

Et si les Indignés
avaient raison? (1)
à force de rester la tête
dans le guidon,
s'apparentaient
quelque part
à de marionnettes
de l'inconscient?
Et s'ils étaient
peu à même
de prendre
leurs distances
avec les cases prédécoupées d'une certaine réalité?
Et s'ils éprouvaient les pires difficultés
à dépasser les idées vagues?
Extrait, impitoyable et sans concession, du dernier ouvrage
du philosophe et sociologue français Philippe Corcuff (2).
Plumitifs sensibles, s'abstenir...
«La tête dans le guidon, les journalistes tendent (...) à naturaliser (à prendre et à faire prendre pour naturelle) et, partant, à fataliser (à prendre et à faire prendre pour fatale) la définition dominante de la politique portée par la professionnalisation politique moderne; une définition étroite déplaçant les citoyens à sa lisière.
Par ailleurs, les profondeurs temporelles de la politique, vers le passé et vers l'avenir, sont aplaties par le "présentisme" diagnostiqué par l'historien François Hartog: un présent enfermé dans les agitations de l'immédiateté toujours recommencées.
Ce que le spécialiste du Moyen-Age Jérôme Baschet, dans le sillage d'Hartog, appelle "un présent perpétuel, niant l'avant et l'après".»
Marionnettes de l'inconscient...
«Les théories du complot sont donc également inopérantes dans leur instance sur les supposées manipulations conscientes et cachées des médias.
La vue d'un champ journalistique relativement autonome proposée par Pierre Bourdieu, faisant largement des journalistes des marionnettes de logiques qui leur échappent (comme la recherche de scoops) et de stéréotypes professionnels (comme la priorité donnée au "nouveau" ainsi qu'aux formats courts) apparaît plus réaliste.
Certes, les contraintes économiques et/ou politiques, pèsent plus ou moins en fonctions des médias concernés, mais "par l'intermédiaire de l'effet de champ" rappelle Bourdieu, de ses mécanismes spécifiques.
Et l'état avancé de précarisation de ce secteur professionnel, avec une masse de "pigistes" contraints à une activité aléatoire, constitue un facteur particulier de conformisme.
Mais la formation des journalistes favorisent également l'apprentissage de stéréotypes professionnels (comme les contraintes de "l'urgence" et la quête du "nouveau"), et leur transformation en cadres "naturels" de l'activité journalistique routinière.»
Cases prédécoupées et idées vagues
«Au sein d'un tel climat d'illusionnisme corporatiste, nombre de journalistes tendent alors, quand ils font appel à des intellectuels, à privilégier des experts qui ne sortent pas des cases prédécoupées par les conceptions technocratiques et/ou politiciennes de la vie sociale ("l'économique ", le "social", le "politique", le culturel", etc.) ou à des penseurs aux idées vagues mettant en forme de manière superficiellement savante ce que lesdits journalistes pensent déjà.»
Besoin de décalage
«Pourtant, loin de cette pensée endogamique, où les journalistes sont en quête d'intellectuel qui leurs ressemblent, les médias n'auraient-ils pas besoin, dans une société plus authentiquement démocratique et pluraliste, de questionnements et de connaissances critiques davantage décalés?» (3)
Philippe Corcuff
(1) Voir le précédent message, Actu. Indignés: ces médias qui nous hypnotisent..., et l'étude complète dont il est extrait: Engels Christophe, Une journée d'Ivan l'Indigné. L'épisode bruxellois: Projet ou utopie?, étude du Siréas, Bruxelles, 2011.
(2) Philippe Corcuff enseigne à la faculté de Sciences politiques de l'université de Lyon. Cofondateur des universités populaires de Lyon et de Nîmes, il est aussi membre du Conseil scientifique d'ATTAC.
(3) Ce message est extrait de Corcuff Philippe, B.a.-ba philosophique de la politique (pour ceux qui ne sont ni énarques, ni politiciens, ni patrons, ni journalistes), Textuel, coll. Petite encyclopédie critique, Paris, 2011, pp.28-31. Les titre, chapeau, intertitres et mises en évidence sous forme de caractères gras sont de la rédaction.