lundi 17 septembre 2018

Jours de doute







Et si seul le présent
appartenait aux défourailleurs 
de «parce que!»...
Et si l'avenir, quelque part, 
faisait les yeux doux 
aux porteurs de «pourquoi?»...
Ceux-ci mêmes qui, pourtant, 
se sentent coupables.
«Coupables 
d'avoir juste essayé
et de ne pas avoir réussi.
Coupables 
d'avoir fait de leur mieux 
et que ça n'ait pas suffi.»
Avec, pour sanction, 
le découragement,
la dépression, le traumatisme.
Et pour condamnation
la remise en question.
Celle de ces nuits sans sommeil 
et de ces rêves inaboutis,
si bien évoqués 
par Grand Corps Malade.
Qui, regardant dans le miroir,
y contemple ses erreurs.
«J'ai peut-être pris 
les mauvais pions: 
est ce que je dois 
vraiment faire face? (...) 
C'est peut être ça, 
un jour de doute: 
ce n'est pas une chute de moral,
c'est le besoin de vérifier 
qu'on a encore bien la dalle.»
A ce stade, 
le moment ne serait-il pas venu 
de compter nos faiblesses?
De mettre de la lumière 
sur certaines 
de nos zones d'ombres?
De mettre quelques mots 
sur nos silences 
les plus sombres?
Pour mieux comprendre.
Pour mieux reprendre 
notre route.
«Pour foncer, sans attendre 
le prochain jour de doute.» 

















«Il y a des jours inévitables où la confiance s'évanouit.
Toutes ces heures vulnérables, il y a des jours comme des nuits.
Les instants où je m'arrête au beau milieu de ma route.
Comme un lendemain de fête, c'est juste un jour de doute,
Les jours où même le temps dehors n'est pas sûr de lui,
où le ciel est trempé sans une seule goutte de pluie.
Je regarde autour de moi, fui par ma sérénité, 
victime d'un moment de flou ou d'un trop plein de lucidité.

J'ai trop d'attentes et trop de souvenirs qui font des têtes à queue.
Il y a beaucoup trop de "pourquoi?" et pas assez de "parce que!". 
Je choisis souvent le silence pour que les gens regardent ailleurs. 
Je suis stoïque en apparence mais en tempête à l'intérieur. 
Il y a des envies qui me chuchotent et des regrets qui grondent. 
Ce sont les jours où tu te sens seul, même entouré de plein de monde. 
On connait tous ces passages. Un dernier vers pour la déroute... 
Les certitudes prises en otage, c'est juste un jour de doute. 

C'est juste un jour de doute, c'est un réveil sans appétit.
Comme une nuit sans sommeil et comme un rêve inabouti. 
C'est la vie qui hésite et qui m'octroie une pause, 
mais pour mieux me laisser le temps de bien me remettre en cause. 
Alors, je regarde dans le miroir et je contemple mes erreurs, 
et tous ces regards sans espoir dans mon rétroviseur.
Ces quelques mains qui se tendaient, que je n'ai jamais rattrapées. 
Dans tout ce que j'ai tenté, je ne revois que mes ratés. 

Alors, j'avance, mais à tâtons et puis en regardant derrière. 
Je me sens coupable encore une fois, et ce ne sera pas la dernière. 
Coupable d'avoir juste essayé et de pas avoir réussi. 
Coupable d'avoir fait de mon mieux et que ça n'ait pas suffi. 
Alors, je remets tout en question: est ce que je suis bien à ma place? 
J'ai peut-être pris les mauvais pions: 
                                est ce que je dois vraiment faire face? 
Je connais cette histoire par coeur. Un dernier vers pour la déroute...
Parfois, je ne suis pas à la hauteur: c'est juste un jour de doute. 

C'est juste un jour de doute: ça ne va pas durer longtemps. 
C'est juste un jour qui s'ajoute: il n'est même pas inquiétant.
Mais s'il me laisse un goût amer, je dois y faire attention.
Je connais son mystère: il est l'automne des sensations.
Quand sa lumière est faible, comme si elle luttait toute la journée,
la nuit revient comme si la terre était pressée de se retourner.
Et quand le soleil refait surface, il apparaît presque déçu.
Et une pluie fine le chasse, comme si la vie nous crachait dessus.
Alors, je me dis que j'ai trop dormi ou que je suis parti en contresens.
Je sens que j'ai besoin de retrouver toute les odeurs de l'urgence,
les odeurs de vertige, les odeurs de vérité...
Je sais bien que j'ai besoin de retrouver l'instabilité. 

Je ne crois pas que je manque de repères: en fait, je pense que j'en ai trop.
J'ai envie de me prouver que j'aurai toujours les crocs. 
C'est peut être ça, un jour de doute: ce n'est pas une chute de moral,
c'est le besoin de vérifier qu'on a encore bien la dalle.

En fait, ces journées à la con, ça te fait te sentir vivant. 
Et ça me fait écrire des textes bien écorchés, comme avant.
En fait, les jours de doute, ça donne des jours de lutte.
Des réveils, des coups de poings, des envies d'uppercuts
Alors, je tombe et je me redresse, alors je m'enfonce et j'encaisse.
Alors, je me trompe et je progresse, alors je compte mes faiblesses.
Alors, j'échoue comme tout le monde, mais je reste sincère. 
Comme la vie n'est pas longue, j'essaie juste de bien faire. 

Et si je mets de la lumière sur certaines de mes zones d'ombres,
si je mets quelques mots sur mes silences les plus sombres,
c'est pour mieux les comprendre et reprendre ma route,
c'est pour foncer, sans attendre le prochain jour de doute.» (1)


(Grand Corps Malade)




(1) Grand Corps Malade, Jour de doutealbum Troisième Temps, UMG, 2010.


lundi 10 septembre 2018

Les nettoyeurs du web




















«Ignorer. 
Supprimer. 
Ignorer. 
Supprimer.
Ignorer.
Supprimer. 
Supprimer...» 
Telle est 
la litanie 
qui rythme 
le quotidien 
de ces «petites mains» 
chargées 
d’inspecter 
les contenus 
signalés 
par les utilisateurs 
des réseaux sociaux. 
On les appelle 
«les nettoyeurs» (1).





















«J’ai vu des centaines de décapitations.»
Ainsi s'exprime l'un de ces hommes de l'ombre.
Qui, à Manille (Philippines), travaillent en sous-traitance pour Facebook, pour Google ou pour Twitter.
Au péril de leur santé psychique.
«C’est comme si un virus s'était infiltré dans mon cerveau», lâche une autre.
Dont une ancienne collègue ne s'exprimera plus jamais.
Spécialisée dans les vidéos d’automutilation en direct, elle a fini par se pendre.
Après s’être entendue refuser tout changement d'affectation.

Glauque foncé

La malheureuse avait-elle vu défiler toutes les couleurs de l'enfer?
Oui, sans aucun doute. 
Pire encore, fort probablement, que ses voisins de clavier.
Qui, pourtant, ne sont pas épargnés.
Le glauque, ils connaissent.
Et même le glauque foncé.
Celui, par exemple, dont se colore avec délectation l'esprit de cet activiste d’extrême droite qui, à Berkeley (Californie), fait montre d'un sens du dialogue assez... particulier.
Un petit extrait vaut-il mieux qu'un long discours?
Vos désirs sont des ordres...
   . Le militant: «Mais qu'est-ce que je fous là?
   J'ai une question...»
   . Son contradicteur: «D'abord, tu dois répondre à ce que t'a dit ton 
   interlocuteur.»
   . Le militant (excédé): «Je ne m'en souviens plus!»
   .  Son contradicteur:  «Qu'as tu compris de ce qu'il t'a dit?»
   . Le militant (passant outre): «Est-ce que je suis blanc?»
   . Son contradicteur: «Attends... 
   Attends... 
   Attends...
   Ecoute...»
   . Le militant (repassant outre): «Pourquoi me cries-tu dessus?
   Tu me fais ton sermon!»
   . Son contradicteur: «Et toi, tu n'écoutes pas.
   Dis-moi ce que je t'ai dit...
   Dis-moi ce que je t'ai dit...»
   . Le militant (agressif): «Je pense que tu es frustré!
   Ce qu'il te faut...»
   . Son contradicteur: «Oui.
   Et peux-tu me dire ce que je t'ai dit?...
   Et peux-tu me dire ce que je t'ai dit?...
   Et peux-tu me dire ce que je t'ai dit?...»
   . Le militant (dans un hurlement): «Arrête de me crier dessuuus!!!»
   . Son contradicteur: «Est-ce que tu m'entends?» (3)

Ta gueule! C'est moi qui pense...

Côté activiste, c'est très clair: la dignité y perd ce qu'y gagne la cohérence. 
Une certaine forme de cohérence du moins...
Brune.
Pestilentielle.
Et nauséabonde.
Bizarre autant qu'étrange: ce n'est pas le net dont on nous parle du côté de la Silicon Valley...  
Mais alors!
On nous aurait menti?


(1) Trailer de Block Hans et Riesewieck Moritz, Les Nettoyeurs du Web (The Cleaners), Allemagne, 2018. 
(2) Block Hans et Riesewieck Moritz, Les Nettoyeurs du Web (The Cleaners), Allemagne, 2018.
(3) L'extrait, repris intégralement ci-dessus, est repris du film: de 58'28" à 1:02'42".