samedi 22 mai 2010

L'allocation universelle en question...



«L'allocation universelle: juste ou injuste ?» (1)



Certains détracteurs de l’allocation universelle trouvent anormal que tout un chacun puisse être amené à recevoir un revenu de la collectivité sans qu’il ne soit question de la moindre contrepartie.
Devant cette objection, on pourrait se contenter de rappeler que la progressivité de l'impôt sur le revenu aurait pour effet de reprendre aux plus nantis (au moins) l'équivalent de leur allocation.
On pourrait aussi se satisfaire de rétorquer que rien n'empêcherait d'instaurer un service civil pour faire exécuter des travaux d'utilité publique.
Mais de telles réponses éluderaient un sujet de fond: celui de la légitimité du principe d'un revenu de base inconditionnel.
Le bien-fondé d’une telle approche, en effet, ne tombe pas sous le sens. C’est la raison pour laquelle Philippe Van Parijs y va d’une réflexion beaucoup plus fondamentale, par laquelle il entend remettre en cause l’idée même de justice qui sous-tend ce genre de réaction convenue.
La justice est affaire de liberté réelle, argumente l’intéressé. Et cette liberté réelle est celle qui permet de diriger ma vie dans la direction que je souhaite. Au-delà du simple droit, elle se calque donc sur mon potentiel d’accès effectif à des biens et à des opportunités. Encore convient-il de la répartir équitablement entre les uns et les autres.
«En première approximation, une distribution juste de cette liberté réelle exige que l’on répartisse d’une manière égale (…) tout ce qui nous est donné.» (2)
Tout? Oui. C’est-à-dire pas seulement les biens que nous obtenons, au départ et tout au long de notre vie, par héritage ou par donation. Loin de là. Car ce type de bien ne représente pas l’essentiel des donations dont nous bénéficions, très inégalement.
«Les rentes associées aux emplois que nous occupons en constituent la composante prépondérante. Que nous occupions ces emplois en raison de talents que nous possédons, de l’éducation dont nous avons bénéficié, de parents ou d’amis qui nous ont informés ou appuyés, de la citoyenneté dont nous jouissons, de la génération à laquelle nous appartenons, ou de la localité où nous habitons, ces emplois constituent un privilège.» (3)
Le philosophe belge se démarque ainsi résolument de la thèse de la «propriété de soi», qui est à la racine de la position néo-libérale, pour mieux rejoindre la perspective de son (regretté) «maître» américain John Rawls.
Mes talents et mes capacités? Ils ne m’appartiennent pas en propre car je n’ai rien fait pour en disposer: le fait d’être mieux doté en aptitudes relève de la «loterie naturelle».
Mieux, ajoute Van Parijs: pas plus que mes talents, l'efficience de mon réseau relationnel ou de mon cadre de vie ne me confère le moindre mérite moral.
Dans cette perspective, l’allocation universelle accède à une authentique légitimité: elle ne fait jamais que contribuer à redresser la barre en faveur de ceux qui, moins «chanceux», ont eu à composer avec un déficit de ce que nous oserons appeler ici «opportunités existentielles».
Conséquence: «Ce que fait l’allocation universelle, ce n’est pas redistribuer par solidarité de ceux qui travaillent à ceux qui ne le peuvent pas, mais donner d’abord à chacun, quels que soient ses choix, ce qui lui revient.» (4)(5)

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p. 75.
(3) Ibidem, p. 75.
(4) Ibidem, p. 77.
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