mardi 22 mai 2018

Modèle de Société. Résister, repenser et agir
















Articuler nécessités 
collectives et individuelles.
S'adapter aux changements 
sans renoncer à nos valeurs 
d'humanisme et de solidarité.
Préparer notre après-demain.
Aménager l'Europe...
Telles sont quelques propositions 
avancées par la syndicaliste belge 
Qui souligne l'urgence de repenser 
notre modèle de société.
Et en appelle à tout un chacun 
pour se faire acteur du changement (2).



«Repenser notre modèle de société! 
Cela signifie que ce modèle n’est pas bon, qu’il n’est pas ou plus adapté, qu’il génère des discriminations, creuse des fossés sociétaux.
Mais, notre modèle de société, dont rares sont ceux d’entre nous qui l’ont délibérément choisi, nous sommes tombés dedans quand nous étions petits. 
Il fait donc partie de nous, nous le défendons avec la conviction que c’est le choix idéal.

Péril en la demeure

Notre modèle de société, démocratique, doit articuler la nécessité collective et la nécessité individuelle. 
Cette articulation, parfois -voire souvent- difficile fait de notre société un modèle en perpétuelle métamorphose que l’on doit tenir en équilibre entre les forces qui le tiraillent d’un extrémisme à un autre.
Notre système, en permanence sous la menace de trébucher ou de bégayer, doit être maintenu sur la route du progrès.
Il doit en permanence être repensé pour intégrer et s’adapter aux changements.
Les guerres, la famine, le climat jettent et vont jeter sur les routes des millions d’humains, hommes, femmes, enfants. 
Notre modèle devra s’adapter, nous devrons mettre en place un accueil parce que notre société est basée sur des valeurs, l’humanisme, la solidarité.
Depuis le début de la crise de 2007, le fossé des inégalités est devenu large et profond, à tel point qu’on peut s’attendre au retour de la lutte des classes, les exclus se multipliant dans tous les domaines que ce soit l’accès à l’enseignement ou aux soins de santé. 
La solidarité est écartée au profit des individualismes comme tout ce qui n’est pas rentable du seul point de vue qui vaille encore, le point de vue financier.
Le tissu social se désintègre. 
Ce n’est plus "tous ensemble" que nous agissons, mais chacun pour soi. 
Les projets à long terme sont désamorcés et quand on dit "Il faut penser à l’avenir", c’est à demain que l’on pense, et rarement plus loin.
Derrière les migrants chassés de chez eux par la guerre viendront des millions de réfugiés climatiques.
L’Europe n’est pas prête. 
Son modèle de société n’est pas prêt. 
Ce n’est pas un paradis, c’est un radeau. 
Et il est urgent de l’aménager.
La question est "Que peut-on faire?"

Repenser le modèle de la société 

Repenser le modèle de la société, d’accord, mais comment?
Il n’existe pas de solution simple, ni de potion magique, et la pire des illusions serait de croire que des gens compétents s’en occupent, qu’ils vont nous présenter la panacée un de ces jours, qu’il suffit d’attendre et que tout ira bien.
Repenser le modèle de la société, c’est l’affaire de tous et de chacun.
La réflexion ne peut être une chasse gardée, une sorte de privilège. 
Pour se montrer efficace elle doit devenir l’apanage de tous.
Notre université ne doit pas être un microcosme passif de la société, se contentant d’en subir les dérives. 
Elle doit assumer son rôle d’acteur.
Notre université peut et doit encourager ce que j’appellerai, en faisant le parallèle avec la recherche, la réflexion fondamentale, elle peut et doit alimenter le feu sous une marmite en permanente ébullition intellectuelle afin que chacun devienne, à son tour, un acteur de la société.

Etre (incub)acteurs

Il y a différents moyens d’être acteur. 
La participation au processus électoral en est un, important. 
Le droit élargi lors des dernières élections rectorales a permis une participation de tous les acteurs de l’institution, étudiants, personnel académique, personnel scientifique et personnel administratif, technique et ouvrier.
Il est nécessaire de développer encore cette participation. 
Le processus est amorcé, il doit être finalisé et concrétisé, à tous les niveaux, dans toutes les instances.
L’ambition d’élargissement des sources et ressources de réflexion peut être plus grande encore.
Par exemple en mettant en place des lieux et des moments d’expression, ouverts à tous, où chacun pourra librement se rendre et s’exprimer.
Des lieux et des moments de débats et d’échange qui seront autant d’"incubateurs" pour notre institution, notre ville, notre région, notre société.
Des lieux et des moments qui permettront à chacun de se saisir des problèmes de notre société et de son modèle afin d’avancer sur le chemin du progrès.
Des lieux et des moments qui feront naître, renaître et entretenir un nécessaire et indispensable sentiment d’appartenance à notre Alma mater et à son projet, construit ensemble.
Une maison que nous construisons ensemble, nous l’entretenons ensemble.
Comme les privatisations et les externalisations affaiblissent l’esprit de corps et le sentiment d’appartenance, les règles et les décisions prises démocratiquement et dans le respect de tous renforcent la cohésion et assurent l’équité. 
Les règles sont indispensables au fonctionnement de l’institution et il est essentiel qu’elles soient appliquées dès leurs mises en place.

Plat de résistance 

Je citerai pour finir le philosophe Gilles Deleuze : "Etre acteur, c’est faire de la résistance".
La participation à l’action et à la réflexion des acteurs n’ayant pas le pouvoir ni l’autorité peut être perçue et jugée comme un acte de résistance. 
L’autorité doit au contraire pouvoir se nourrir de cette résistance en s’adaptant et en évoluant. 
C’est la base de notre société démocratique.» (2)



Martine Evraud



(1) Martine Evraud est représentante du personnel au Conseil d'administration de l'Université de Liège (ULg) et présidente de la CSC (Confédération social-chrétienne)/Services publics.
(2) Le message ci-dessus reprend intégralement le discours prononcé par Martine Evraud à la rentrée académique 2015-2016 de l'ULg, avec l'autorisation de l'auteure que nous remercions. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.


vendredi 18 mai 2018

Broken is beautiful





















«La beauté de ce qui vieillit 

et se décompose,
une beauté qui s'est étiolée,
voilà ce qui m'attire.
»
Ainsi parle Showzi Tsukamoto.

Qui excelle dans le kintsugi,
cet art japonais consistant 
à insuffler une seconde vie 
aux poteries cassées.
Philosophie sous-jacente:
puisque brisures et cicatrices 
font partie de notre passé,
il n'y a pas à en avoir honte,
encore moins à les dissimuler.
Car rien n'est beau
qui ne soit forcément abîmé.
Et l'être humain 
ne fait pas exception à la règle.
Les blessures 
et les processus de guérison? 
Ils sont portions constitutives 
de notre histoire.
Mieux: 
ils contribuent à nous définir. 





















«Le monde brise tout un chacun 
et par la suite, 
certains sont forts 
aux endroits brisés.»  
Ernest Hemingway





«Les choses se délitent avec le temps et arrivent à leur fin. 
Dès qu'il y a une cicatrice, peignez-la avec de l'or et dites-vous...
"
Regarde
ma cicatrice: elle n'est pas belle?"»
Du haut de ses 72 printemps, Showzi Tsukamoto pratique l'art japonais qui se donne vocation à sublimer ces objets fissurés que la plupart d'entre nous se laisseraient plutôt aller à camoufler ou à jeter.
«La philosophie du kintsugi est basée sur le wabi-sabi, explique celui qui s'adonne à cette discipline depuis 45 ans.
Soit une esthétique japonaise qui fait du processus allant de la naissance jusqu'à la décomposition le critère du beau.»

Esprit, es-tu là?

Chaque pièce requiert un mois de travail.
Mais le kintsugi, ce n'est pas qu'un savoir faire manuel.
C'est aussi un état d'esprit. 
«Quand un samouraï avait été blessé par sabre, loin de chercher à dissimuler sa cicatrice, il l'arborait fièrement. 
Cet esprit samouraï est au coeur du kintsugi.»
L'art du kintsugi va donc bien au-delà d'une activité réparatrice de poterie.
«Un jour, une cliente s'est présentée.
Elle avait survécu au tsunami de 2011 et sa maison avait été complètement détruite.
La seule chose qu'elle avait sauvée, c'est sa propre vie.
Elle est revenue sur son ancien lieu de résidence et a déterré du sol une assiette ébréchée.
Le kintsugi a érigé celle-ci en ultime incarnation de sa vie d'avant...»

Guerre et paix

Showzi compare le kintsugi à la paix.
Elle aussi, dit-il, commence par une cassure.
«La guerre est un acte de destruction et la paix n'existe pas par elle-même.
On blesse et on se blesse.
Ce n'est qu'au moment où les blessures en arrivent à guérir que peut advenir la paix.
Et que quelque chose de neuf et de beau finit par renaître.
Il n'en va pas différemment du kintsugi.»

Réparer l'invisible

Y a-t-il une recette à la réussite d'un objet kintsugi?
«L'essentiel, c'est d'aplatir et de lisser la base.
Ensuite seulement vient la dorure.
Donc, la partie que l'on recouvre est fondamentale.
Il s'agit de bien s'en rendre compte.
Car ce constat permet au gens de réaliser ce qu'est vraiment la guérison d'une blessure.
Réparer l'invisible est incroyablement important.»

Le murmure de la blessure

Ainsi soit le kintsugi.
Un objet, bien sûr.
Mais -tendez bien l'oreille- un objet qui murmure...
«Ton histoire est dans tes blessures.
Elles sont la preuve que tu as vécu.
Alors, au lieu des les regarder d'un oeil négatif, regarde les positivement.»
Vous avez entendu?
Mais oui, c'est incroyable!
On jurerait reconnaître la voix du vieux Tsukamoto... (1)



(1) Ce message s'inspire plus que largement de la vidéo de AJ+: «Kintsugi, l'art japonais de réparer des poteries