vendredi 2 mai 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (31) La possibilité d'une île


serait-il aussi fermé qu'égoïste?
Au mieux, peu soucieux 
du bien commun?
Et à peine préoccupé 
de l'intérêt général?
Pas forcément,
à en croire Jacques Ion.
Mais il s'avérerait source 
de nouveaux rapports 
à autrui.
Et, plus que jamais,
rendrait nécessaire 
la discussion,
avec les autres Individus, 
d'un monde commun 
éternellement provisoire 
et toujours en débat. 
La possibilité d'une île, donc.
Sans plus...
 

Avant de tenter de mieux cerner ce fameux «mutant» dont nous avons fait la connaissance dans les trois précédents messages, poursuivons notre voyage au pays qui est le sien.
Celui d'une société construite toute entière autour de la singularité individuelle.

Splendeurs et misères de l'Individualisme

«La figure contemporaine de l'individu autonome (...) peut donner lieu à des interprétations contrastées, voire contradictoires.
On peut en souligner 
. les effets bénéfiques (reconnaissance des droits spécifiques des individus, notamment ceux des femmes et des enfants, émancipation vis-à-vis des contraintes d'appartenance, réflexivité accrue, etc.),
. mais aussi tout autant les effets régressifs (isolement accru des individus ou développement des pathologies narcissiques).
En effet, si les attachements aux autres sont moins subis, ils sont aussi plus difficiles à établir et à maintenir.
Ainsi l'individu contemporain est-il à la fois moins dépendant, mais aussi davantage susceptible de se retrouver en dette de liens sociaux.
S'il est moins lié par ses appartenances héritées, moins défini par ses statuts, c'est sa place même dans la société qui peut alors devenir problématique.» (1)
Ainsi s'exprime le sociologue français Jacques Ion (2).
Qui estime qu'on aurait trop souvent tendance à ne considérer que la face négative de l'individuation (3).
Et qui attire l'attention sur la multiplication des réseaux de toutes sortes. 
Signe, selon lui, «que nous ne sommes absolument pas condamnés à un monde de coexistence d'ego!» (4)  

Il n'y a pas d'alternative!

Reste qu'«A ce jeu de la définition de soi, tout un chacun n'est évidemment pas logé à la même enseigne, poursuit l'ancien directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.).
Ce sont précisément les plus vulnérables, parce qu'ils ne disposent pas des ressources, économiques, sociales et symboliques qui aident à la construction de l'identité individuelle, qui sont les plus affectés par cette mise en demeure à être autonome.» (5)
Oui, mais....
Ion ne voit pas très bien quelle alternative pourrait être retenue sans céder aux sirènes de la naïve utopie...
«Une société est toujours un ensemble contradictoire; elle n'existe et ne vit que des tensions qui les traversent.
L'appel au bien commun relève du regret mélancolique d'une harmonie sociale qui n'a jamais eu lieu. 
Les luttes de salariés, les mobilisations éphémères, les combats des minorités ou de ceux dits de la diversité font complètement partie de la réalité sociale et participent à la société sans cesse en mouvement d'une société qui ne sera jamais unifiée.
Peut-être davantage que les élections, la prise de parole, l'expression des contradictions, sont essentielles à la vie démocratique, laquelle se bâtit jour après jour dans un mouvement de tension permanent.» (6)

Appel à la citoyenneté? Ah, là, là! C'est l'alibi...

Mieux: il faudrait s'interroger sur cette injonction permanente à la citoyenneté qui, sous prétexte de délitement social, nous est constamment faite aujourd'hui.
La société aurait-elle peur des individus qui la composent?
Et la sommation en question ne ressemblerait-elle pas au chausse-trape d'un appel au consensus lancé aux laissés pour compte?
Non sans arrière-pensées...
«Soyez citoyens, leur est-il fortement recommandé.
Ce qui veut dire la plupart du temps, et souvent explicitement: "Prenez-vous en charge!" (...)
De fait, les gens sont parfois parfaitement en mesure de se prendre en charge, à leur manière, qui est celle de dominés et ne correspond pas forcément aux attentes de ceux qui crient à l'incurie.
Ce qui est proprement scandaleux dans ces exhortations, c'est que ce sont précisément les populations qui souffrent le plus des inégalités, de l'accès aux droits, celles les moins reconnues qui se voient montrées du doigt et stigmatisées une seconde fois.» (7)(8)

(A suivre)

Christophe Engels
 
(1) Ion Jacques, S'engager dans une société d'individus, coll. Individu et société, Armand Colin, Paris, Paris, 2012, pp.86-87.
(2) Jacques Ion a écrit de nombreux ouvrages sur l'engagement et le militantisme.
(3) Pour rappel, nous avons vu dans le message précédent que l'individuation est un processus qui tend à distinguer un Individu, des autres Individus d'une part, et du groupe ou de la société dont il fait partie d'autre part.
(4) Ion Jacques, ibidem, p.177.
(5) Ion Jacques, ibidem, p.87.
(6) Ion Jacques, idem, pp.182-183. 
(7) Ion Jacques, ibidem, p.187.
(8) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses de la social-démocratie, de l'écologie politique, de l'immigration...


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