vendredi 22 avril 2016

«Filimbi». Kabila veut lui couper le sifflet






Eux,
le président 
Kabila
leur 
peut-être
coupé le sifflet.
Mais pas
aux 
mouvements
citoyens
qu'ils 
incarnent.
Eux? 
Fred Bauma 
et Yves 
Makwambala
(portraits 
ci-contre).
Leurs 
mouve-
ments?
«Lucha» 
et «Filimbi».






















Le respect de l’alternance démocratique, sinon rien!
Tel est le leitmotiv des nouvelles mobilisations citoyennes qui émergent en Afrique.
«Y'en a marre» au Sénégal
«Balai citoyen» au Burkina Faso.
«Iyina» au Tchad.
«Ras le bol» au Congo-Brazzaville. 
D'autres encore. 
Comme «Filimbi» et «Lucha». 
Qui paient un tribut particulièrement lourd à une cause sociétale.
Celle de la République Démocratique du Congo (RDC)...

L'arbitr... aire siffle la fin de la récréation

Retour en mars 2015.
Le 15 exactement.
A l’est de Kinshasa, dans le quartier de Masina, l'opération «Filimbi» («coup de sifflet» en swahili) est officiellement lancée.
Au programme: des échanges sur le thème de la bonne gouvernance.
Premier pas, espère-t-on, sur le chemin d'un projet plus vaste, consistant à sensibiliser la jeunesse à la dynamique de l’engagement citoyen.
Une conférence de presse est également prévue, autorisations à l'appui.
Elle tourne pourtant court.
Car rapidement, les forces de l’ordre entrent en action.
Et procèdent à de multiples arrestations dans l'assistance.
Activistes congolais, journalistes étrangers et locaux, simples passants, diplomate américain: tout y passe.
Au point qu'une quarantaine de personnes se retrouvent embarquées vers le siège de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR).
Trois Sénégalais du mouvement «Y’en a marre» sont du nombre, de même qu'un représentant burkinabé du «Balai citoyen».
Accusés de préparer des «actes de violence», ces quatre hommes se retrouveront expulsés du pays trois jours plus tard. 
Les autres?
Pour la plupart, ils seront libérés au compte-goutte.
Mais pas Fred Bauma, représentant du mouvement «Lucha» (LUtte pour le CHAngement, basé à Goma).
Ni Yves Makwambala, membre de «Filimbi».
Qui, tous deux, demeurent sous les verrous treize mois plus tard.

La raison du plus fort

Juin 2015.
Une trentaine de militants d'Afrique noire se réunissent à Ouagadougou (Burkina Faso) pour le festival «Ciné Droit Libre».
«Quand la jeunesse se met debout...!»: tel est le thème de cet événement culturel.
Qui s'achèvera sur la signature d'une déclaration, dite «de Ouagadougou».
Soit une feuille de route commune appelée à déboucher sur la création d’une plateforme panafricaine des mouvements citoyens. 
Si le texte prévoit les modalités d'une mutualisation des stratégies et des moyens, il revendique d'abord et avant tout la libération de deux activistes détenus en RDC.
En vain, jusqu'à ce jour.
Accusés d'«atteinte à la sûreté de l’État», les deux Congolais n'en finissent pas de croupir dans la prison de Makala.
Malgré les dénonciations des quelques 200 organisations de défense des Droits de l'homme qui fustigeront une atteinte à la liberté d’expression.
Malgré les préoccupations du directeur du bureau des Nations unies pour les droits de l'homme au Congo, José Maria Aranaz, qui parlera d'«arrestations arbitraires».
Malgré le rapport de parlementaires congolais qui conclut à l'absence de preuve sur le caractère terroriste du collectif au sifflet.
Malgré les prises de position du Parlement européen en faveur d'une libération immédiate et sans conditions des deux activistes...

Les Congolais parlent aux Congolais...


Tel n'est heureusement pas le cas de cinq fondateurs de «Filimbi».

Qui, eux, sont passés entre les mailles du filet. 
Au prix de la clandestinité.
Puis, pour trois d'entre eux, de l'évacuation.
Un avion de l’ONU les a en effet exfiltrés.
Vers la France.
Et vers cette ancienne puissance coloniale qu'est la Belgique.
Où résident désormais le chargé de la communication Franck Otete et le coordonnateur Floribert Anzuluni.
Qui estiment, plus que jamais, que les autorités de Kinshasa ont choisi le mauvais chemin.
«Il est clair que la population montre des signes de radicalisation.
C’est l'une des raisons qui nous incitent à penser qu’il est important de canaliser la jeunesse en lui offrant un espace de débat et des outils d’expression non violents.»
Joseph Kabila n'est manifestement pas sur la même longueur d'onde.
Chat échaudé, il est vrai, craint l'eau froide...
Les 19 et 20 janvier 2015, en effet, des manifestations avaient dégénéré en pillages.
Et vingt-sept morts avaient été (officiellement) déplorés dans la foulée de ces protestations contre un projet de loi dont on redoutait qu'en prévoyant la mise sur pied d'un recensement de la population avant la présidentielle de 2016, il n'annonce en fait la remise aux calendes grecques de l'échéance électorale prévue par la constitution.
«Cette action spontanée était en fait l’expression d’une grande frustration, non encadrée. 
D'où ces débordements que le gouvernement s’est permis de réprimer.
Attention, cependant, aux conclusions hâtives!
Un cas n'est pas l'autre.
Il est plus compliqué d’étouffer une voix comme le nôtre, qui est plus jeune et plus organisée.»
Par rapport aux précédentes initiatives, la particularité d'un mouvement comme «Filimbi», c'est qu’il est porté par la jeunesse.
En tout cas par une certaine jeunesse.
«Une jeunesse issue de la classe moyenne.
Une jeunesse instruite.
Une jeunesse qui a décidé de jouer un rôle citoyen en vue d’améliorer la situation.
Ce qui a effrayé les autorités, c'est clairement notre profil de jeunes cadres éduqués.»


Bankable Floribert

Anzuluni, par exemple, a rejoint la RDC après obtention, à Montréal, d'un diplôme universitaire en sciences politiques.
Ce qui lui a permis (2006) de mettre le pied à l'étrier d'une carrière dans le secteur bancaire.
Devenu Directeur des Risques de «Ecobank RDC» (2011), il a participé, avec une dizaine d'autres «jeunes cadres dynamiques», à la création de «Génération Congo» (2014), un think-tank centré sur les questions de l'émergence et du développement socio-économique de la RDC.
Désormais en exil, l'homme coordonne la plateforme «Front Citoyen 2016», qui se donne pour vocation de défendre la constitution.
Mais il poursuit aussi l'animation de «Filimbi».
Qui se définit comme un collectif citoyen non partisan.
Et qui puise ses forces vives aux sources des milieux activistes, artistes et entrepreneuriaux autant que dans le vivier des organisations de jeunes (souvent venus des milieux associatifs et/ou universitaires).

Triiit !

Créé et dirigé par des jeunes pour les jeunes, le mouvement au sifflet est dédié à la promotion de la participation citoyenne de la jeunesse congolaise et repose sur l'implication bénévole de ses membres.
«Nous avons souhaité mener une action non violente et non partisane de sensibilisation à l’engagement citoyen
, explique l'intéressé. 
L’objectif est double...
D'abord, nous voulons offrir un espace d’expression et de débat à tous les jeunes qui partagent notre vision du Congo.
Ensuite, nous espérons aider à leur structuration.
Nous sommes partis du constat que l’environnement démocratique et économique en RDC n’est pas assez stable pour le développement du pays.
Et nous avons fini par en tirer la conclusion qui nous semblait devoir en découler: le problème ne renvoie pas seulement à des individus, mais au système politique tout entier.
»
Le collectif s'est structuré au travers de deux associations, légalement constituées et localisées à Kinshasa.
Dans un premier temps, «Jeunesse pour une nouvelle société» (JNS) s’est focalisée sur un travail de terrain.
Deux années d'effort qui ont permis d'identifier des groupes de jeunes et de créer un début de réseau.
Ensuite s'est créé un «Forum national de la jeunesse pour l’excellence» (FNJE).
C'est-à-dire une association qui prend en charge les événements de «Filimbi» et qui fonctionne désormais de façon décentralisée, via des cellules disséminées un peu partout dans le pays.
Une dynamique porteuse, donc.
Et pour cause...

«L'actuelle génération n'accepte plus les excès du pouvoir. 
Elle voit les choses différemment. 
Grâce, notamment, à la montée en puissance des nouvelles technologies.» 

«Faire avec ce qu'on a»

Place, donc, à l'avenir.
«Pour l'heure, nous parons au plus pressé.
C'est pourquoi nous nous concentrons sur l'alternance.
Mais il faut aussi veiller à préparer une nouvelle classe politique.
Aujourd'hui, 90% de l'économie du Congo est détenue par des réseaux mafieux.
L'heure est donc moins que jamais à l'expectative!
Ceux qui pensent comme nous qu'il faudrait pouvoir compter au plus vite sur une autre classe politique devraient nous aider, dès aujourd'hui, à travailler à son émergence.
En attendant, on ne peut faire qu'avec ce qu'on a.
»
Une ultime phrase qui acquiert une résonance toute particulière quand elle est prononcée par un homme qui désormais ne peut que vivre loin de son pays et loin des siens.
«J’assume, confiait-il il y a quelques mois dans le journal "Le Congolais".
Car je reste convaincu que mon engagement démocratique en faveur de l’amélioration des conditions de vie de la majorité des citoyens, à travers notamment l’implication de la jeunesse majoritaire, est juste.
Lumumba disait "
le Congo est un grand pays, il mérite de nous de la grandeur", ce qui implique donc un certain niveau de sacrifices au profit du bien commun.
Cela fait partie du long chemin vers la démocratie auquel je souscris.
Il est grand temps de mettre fin au système de prédation qui se matérialise par un pillage systématique des ressources communes par une minorité de citoyens, en étroite complicité avec des "
forces" extérieures, au détriment de la majorité des citoyens, et ce depuis plus de 50 ans.
Un système porté par des leaderships politiques égoïstes et sans scrupules, ayant des ramifications dans toutes les couches de notre société (société civile, secteur économique, administration, intellectuels...).
Le Congo est notre copropriété, il nous appartient à tous, par conséquent nous y avons tous des Droits (liés aux Devoirs) que personne ne peut nous enlever.
Les ressources du Congo doivent donc bénéficier à tous.
J’exhorte les dirigeants congolais à cesser toute forme de répression et/ou intimidation car nous ne sommes que l’émanation d’une nouvelle génération ayant des aspirations fortes et qui ne tolère plus l’Injustice.
Quand la Jeunesse se met debout…, elle ne détruit pas.
Elle bâtit un monde meilleur…
» (1)(2)



Christophe Engels


(1) Ce message s'inspire largement d'une soirée/discussion («Nouvelles mobilisations citoyennes en Afrique: Y'en a marre, Balai citoyen, Filimbi») organisée le lundi 11 avril 2016 à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) par le professeur Marie-Soleil Frère et animée par elle ainsi que par Olivier Rogez (Radio France International), en présence du Sénégalais Aliou Sané («Y'en a marre»), du Burkinabé SmockeyBalai citoyen»), du Congolais Floribert Anzuluni («Filimbi») et du Tchadien Didier Lahaye, dit CroquemortIyina»). 
(2) Sur le sujet, on lira aussi, par exemple, Rimondi Laurène, RDC: Filimbi, la nouvelle génération de citoyens qui ébranle le pouvoir, GRIP, Bruxelles, 17 août 2015.



mardi 12 avril 2016

Oyez, citoyens. Ces Indignés venus d'Afrique...







Eux aussi refusent le fatalisme.
Eux aussi se démarquent 

des partis politiques et des syndicats.
Eux aussi initient 

de nouvelles mobilisations citoyennes.
Eux, les Africains.
Congolais de «Filimbi».
Burkinabè du «Balai citoyen».
Tchadiens de «Iyina»...
Ou, pour commencer, 

Sénégalais de «Y' en a marre».


















Aliou Sané est journaliste.
Il a travaillé comme reporter au «Quotidien» de Dakar et à la «Radiodiffusion Télévision nationale Sénégalaise» (RTS) avant de se consacrer à la communication du programme panafricain de l'ONG «ENDA Tiers Monde»
Mais, avec Fadel Barro et d'autres, il est surtout connu comme cofondateur d'un collectif.
Apparu il y a quelques années au pays de la «teranga» (hospitalité en wolof)...

Non !

Nous sommes en 2011.
Au Sénégal, la vie est chère.
Les coupures d'électricité se succèdent.
Et les scandales financiers se multiplient.
La «crise» est là.
Et bien là.
D'autant que le système de gouvernance installé et entretenu à la tête de l'Etat n'en finit pas de rester fondé sur le népotisme.
Bonjour le clientélisme politique!
Bonjour la corruption!
Bonjour l'impunité!

«Y' en a marre!», entend-t-on de plus en plus souvent dans les entrailles des quartiers, villes et villages du pays
Un sentiment de «ras le bol» dans lequel Aliou Sané se retrouve pleinement. 
Sans, cependant, qu'il ne soit question pour lui de se contenter de maugréer.
Loin de là.
Joignant le geste à la parole, le jeune homme s'associe à l'un ou l'autre confrère et à quelques artistes engagés.
Histoire de dire «Non!»...

Jamais deux sans... droit !  

Le collectif «Y'en a marre» est né.
«Au lieu de suivre ceux qui brûlaient des pneus et cassaient ce qui leur tombait sous la main, nous avons décidé d'opter pour une stratégie plus constructive, se souvient Sané.
Nous nous sommes fixés d'autres objectifs. 
Notamment celui d'inciter les jeunes à aller chercher leur carte d'électeur.»
La dynamique s'incarne rapidement en un cadre d'expression.
Celui d'une nouvelle citoyenneté.
Qui promeut l'émergence d'un
«Nouveau Type de Sénégalais».
N.T.S. pour les intimes.
Soit quelqu'un qui s'adresse à l'Etat, aux acteurs politiques et à l'ensemble des acteurs sociaux afin de revendiquer la construction d'une société de justice, d'équité, de droit, de paix et de progrès pour tous.
Regroupant toutes les franges de la jeunesse sénégalaise, le mouvement sera l'un des principaux acteurs de l'alternance démocratique.
Celle-là même qui surviendra en mars 2012 quand la
«bande à Aliou» s'opposera farouchement à la violation de la Constitution par un président initialement décidé à briguer un troisième mandat.
Le Sieur Abdoulaye Wade devra déchanter.
«Nous nous sommes beaucoup battus, sourit le... héros de cette histoire!
Et nous avons gagné.
Grâce à notre investissement humain, bien sûr.
Mais aussi grâce aux SMS
(textos).
Pour nous, Internet a joué un rôle beaucoup plus modeste: trop de nos concitoyens n'y avaient pas encore accès.
»

«Filimbi», «Balai citoyen», «Iyina» 
et les autres...

Tel est le premier fait d'arme de «Y' en a marre».
Une instance qui en rappelle d'autres:
«Filimbi» (sifflet) en République Démocratique du Congo, «Balai citoyen» au Burkina Faso, «Iyina» au Tchad, «Ras le bol» au Congo Brazzaville...
Autant d'entités que l'on pourrait peut-être, en première approche, présenter comme des ateliers d'échanges.
Mais qui traduisent, en fait, bien davantage...
«On peut parler de mouvements citoyens, explique notre interlocuteur. 
Voire de mouvements sociaux.
Mais de grâce, qu'on nous épargne toute allusion à la "
société civile"!
Une expression qui, chez nous, a été complètement galvaudée par les pouvoirs en place.
Ceux-ci la teintent d'une coloration de neutralité que nous abhorrons.
Car nous considérons qu'il faut pouvoir prendre position.
Qu'il faut faire le choix de dire "
non!"»
«Non!», sans doute.
Mais pas seulement.
La preuve par un manifeste lancé, e
n mars 2011, à destination du «Nouveau Type de Sénégalais»
Puis par les «cellules Y' en a marre» mises sur pied un peu partout.
«Nous voulons nous ériger en sentinelles à travers tout le pays.
Pour veiller, bien sûr.
Mais aussi pour mobiliser.
Pour former.

Ou encore pour inciter à conjuguer les efforts des uns et des autres.
Nous espérons ainsi contribuer à créer de la richesse.
»


Des petits sous, encore des petits sous...


Les objectifs, certes, sont ambitieux.
Mais les moyens financiers sont infiniment plus limités.
«Pour l'essentiel, nous nous débrouillons avec les moyens du bord.
Tout juste bénéficions-nous en de très rares occasions de l'une ou l'autre aide ponctuelle. 

Ainsi, Oxfam nous a octroyés un soutien pour une opération de formation qui doit durer deux ans.
Et pour que les choses soient tout à fait claires et incontestables, nous avons confié notre gestion à une association spécialisée.
Ce qui n'empêche pas le système de chercher à nous salir.
On essaye de nous discréditer en faisant croire que nous sommes corrompus.
Que nous sommes soutenus par des puissances étrangères.
Par George Soros.
Et même par... des lobbies homosexuels!
L'imagination de nos détracteurs est sans limites.
Et d'autant moins fondée que je ne cache pas mes préférences en la matière: il faut, 
autant que faire se peut, cesser d'en appeler à l'étranger pour régler nos problèmes intérieurs.»

La petite bête qui monte, qui monte, qui monte...

Aliou et les siens, il est vrai, peuvent parfois compter sur des alliés inattendus... 

«Un jour, nous nous sommes fait arrêter à Mbake.
Quand nous nous sommes retrouvés en garde à vue, nous avons eu l'occasion de discuter avec les policiers.
Qui en ont profité pour nous demander pourquoi nous ne nous occupions jamais de... leurs problèmes!
»
«Y'en a marre»?
Une bête noire pour le pouvoir.
Petite bête, peut-être.
Mais petite bête qui monte, qui monte, qui monte... (1)
 


Christophe Engels


(1) Ce message s'inspire largement d'une soirée/discussion («Nouvelles mobilisations citoyennes en Afrique: Y'en a marre, Balai citoyen, Filimbi»organisée le lundi 11 avril 2016 à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) par le professeur Marie-Soleil Frère et animée par elle ainsi que par Olivier Rogez (Radio France International), en présence du Sénégalais Aliou Sané («Y'en a marre»), du Burkinabé Smockey («Balai citoyen»), du Congolais Floribert Anzuluni («Filimbi») et du Tchadien Didier Lahaye, dit Croquemort («Iyina»).