dimanche 27 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (30) Mutant. La singularité en personne












Moins (égo)individualiste 
que (philosophiquement) 
Individualiste, 
le «mutant»
Qui s'individualise moins 
qu'il ne... s' «individue»!
La singularité 
en personne...


Le mutant se voit et entend vivre dans un monde (philosophiquement) Individualiste (1).  
S'agit-il pour autant de considérer qu'il tendrait à ramener l'évolution sociale de ces derniers siècles à un processus de repli sur soi et/ou à une propension à se dégager de ses appartenances propres?
Absolument pas!
Car ce dont il est question ici, c'est d'un autre phénomène.
Qui tient moins de ce type d'individualisation que d'un autre.
Que Jacques Ion (2), pour éviter toute ambiguïté, préfère qualifier d'«individuation».
Soit un principe renvoyant moins à la cupidité qu'à la curiosité.

Et moins à l'ego qu'à la singularité. 
Celle-là même qui fait de l'Individu une entité spécifique.
Unique.
Différente de toute autre. 

Individuation, le retour

L'ancien directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.) ne se contente pas de parler d'individuation.
Il évoque l'émergence récente d'une seconde phase de ce processus. 
«La première symbolisée par les Lumières, avait conduit à définir un individu abstrait et universel.
La seconde tend à valoriser les êtres dans leur particularité plutôt que dans leurs rôles et dans leurs statuts.» (3)
C'est que nous vivons de plus en plus dans des sociétés qui se pensent comme composées d'Individus, à la différence des sociétés dites «holistes», qui s'appréhendent avant tout comme la somme organisée de collectifs et dans lesquelles le tout prime sur les composantes. (4)
«L'individu singulier est conduit à penser ses propres pratiques dans le cours même de l'action, précise le sociologue hexagonal.
Charles Taylor, tout comme Ulrich Beck qui parle d'"individualisme réflexif", font de la réflexivité la caractéristique même de l'individu contemporain.
Ce dernier est soumis à un travail permanent de construction de sens.
L'élaboration de soi suppose un questionnement incessant, qui était hier l'apanage des élites intellectuelles et des artistes. 
La réflexivité identitaire contraint tout un chacun à penser ses propres pratiques et  à les intégrer dans une visée de réalisation de soi.» (5)
Ce degré supplémentaire dans le processus d'individuation doit-il être appréhendé comme une sorte d'autolibération de l'individu?
Non. 
«L'individu contemporain demeure le produit des institutions, même si ces dernières se transforment et précisément se restructurent partiellement autour de la notion de personne.» (6)

Etre, de plus en plus, une personne...

«Nul ne conteste aujourd'hui le caractère obligatoire de la règle qui nous ordonne d'être et d'être, de plus en plus, une personne», écrivait déjà Emile  Durkheim. (7)
Ion en rajoute une couche...
«Le développement de l'individuation ne signifie absolument pas un retrait sur soi.
Bien au contraire, puisque l'identité personnelle ne peut se construire que dans la relation à l'autre.
» (
8)
Voilà qui rappellera quelque chose à tous ceux qui, de près ou de loin, s'abreuvent aux sources du personnalisme.
Qui refuse la séparation autant que la fusion.
Qui dit non à l’indépendance du «Après moi le déluge»!
Mais non, tout autant, à la dépendance!
Celle d’une gauche dévoyée, qui tendrait soit à me déresponsabiliser radicalement par rapport à l’Etat soit à me mettre complètement à sa merci.
Ou alors celle d’une droite cynique, qui me livrerait sans le moindre garde-fou à la vindicte anarchique et impitoyable du marché.

Mutant et personne: même combat... intérieur !

Personne et mutant, même combat?
Oui.
Même combat... intérieur!
Et même apport constitutif de l'interdépendance.
Car ce qui les fonde tous deux, c’est moins le moi, l’Etat ou le marché que l’authenticité d’une relation qui «nous invite à sortir de ces comportements utilitaires qui font la froideur de l’individualisme marchand.» (9)(10)


(A suivre)

Christophe Engels


(1) Nous ne revenons pas à ce stade sur la différence, que nous proposions dans les deux derniers messages, entre individualisme de l'ego et Individualisme philosophique.
(2) Le sociologue français Jacques Ion a écrit de nombreux ouvrages sur l'engagement et le miltantisme. 
(3) Ion Jacques, S'engager dans une société d'individus, coll. Individu et société, Armand Colin, Paris, Paris, 2012, pp.77-78.
(4) Cfr. Ion Jacques,  idem, pp.75-76. 
(5) Ion Jacques, idem, pp.83-84. 
(6) Ion Jacques, idem, p.77. 
(7) Cité in Ion Jacques, idem, 2012, p.77.
(8) Ion Jacques, idem, p.94. 
(9) Les lecteurs les plus attentifs et assidus reconnaîtront peut-être ces dernières lignes, étroitement inspirées du tout premier message de ce Projet relationnel. 
(10) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique, l'immigration...


mercredi 23 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (29) Mutant. Engagé plutôt que militant














                                                                        Le militant brut,
                                                                    qu'il ait ou non compris 
le profit qu'il y a 
à mutualiser ses intérêts,
aurait-il une propension 
à l'égocentrisme 
ou à l'égoïsme?
Rien de tel, en tout cas,
pour ce militant «net»
qu'est le «mutant».
Qui lui est un égotiste sortant.
Un militant... méditant! 
Une personne engagée.
                                                                                                                                                  
Le mutant est Individualiste.
Au sens philosophique du terme.
C'est à dire qu'il se construit sur une approche humaniste qui consiste à penser par soi-même.
Ce qui ne l'empêche absolument pas de conférer à l'homme une composante émotionnelle et une interdépendance par rapport à autrui.
Telle était en tout cas l'idée suggérée dans notre précédent message
Développons la ici.
Avec l'aide de feu le philosophe français René Macaire (1)...


Unité dynamique

La mutance à laquelle nous nous référons ici renvoie-t-elle à ceux que le dictionnaire Larousse nous renseigne comme des êtres qui présentent des caractères nouveaux par rapport à leurs ascendants? 
Sans doute.
Mais elle recouvre aussi et surtout une réalité plus spécifique.
Celle décrite par Macaire (2).
Qui désigne «l'unité du dynamisme que, selon nous, l'homme est désormais appelé à vivre: unité de la croissance en intériorité de chacun et de l'innovation sociétaire à laquelle il est invité par cette croissance même.» (3).
Car, explique l'intéressé, il n'est plus possible de séparer l'évolution des sociétés et celle des individus. 
«Encore faible, il est vrai, croissant pourtant, est le nombre de personnes qui sont en désir d'harmoniser leur vie intérieure et leur insertion sociétaire.» (4)
Et notre guide de poursuivre...
«Il devient plus que tra­gique de continuer à organiser les sociétés sans se soucier de la croissance en humanité de chacun, (…) sans qu'un nombre significatif d'hommes et de femmes ne s'en­gagent justement sur le chemin de leur propre accomplissement.» (5)
Voilà qui ne va pas sans rappeler le personnalisme d'un Emmanuel Mounier ou l'Approche centrée sur la personne d'un Carl Rogers.
Voire le récent convivialisme des Alain Caillé et consorts.
«Le clivage dominant-dominé (…) ne peut être vaincu que là où la mutance est vécue.
Lorsqu'elle n'est pas vécue, les mécanismes de domination inhérents à tout regroupement humain restent en place.
» (6)
Dixit, encore,
le fondateur des Réseaux Espérance.
Qui ajoute...
«Si, en même temps qu'on lutte contre la misè­re et le clivage dominant-dominé qui la cause ou la maintient, on n'éveille pas les hommes à prendre en main leur destin, on remplace la misère par l'oppres­sion.» (7)

Solidarité responsable: je m'y engage...

C'est un peu l'idée de cet autre philosophe hexagonal qu'est André Comte-Sponville: la solidarité, qui penche volontiers à gauche, ne doit pas faire oublier la responsabilité individuelle, qui est plutôt de droite. 
Voilà pourquoi le mutant s'oppose moins aux «méchants» et/ou aux «ignorants» qu'il ne s'inscrit dans une démarche également, voire essentiellement positive (dans la mesure où je tends au moins autant à façonner qu'à détruire) et enracinée (au sens où l'objet du changement s'élargit à ma propre personne).
Voilà pourquoi il affiche une propension manifeste à ne se positionner ni contre d’autres idées ni contre le pouvoir politique.
Voilà pourquoi il se sent moins en phase avec la militance qu'avec l'engagement.  
Un engagement aussi vigilant que critique.
Mais également un engagement constructif. (8)

(A suivre) 

Christophe Engels

(1) Le philosophe français René Macaire (1916-1993) est l'auteur d'une oeuvre qui n'a céssé d’irriguer maints mouvements non-violents, à commencer par les Réseaux Espérance, et antipublicitaire, dont l'association Résistance à l’agression publicitaire. Plutôt que la militance, il prônait la «mutance». C'est-à-dire une croissance en intériorité du plus grand nombre en vue d’une efficacité dans l’action sociale et politique. Pas question, donc, de changer le monde sans se changer soi-même.
(2) Macaire René, La mutance, clé pour un avenir humain, L'Harmattan, Paris, 1989.
(3) Macaire René, idem, pp.20-21.
(4) Macaire René, idem, pp.19-20.
(5) Macaire René, idem, pp.20-21.
(6) Macaire René, idem, pp.86-87.
(7) Macaire René, idem, pp.94-95.
(8) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique,  sur l'immigration...


samedi 19 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (28) Mutant: «Réflexion faite...»










Troisième acteur 
des courants de pensée et modes de vie émergents: 
le «mutant».
Qui combat l'égocentrisme.
Qui refuse l'égoïsme.
Qui dépasse l'égotisme.
Exit, donc, le monopole de l'ego individuel.
Dorénavant, la convivialité personnelle 
revendique sa part du gâteau.
Courageusement. 
En toute fragilité.
Et après mûre réflexion.
  

Les courants de pensée et modes de vie émergents ne se composent pas que des «militants» et des «méditants» (1).
Ils englobent également ceux que le philosophe français René Macaire désigne du nom de «mutants» (2).
Soit ceux qui, animés par le souci d'une croissance en intériorité, y ajoutent celui d'une société équitable.
Une préoccupation qui n'est pas seulement centrée sur l'autre proche, donc.
Ni uniquement sur la société pour ce qu'elle a à m'apporter à moi
 

Ni militant ni méditant 
ni préméditant ni non-méditant 

Le mutant n'est donc pas de ces militants pur jus qui ne songent qu'à lutter, qui ne pensent qu'à combattre pour le triomphe d'une cause, qui se servent d'une organisation comme d'une arme sur le champ de bataille de leurs revendications.
Mais il ne se confond pas davantage avec le «simple» méditant, égotiste, c'est-à-dire en recherche de plénitude individuelle.
A quoi on ajoutera qu'il n'est pas non plus un préméditant, égoïste.
Et encore moins un non-méditant, égocentrique. 

Le mutant n'est pas individualiste

Le mutant n'est donc ni égocentrique ni égoïste ni égotiste.
Soit les trois modalités de l'individualisme du quotidien...
. Celui que nous écrirons ici avec un «i» minuscule.
. Celui qui, on le verra, n'a pas grand chose à voir avec l'Individualisme philosophique.
. Celui renvoyant plutôt à une conception qui,  plus fréquemment retenue dans la vie de tous les jours, fait référence à l’idée qu’il convient de vivre pour soi-même.

Le mutant n'est pas égocentrique

L'individualisme égocentrique, c'est ce qui sous-tend la notion de non-méditant et piège d'autant plus aisément un certain type de militant (impulsif et instinctif) que celui-ci peut se retrancher derrière l'excuse, voire l'alibi du collectif.
C'est le «moi seulement» du «tout  petit  individualisme».
Qui recouvre l’état  d’esprit  égocentrique du
• «Je pense à moi» (égocentrisme de la pensée),
• «J’agis en fonction de moi» (égocentrisme de l’action).
Sur le plan affectif, cet individualisme va de pair avec le narcissisme («je n’aime que celui que je crois être»).
C'est le royaume du moi inconscient.
Sans même m’en rendre compte, l’autre est -autant que possible- considéré et traité exclusivement comme un moyen au service de mes besoins et de mes envies.
Je me situe au centre d’un monde qui n’est donc qu’un prolongement  de  moi-même.
Je  pense tout en fonction de moi.
Puisque je suis bon, c’est l’autre qui est mauvais.
D’où cette irritabilité qui m’habite si souvent.
Tout ce qui m’intéresse, c’est  la justice.
Non  pas  comme  valeur.
Encore moins comme vertu.
Simplement, et au mieux, comme règle de droit.
Celle-là même qui me (3) met à l’abri des autres.
C’est l’amour de la justice dont parle La Rochefoucauld: celui  qui n’est «que la crainte de souffrir de l’injustice» .

Le mutant n'est pas égoïste

L'individualisme égoïste, c'est ce qui sous-tend la notion de préméditant, chère à l'«homo oeconomicus» et contaminant plus souvent qu'à son tour un autre type de militant (plus lucide et plus cynique) qui, pour arriver à ses fins, mise sur l'effet de surprise, la manipulation, le rapport de force,  l'intimidation et/ou un quelconque instrument faisant écho à ses valeurs dites «masculines» (4).
C'est le «moi d’abord» du «petit individualisme».
Qui renvoie à l’égoïsme du
•  «je pense pour moi» (égoïsme de la pensée),
•  «j’agis pour moi» (égoïsme de l’action).
Et qui se prolonge, dans le domaine affectif, par l’amour égoïste du «je n’aime que moi».
C’est le domaine du moi conscient à visée tactique.
Je suis plus habile que l’égocentriste.
Plus habile car plus conscient de moi-même et de mes limites.
Moi l’égoïste, je suis tout à fait capable de me mettre à la place de mon interlocuteur.
Mais ce savoir-faire, je ne le mets pas au service de son épanouissement.
Je m'en sers au contraire comme d'un outil ayant pour fonction de tout détourner à mon propre profit (5).
Pour moi, l’autre n’est qu’un instrument à utiliser, un «pigeon» à plumer, un concurrent à soumettre, sinon un ennemi à vaincre.
Objectif: prise de pouvoir.
Mes désirs priment sur les tiens.
Place, donc, au règne du calcul, de l’opportunisme, voire du règlement de compte.

Le mutant n'est pas égotique

L’individualisme égotique, c'est ce qui sous-tend la notion de méditant.
C'est le «moi vraiment» de l'«individualisme moyen».
Car nous avons tous des tendances égocentriques et égoïstes qui s’apparentent à autant de zones de «bêtise» émotionnelle et de souffrance affective.
L’égotisme cherche à les dépasser.
Il s’apparente à un individualisme conscient à visée stratégique.
Sauf improbable dysfonctionnement, cette focalisation sur moi-même relève de l’étape transitoire.
Elle n’est qu’un moyen au service d’un objectif plus ambitieux.
L’autre est simplement mis entre parenthèses.
Si je prends du recul aujourd’hui, c’est pour mieux sauter vers lui ultérieurement.
En attendant, je me referme dans mon cocon individuel ou familial pour me consacrer pleinement à la construction de mon individualité.
Isolement, lectures, conférences, développement personnel, thérapie, écriture ou autre: c’est selon...
Ce qui  est certain, c’est qu’après m’être différencié par l’égoïsme, je veux me trouver.
Ou me retrouver.
Honnêtement, sincèrement, authentiquement.

Le mutant est Individualiste

Reste que le terme «INDIVIDUALISME» peut aussi désigner une acception philosophique.
C'est le «moi sujet» du «grand individualisme».
Celui-là même qui sous-tend les notions de «personne» ou de «convivialiste».
Mais aussi l'idée de mutant.
Nous évoquerons alors l'Individualisme, avec une majuscule.
Histoire d'évoquer une manière de voir plus intellectuelle renvoyant à une approche humaniste qui consiste à penser non plus pour, mais par soi-même.
Sans aucunement s'interdire de conférer à l’homme une composante émotionnelle et une responsabilité par rapport à autrui.
Ce que l'Individualisme fait d’ailleurs le plus souvent.
Il peut même aller jusqu'à considérer que si je me construis, c'est aussi (convivialiste), voire surtout (personne) grâce à l'autre. (6)(7)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Appellation Thierry Verhelst. Cfr. notamment Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmatan, Paris, 2008.
(2) Le philosophe français René Macaire (1916-1993) est l'auteur d'une oeuvre qui n'a céssé d’irriguer maints mouvements non-violents, à commencer par les Réseaux Espérance, et antipublicitaire, dont l'association Résistance à l’agression publicitaire. Plutôt que la militance, il prônait la «mutance». C'est-à-dire une croissance en intériorité du plus grand nombre en vue d’une efficacité dans l’action sociale et politique. Pas question, donc, de changer le monde sans se changer soi-même.
(3) Moi mais aussi, le cas échéant, mes alliés du moment. 
(4) On reviendra sur cette idée de valeurs «masculines» et «féminines», dont on se contentera de préciser ici qu'elles ne sont pas l'apanage respectif des seuls hommes et femmes. 
(5)  Mon profit mais aussi, le cas échéant, celui de mes alliés du moment.
(6) Ce message s'inspire d'un texte plus complet, auquel, en cas d'intérêt, on se référera utilement pour aller plus loin: Engels Christophe, Hors je ou de l'autisme à l'autrisme, in Perso/Regards personnalistes n°9,mai, 2006, p.4.
(7) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique, l'immigration...



mardi 15 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (27) Militants et méditants: improbables passerelles

Aussi rares et peu empruntées soient-elles, 
des passerelles n'en existent pas moins
entre militants et méditants.
Les premiers, par leur comportement, 
rappellent à leurs vis-à-vis 
de se méfier de la tentation solipsiste.
Les seconds disposent d'outils 
susceptibles de favoriser 
l'efficacité de l'action militante. 
Au point d'en arriver 


Le méditant est en phase avec Gandhi quand il conseille d'«être», plus que de faire, le changement que l'on veut voir éclore
Sous cet angle, l'avènement d'un monde plus juste, solidaire et altruiste passe d'abord par la construction de ces qualités à l'intérieur de soi-même. (1) 
Quid d'un tel préalable identitaire? 
Farfelu, a priori, pour le militant qui tend à l'appréhender comme une démarche purement et simplement égocentrique.
Nécessaire, en revanche, pour le méditant qui, au mieux, voit cette phase égotique comme une prise d'élan vers le grand saut de la dimension collective.

Méditant: rechercher le côté jardin du militant

Le méditant cherche-t-il «à installer dans sa vie personnelle une capacité de percevoir ce qui est bon pour lui, ses besoins, ses limites, et à exprimer tout cela vers l'extérieur»? (2) 
Oui.
Dans un premier temps en tout cas.
Car, ajoute Vincent Commenne, cette construction de l’estime de soi n'est qu'un préalable.
Elle est inévitablement amenée à plafonner à un moment ou à un autre.
Et ne sera appelée à prendre son plein essor qu’avec une  implication dans le collectif.
«S’investir dans l’action collective met les valeurs (solidarité, écologie…) à l’épreuve du concret, précise le fer de lance des créatifs culturels en Belgique. 
Son implication envers la société l’aidera dans sa démarche personnelle.» (3)

Militant: se forcer à voir l'autre face du méditant

En l'espèce, le méditant a donc tout à gagner à s'inspirer du militant.
Ce qui ne signifie pas, loin de là, que lui-même n'a rien à apporter à son vis-à-vis. 
Qui, de son côté, aura à apprendre, par exemple, de cette «étrange» manière de considérer que, fût-ce inconciemment, le monde tend à être dirigé par la peur et la colère.
La sphère militante?
Elle ne fait pas exception à cette règle générale.
Car elle aussi est animée par la peur de certaines issues dramatiques.
Et elle aussi est motivée par la colère envers ceux  qui  en sont à  l'origine. 
Se pose alors la question de savoir si l'on peut court-circuiter les étapes. 
Si, donc, on peut passer à l'action avant d'avoir pleinement accepté et pris en charge les sentiments susmentionnés. (4)
Le monde méditant, il est vrai, dispose d'une multiplicité d'approches susceptibles d'aider à gérer ce type de situation. Autant d'outils qui pourraient tout aussi bien servir la cause du camp d'en face.
Non pas que le méditant doute des bonnes intentions qui sous-tendent les initiatives "anti-système" des militants.
«Mais il considère qu’elles font preuve d’une méconnaissance importante de l’être humain et de son fonctionnement.» (5)
C'est que, de son côté, «il a souvent adopté l’idée que vouloir changer l’autre (ou vouloir que l’autre change son comportement) accroît sa résistance au changement. 
En conséquence, vouloir changer l’autre est épuisant à la longue, et va finalement  conduire le militant  vers  un sentiment d’impuissance et d’échec.» (6)
«Ce n'est que lorsqu'une personne se sent reconnue dans son apport actuel qu'elle accepte de transiter vers autre chose.» (7) 
Dixit encore Commenne.
Qui, audacieusement, se risque à ajouter...
«Faudra-t-il en passer par remercier les multinationales et les banquiers? 
La question est posée tout en sachant qu'elle aura probablement le don d'irriter bon nombre de militants...» (8)(9)
 
(A suivre)

Christophe Engels (d'après Vincent Commenne)

(1) Cfr. Commenne Vincent, Evaluation des valeurs et descomportements. Un nouveau regard sur les acteurs de changement, Créatifs Culturels en Belgique, 2013, pp.62-63. Rappelons ici que nous nous inspirons librement de cet auteur dans la mesure où sa typologie des acteurs de changement se fonde sur un pôle binaire (militants et mutants) alors que la nôtre se construit sur une distinction ternaire (entre militants, méditants et mutants) qui nous semble à la fois plus susceptible de rendre justice au concept de mutance  proposé par le philosophe français René Macaire et plus à même de cerner la complexité des courants de pensée et modes de vie émergents.
(2) Commenne Vincent, idem, p.63.
(3) Commenne Vincent, idem, pp.63-64.
(4) Cfr. Commenne Vincent, idem, p.64. 
(5) D'après Commenne Vincent, idem, pp.62-63. 
(6) Commenne Vincent, idem, p.62.  
(7) Commenne Vincent, idem, p.62 
(8) Commenne Vincent, idem, pp.62-63.
(9) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...


vendredi 11 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (26) Militants et méditants: le feu et l'eau ?









 















Les uns se focalisent sur l'extérieur d'eux-mêmes.
Ils pensent et sont censés viser 

ce qui leur semble bon pour le collectif.
Les autres se concentrent avant tout sur l'intériorité.
Sur ce qui convient à leur propre personne.
 
Militants et méditants: le feu et l'eau?

Jusqu'ici et en attendant d'aller plus loin, nous avons envisagé les courants de pensée et modes de vie émergents (C.P.M.V.E.) sous l'angle de deux des (trois) grandes familles qui nous paraissent les composer:
. les «militants»,
. les «méditants»
Restent donc les «mutants».
Soit, pour rappel, la catégorie centrale des C.P.M.V.E..
La... meilleure en quelque sorte!
Celle, en tout cas, qu'il n'est pas encore temps d'appréhender ici. 
Et que nous garderons donc pour la fin.
Histoire, dans l'intervalle, de nous pencher sur les rapports entre militants et méditants...

Militant: qu'il est mou, ce méditant! 

Chez les militants, on ne parle jamais de soi, de ses doutes, de ses craintes… 
Pour eux, tout va très bien, merci!
C’est le monde qui ne va pas bien.
Les intéressés recourent donc à un logiciel très différent de celui des méditants.
Qui, d'ailleurs, tiennent facilement des propos que ce créatif culturel qu'est Vincent Commenne décrit comme «incompréhensibles pour les gens qui n’ont pas longuement cheminé parmi les voies spirituelles.» (1)
Circonstance aggravante: les militants ne s'intéressent absolument pas aux méditants.
Pour plusieurs raisons...
. D'abord, ils constatent que leurs vis-à-vis font grand cas du ressenti et de l'intuition. 
Et qu'ils en appellent par là à une voix intérieure qui, pour beaucoup de militants, est vécue comme «culpabilisatrice ou perturbatrice.» (2)
. Ensuite, le militantisme se vit comme une démarche avant tout altruiste.
Rien à voir, semble-t-il, avec le méditant qui s'en tient à u
ne approche profondément égocentrée.
«Mes besoins»? 
«Mes limites»?
Autant de considérations qui, une fois tombée dans l'oreille des militants, les confortent plus que jamais dans leur impression de voir transparaître le règne du «moi, moi, moi».
Il est vrai que ceux-ci, dans la mesure où ils ont souvent opté pour des choix de vie qui rendent leur existence matérielle plus difficile, n'en perçoivent que plus facilement les méditants comme prisonniers de «leur petite vie sociale et familiale» (3), donc de «leur petit confort» (3), avec pour seule perspective de l'accroître toujours davantage.
. Enfin, le militant tend à reprocher au méditant un supposé déficit d'enthousiasme pour l'action. 
«La majorité des militants agissent sur base des valeurs masculines (entre autres "se battre contre", viser le "résultat à atteindre", proclamer "il faut que" (…)) qui sont les mêmes valeurs que celles qui mènent le système en place.»
Les méditants, eux, seraient «plutôt imprégnés des valeurs dites féminines: prendre soin, vision globale, ouverture, empathie, écoute, processus…, toutes choses qui semblent des pertes de temps à beaucoup de militants.» (4)

Méditant: quelle arrogance, ce militant!

Et les méditants?
Connaissent-ils les militants?
Et veulent-ils les connaître? 

Pas davantage... (5)
Nombre d'entre eux «ressentent» qu'il ne faut pas mettre la charue avant les boeufs.
Qu'ils ne sont pas prêts à s'investir dans le monde.
Qu'ils doivent d'abord (continuer à) travailler sur eux-mêmes. (6) 
Le méditant est donc la plupart du temps dans une démarche de (re)construction de son identité, avec une faible capacité à découvrir qui il est et où il veut aller… 
Il est par conséquent assez rebuté par l’assertivité du militant, qui lui semble déplacée car basée sur «tellement d’inconscience de lui-même et de la relation à l’autre et à la vie». (7)
L'«accusé», en effet, est «une personne qui possède un ego fort».
Sûr de ses valeurs, il affirme «connaître les causes de la situation» et savoir «vers où il faudrait aller et comment.» (8) 
Tout faux pour le méditant qui, fort d'une conception tout en nuances de la réalité, a appris à éviter de percevoir l’autre comme «coupable» et lui comme «innocent».
Rien de tel pour le militant qui, à l'opposé, revendique haut et fort ses raisonnements en noir et blanc.
Quitte à pécher par l'un ou l'autre amalgame. 
A commencer par celui de la confusion entre méditants et mutants. (9)


(A suivre)

Christophe Engels (d'après Vincent Commenne)


(1) Commenne Vincent, Evaluation des valeurs et des comportements. Un nouveau regard sur les acteurs de changement, Créatifs Culturels en Belgique, 2013, p.56. A noter que nous nous inspirons librement de cet auteur dans la mesure où sa typologie des acteurs de changement se fonde sur un pôle binaire (militants et mutants) alors que la nôtre se construit sur une distinction ternaire (entre militants, méditants et mutants) qui nous semble à la fois plus susceptible de rendre justice au concept de mutance  proposé par le philosophe français René Macaire et plus à même de cerner la complexité des courants de pensée et modes de vie émergents.
(2) Commenne Vincent, idem, p.56. 
(3) Commenne Vincent, idem, p.56.
(4) Commenne Vincent, idem, p.57.
(5) Cfr. Commenne Vincent, idem, p.64. 
(6) Cfr. Commenne Vincent, idem, p.58.
(7) Commenne Vincent, idem, p.58.
(8)  Commenne Vincent, idem, pp.58-59.
(9) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) d'autres séries sur la social-démocratie, sur l'écologie politique,sur l'immigration...


jeudi 3 avril 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (25) Militants et méditants: l'impasse individualiste



Une lourde tendance au repli sur soi
renforcée par un contexte économique morose
semble avoir durablement transformé 
l’activité humaine.
Même le monde des a.s.b.l. n'est pas épargné.
Qui, non content de s'ouvrir à l’individualisme, 
paraît en avoir fait l'une de ses valeurs premières.
Associatif: miracle ou mirage?

La vie n'est pas un long fleuve tranquille.
Car le rapport à l'autre peut aussi, parfois, s'avérer destructeur.
L'univers des a.s.b.l. ferait-il exception à la règle?

Même pas.
L'associatif, en effet, n'est pas le pays des bisounours.
Ce que rappelle fort bien, pour les revues Citoyens et D-CAPP, le personnaliste Vincent Triest (1)...
«L'associatif serait-il le pays de la confiance?
Pas de capitalistes, pas de rapport de force, pas d'exploitation, rien que de l'engagement, du bénévolat, des idéaux partagés?
En fait, le monde associatif n'est pas moins marqué par les luttes pour le pouvoir et par les conflits.

S'il y a indubitablement de l'idéal et de la générosité à la pelle dans les associations, elles sont aussi l'arène des quêtes identitaires et des luttes pour la reconnaissance, qui sont parmi les plus terribles et les plus meurtrières.
Pour chacun, il faut s'interroger lucidement sur les motivations de sa militance.
Quelle est la part du besoin d'être reconnu?
Quel désir de pouvoir et de prestige?
Se poser la question, d'abord pour soi, ce n'est pas sombrer dans la version obsessionnelle, c'est éviter la naïveté et consolider la confiance.» (2)
Une analyse confirmée par cet autre Vincent belge qu'est le dénommé Commenne, créatif culturel de son état...
«Le monde associatif est aussi un espace où les égos prennent le pouvoir, souvent sous des formes sophistiquées ou cachées. 
Des groupes explosent ou implosent à cause des égos des militants. 
Des conflits larvés minent l’action collective.» (3)
Pour l'heure, en effet, les distances semblent plus marquées que jamais au sein des différents groupes et sous-groupes.
Entre «méditants» et «militants» par exemple.
Mais aussi entre «méditants psy» et «méditants spi», qui peuvent se regarder en chiens de faillance. 
Ou alors entre «militants altermondialistes» et «militants alterlocalistes», qui s'appréhendent souvent avec incompréhension, parfois avec condescendance. (4) 

«Ce que tu dis est inéteressant, mais...»

En ce sens, la sphère associative s’est donc, elle aussi, dégradée.
Un processus qui participe du phénomène d’éclatement d’un contre-pouvoir déchiré par des conflits internes dont le sociologue français Pierre Bourdieu écrivait déjà qu’ils mobilisent «80% de son énergie» (5).
Ce constat est révélateur d'un phénomène plus général qui caractérise les courants de pensée et modes de vie émergents.
«Il existe (…) de multiples sous-groupes qui, chacun à leur manière, oeuvrent pour un renouveau de la société, reprend Commenne. 
Certains sont organisés ou semi-organisés, d’autres sont juste "des personnes qui…". (…)  
Tous ces gens sont à l’origine de multiples transformations lentes de société. 
Lentes, et peut-être trop lentes face à l’urgence des enjeux.» (6)

Petit bout de la lorgnette 

«Le plus souvent, chacun regarde à travers sa lorgnette, poursuit l'auteur. 
Et effectivement, chaque sous-groupe à lui seul ne représente qu’une toute petite proportion de la population.» (7)
Et notre guide d'ajouter...
«Les gens intéressés à une évolution de société à la fois convergent et divergent.
Ils se rejoignent sur leurs valeurs mais s’éloignent dans les moyens qu’ils mettent en œuvre pour participer à faire évoluer notre société. (…) 
Cette divergence quant aux moyens crée des regards réciproques qui peuvent être en tension. (….) 
Des méfiances de part et d’autre donc, avec une implication réduite ou nulle dans le monde de l’autre qui ne permet donc aucunement de renverser par l’expérience son a priori sur l’autre partie.» (8)

On demande reliance

Conséquence: le secteur associatif perd de son efficacité.
Comment, dans ces conditions, se serrer les coudes?
Comment, au niveau collectif, recourir aux actions de masse, seules susceptibles de s’opposer au tsunami de ce tout à l’ego qui étrique les personnes et les cultures, ouvrant ainsi le chemin d’une multiplication des laissés-pour-compte, souvent accusés, qui plus est, d’entraver la course au profit maximal?
Et comment, à l'échelon proprement associatif, inscrire des microprojets dans un projet de synthèse?
Ne s’agirait-il pas, pour ce faire, de mettre les différences au service d’une convergence?
Une convergence qui, le cas échéant et aussi loin que nous nous tenions de l'utopie désincarnée, n’en devrait pas moins passer par un appui plus marqué au souci de la «reliance» (9)(10)

Christophe Engels 


(1) Vincent Triest est membre actif de La Vie Nouvelle (Paris) et président du Centre d'Action pour un Personnalisme Pluraliste (CAPP, à Louvain-la-Neuve).  
(2) Triest Vincent, La confiance, un élan vital!, Citoyens, n°345, octobre 2012, p.4. Ce passage a déjà été cité dans un précédent message. 
(3) Commenne Vincent, Evaluation des valeurs et des comportements. Un nouveau regard sur les acteurs de changement, Créatifs Culturels en Belgique, 2013, p.61.
(4) Cfr. Commenne Vincent, idem, pp.68-69.
(5) Cité dans Blairon Jean, Des formes nouvelles de mobilisation pour l’éducation citoyenne?, in Echos n°73, p.19. 
(6) Commenne Vincent, ibidem, pp.66-67.
(7) Commenne Vincent, ibidem, p.68.
(8) Commenne Vincent, ibidem, pp.68-69.
(9) Les lecteurs les plus assidus et attentifs de ce blog se souviendront peut-être que ce passage est extrait d'un précédent message, auquel on se référera utilement pour plus de précisions.   
(10) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents, 
.  une enquête sur l'immigration...