lundi 17 mai 2010

L'allocation universelle en question...


«L’allocation universelle est-elle réaliste?»
(1)



Sous l’angle de la faisabilité économique, l’allocation universelle soufflerait le chaud et le froid. La difficulté consiste donc à évaluer la proportion de l'un et de l'autre.

Le chaud tout d’abord. Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght s’en expliquent dans leur ouvrage «L’allocation universelle» (2). Au travers d'un tel dispositif, le paiement de la prestation serait automatique et ne nécessiterait donc aucune procédure administrative particulière. Tout profit pour le citoyen que je suis: je n’aurais plus ni à me coltiner des démarches fastidieuses et humiliantes. Et tout bénéfice pour la fonction publique: elle s’éviterait un travail substantiel et coûteux.
«Il serait toutefois abusif d’affirmer, comme le font parfois des défenseurs de la proposition, que l’instauration d’une allocation universelle équivaudrait à l’installation d’un système de protection sociale ne requérant aucune bureaucratie, n’en reconnaissent pas moins les deux intellectuels belges. Tant qu’elle demeure à un niveau modeste, l’allocation universelle pourra certes entraîner une simplification notable de la fiscalité des revenus et la suppression de nombreuses prestations sociales d’un montant égal ou inférieur, mais elle devra continuer à être complétée, pour une partie des personnes actuellement assistées, par des formes conditionnelles d’assistance et bien sûr par des systèmes d’assurance sociale qui, dûment recalibrés, conservent toute leur raison d’être.» (3)

A côté de ce chaud devenu tiède, l’allocation universelle semble également devoir souffler le froid. Le fait même de pouvoir compter sur un revenu inconditionnel ne risquerait-il pas, en effet, de m’inciter à l’oisiveté aussi longtemps qu’un travail idéal ne me serait pas proposé? Et le cas échéant, cette inactivité ne serait-elle pas appelée à déboucher sur un manque à gagner pour la société?
«Ici encore, il faut prendre garde de ne pas se laisser guider par de fragiles évidences, tempèrent nos guides. Si le travailleur et l’emploi sont tels qu’abstraction faite de cette obligation, le travailleur n’a ni l’envie d’occuper l’emploi ni le désir de le garder, la productivité que son employeur peut en escompter a peu de chance d’être suffisante pour que celui-ci souhaite l’embaucher ou le retenir. (…) Forcer les bénéficiaires du revenu minimum garanti à travailler coûte cher.» (4)
Autant que le chaud précédent, ce froid-là est donc appelé à tiédir.

Reste, néanmoins, un courant d’air plus solidement susceptible d'enrhumer mon enthousiasme. En effet, une prestation indépendante de la composition des ménages n’aurait pas que des avantages (élimination du coût administratif et des atteintes à la vie privée induites par les visites domiciliaires et autres formes de vérification du statut d’isolé ou de cohabitant). Elle aurait aussi un coût. Qu’il s’agirait donc de financer d’une manière ou d’une autre.

Coût démesuré? Non. Car dans la plupart des propositions, l’allocation universelle n’est pas simplement ajoutée aux programmes existants de taxes et transferts: elle s’accompagne d’une réduction, à concurrence de son montant, des divers transferts sociaux conditionnels existants. Du coup, la «douloureuse» s’avérerait de facto beaucoup moins exorbitante qu’initialement redouté.
Elle n’en resterait pas moins effective. D’où la nécessité de trouver des sources de financement possibles...
. Soit qu’elles ramènent à l’imposition: impôt sur le revenu des personnes physiques (création d’un impôt spécifique ou suppression d’exemptions et déductions existantes) et/ou impôt foncier.
. Soit qu’elles renvoient à la taxation: taxe sur la valeur ajoutée, taxes écologiques, taxe «Tobin» sur les mouvements de capitaux spéculatifs et/ou autres (pourquoi pas, par exemple, une surtaxe sur la publicité?).

Reste à se demander si, à court ou à moyen terme, il est réellement envisageable de trouver une majorité politique qui accepte de consacrer tout ou substantielle partie de ces ressources à l’instauration de la dite allocation universelle. En période de crise économique (sans doute structurelle), il y a fort à parier que la probabilité d'une telle issue n'en devienne que plus faible. Et ce quels que soient les arguments de ceux qui voient dans l'inconditionnalité d'un tel revenu le moyen de renouer avec cette (bonne) croissance dont une majorité d’économistes s'accordent à penser qu’elle fait défaut à l’Europe d’aujourd’hui.

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.

(3) Ibidem, p. 53-54.
(4) Ibidem, p. 54-55.

(5) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"