vendredi 3 juin 2016

«Iyina». Sommeil paradoxal: en avant la musique!


Austère stéthoscope 
sur fond de blouse blanche.
Mais pas que...
Florilège de mots, 
aussi. 
Et festival de notes musicales.
Bienvenue dans le monde

de Didier Lalaye!
Car Docteur Lalaye,
c'est aussi 

Mister «Croquemort».
Deux faces, donc, 
pour un personnage qui,
avec Nadjo Kaina Palmer
et quelques autres,
sert de visage à... «Iyina»!
C'est-à-dire 

«Nous sommes fatigués» 
en arabe local.
Celui d'un Tchad
emporté à son tour 
par la vague 
des mouvements citoyens
«made in Africa»...
































Il s'appelle Didier Lalaye.
Et il peut se prévaloir d'un double parcours...
Le premier, scolaire et universitaire, débouche sur un doctorat en médecine de la Faculté des Sciences de la Santé (FACSS), à l'Université de N'Djamena.
Le second, artistique, mène l'intéressé de formations scripturales en ateliers d'écriture, en passant par de multiples engagements au sein d'associations littéraires.
C'est que le natif (1) de Pala (2) n'a de cesse, pour nourrir sa passion, d'accoucher de nouvelles en tous genres.
Avec multiples prix et récompenses à la clé.
Cerise sur le gâteau: l'intéressé met sa verve d'écrivain au service d'une autre cause (3).
Musicale celle-là.

Place, en effet, à cette poésie urbaine qu'est le slam, au croisement de la littérature et du rap.
Place, aussi, à l'adoption d'un nom d'artiste: «Croquemort».
Et place, dans la foulée, à une reconnaissance nationale et internationale.
De quoi ouvrir des portes à notre homme.
Qui en profite bien...
Sortie d'un premier album dénommé «Dieu bénisse Idéfix» (4) d'une part.
Organ
isation à N'Djamena de la première édition d'un festival labellisé «N'Djam s'enflamme en slam» (5) d'autre part.
Sans compter la consécration d'un Prix de l'innovation numérique (6).
Excusez du peu!
«Doc' Slam» (appellation non contrôlée!) surfe même sur son image pour recueillir les fonds nécessaires au soutien de divers projets sociaux.
Avant, finalement, de se laisser aspirer par la création d'un mouvement citoyen.
Conséquence: le voilà qui contribue, en 2016, à mettre le feu aux poudres de la contestation.
Celle qui émerge dans tout le pays pour s'opposer à la réélection programmée d'un président, Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990.

Grosse fatigue

Le «Mouvement Citoyen Iyina» (MCI) est né. 
«Iyina» c'est-à-dire «Nous sommes fatigués» en arabe local.
Coordonné par un certain Nadjo Kaina Palmer, le collectif se compose de jeunes issus, d'une part, de la société civile et, d'autre part, des partis d’opposition.
Autant d'acteurs qui se disent «conscients que seule une union de toutes les forces vives de la nation, éprise de paix et de justice, permettrait de créer les conditions de changement et l'édification d'une république de la nation tchadienne».
L'idée, c'est donc de se donner la main.
Histoire de s'offrir les meilleures chances d'atteindre tout ou partie des cinq objectifs annoncés... 
«Se prononcer sur les questions de gouvernance politique, économique et sociale».
«Lutter pour l'instauration d'un État de droit réel garantissant la liberté d'opinion, la laïcité, la justice et la bonne gouvernance».
«Sensibiliser les jeunes à faire valoir leurs droits en s'appropriant de la gestion publique dans notre pays le Tchad».
«Garantir la liberté de choix et d'opinion pour les jeunes».
«Oeuvrer pour une alternance démocratique par des élections libres et transparentes».

Heureux qui communique...

L'alternance.
Un leitmotiv en Afrique.
Où tant de pays souffrent de la tendance à l'«incruste» des présidents en exercice.  
«Chez nous, un dictateur fait de la résistance depuis 26 ans, rappelle tristement Lalaye.
Pourtant, le Tchad est le seul pays pétrolier qui s'obstine à se maintenir en bas de l'échelle économique.
Et puis, il y a ce mépris qui au fil des ans est devenu très ostentatoire.
Il fallait un mouvement social.
On a commencé avec "Trop, c'est trop".
C'était mieux que rien. 
Seulement, voilà...
Ce collectif a passé trop de temps à se faire une place à l'international.
Les voyages ont succédé aux voyages.
Mais les résultats se sont fait attendre.
D'autant qu'on visait surtout à convaincre les intellectuels.
Qui n'auraient pas dû faire l'objet d'une priorité.
Car ceux qui souffrent au premier chef, ce sont les habitants des milieux ruraux.
Pour plusieurs raisons.
Notamment quantitatives. 
On a coutume de dire qu'il y a 30% de lettrés au Tchad.
Mais de quels lettrés parle-t-on?
Les universitaires?
Dont la plupart rampent au pied de Déby?
Franchement, cette stratégie avait fait son temps. 
D'où la mise sur les fonts baptismaux de "Iyina".
Qui peut se prévaloir du double avantage d'une audience sensiblement plus jeune et d'une proximité beaucoup plus grande avec le peuple.
Depuis sa création, en 2015, "Iyina" est d'ailleurs le premier mouvement qui réussit vraiment à dialoguer avec le Président.»

Ainsi va l'Afrique...

«Iyina»?
Jeune, donc.
Et populaire.
Mais aussi -quoi de plus normal sous la houlette d'un écrivain comme Didier Lalaye?- ... «à la page»!
Fût-elle virtuelle...
«L'appel à la manifestation se passe aujourd'hui par les réseaux sociaux, explique le plus Croquemort de tous les toubibs.
Et on a tout le monde dans la rue.
Il faut dire qu'auparavant, le citoyen ne savait même pas qu'il avait le droit de manifester pacifiquement.
Ni qu'un policier était en infraction quand il vous tapait dessus.
Aujourd'hui, on arrive à parler à tout le monde et à faire sortir tous ces jeunes de chez eux.
Je me souviens par exemple d'une opération sifflet que nous avions organisée pour protester contre le pouvoir en place.
A cinq heures du matin, tout le monde sifflait.
Même des policiers!
Je crois que c'est ce qui a entraîné l'arrestation des leaders du mouvement...»
En mars 2016, quatre opposants ont en effet été arrêtés pour avoir manifesté contre la candidature du président Déby.
Jugés dans la foulée, Nadjo Kaina Palmer (porte-parole de
«Iyina»), Mahamat Nour Ahmed Ibedou (porte-parole de la coalition «Ça suffit»), Younous Mahadjir (secrétaire général de l’«Union des syndicats du Tchad») et Céline Narmadji (porte parole de «Trop c'est Trop») ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis. 
Ils ont alors été relâchés sous condition de s'abstenir, dorénavant, de toute «activité subversive».
Le Docteur Albissaty Saleh Allazam, 
autre militant des Droits de l'homme, n'a pas eu cette chance.
Ainsi va encore trop souvent l'Afrique... (7)


Christophe Engels


(1) Didier Lalaye est né en 1984.
(2) Dans la région de Mayo-Kebi.
(3) En 2010.
(4) En 2011.
(5) En 2013.
(6) A Abidjan d'abord, en 2014, puis à N'Djamena, en 2015.
(7) Ce message s'inspire notamment d'une soirée/discussion («Nouvelles mobilisations citoyennes en Afrique: Y'en a marre, Balai citoyen, Filimbi») organisée le lundi 11 avril 2016 à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) par le professeur Marie-Soleil Frère et animée par elle ainsi que par Olivier Rogez (Radio France International), en présence du Sénégalais Aliou Sané («Y'en a marre»), du Burkinabé Smockey («Balai citoyen»), du Congolais Floribert Anzuluni («Filimbi») et du Tchadien Didier Lahaye, dit Croque-Mort Iyina»).



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