution de notre société.

    Ces travaux posent ou reposent la question de la pertinence et de la portée à donner au terme de " croissance". Ils ont aussi le mérite d'indiquer les "nouveaux" paramètres quantitatifs permettant des évaluations adaptées du "bien-être" et de ses évolutions en fonction de décisions politiques. Cette dernière propriété "re-permettrait" enfin au politique de reprendre et de jouer son rôle dans l'implémantation de nouveaux projets sociétaux clairement identifiables et mesurables.

    Cette démarche associée à toutes celles qui vont dans le sens d'une évolution nécessaire de nos sociétés, communautés, relations individuelles et attitudes personnelles face aux "injustices" et "décroissances" proclamées et entretenues par d'aucun.

    A bientôt pour d'éventuels développements de la réflexion.

    Philippe SOURDEAU

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  2. Excellente idée, Philippe !
    Même si mon emploi du temps me contraindra malheureusement à ralentir provisoirement le rythme de ce blog au cours de ce mois de juin, je tenterai de m'intéresser à François Maniquet aussi vite que possible.
    Christophe

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