mercredi 30 juin 2010

Business social. Nouveau capitalisme ?















En fondant une banque pour les pauvres,
il a transgressé les préjugés économiques, politiques et religieux les plus tenaces.
Mes micro-crédits ?
Non seulement ils seront efficaces,
assénait-il audacieusement.
Mais en plus ils seront remboursés.
Même par les plus démunis.
Seul contre tous, Muhammad Yunus a démontré
qu’il avait raison.
95% des prêts sont revenus à sa «Grameen Bank».
Avec les (petits) intérêts convenus.
Et avec une (grosse) cerise sur le gâteau :
le prix Nobel de la Paix 2006 !
Première partie d’un voyage
au pays du «nouveau capitalisme» (1)
de cet économiste atypique.
Ou quand le Bangladesh fait la leçon à l’Occident…


Le capitalisme échoue irrémédiablement à résoudre les problèmes sociaux et écologiques qui se présentent à lui.
Tel est le constat, sans langue de bois, de Muhammad Yunus.
Qui poursuit, implacable...
Des instruments régulateurs ont bien été mis en place.
Mais ils ne suffisent pas.
Aussi utiles soient-ils, pouvoirs publics, associations caritative et humanitaire, Banque Mondiale et autres institutions internationales n’en ont pas moins montré leurs limites.

Du marché ne faisons pas table rase...

Faut-il donc faire table rase du marché?
Non, assure notre guide.
Il convient au contraire de prendre appui sur ses points forts pour mieux en dépasser les insuffisances.
Ses points forts? L’efficacité, le dynamisme, l’innovation, le développement...
Ses insuffisances? Les effets pervers du flagrant réductionnisme qui sous-tend ses fondamentaux anthropologiques.
«La pauvreté existe parce que notre conception du monde repose sur des hypothèses qui sous-estiment les capacités humaines, écrit l'auteur. Nous avons élaboré des conceptions trop restreintes: notre conception de l’entreprise (qui fait de la recherche du profit la seule motivation humaine), notre conception de la solvabilité (qui prive automatiquement les pauvres de l’accès au crédit), notre conception de l’entreprenariat (qui ignore la créativité de la majorité des gens) et notre conception de l’emploi (qui fait des êtres humains des réceptacles passifs au lieu de voir en eux des créateurs actifs). Et nous avons développé des institutions qui sont au mieux à moitié achevées, tels nos systèmes bancaires et économiques qui ignorent la moitié du monde. Nos insuffisances intellectuelles sont les principales responsables de la pauvreté.» (2)

Réduction, votre honneur !

Tragique conséquence de ce réductionnisme conceptuel: «Dans leur forme actuelle, les marchés libres ne sont pas conçus pour résoudre les problèmes sociaux.» (3)
L’exemple de la mondialisation est révélateur à cet égard…
«Pour moi, la mondialisation est comparable à une autoroute à cent voies parcourant le monde. Si cette autoroute est librement accessible à tous, ses voies seront monopolisées par les camions géants des économies les plus puissantes. Les pousse-pousse bangladais en seront éjectés. Afin que la mondialisation profite à tous, nous devons avoir un code de la route, une police de la circulation, et une autorité assurant la régulation du trafic sur cette autoroute mondiale. La loi du plus fort doit être remplacée par des règles qui préservent la place des plus pauvres. La mondialisation ne doit pas devenir un impérialisme financier.» (4)(5)

(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007)

(1) Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007.
(2) Ibidem, p.350.
(3) Ibidem, p.28.
(4) Yunus Muhammad, extrait du discours «La pauvreté est une menace pour la paix» prononcé lors de la réception du prix Nobel, à Oslo, le 10 décembre 2006.
(5) Pour suivre: d'autres notes de lecture de Muhammad Yunus.

samedi 26 juin 2010

Actu. Greenpeace... financier !


Pas inintéressant du tout,
le projet récemment dévoilé
par vingt-deux députés européens,
dont les Belges Philippe Lambert (Ecolo)
et Dirk Sterckx (VLD).
Il s'agit de mettre sur pied
une ou plusieurs organisation(s) non-gouvernementale(s)
susceptible(s) de faire contre-poids
à l'énorme puissance des lobbys du secteur financier.
Une sorte de «Greenpeace de la finance» en quelque sorte...

En attendant de battre le rappel de la société civile (ONG, universitaires, think-tanks, syndicats...), le groupe tente de rassembler les signatures d'un maximum de parlementaires, européens et nationaux.
Objectif: se donner les moyens de s'appuyer, à terme, sur une contre-expertise digne de ce nom. A savoir une contre-expertise fiabilisée et crédibilisée par le recours à des personnes qui pourront se prévaloir d'une solide expérience professionnelle dans le secteur des marchés financiers.
A toutes fins utiles, voici le texte de cet appel.
«Nous, élus européens en charge de réglementer les marchés financiers et les banques, constatons tous les jours la pression exercée par l'industrie financière et bancaire pour influencer les lois qui la régissent. Il n'est pas anormal que ces entreprises fassent entendre leur point de vue et discutent régulièrement avec les législateurs. Mais l'asymétrie entre la puissance de ce lobbying et l'absence de contre-expertise nous semble un danger pour la démocratie. Le lobbying des uns doit en effet être contrebalancé par celui des autres. En matière environnementale et de santé publique, en face des industriels, les organisations non gouvernementales (ONG) ont développé une véritable contre-expertise. Il en est de même en matière sociale entre les organisations patronales et syndicales. Cette confrontation permet aux élus d'entendre des arguments contradictoires. En matière financière, ce n'est pas le cas. Ni les syndicats de salariés, ni les ONG n'ont développé d'expertise capable de rivaliser avec celle des banques. Il n'existe donc pas aujourd'hui de contre-pouvoir suffisant dans la société civile. Cette asymétrie constitue à nos yeux un danger pour la qualité des lois, et pour la démocratie.
Car cette asymétrie s'inscrit dans un contexte de forte proximité des élites politiques et financières. Aux Etats-Unis les liens entre Goldman Sachs et l'administration fédérale sont connus. Mais en Europe cette proximité n'est pas moindre. Elle contribue à renforcer la prise en compte des arguments de l'industrie financière de manière unilatérale et constitue un frein certain à la capacité du personnel politique à prendre des décisions en toute indépendance. Or, l'absence de réponse politique adéquate à la crise du système financier peut nourrir toute forme de populisme, basé davantage sur l'émotion que sur la raison.
En tant qu'élus européens en charge de la réglementation financière et bancaire nous appelons donc la société civile (ONGs, syndicats, universitaires, think-tanks...) à s'organiser pour créer une (ou plusieurs) organisation non gouvernementale capable(s) de développer une contre expertise sur les activités menées sur les marchés financiers par les principaux opérateurs (banques, compagnies d'assurances, hedge funds, etc…) et de faire connaitre de manière efficace cette analyse aux medias. En tant qu'élus issus de plusieurs familles politiques nous pouvons diverger sur les mesures à prendre. Mais nous convergeons pour alerter l'opinion sur ce risque pour la qualité de la démocratie.
Nous invitons l'ensemble des parlementaires européens et nationaux à rejoindre notre appel.» (1)(2)

Christophe Engels

(1) Ce texte, tout comme la liste complète de ses signataires, est disponible sur
www.finance-watch.org
(2) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

jeudi 17 juin 2010

Actu. Pour le meilleur et pour le lire.

En attendant le moment d'en revenir à un rythme de publication plus assidu, contentons-nous ici d'y aller de deux suggestions de lecture.
L'une renvoie au blog de Christian Arnsperger, qui propose depuis quelques jours l'approche critique d'un ouvrage préalablement évoqué ici-même: «Prospérité sans croissance» (1).
L'autre à un fort intéressant article du Soir, consacré à l'actuel débat de fond qui fait actuellement rage chez Inter-Environnement Wallonie (2).

Sur son blog «Transition économique», Christian Arnsperger propose depuis le 11 juin un message intitulé «Transition vers une "prospérité sans croissance"?», consacré au dernier livre de Tim Jackson, dont l'économiste philosophe de l'UCL s'emploie à souligner les forces et les faiblesses. (3)
Par ailleurs, un article paru ce jeudi 17 juin dans le journal Le Soir (4) révèle les dissensions qui opposent fundis et realos au sein de la mouvance écologiste belge. Les premiers dénoncent en effet de plus en plus... vertement le «ramollissement» (4) des seconds, accusés de ne plus proposer «rien d'autre que d'accompagner la course de la machine emballée» (4). Pour ces rebelles, l'heure du développement durable est (dé)passée. Place à l'objection de croissance.
«Le mouvement vert s'interroge, écrit le journaliste Michel De Muelenaere. Le message doit-il être plus radical? Parler de "développement durable", de "croissance verte" a-t-il encore un sens?» (4)
Non, répondent certains, qui jugent désormais ces notions parfaitement compatibles avec... la destruction de la planète!
"Un peu partout dans le monde associatif, le débat chauffe, au propre comme au figuré. Alors qu'ailleurs - la Banque nationale, par exemple - on se réjouit du retour de la "croissance".» (4)
En octobre, Greenpeace se penchera sur cette question de plus en plus existentielle, annonce le quotidien bruxellois. Et en novembre, ce sera le thème de la première université d'automne d'Inter-Environnement.
«Mais pour quel message au public? (...) En prônant quoi? Décroissance? Prospérité sans croissance? Sobriété heureuse? Développement durable?» (4)
Et le besoin de transcender la rigité des clivages d'apparaître, plus que jamais... (5)

Christophe Engels

1. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
2. Fédération wallonne des organisations environnementales.
3. Pour plus de détails, voir le lien renseigné dans notre rubrique «Un bon conseil...».
4. De Muelenaere Michel, «Les ultras secouent le lobby vert», in Le Soir, 17 juin 2010, p.8.
5. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

lundi 7 juin 2010

Développement durable. Alter-croissance.










La croissance du Produit Intérieur Brut favorise-t-elle réellement l’épanouissement humain ? Ne s’apparente-t-elle pas plutôt à une fuite en avant ? N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez» ? Et dans ce cas, n’avons-nous pas besoin de dépasser le système économique actuel ? Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à celle, artificielle, du PIB. Plaidoyer en faveur d’une «alter-croissance».
Signé Tim Jackson (1).

En plus d’être inefficiente (2), irréaliste (3) et injuste (4), la recherche permanente de la croissance économique pèche par son incapacité à générer l’épanouissement personnel. Car, au-delà d’un certain stade, elle ne semble plus en mesure de favoriser le bonheur humain. Pire: elle peut même l’empêcher.
Autant une telle stratégie relève donc d’une logique qui a de quoi séduire les pays les plus pauvres de la planète, autant se pose la question de l’opportunité de son maintien dans les pays plus riches, où les besoins de subsistance sont largement rencontrés.
Seulement voilà… La croissance articule deux dynamiques qui, en s’appelant mutuellement, donnent lieu à une espèce de «mouvement perpétuel».
D’un côté, la motivation du profit stimule la création de produits et de services nouveaux, meilleurs ou moins chers par un processus continu d’innovation et de «destruction créatrice». C’est ce que rappelle l’économiste Joseph Schumpeter: des technologies et des produits inédits font sans cesse leur apparition, reléguant leurs prédécesseurs aux oubliettes.
De l’autre, une logique sociale complexe contribue à gonfler en (quasi) permanence la demande de consommation de ces biens.
D’où l’apparition d’un cycle continu. Qui, pour faire les affaires de la croissance, n’en pose pas moins questions.
Favorise-t-il réellement l’épanouissement humain?
Ne s’apparente-t-il pas plutôt à une fuite en avant?
N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez»?

Chronique d’une évolution annoncée

Récapitulons. La croissance est à la fois inefficiente, irréaliste, injuste et - nous venons de le voir - porteuse d'imposture.
En ce sens, on ne regrettera pas outre-mesure l’évolution qui s’annonce.
Trois des caractéristiques distinctives de la nouvelle économie devraient en effet contribuer à tirer la croissance vers le bas:
. l’imposition de limites écologiques,
. la transition structurelle vers des types particuliers d’activités de service à forte intensité de main d’œuvre,
. l’allocation de ressources importantes aux investissements écologiques.
Si l’on en croit Tim Jackson, cette évolution à la baisse s’avère inéluctable.
Rien ne suffira à la contrer.
L’économie sociale? Elle «est un point de départ incroyablement utile pour construire une société sobre en ressources» (5). Mais elle restera marginale.
La réduction et le partage du temps de travail? L’une améliorerait l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et l’autre favoriserait l’équité. Mais aucun des deux n’est susceptible de relancer la croissance.
Le glissement vers une base de revenu totalement différente, comme l’allocation universelle? Elle serait encore plus difficile à mettre en place.
Quant à l’économie verte…
«Les réponses dépendront de la composition de l’investissement nécessaire pour la transition. Il s’agit plus précisément de trois types d’investissements écologiques:
. les investissements qui améliorent l’efficacité dans l’utilisation des ressources et entraînent des économies en matière de coûts des ressources (par exemple l’efficacité énergétique, la réduction des déchets, le recyclage);
. les investissements qui substituent aux technologies conventionnelles des technologies propres ou sobres en carbone (par exemple les énergies renouvelables);
. les investissements dans l’amélioration de l’écosystème (adaptation climatique, reforestation, renouvellement des zones humides, etc.).
L’impact sur la capacité productive de l’économie différera sensiblement selon ces différents types d’investissement.
Les investissements dans la productivité des ressources sont susceptibles d’avoir un impact positif sur la productivité globale. Mais ils ne produiront pas nécessairement des rendements supérieurs aux investissements classiques.
(…)
Certains investissements dans les énergies renouvelables généreront des rendements concurrentiels dans certaines conditions de marché. D’autres ne généreront des rendements que sur des périodes beaucoup plus longues que ce qu’attendent les marchés financiers traditionnels. Les investissements dans l’amélioration de l’écosystème et l’adaptation
climatique ne produiront peut-être aucun rendement financier classique (…).
En d’autres termes, les prescriptions simplistes selon lesquelles l’investissement contribue à la productivité ne fonctionneront pas dans ce contexte.
» (6)
On aura compris la conclusion de Jackson: il ne suffira pas de «remettre l’économie dans un état de croissance perpétuelle de la consommation» (7). Pour toutes les raisons préalablement esquissées, cette «hypothèse par défaut du keynésianisme» (7) «reste toujours aussi peu durable» (7). Nous avons donc besoin de dépasser le système économique actuel. Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à la croissance du PIB. (8)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

Un emploi du temps chargé nous contraindra

à ralentir sensiblement le rythme de parution

des messages de ce blog

au cours des prochaines semaines.

Ralentissement provisoire mais inéluctable.

Pour information.

Et avec nos excuses.


1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Voir le 35e message de ce blog:
Développement durable. Tout petit, ma planète…
3. Voir le 36e message:
Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Dépasser l’individualisme matérialiste et l’innovation sans lendemain...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 138.
6. 7. Ibidem, pp. 143-144 et 225.
8. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mardi 1 juin 2010

Développement durable. Dépasser l'individualisme matérialiste et l'innovation sans lendemain

Le capitalisme de la croissance à tout crin se caractérise par sa propension à favoriser outrancièrement l’individualisme, le matérialisme, l’innovation et le court terme.

Autant d’aspects qu’il importe
d’identifier et de corriger,
insiste Tim Jackson (1).

«Une politique nouvelle du bien commun ne tourne pas seulement autour de la question de trouver des responsables politiques scrupuleux.

Elle requiert aussi une idée plus exigeante de ce que signifie le fait d’être citoyen, un discours politique plus robuste – qui s’engage plus directement sur les questions morales et même spirituelles.» (2)



Inefficiente (3) et irréaliste (4), la stratégie de la priorité à la croissance économique s’avère par ailleurs injuste. Car elle tend intrinsèquement à n’être respectueuse ni de la nature ni de l’autre.
En cause: la quadruple dynamique qui anime une logique
. avant tout génératrice d’individualisme,
. exagérément centrée sur le matérialisme,
. obnubilée par l’innovation,
. excessivement tournée vers le court terme.

Une croissance avant tout génératrice d’individualisme
et exagérément centrée sur le matérialisme

Par bon nombre de ses aspects les plus fondamentaux, cette logique incline à l’individualisme matérialiste, sape le potentiel d’une prospérité partagée et s’oppose à l’équilibre entre libertés individuelles et intérêt général.
«Incitants pervers» (5), s’insurge Jackson. Car il serait erroné de supposer que les motivations humaines soient toutes égoïstes.
«Dans une certaine mesure, nous sommes tous déchirés entre l’égoïsme et l’altruisme.» (6)

Une croissance obnubilée par l’innovation

A la tension entre égoïsme et altruisme s’en ajoute une autre: celle qui se joue entre l’ouverture au changement et la conservation; en d’autres termes, entre la nouveauté et le maintien de la tradition.
«Bombardés avec persuasion et séduits par la nouveauté, nous sommes comme des enfants dans un magasin de bonbons, nous savons que le sucre est mauvais pour nous, mais nous sommes incapables de résister à la tentation.» (7)

Une croissance excessivement tournée vers le court terme

Nous privilégions outre-mesure aujourd’hui par rapport à demain et demain matin au détriment d’après-demain. Un phénomène bien connu des économistes qui s’y réfèrent sous le nom d’«actualisation hyperbolique».

Interroger et corriger la croissance

Alors que chaque société trouve un point d’équilibre différent entre égoïsme et altruisme ainsi qu’entre nouveauté et tradition, la société de consommation a mis en place des institutions qui, de plus en plus, semblent avoir été conçues pour privilégier le terme qui, au sein de chacune de ces deux équations, fait le mieux tourner l’économie: le premier.
Par là, notre structure sociale complexe encourage un individualisme particulièrement matérialiste et la recherche sans trêve de la nouveauté dans la consommation. Des aspects qui doivent être identifiés, interrogés et corrigés.
«Une transition de l’intérêt personnel étroit à des comportements sociaux, ou de la nouveauté permanente à la conservation réfléchie de ce qui compte, ne peut se faire que via des modifications de la structure sous-jacente, modifications qui renforcent l’engagement et encouragent le comportement social, écrit le professeur de l’Université du Surrey (Grande-Bretagne). Et ces modifications exigent que des gouvernements agissent. (…)
Malheureusement, tant que la stabilité macroéconomique dépendra de la croissance économique, ces changements n’auront pas lieu. Les gouvernements auront inévitablement tendance à soutenir les structures sociales qui renforcent l’individualisme matérialiste et la quête de la nouveauté. Parce que c’est le prix à payer pour maintenir l’économie à flot.
Mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Libérer la macroéconomie de l’exigence structurelle de la croissance de la consommation laissera, simultanément, l’Etat libre de jouer son propre rôle dans la fourniture des biens sociaux et environnementaux et dans la protection des intérêts à long terme. Le même objectif, qui est vital pour une économie durable, est essentiel à une gouvernance apte à recréer la prospérité.
» (8)
Car l’Etat est lui-même victime d'une croissance dont la poursuite se révèle ingérable sur le plan politique.
«Nous avons vraiment l’impression d’être en présence d’une schizophrénie institutionnelle, poursuit l’Anglais. D’une part, le gouvernement est lié à la poursuite de la croissance économique. D’autre part, il se trouve obligé d’intervenir pour protéger le bien commun des incursions du marché. (…)
Ayant pour responsabilité capitale de protéger l’emploi, l’Etat est contraint (dans les conditions actuelles) d’accorder la priorité à la croissance économique.» (9)
Un dilemme dont il n’existerait que deux moyens de sortir. L’un consiste à rendre la croissance durable. L’autre à rendre la décroissance stable… (10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Sandel Michael, première conférence dans le cadre des Reith Lecture, juin 2009, in Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 185
3. Voir le 35e message de ce blog: Développement durable. Tout petit, ma planète...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 161.
6. Ibidem, p. 163.
7. Ibidem, p. 163.
8. Ibidem, p. 168.
9. Ibidem, p. 167.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
11. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.