mardi 1 juin 2010

Développement durable. Dépasser l'individualisme matérialiste et l'innovation sans lendemain

Le capitalisme de la croissance à tout crin se caractérise par sa propension à favoriser outrancièrement l’individualisme, le matérialisme, l’innovation et le court terme.

Autant d’aspects qu’il importe
d’identifier et de corriger,
insiste Tim Jackson (1).

«Une politique nouvelle du bien commun ne tourne pas seulement autour de la question de trouver des responsables politiques scrupuleux.

Elle requiert aussi une idée plus exigeante de ce que signifie le fait d’être citoyen, un discours politique plus robuste – qui s’engage plus directement sur les questions morales et même spirituelles.» (2)



Inefficiente (3) et irréaliste (4), la stratégie de la priorité à la croissance économique s’avère par ailleurs injuste. Car elle tend intrinsèquement à n’être respectueuse ni de la nature ni de l’autre.
En cause: la quadruple dynamique qui anime une logique
. avant tout génératrice d’individualisme,
. exagérément centrée sur le matérialisme,
. obnubilée par l’innovation,
. excessivement tournée vers le court terme.

Une croissance avant tout génératrice d’individualisme
et exagérément centrée sur le matérialisme

Par bon nombre de ses aspects les plus fondamentaux, cette logique incline à l’individualisme matérialiste, sape le potentiel d’une prospérité partagée et s’oppose à l’équilibre entre libertés individuelles et intérêt général.
«Incitants pervers» (5), s’insurge Jackson. Car il serait erroné de supposer que les motivations humaines soient toutes égoïstes.
«Dans une certaine mesure, nous sommes tous déchirés entre l’égoïsme et l’altruisme.» (6)

Une croissance obnubilée par l’innovation

A la tension entre égoïsme et altruisme s’en ajoute une autre: celle qui se joue entre l’ouverture au changement et la conservation; en d’autres termes, entre la nouveauté et le maintien de la tradition.
«Bombardés avec persuasion et séduits par la nouveauté, nous sommes comme des enfants dans un magasin de bonbons, nous savons que le sucre est mauvais pour nous, mais nous sommes incapables de résister à la tentation.» (7)

Une croissance excessivement tournée vers le court terme

Nous privilégions outre-mesure aujourd’hui par rapport à demain et demain matin au détriment d’après-demain. Un phénomène bien connu des économistes qui s’y réfèrent sous le nom d’«actualisation hyperbolique».

Interroger et corriger la croissance

Alors que chaque société trouve un point d’équilibre différent entre égoïsme et altruisme ainsi qu’entre nouveauté et tradition, la société de consommation a mis en place des institutions qui, de plus en plus, semblent avoir été conçues pour privilégier le terme qui, au sein de chacune de ces deux équations, fait le mieux tourner l’économie: le premier.
Par là, notre structure sociale complexe encourage un individualisme particulièrement matérialiste et la recherche sans trêve de la nouveauté dans la consommation. Des aspects qui doivent être identifiés, interrogés et corrigés.
«Une transition de l’intérêt personnel étroit à des comportements sociaux, ou de la nouveauté permanente à la conservation réfléchie de ce qui compte, ne peut se faire que via des modifications de la structure sous-jacente, modifications qui renforcent l’engagement et encouragent le comportement social, écrit le professeur de l’Université du Surrey (Grande-Bretagne). Et ces modifications exigent que des gouvernements agissent. (…)
Malheureusement, tant que la stabilité macroéconomique dépendra de la croissance économique, ces changements n’auront pas lieu. Les gouvernements auront inévitablement tendance à soutenir les structures sociales qui renforcent l’individualisme matérialiste et la quête de la nouveauté. Parce que c’est le prix à payer pour maintenir l’économie à flot.
Mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Libérer la macroéconomie de l’exigence structurelle de la croissance de la consommation laissera, simultanément, l’Etat libre de jouer son propre rôle dans la fourniture des biens sociaux et environnementaux et dans la protection des intérêts à long terme. Le même objectif, qui est vital pour une économie durable, est essentiel à une gouvernance apte à recréer la prospérité.
» (8)
Car l’Etat est lui-même victime d'une croissance dont la poursuite se révèle ingérable sur le plan politique.
«Nous avons vraiment l’impression d’être en présence d’une schizophrénie institutionnelle, poursuit l’Anglais. D’une part, le gouvernement est lié à la poursuite de la croissance économique. D’autre part, il se trouve obligé d’intervenir pour protéger le bien commun des incursions du marché. (…)
Ayant pour responsabilité capitale de protéger l’emploi, l’Etat est contraint (dans les conditions actuelles) d’accorder la priorité à la croissance économique.» (9)
Un dilemme dont il n’existerait que deux moyens de sortir. L’un consiste à rendre la croissance durable. L’autre à rendre la décroissance stable… (10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Sandel Michael, première conférence dans le cadre des Reith Lecture, juin 2009, in Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 185
3. Voir le 35e message de ce blog: Développement durable. Tout petit, ma planète...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 161.
6. Ibidem, p. 163.
7. Ibidem, p. 163.
8. Ibidem, p. 168.
9. Ibidem, p. 167.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
11. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire