vendredi 27 avril 2012

Les trois facettes de la reliance

Notion 
exclusivement 
psychologique, 
la reliance?
Non, estime  
Marcel 
Bolle de Bal (1).
Qui préfère parler 
de concept 
psychosociologique.
Et tridimensionnel...

Marcel Bolle de Bal

Une première approche superficielle de l’idée de reliance pourrait donner à penser qu’il s’agit d’un concept d’essence psychologique renvoyant aux besoins et désirs -qu’éprouveraient les individus perdus au sein de la foule solitaire- de nouer ou renouer des relations affectives (des liens sociaux) avec autrui: dans ces conditions, les sociologues n’auraient qu’en faire.

Telle n’est pas ma conviction.
La dimension sociologique du concept saute aux yeux dès que l’on désire prendre en considération le fait que l’acte de relier implique toujours une médiation, un système médiateur.

Reliance sociale et système médiateur

Les acteurs sociaux sont à la fois liés (ils ont des liens directs entre eux), et re-liés par un ou des systèmes médiateurs (qu’il s’agisse d’une institution sociale ou d’un système culturel de signes ou de représentations collectives).
Dans la relation intervient un troisième terme.
Naissent ainsi ce que Eugène Dupréel (2) a appelé des «rapports sociaux complémentaires».

La définition de la reliance sociale peut donc être affinée et être formulée dans les termes suivants: «La production de rapports sociaux médiatisés, c'est-à-dire de rapports sociaux complémentaires»; ou, en d’autres termes, «la médiatisation de liens sociaux».

Les systèmes médiateurs, mis en jeu par cette médiation, peuvent être:
- soit des systèmes de signes (la langue, la possession d’objets de consommation…) ou de représentations collectives (les croyances, la culture…) permettant la communication, l’échange, la reliance;
- soit des instances sociales (groupes, organisations, institutions…), déterminant et modelant les rapports de reliance.

La reliance sociale, concept tri-dimensionnel

A partir du fait que la reliance n’existe pas indépendamment d’instances médiatrices, trois sens du concept de «reliance sociale» peuvent être distingués d’un point de vue sociologique, selon que cette reliance est envisagée:
- en tant que médiatisation, c'est-à-dire comme le processus par lequel des médiations sont instituées qui relient les acteurs sociaux entre eux; c’est le procès de reliance (reliance-procès);
- en tant que médiation, c'est-à-dire comme le système plus ou moins institutionnalisé, reliant les acteurs sociaux entre eux: c’est la structure de reliance (reliance-structure);
- en tant que produit, c'est-à-dire comme le lien entre les acteurs sociaux résultant du ou des systèmes médiateurs dont font partie ces acteurs; c’est le lien de reliance (reliance-lien).

Lien social et reliance sociale

La complexité ainsi dévoilée du concept de reliance sociale nous incite à la prudence sociologique lorsque nous est suggérée l’analyse du lien social: par-delà celui-ci se profilent la dynamique de sa genèse (sa médiatisation) et le résultat de celle-ci (les médiations qui le déterminent), le procès et la structure de reliance qui produisent le lien social en sa spécificité momentanée.
La tâche prioritaire du sociologue est de comprendre à la fois la dynamique du tissage et la statique du tissu social, pour reprendre une métaphore de Michel Maffesoli (3).
Et dans l’ordre des préoccupations heuristiques du sociologue, la reliance, selon moi, est prioritaire par rapport au lien.

Les modèles de reliance sociale

A chacune des trois dimensions qui viennent d’être dégagées, correspondent différents modèles de reliance:
- la reliance-procès peut être formelle ou informelle, institutionnelle ou contre-institutionnelle, etc.;
- la reliance-structure peut être bureaucratique ou effervescente, atomisante ou globalisante, marchande ou écologique, etc.;
- la reliance-lien peut être atomisée (la foule solitaire), moléculaire (les communautés), globale (les manifestations collectives).

Un des objectifs prioritaires de recherche devrait consister à dresser une typologie concrète de ces différents modèles de reliance.

La reliance sociale, concept psychosociologique

Une théorie sociologique digne de ce nom ne peut faire l’impasse sur la dimension psychosociologique des phénomènes humains.
Or, l’intérêt du concept de «reliance», et plus particulièrement celui de «reliance sociale» me paraît précisément résider dans la «reliance» qu’il permet entre deux approches des phénomènes psychosociaux trop souvent séparées, l’approche sociologique et l’approche psychologique.

Sous l’angle sociologique, nous avons noté deux raisons de recourir à l’emploi du terme «reliance», et donc du verbe «re-lier» en lieu et place du verbe lier, pour décrire les liens entre personnes et groupes de personnes; de tels liens existant ou ayant existé, les acteurs sociaux, étant ou ayant été ainsi «liés» peuvent être RE-liés
- soit par l’établissement de liens «complémentaires» (4),
- soit par le rétablissement de liens disjoints,
- soit, évidemment, par les deux à la fois.

D’autre part, le recours au concept de reliance permet, grâce à l’introduction de ces dimensions sociologiques d’élargir, d’enrichir une étude qui, sans cela, risquerait de se confiner à l’analyse psychologique des liens affectifs, des liaisons sentimentales, des relations amoureuses –sujet intéressant certes, relié à la reliance à bien des égards, mais dont l’exploration et l’exploitation, déjà entreprise avec talent par une multitude de savants, de poètes et de romanciers, sort des limites d’une (trop) stricte définition sociologique du lien social.
Il s’agit donc bien d’un concept à vocation et d’orientation psycho-sociologique. (5)(6)

(A suivre) 

Marcel Bolle de Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2)
 
Eugène DUPREEL, Traité de Morale, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles,  1967, vol.1, p. 300.
(3) Michel MAFFESOLI, Le temps des tribus, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, p. 104.
(4) Au sens que Dupréel accorde à ce terme. 
(5) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Il constitue la deuxième partie d'un texte qui a déjà fait l'objet d'une publication: Bolle de Bal Marcel, Reliance, déliance, liance: émergence de trois notions sociologiques, in Sociétés 2003/2 (no 80), pp.99-131. Le solde du texte original suivra. Le titre et le chapeau sont de la rédaction.
(6) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la reliance, à la déliance et à la liance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),

. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...)....

1 commentaire:

  1. 6ème Printemps de l'éthique - Libramont (Belgique)
    Le vendredi 4 mai 2012
    Centre Culturel de Libramont - Belgique

    LA SOLIDARITE : UNE EVIDENCE OU UN COMBAT ?
    En 2012, le 6ème Printemps de l'éthique aura lieu le vendredi 4 mai 2012 dès 8h30 au Centre culturel de Libramont. La thématique : "La solidarité une évidence ou un combat ?". Comme à l'habitude, différents angles de vue seront proposés tout au long de la journée. Celui d’un philosophe, Jean-Michel Longneaux ; d’un vétérinaire et président de l’association « Planète vie », Yvan Beck ; d’une chanteuse d’opéra qui soutient les jeunes des banlieues parisiennes, Malika Bellaribi ; d’un psychologue à la recherche de nos émotions, Ilios Kotsou ; d’étudiants en soins infirmiers et en kinésithérapie, de personnes âgées interviewées pour l’occasion, d’une infirmière de soins intensifs, d’un pianiste…et bien sûr de Paul Hermant ! Le spectacle, «Une mort moderne», intéressera particulièrement les soignants de soins palliatifs !
    Renseignements et inscriptions : www.herslibramont.be,
    formationcontinue@hers.be,
    0(032)61/23 04 93.
    Programme: www.soinspalliatifs.be/images/pdf/printemps2012.pdf

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