samedi 30 avril 2011

Revenu de Transition Economique (R.T.E.)... Appel d'ère.



Pour conjurer
les pièges

de notre société de consom-
mation,
Christian
Arnsperger
(1) propose
de se battre sur plusieurs fronts.
Mais il suggère surtout

la mise en place d’un outil original:
le «Revenu de Transition Economique».
Une espèce de frein-moteur

à l'infinie fuite en avant du système capitaliste ?
Oui.
Voire même un appel d'... ère !
Celle d'une économie soutenable...


Christian Arnsperger

Actuellement, notre social-démocratie essaie, à travers l’éducation, l’enseignement, la formation, le soutien aux familles, etc., de nous offrir des chances égales de participer aux rouages d’une économie non soutenable.
La démocratie devrait donner à chaque citoyen les moyens matériels et immatériels de façonner comme il l’entend –avec d’autres évidemment, car nul n’est une île– la logique économique dans laquelle il veut vivre.
Tout comme l’écologiste croit qu’il faut sauvegarder la biodiversité, le démocrate devrait viser à créer et à pérenniser l’«écono-diversité».
Et c’est dans ce cadre d’une démocratie de transition économique que la vie simple a un rôle important à jouer, à la fois au niveau microéconomique qu’au niveau macroéconomique.
Mais (…) l’appel à la vie simple doit impérativement s’accompagner d’une réforme structurelle de nos mécanismes de redistribution des revenus et de nos mécanismes de création monétaire. (2)
Quel est le rôle «micro» de la vie simple?
Il est bien évident que, si collectivement nous devons prochainement amorcer une transition vers des formes économiques frugales, cela ne pourra pas se faire sans qu’un nombre suffisant de citoyens aient ressenti l’appel à la simplicité de vie.
Pour que la société de consommation perde de son emprise sur nous, pour que les entreprises ne puissent plus jouer sur nos pulsions enfouies et nos angoisses non dites en vue de nous vendre ce qu’elles ont absolument besoin de vendre (...), il faut que nous changions nos préférences.
Il ne s’agit pas de ne plus consommer –au contraire, le slogan «Moins de biens, plus de liens» est un appel à la consommation!
Le verbe consommer veut dire: laisser entrer en soi –et donc aussi attirer à soi– des flux bénéfiques, des «denrées» physiques, mentales et spirituelles qui permettent de construire la vie en soi-même et pour les autres.
La croissance est quelque chose de formidable!
Il suffit de voir croître nos enfants, ou notre savoir, ou notre ouverture aux autres.
Simplement, dans notre culture occidentale, berceau du capitalisme, nous surinvestissons dans la croissance matérielle et monétaire.
Nous croyons peut-être nous spiritualiser par le capitalisme, mais nous ne faisons que nous enferrer dans la matière (par la production et la consommation) et dans le psychisme (par l’argent virtuel et les flux financiers).
Il est très important de dégager un nouvel horizon spirituel de frugalité et de simplicité: désencombrer le temps, démonétiser les liens, décapitaliser le travail, décommercialiser l’enfance –bref: retrouver des chemins personnels d’humanité et d’humanisation.
Les actuels pionniers de la simplicité volontaire sont des «convertis», au meilleur sens du terme.
Ils partent les premiers vers la nouvelle «frontière de frugalité», ils osent initier de nouvelles formes de vie, de nouvelles formes d’économie.
Et en ce sens, ils ont aussi un rôle «macro» très important: celui d’ouvrir initialement la voie à d’autres.
Ils démontrent par la pratique –dans des groupes de parole, mais surtout dans des collectifs de vie alternative– que notre quotidien peut nous mener au-delà des lieux communs de la vie capitaliste, de la vie des citoyens disciplinés par l’emploi, par la rentabilité et par l’accumulation.
Ils créent donc une sorte d’«appel d’air» où d’autres explorateurs, progressivement, pourront s’engouffrer à leur suite.
C’est là qu’apparaît l’enjeu le plus important, et aussi le plus problématique, de toute notre réflexion sur la transition.
Comment passer du stade actuel des pionniers –qui émigrent en ne comptant que sur leur courage inné, sur leurs réseaux personnels et sur les ressources précédemment accumulées dans l’économie dominante–, comment passer à un stade ultérieur où davantage de citoyens devront émigrer?
Certains croient qu’il faudra passer par une phase de décomposition et de chaos avant que s’établisse un nouvel équilibre soutenable.
Ceux qui croient à la notion de transition préféreraient pouvoir adoucir, «lisser» autant que possible le passage d’un régime mono-économique non soutenable à un régime pluri-économique soutenable.
Et dans cette transition, l’appel à la vie simple joue un rôle très important, au-delà du rôle qu’il joue déjà dans l’émergence des premier pionniers.
Le mécanisme de transition que j’ai à l’esprit est composé en partie d’éléments qui existent déjà dans nos pratiques actuelles, et en partie d’éléments nouveaux.
Je pense qu’il faut procéder sur plusieurs fronts en même temps.

Poursuivre sur sa lancée…

Nous avons besoin de normes globales –mondiales, nationales, régionales, municipales, etc.– de réduction des émissions polluantes, des nuisances, des injustices et des oppressions et autres effets délétères de la mono-logique économique actuelle.
Se rangent dans ce domaine d’action un grand nombre de combats désormais «classiques» mais qui n’ont pas perdu –que du contraire!– de leur actualité: promotion de l’égalité économique et lutte contre la pauvreté et l’exclusion, promotion de réglementations sociales et de normes environnementales, plafonds d’émissions du style Protocole de Kyoto, etc.
Sans ces réglementations générales, la transition sera un jeu où chacun (et ce, d’autant plus qu’il restera encore tout un temps ancré dans la mono-logique dominante) aura l’impression, souvent correcte, de se sacrifier personnellement sans que cela ne change quoi que ce soit au niveau global.
C’est au niveau de ces normes collectives de limitation que la notion de «décroissance» prendra toute son importance.

Du patois au globish: les langages de la transition

L’un des aspects les moins soutenables de la mono-logique actuelle est la dépendance à l’égard des carburants fossiles.
À mesure que les pluri-économies soutenables se déglobaliseront et se relocaliseront, devra émerger un emboîtement de niveaux de décision politique allant du gouvernement mondial (chargé de la «décroissance» globale) jusqu’à la commune autonome, et même jusqu’à une revalorisation de l’économie domestique et de l’autosuffisance infra-locale.
Il faudra une série d’agences publiques, allant d’une Organisation Mondiale de La Transition (OMT) à des échevinats Municipaux de la Transition, en passant par des Ministères régionaux de la Transition.
La tâche philosophique et politique est de reformuler pour aujourd’hui une notion de cosmopolitisme – donc de solidarité – ancrée dans l’approvisionnement local, dans la résilience biorégionale et dans la subsidiarité politique.
A condition que la Commission change radicalement de cap, la construction européenne pourrait être un laboratoire de cette quête d’un nouveau modèle.

La transition en personne

Ni la mise en œuvre de normes globales contraignantes (point 1), ni la quête d’un nouveau modèle de subsidiarité solidaire (point 2), n’auront la moindre chance de succès si les citoyens ne sont pas individuellement sensibilisés à la frugalité – à la fois à sa nécessité pour tous et à sa positivité pour chacun.
Cette stratégie de sensibilisation, qui doit nécessairement être soutenue à la fois par les pouvoirs publics et par toutes les institutions d’éducation, de l’école maternelle à l’université, inclut une palette assez large d’éléments.
Tous sont interdépendants et se renforcent mutuellement.
(a) À l’égard des normes globales, il faudrait un apprentissage des rudiments de l’action collective et de ses difficultés, notamment le problème endémique du «passager clandestin», ainsi que des moyens efficaces de dépasser ces difficultés.
En parallèle, il faudrait renforcer la prise de conscience du fait que «Ça passe par nous» en même temps que «Ça passe par moi», et qu’il ne peut y avoir d’action isolée sans militantisme politique.
Dans ce cadre, de nouveaux indicateurs de prospérité intégrant les valeurs de simplicité et de frugalité peuvent être un outil très utile car elle permet de fixer un cap collectif.
(b) À l’égard de la relocalisation et de la subsidiarité, l’important serait que chaque citoyen intériorise de façon positive les changements de mentalité requis.
Chaque consommateur devrait pouvoir apprécier positivement les réductions de gammes accessibles de biens et de services qu’impliquent les contraintes d’un approvisionnement local, socialement juste et écologiquement soutenable.
Les valeurs de la vie simple viennent directement en appui à ce changement.
(c) Il faudrait établir un lien très clair entre, d’une part, la nécessité de ces mobilisations et changements de mentalité et, d’autre part, la lutte citoyenne pour la justice sociale et les inégalités.
Pour les plus pauvres, la frugalité et la simplicité volontaires sont parfois ressentie comme une arrogance de riches voulant «jouer aux pauvres».
Cette perception ne peut être corrigée que dans une société où les inégalités économiques sont réduites au minimum.
Même si cela semble a priori paradoxal, les fortes et persistantes inégalités dans notre système actuel sont une sorte de piège pour ceux qui en sont victimes, car ils aspirent à obtenir leur «juste part du gâteau» au sein de la logique ambiante, plutôt qu’à changer de logique –car ils ont peur (et ont-ils vraiment complètement tort?) de rester les perdants dans une transition qui serait trop rapide et trop brutale, entraînant des cassures sociales et des effondrements économiques trop abrupts.
(d) Même dans un capitalisme moins inégalitaire, bon nombre de citoyens auraient peur de «bouger» simplement parce qu’ils craignent l’incertain et l’inconnu.
Dès lors, il faudrait d’une part, des circuits de diffusion d’information sur les initiatives déjà existantes en termes de transition vers la frugalité; d’autre part, des «guichets de la vie simple» (comme il existe des guichets de l’énergie) qui permettraient de rencontrer des conseillers proposant des informations concrètes sur ce qui, dans ma situation financière, dans ma région, et avec mon degré d’implication personnelle, est faisable en termes de «migration» partielle ou totale vers la niche soutenable.
(e) Tous ces éléments de sensibilisation et de prise de conscience gagneraient fortement à être ancrés dans une vision de l’univers, de sa genèse, de son sens, et dans une vision de l’être humain, du sens de son existence.
Il faudrait donc encourager les citoyens à aborder les «grandes questions» et à débattre des «grandes réponses» (scientifiques, métaphysiques, spirituelles, voire religieuses).
Cette étape est cruciale pour que le réseau des nouvelles économies soutenables ne soit pas «bâti sur du sable».

N’oubliez pas les guides…

Même si ces éléments de sensibilisation personnelle devaient donner naissance à un assez grand nombre de «transitionnaires» potentiels, il resterait un problème de taille: entre désirer et «faire le pas», cela coince souvent à cause de la perte des droits économiques et sociaux liés aujourd’hui à notre participation à la mono-économie dominante.
Une société démocratique qui aurait mis les points 1, 2 et 3 à l’agenda comporterait, outre son avant-garde de pionniers de la transition, un grand nombre de «citoyens entrepreneurs» en quête d’alternatives ne demandant qu’à être soutenus et minimalement sécurisés pour déployer leurs aspirations et leurs idées.
Il est important que ceux qui acquièrent le goût de la frugalité et de ses avantages puissent compter sur un soutien public quand ils franchissent le pas vers un mode de vie différent, que ce soit dans un quartier urbain, une petite entreprise verte, une ferme communautaire ou une micro-exploitation agricole.
Le principe élargi d’égalité des chances permet de revendiquer –au sein d’une société où les points 1, 2 et 3 seraient déjà clairement prioritaires– un socle de revenu inconditionnel permettant à chaque citoyen, quand il le désirera, se déconnecter du capitalisme non soutenable et d’explorer le réseau des alternatives soutenables, voire de contribuer activement à son élargissement.
Il nous faudrait d’urgence un Revenu de Transition Economique (RTE).
Une transition douce ne sera possible que si l’économie dominante reste suffisamment longtemps en bonne santé, puisque c’est ce qui permettra de soutenir ceux qui sont en train de (re)créer des modes de vie soutenables.
Idéalement, donc, le réseau alternatif d’économies soutenables fonctionnerait en parallèle avec l’économie non soutenable pendant que cette dernière décline – en espérant que ce déclin soit assez lent, afin que le temps disponible pour ceux qui sont encore accoutumés à l’économie capitaliste soit étalé au maximum.
Le RTE devrait être suffisamment faible pour satisfaire ceux qui veulent vivre simplement, mais suffisamment élevé pour qu’ils puissent s’en sortir ainsi et développer une préférence pour la frugalité, tout en ayant un droit d’accès aux soins de santé, à l’éducation et à la retraite.
Le RTE pourrait prendre la forme d’un «impôt négatif» venant combler par un soutien publicl’écart entre ce que quelqu’un gagne en travaillant (dans l’économie non soutenable ou dans l’économie soutenable) et ce dont il a besoin pour mener une vie simple et frugale.
Dans une population conscientisée, le RTE serait utilisé par ceux qui ont quitté leur emploi dans l’économie capitaliste pour construire des modes de vie soutenables.
On pourrait donc progressivement aller au-delà des tous premiers pionniers.
Le RTE contribuerait aussi au maintien de l’équilibre de toute l’économie, notamment à travers une stabilisation du marché du travail –aspect essentiel si l’on veut une transition progressive.
Ceci pourrait se faire par des modifications des niveaux de soutien, à peu près comme une banque centrale ajuste les taux d’intérêt.
Si l’économie dominante a besoin de davantage de main-d’oeuvre, le RTE pourrait être réduit suffisamment pour inciter ceux qui ne sont que marginalement impliqués dans le réseau d’économies alternatives à retourner un temps dans l’économie dominante.
Dans les stades initiaux de la transition, le problème serait plutôt un excédent de personnes cherchant encore à être employées –de plus en plus difficilement– dans une économie dominante déclinante. Le RTE devrait alors être relevé pour que certains travailleurs moins téméraires puissent partir explorer le réseau des alternatives frugales.
Au cours du processus, le recours au RTE permettra de plus en plus un apprentissage mutuel.
Les jeunes seront particulièrement à même de faire circuler l’information à mesure qu’ils comparent les alternatives frugales aux choix qui leur restent offerts dans l’économie non soutenable.
À mesure qu’il évoluera, le réseau d’économies alternatives offrira un spectre d’activités de plus en plus large.
Tout ce qui «marchera» dans la pluri-économie frugale attirera l’attention et sera progressivement répliqué ou adapté.
A mesure que le réseau alternatif se solidifiera et qu’il engendrera des profits et des revenus du travail modestes mais égaux au RTE, les craintes de s’y lancer diminueront et les dépenses publiques au titre du RTE se réduiront automatiquement.
Au fil du temps, la pluri-économie soutenable sera capable de continuer par elle-même tout en «pompant» très peu de ressources publiques pour les compléments RTE.
A tout moment, cependant, ceux qui reçoivent ce RTE devront accepter qu’il fluctue en fonction des possibilités et des besoins de l’économie capitaliste.
Il est à espérer que la transition sera aussi douce que possible. (3)(4)

Christian Arnsperger

(1) Christian Arnsperger est docteur en sciences économiques, chercheur au Fonds national belge de la recherche scientifique (FNRS) et professeur à l'Université Catholique de Louvain (rattaché à la Chaire Hoover d'éthique économique et sociale). Il a notamment écrit Critique de l'existence capitaliste. Pour une éthique existentielle de l'économie, Cerf, Paris, 2005 et Ethique de l’existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel, Cerf, Paris, 2009. Il a déjà été à «l'honneur» de quatre messages sur ce blog, les 19 février, 1er mars, 2 novembre et 17 décembre 2010.
(2) Voir, sur ce blog, «Finance simplicitaire. Irréaliste? Oui, mais…».
(3) Ce message est extrait d’un texte de Christian Arnsperger dont une partie a déjà été publiée dans ces colonnes («Finance simplicitaire. Irréaliste? Oui, mais…»). Avec l’autorisation de l’auteur, que nous remercions. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction. Le texte original est disponible dans son intégralité sur le blog «Transitions»
de l’intéressé: Arnsperger Christian, Les cinq « fronts» d’une transition véritable: Normes globales, nouvelles structures politiques, conscientisation individuelle, revenu de transition économique, réforme radicale de la création monétaire.
(4) On notera avec intérêt que Christian Arnsperger publie depuis le 18 avril 2011 un autre blog, «Eco-transitions»
, en anglais cette fois.

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