jeudi 14 juin 2018

Société. Sous les bulles, le chaos



























Dehors, l'étranger!
Basta, les institutions!
Au placard, le politique!
Au rebut, la presse!...
Les résultats de l'enquête 
commanditée par la Fondation 
«Ceci n'est pas une crise» 
sont assez éloquents. 
La société d'aujourd'hui?
Une juxtaposition de bulles. 
Assez homogènes, certes, 
mais hermétiques entre elles.
Le tout s'inscrivant 
dans un ressenti 
désespérément chaotique.
Oui, décidément! 
Le rapport à l'autre 
se fait plus compliqué 
que jamais...



Après «Noir, Jaune, Blues», puis «Noir, Jaune, Blues, vingt ans après» (1), voici que vient de sortir «Noir, Jaune, Blues. Et après?». 
Soit le troisième volet d'une bien intéressante radioscopie qui, pour se consacrer aux Belges francophones, n'en brasse pas moins une série de considérations susceptibles d'interpeller largement au-delà de cette seule population...

L
es tribus étaient fermées de l'intérieur

Premier constat: la société apparaît comme une juxtaposition de bulles.
Des bulles homogènes, certes, dans la mesure où les individus qui composent chacune d'elles tendent à se rapprocher de ceux qui leur ressemblent (2).
Mais des bulles extrêmement cloisonnées aussi, la communication entre elles se limitant au minimum minimorum.
De quoi inciter le fer de lance de l'étude, Benoît Scheuer, à avancer que, dorénavant, le seul lien social serait communautaire. 
Et le sociologue UCL (3) de se demander, à l'instar de son célèbre confrère français Alain Touraine, si, désormais, nous faisons encore société...
«Après avoir quitté les communautés du Moyen-Age et avoir tenté, dans la foulée des Lumières, de construire des sociétés au sein desquelles les individus s'étaient affranchis des appartenances et des identités héritées pour se lier par des contrats en tant que citoyens, sommes-nous entrés dans une ère de retribalisation du monde?» (4)
Les inégalités sociales, en tout cas, inscrivent de plus en plus manifestement leur marque dans le paysage.
Pour des raisons touchant aux coûts de l'immobilier sans doute, mais aussi parce que l'entre-soi rassure.
D'où ce réflexe communautaire qui se traduit, en termes de relations sociales, par la recherche de proximité spatiale avec ses semblables. 
C'est bien sûr particulièrement vrai dans les quartiers les plus aisés, où le filtre foncier s'avère infranchissable.
Mais il serait erroné d'en rester là.
Car en règle générale, le brassage ne se ferait... nulle part!
Pas même dans les quartiers les plus «mélangés».
Prenons, par exemple, ceux où se retrouvent migrants et classes moyennes.
Les timings des uns et des autres y diffèrent substantiellement, autant que les fréquentations ou les activités.
D'où les micro-ségrégations (à l'échelle d'un seul quartier) qui s'ajoutent aux macro-ségrégations (entre les divers quartiers). 
Faire vivre les gens côte à côte ne suffit donc pas à générer le vivre-ensemble.
Encore faut-il susciter la rencontre.
Tel est l'enjeu.
Qu'il conviendrait sans doute de prendre à bras le corps.
Pour venir à bout des peurs, parfois.
Pour dépasser la simple indifférence, le plus souvent.

Chaotic cities

Deuxième constat: l'organisation de la Cité est ressentie comme très chaotique.
Avec, à la clé, une défiance à l'égard des institutions.
Et, ce qui n'arrange rien, deux circonstances aggravantes...
«Une sphère financière est au coeur de l'économie globalisée et n'est pas régulée, relève notre guide.
Elle agit comme un acide sur nos institutions.
Notamment sur les Etats.
Comment?
Pensons aux paradis fiscaux et à l'optimisation fiscale. (...)
Ce sont des milliards d'euros de moins-value fiscales qui réduisent la capacité d'agir des Etats providences.
Il n'est donc pas étonnant de constater les plaintes des citoyens à propos des dysfonctionnements des services publics comme conséquences de leur sous-investissements, faute de moyens suffisants.
Aussi, moins de ressources pour la protection sociale provoquant un sentiment d'abandon.
C'est un acide puissant qui agit dans nos vies quotidiennes.
Un autre acide s'est développé depuis une vingtaine d'années et agit aussi fortement sur nos institutions.
Il s'agit de la formidable expansion des réseaux sociaux et de la communication horizontale.» (5)

La société n'existe plus

Faisons-nous encore société?
Non, répond le sociologue français Alain Touraine.

Qui explique que nous vivons une époque de mutation profonde, caractérisée par le double fait que nous quittons des sociétés qui intégraient les individus et que nous allons vers des paysages hyper-fragmentés. 
Au cours de cette période, l'individu se retrouve seul, sans appartenances. 
Activité professionnelle, identité nationale, classe sociale: plus rien ne va de soi. 
Voilà donc l'individu plus autonome, certes, mais aussi et surtout beaucoup plus vulnérable, car relégué de facto dans le rôle d'un spectateur passif, sans réelle capacité d'agir.

La déchirure

L'individu se sent déchiré entre ses aspirations et les diverses dominations qu'il vit au quotidien.
D'où un ressenti de victime.
Sans pour autant que celui-ci ne s'exprime dans des combats socio-économiques collectifs.
Car le mouvement social qui était précédemment porteur de changement a subi les affres d'un affaiblissement très marqué.
Dixit Scheuer.
Dont l'analyse fait office de confirmation.
Touraine, notamment, n'avait-il pas déjà insisté sur le déclin des insurrections et des révolutions? 
Celles-là mêmes qui, après avoir longtemps reposé sur une conscience de classe, ont vu ce socle se réduire à peau de chagrin, suite aux déclins quantitatif et «qualitatif» du prolétariat. 
C'est que la catégorie ouvrière se fait 
. de plus en plus restreinte, donc de moins en moins représentative, 
. de plus en plus fragmentée, donc de moins en moins porteuse d'une identité spécifique.
Mieux (ou pire): elle s'est désolidarisée des autres catégories défavorisées (salariés peu ou pas qualifiés, chômeurs de longue durée, jeunes en recherche d’emploi, personnes âgées en difficulté...). (6)
Sur quelle base, dès lors, faire reposer un mouvement d'indignation...? 
. Sur des valeurs?
Difficile, au sein d'une société centrée sur un matérialisme (7) qui tend à privilégier l'intérêt tangible sur toute considération touchant de près ou de loin à l'éthique, de se mettre d'accord sur la façon de traduire dans le concret des notions aussi abstraites que la solidarité, la fraternité ou l'humanisme. 
. Sur l'intérêt général?
Ardu d'atteindre un tel but dans une collectivité faisant ses choux gras d'un individualisme qui, fût-ce au nom d'une saine singularité, dérape si facilement vers l'égoïsme. 
. Sur une convergence d'intérêts particuliers?
C'est l'option du plus petit commun dénominateur.
Qui se heurte à l'opposition des acteurs les plus catégoriques du mouvement... (8)

Arrière toute!

«L'hétérogénéité des situations de travail et de vie est devenue telle que l'identification aux autres et le sentiment de partager des intérêts et une vision d'un futur désirable est devenu beaucoup plus complexe, renchérit Scheuer.
Définir de nouvelles utopies crédibles et de nouveaux horizons qui touchent aux grandes orientations de nos sociétés est devenu hors de portée.
Seuls restent les conflits défensifs et souvent corporatistes.
Faute de sociétés fonctionnelles (valeurs partagées, croyances communes, confiance dans les institutions, etc.) pour se protéger, l'individu va alors se replier sur le connu.
Il retourne à des communautés organiques (la famille, l'ethnie, la socialité de proximité) derniers porteurs d'une certaine "rassurance".
En se repliant dans des communautés organiques, l'individu va ressentir le besoin de définir qui en fait partie et qui n'en fait pas partie.» (9)
Apparaît alors la séparation en deux catégories, dont notre époque signe la résurgence.
Celle du «eux».
Et celle du «nous».

L'heure du leurre

L'heure d'un grand retour a sonné.
Celui d'un phénomène aussi bien connu des historiens que des sociologues ou des psychologues.
Vous avez aimé détester les juifs ou les francs maçons?
Vous adorerez haïr les immigrés.
Aaah, la bonne vieille technique du bouc émissaire!
Un leurre toujours bien pratique pour éviter d'avoir à s'attaquer aux racines profondes d'un problème.
A savoir, cette fois, la non-régulation de la sphère financière.
«Ce n'est pas tant la cohabitation de communautés qui est un problème, ponctue avec sagacité notre inspirateur du jour.
C'est l'apparition, dans de telles configurations, d'entrepreneurs identitaires qui vont manipuler les vertiges identitaires en créant des idéologies populistes identitaires -les communautarismes- à leur seul profit: leur maintien ou leur accession au pouvoir.
Partout, ce sont des gouvernances autoritaires fondées sur l'exclusion qui apparaissent.» (10)



(1) Cette enquête, qui a sondé 4.700 Belges francophones sur de grands thèmes actuels, avait été commandée par la fondation Ceci n'est pas une crise avant d'être réalisée par l'institut de sondage Survey and Action, puis relayée par la Radio Télévision Belge Francophone ainsi que par le quotidien de référence Le Soir: Scheuer Benoît, Noir Jaune Blues, Louvain-la-Neuve, 2017.
(2) Par le statut socio-économique, les préoccupations et/ou les aspirations.
(3) Université catholique de Louvain.
(4) Scheuer Benoît, Un voyage dans un archipel, RTBF.info et Le Soir, vendredi 1er juin 2018, p.20.
(5) Scheuer Benoît, 
Un voyage dans un archipel, RTBF.info et Le Soir, vendredi 1er juin 2018, p.20.
(6) Voir, notamment, Touraine Alain, Après la crise, Seuil. Coll. La couleur des idées, Paris, 2010..
(7) Nous n'utilisons évidemment pas, ici, ce mot dans son sens philosophique, qui renvoie à l'idée que tout est matière ou produit de la matière. C'est de l'acception courante de ce terme qu'il est question dans ces pages. Celle qui décrit beaucoup plus prosaïquement une manière de penser et de vivre accordant une place prépondérante aux contingences purement matérielles et intéressées.
(8) Les lecteurs les plus attentifs se souviendront peut-être vaguement de ce passage que nous reprenons d'un précédent et lointain message: Courants de pensée et modes de vie émergents (5). Des indignés hétérogènes et disparates.
(9) Scheuer Benoît, 
Un voyage dans un archipelRTBF.info et Le Soir, vendredi 1er juin 2018, p.20.
(10) Scheuer Benoît, Un voyage dans un archipelRTBF.info et Le Soir, vendredi 1er juin 2018, p.21.


mercredi 6 juin 2018

Up for the planet. En route vers de futures aventures











«Vous avez demandé 
un décideur?
Ne quittez pas...
» 
En matières 

de moyen et de long termes, 
les réunions internationales 
se succèdent.
Mais les problèmes 

demeurent.
Et l'urgence 

de se faire 
plus pressante 
que jamais.
Voilà pourquoi 
Positive Planet a lancé 
la première édition
des Etats Généraux
des Générations Futures
.
Up For The Planet 

pour les intimes.
Histoire d'écouter 

les citoyens.
Et de recueillir 

leurs propositions.
Les priorités retenues?
La préservation 

de l’environnement.
tout d'abord.

L’économie 
en faveur 
des générations futures
ensuite.
L’amélioration 

des conditions de vie 
de tout un chacun
enfin.
Un tiercé gagnant donc.
Décliné, 

sous l'oeil averti 
de multiples experts
en vingt propositions,
plus précises 
et plus concrètes.
A vous, désormais, 
de saisir la balle au bond.
Ici et maintenant, 
aidez à porter 
cette initiative 
vers le prochain sommet du G20.
Signez la pétition ad hoc.
Partagez-la tous azimuts.
Et en route
vers de futures aventures...




Etats Généraux
des Générations Futures
:
les vingt propositions 



Comment préserver l'environnement?


1. Instaurer d’ici 2025 des prix du carbone 
dans tous les pays du G20 
pour accélérer la transition énergétique.

2. Anticiper et se préparer 
aux conséquences du changement climatique 
par des tests de vulnérabilité dans quarante régions pilotes.

3. Lutter contre la surexploitation des ressources marines, 
la dégradation de l'océan 
et la surcapacité de pêche.

4. Encourager l’économie circulaire et l’éco-conception 
pour réduire la production de déchets.

5. Arrêter le pillage des forêts.

6. Ménager et utiliser les écosystèmes naturels 
pour relever les défis de nos sociétés.

7. Garantir la sécurité alimentaire de toutes et tous 
en favorisant, 
lorsqu’ils sont bénéfiques, 
des systèmes alimentaires locaux et diversifiés.


Comment améliorer les conditions de vie pour tous?


8. Donner accès à tous aux solutions thérapeutiques de qualité, 
notamment les médicaments génériques.

9. Créer et financer, 
si possible partout,
une couverture maladie universelle 
pour donner à tous l’accès aux soins vitaux.

10. Offrir à chacun 
l’accès aux meilleures méthodes 
de diagnostic médical et biologique.

11. Inscrire la formation à l’entrepreneuriat 
comme discipline à part entière des programmes scolaires.

12. Offrir à tous 
les moyens de développer leurs compétences et leur employabilité 
tout au long de leur vie professionnelle.

13. Doter les Organisations Non Gouvernementales 
de standards internationaux de performance et de transparence 
pour renforcer la confiance du grand public dans leurs actions.


Comment mettre l'économie au service des générations futures?


14. Orienter l’investissement public et privé de chaque pays 
vers des projets positifs clairement identifiés. 

15. Bâtir une fiscalité loyale, transparente et coordonnée 
pour prévenir l’optimisation fiscale abusive. 

16. Renforcer le respect du droit international du travail 
en dotant l’Organisation Internationale du Travail 
d’un plus grand pouvoir. 

17. Généraliser au niveau mondial le devoir de vigilance des entreprises 
pour mieux prévenir les risques sociaux et environnementaux. 

18. Stimuler l’emploi des jeunes 
en accélérant le développement de l’apprentissage 
aux niveaux mondial et local. 

19. Créer une dotation d’action positive de proximité 
pour accroître l’engagement social des entreprises et de leurs salariés. 

20. Instaurer et faire respecter une charte éthique 
pour une intelligence artificielle au service de tous.



Signez la pétition.








vendredi 1 juin 2018

La fabrique du consentement






Comment influencer les foules? 
À travers la figure 
de ce propagandiste 
auto-proclammé 
«conseiller
en relations publiques» 
que fut l'Américain 
Edward Bernays, 
l'excellente chaîne Arte 
y va de son décryptage 
des méthodes 
A voir absolument.



Les techniques de persuasion des masses apparaissent en Europe à la fin du XIXe siècle pour lutter contre les révoltes ouvrières.
Puis, elles sont développées aux États-Unis pour convaincre les Américains de s’engager dans la première guerre mondiale.
Peu connu du grand public, Edward Bernays (1) s'impose rapidement comme l’un des principaux théoriciens de ces méthodes de «fabrique du consentement» qui, inspirées des codes de la publicité et du divertissement, s’adressent aux désirs inconscients des foules. 
Les industriels s’en emparent pour lutter contre les grèves avec l’objectif de faire adhérer la classe ouvrière au capitalisme et ainsi de transformer le citoyen en consommateur. 

Très cher neveu

En 2001, le magazine Life classera même l'auteur du livre de référence «Propaganda» parmi les cent personnalités américaines les plus influentes du XXe siècle.
D'où l'intérêt de l'excellent
documentaire qui, programmé par Arte, passe à la loupe d’une analyse riche et critique le parcours de celui qui, ne manquant jamais une occasion de se présenter en tant que «double neveu de Sigmund Freud», se servit avec une efficacité redoutable de cette carte de visite, de son entregent, de ses compétences et de... son absence de scrupules pour faire fumer les femmes (au nom de leur... souci d'émancipation!), pour inspirer le régime nazi, pour accompagner le New Deal ou pour contribuer au renversement du gouvernement du Guatemala.


(1) 1891-1995.
(2) Dont celle du célèbre linguiste Noam Chomsky.
(4) En 1954.


mardi 22 mai 2018

Modèle de Société. Résister, repenser et agir
















Articuler nécessités 
collectives et individuelles.
S'adapter aux changements 
sans renoncer à nos valeurs 
d'humanisme et de solidarité.
Préparer notre après-demain.
Aménager l'Europe...
Telles sont quelques propositions 
avancées par la syndicaliste belge 
Qui souligne l'urgence de repenser 
notre modèle de société.
Et en appelle à tout un chacun 
pour se faire acteur du changement (2).



«Repenser notre modèle de société! 
Cela signifie que ce modèle n’est pas bon, qu’il n’est pas ou plus adapté, qu’il génère des discriminations, creuse des fossés sociétaux.
Mais, notre modèle de société, dont rares sont ceux d’entre nous qui l’ont délibérément choisi, nous sommes tombés dedans quand nous étions petits. 
Il fait donc partie de nous, nous le défendons avec la conviction que c’est le choix idéal.

Péril en la demeure

Notre modèle de société, démocratique, doit articuler la nécessité collective et la nécessité individuelle. 
Cette articulation, parfois -voire souvent- difficile fait de notre société un modèle en perpétuelle métamorphose que l’on doit tenir en équilibre entre les forces qui le tiraillent d’un extrémisme à un autre.
Notre système, en permanence sous la menace de trébucher ou de bégayer, doit être maintenu sur la route du progrès.
Il doit en permanence être repensé pour intégrer et s’adapter aux changements.
Les guerres, la famine, le climat jettent et vont jeter sur les routes des millions d’humains, hommes, femmes, enfants. 
Notre modèle devra s’adapter, nous devrons mettre en place un accueil parce que notre société est basée sur des valeurs, l’humanisme, la solidarité.
Depuis le début de la crise de 2007, le fossé des inégalités est devenu large et profond, à tel point qu’on peut s’attendre au retour de la lutte des classes, les exclus se multipliant dans tous les domaines que ce soit l’accès à l’enseignement ou aux soins de santé. 
La solidarité est écartée au profit des individualismes comme tout ce qui n’est pas rentable du seul point de vue qui vaille encore, le point de vue financier.
Le tissu social se désintègre. 
Ce n’est plus "tous ensemble" que nous agissons, mais chacun pour soi. 
Les projets à long terme sont désamorcés et quand on dit "Il faut penser à l’avenir", c’est à demain que l’on pense, et rarement plus loin.
Derrière les migrants chassés de chez eux par la guerre viendront des millions de réfugiés climatiques.
L’Europe n’est pas prête. 
Son modèle de société n’est pas prêt. 
Ce n’est pas un paradis, c’est un radeau. 
Et il est urgent de l’aménager.
La question est "Que peut-on faire?"

Repenser le modèle de la société 

Repenser le modèle de la société, d’accord, mais comment?
Il n’existe pas de solution simple, ni de potion magique, et la pire des illusions serait de croire que des gens compétents s’en occupent, qu’ils vont nous présenter la panacée un de ces jours, qu’il suffit d’attendre et que tout ira bien.
Repenser le modèle de la société, c’est l’affaire de tous et de chacun.
La réflexion ne peut être une chasse gardée, une sorte de privilège. 
Pour se montrer efficace elle doit devenir l’apanage de tous.
Notre université ne doit pas être un microcosme passif de la société, se contentant d’en subir les dérives. 
Elle doit assumer son rôle d’acteur.
Notre université peut et doit encourager ce que j’appellerai, en faisant le parallèle avec la recherche, la réflexion fondamentale, elle peut et doit alimenter le feu sous une marmite en permanente ébullition intellectuelle afin que chacun devienne, à son tour, un acteur de la société.

Etre (incub)acteurs

Il y a différents moyens d’être acteur. 
La participation au processus électoral en est un, important. 
Le droit élargi lors des dernières élections rectorales a permis une participation de tous les acteurs de l’institution, étudiants, personnel académique, personnel scientifique et personnel administratif, technique et ouvrier.
Il est nécessaire de développer encore cette participation. 
Le processus est amorcé, il doit être finalisé et concrétisé, à tous les niveaux, dans toutes les instances.
L’ambition d’élargissement des sources et ressources de réflexion peut être plus grande encore.
Par exemple en mettant en place des lieux et des moments d’expression, ouverts à tous, où chacun pourra librement se rendre et s’exprimer.
Des lieux et des moments de débats et d’échange qui seront autant d’"incubateurs" pour notre institution, notre ville, notre région, notre société.
Des lieux et des moments qui permettront à chacun de se saisir des problèmes de notre société et de son modèle afin d’avancer sur le chemin du progrès.
Des lieux et des moments qui feront naître, renaître et entretenir un nécessaire et indispensable sentiment d’appartenance à notre Alma mater et à son projet, construit ensemble.
Une maison que nous construisons ensemble, nous l’entretenons ensemble.
Comme les privatisations et les externalisations affaiblissent l’esprit de corps et le sentiment d’appartenance, les règles et les décisions prises démocratiquement et dans le respect de tous renforcent la cohésion et assurent l’équité. 
Les règles sont indispensables au fonctionnement de l’institution et il est essentiel qu’elles soient appliquées dès leurs mises en place.

Plat de résistance 

Je citerai pour finir le philosophe Gilles Deleuze : "Etre acteur, c’est faire de la résistance".
La participation à l’action et à la réflexion des acteurs n’ayant pas le pouvoir ni l’autorité peut être perçue et jugée comme un acte de résistance. 
L’autorité doit au contraire pouvoir se nourrir de cette résistance en s’adaptant et en évoluant. 
C’est la base de notre société démocratique.» (2)



Martine Evraud



(1) Martine Evraud est représentante du personnel au Conseil d'administration de l'Université de Liège (ULg) et présidente de la CSC (Confédération social-chrétienne)/Services publics.
(2) Le message ci-dessus reprend intégralement le discours prononcé par Martine Evraud à la rentrée académique 2015-2016 de l'ULg, avec l'autorisation de l'auteure que nous remercions. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.


vendredi 18 mai 2018

Broken is beautiful





















«La beauté de ce qui vieillit 

et se décompose,
une beauté qui s'est étiolée,
voilà ce qui m'attire.
»
Ainsi parle Showzi Tsukamoto.

Qui excelle dans le kintsugi,
cet art japonais consistant 
à insuffler une seconde vie 
aux poteries cassées.
Philosophie sous-jacente:
puisque brisures et cicatrices 
font partie de notre passé,
il n'y a pas à en avoir honte,
encore moins à les dissimuler.
Car rien n'est beau
qui ne soit forcément abîmé.
Et l'être humain 
ne fait pas exception à la règle.
Les blessures 
et les processus de guérison? 
Ils sont portions constitutives 
de notre histoire.
Mieux: 
ils contribuent à nous définir. 





















«Le monde brise tout un chacun 
et par la suite, 
certains sont forts 
aux endroits brisés.»  
Ernest Hemingway





«Les choses se délitent avec le temps et arrivent à leur fin. 
Dès qu'il y a une cicatrice, peignez-la avec de l'or et dites-vous...
"
Regarde
ma cicatrice: elle n'est pas belle?"»
Du haut de ses 72 printemps, Showzi Tsukamoto pratique l'art japonais qui se donne vocation à sublimer ces objets fissurés que la plupart d'entre nous se laisseraient plutôt aller à camoufler ou à jeter.
«La philosophie du kintsugi est basée sur le wabi-sabi, explique celui qui s'adonne à cette discipline depuis 45 ans.
Soit une esthétique japonaise qui fait du processus allant de la naissance jusqu'à la décomposition le critère du beau.»

Esprit, es-tu là?

Chaque pièce requiert un mois de travail.
Mais le kintsugi, ce n'est pas qu'un savoir faire manuel.
C'est aussi un état d'esprit. 
«Quand un samouraï avait été blessé par sabre, loin de chercher à dissimuler sa cicatrice, il l'arborait fièrement. 
Cet esprit samouraï est au coeur du kintsugi.»
L'art du kintsugi va donc bien au-delà d'une activité réparatrice de poterie.
«Un jour, une cliente s'est présentée.
Elle avait survécu au tsunami de 2011 et sa maison avait été complètement détruite.
La seule chose qu'elle avait sauvée, c'est sa propre vie.
Elle est revenue sur son ancien lieu de résidence et a déterré du sol une assiette ébréchée.
Le kintsugi a érigé celle-ci en ultime incarnation de sa vie d'avant...»

Guerre et paix

Showzi compare le kintsugi à la paix.
Elle aussi, dit-il, commence par une cassure.
«La guerre est un acte de destruction et la paix n'existe pas par elle-même.
On blesse et on se blesse.
Ce n'est qu'au moment où les blessures en arrivent à guérir que peut advenir la paix.
Et que quelque chose de neuf et de beau finit par renaître.
Il n'en va pas différemment du kintsugi.»

Réparer l'invisible

Y a-t-il une recette à la réussite d'un objet kintsugi?
«L'essentiel, c'est d'aplatir et de lisser la base.
Ensuite seulement vient la dorure.
Donc, la partie que l'on recouvre est fondamentale.
Il s'agit de bien s'en rendre compte.
Car ce constat permet au gens de réaliser ce qu'est vraiment la guérison d'une blessure.
Réparer l'invisible est incroyablement important.»

Le murmure de la blessure

Ainsi soit le kintsugi.
Un objet, bien sûr.
Mais -tendez bien l'oreille- un objet qui murmure...
«Ton histoire est dans tes blessures.
Elles sont la preuve que tu as vécu.
Alors, au lieu des les regarder d'un oeil négatif, regarde les positivement.»
Vous avez entendu?
Mais oui, c'est incroyable!
On jurerait reconnaître la voix du vieux Tsukamoto... (1)



(1) Ce message s'inspire plus que largement de la vidéo de AJ+: «Kintsugi, l'art japonais de réparer des poteries