mercredi 31 mars 2010

Altermondialisme. Vitriol compris...


La crise économique? Elle n’est que la face émergée d’un iceberg de dérèglements en tous genres. Tel est en tout cas l’avis de l'altermondialiste François Houtart. Qui n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer les travers du capitalisme. Etat des lieux sans concession. Vitriol compris…

François Houtart (1)


Quand 850 millions d’êtres humains vivent sous la barre de la pauvreté et que leur nombre augmente, quand toutes les vingt quatre heures, des dizaines de milliers de gens meurent de faim, quand disparaissent jour après jour des ethnies, des modes de vie, des cultures, mettant en péril le patrimoine de l’humanité, quand le climat se détériore et que l’on se demande s’il vaut encore la peine de vivre à la Nouvelle Orléans, au Sahel, dans les Îles du Pacifique, en Asie centrale ou en bordure des océans, on ne peut se contenter seulement de parler de crise financière.

De crises en crises...

Déjà les conséquences sociales de cette dernière sont ressenties bien au-delà des frontières de sa propre origine : chômage, «chèreté» de la vie, exclusion des plus pauvres, vulnérabilité des classes moyennes et allongement dans le temps de la liste des victimes. Soyons clairs, il ne s’agit pas seulement d’un accident de parcours ou d’abus commis par quelques acteurs économiques qu’il faudra sanctionner, nous sommes confrontés à une logique qui parcourt toute l’histoire économique des deux derniers siècles. De crises en régulations, de dérégulations en crises, le déroulement des faits répond toujours à la pression des taux de profit: en hausse, on dérégule, en baisse, on régule, mais toujours en faveur de l’accumulation du capital, elle-même définie comme le moteur de la croissance. Ce que l’on vit aujourd’hui n’est donc pas nouveau. Ce n’est pas la première crise du système financier et certains disent que ce ne sera pas la dernière.

Fatal enchaînement

Cependant, la bulle financière créée au cours des dernières décennies, grâce, entre autres, au développement des nouvelles technologies de l’information et des communications, a surdimensionné toutes les données du problème.
L’économie est devenue de plus en plus virtuelle et les différences de revenus ont explosé. Pour accélérer les taux de profits, une architecture complexe de produits dérivés fut mise en place et la spéculation s’est installée comme un mode opératoire du système économique. Cependant, ce qui est nouveau, c’est la convergence de logique entre les dérèglements que connaît aujourd’hui la situation mondiale.
La crise alimentaire en est un exemple. L’augmentation des prix ne fut pas d’abord le fruit d’une moindre production, mais bien le résultat combiné de la diminution des stocks, de manœuvres spéculatives et de l’extension de la production d’agrocarburants.
La vie des personnes humaines a donc été soumise à la prise de bénéfices.
Les chiffres de la bourse de Chicago en sont l’illustration.
La crise énergétique, quant à elle, va bien au-delà de l’explosion conjoncturelle des prix du pétrole. Elle marque la fin du cycle de l’énergie fossile à bon marché (pétrole et gaz) dont le maintien à un prix inférieur provoqua une utilisation inconsidérée de l’énergie, favorable à un mode de croissance accéléré, qui permit une rapide accumulation du capital à court et moyen terme. La surexploitation des ressources naturelles et la libéralisation des échanges, surtout depuis les années 1970, multiplièrent le transport des marchandises et encouragèrent les moyens de déplacement individuels, sans considération des conséquences climatiques et sociales. L’utilisation de dérivés du pétrole comme fertilisants et pesticides se généralisa dans une agriculture productiviste.
Le mode de vie des classes sociales supérieures et moyennes se construisit sur le gaspillage énergétique. Dans ce domaine aussi, la valeur d’échange prit le pas sur la valeur d’usage.

Etat d’urgence!

Aujourd’hui, cette crise risquant de nuire gravement à l’accumulation du capital, on découvre l’urgence de trouver des solutions. Elles doivent cependant, dans une telle perspective, respecter la logique de base: maintenir le niveau des taux de profit, sans prendre en compte les externalités, c’est à dire ce qui n’entre pas dans le calcul comptable du capital et dont le coût doit être supporté par les collectivités ou les individus. C’est le cas des agrocarburants et de leurs conséquences écologiques : destruction, par la monoculture, de la biodiversité, des sols et des eaux souterraines, et sociales: expulsion de millions de petits paysans qui vont peupler les bidonvilles et aggraver la pression migratoire.
La crise climatique, dont l’opinion publique mondiale n’a pas encore pris conscience de toute la gravité, est, selon les experts du GIEC (Groupe international des experts du climat) le résultat de l’activité humaine. Nicolas Stern, ancien collaborateur de la Banque mondiale, n’hésite pas à dire que «les changements climatiques sont le plus grand échec de l’histoire de l’économie de marché.» En effet, ici comme précédemment, la logique du capital ne connaît pas les «externalités», sauf quand elles commencent à réduire les taux de profit.
L’ère néolibérale qui fit croître ces derniers, coïncide également avec une accélération des émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement climatique. L’accroissement de l’utilisation des matières premières et celui des transports, tout comme la dérégulation des mesures de protection de la nature, augmentèrent les dévastations climatiques et diminuèrent les capacités de régénération de la nature. Si rien n’est fait dans un proche avenir, de 20 % à 30% de toutes les espèces vivantes pourraient disparaître d’ici un quart de siècle. Le niveau et l’acidité des mers augmentera dangereusement et l’on pourrait compter entre 150 et 200 millions de réfugiés climatiques dès la moitié du XXIe siècle.

De la crise sociale à la crise de civilisation…

C’est dans ce contexte que se situe la crise sociale. Développer spectaculairement 20 % de la population mondiale, capable de consommer des biens et des services à haute valeur ajoutée, est plus intéressant pour l’accumulation privée à court et moyen terme, que répondre aux besoins de base de ceux qui n’ont qu’un pouvoir d’achat réduit ou nul. En effet, incapables de produire de la valeur ajoutée et n’ayant qu’une faible capacité de consommation, ils ne sont plus qu’une foule inutile, tout au plus susceptible d’être l’objet de politiques «assistantielles».
Le phénomène s’est accentué avec la prédominance du capital financier.
Une fois de plus la logique de l’accumulation a prévalu sur les besoins des êtres humains.
Tout cet ensemble de dysfonctionnements débouche sur une véritable crise de civilisation caractérisée par le risque d’un épuisement de la planète et d’une extinction du vivant, ce qui signifie une véritable crise de sens. Alors, des régulations? Oui, si elles constituent les étapes d’une transformation radicale et permettent une sortie de crise qui ne soit pas la guerre, non, si elles ne font que prolonger une logique destructrice de la vie.
Une humanité qui renonce à la raison et délaisse l’éthique, perd le droit à l’existence.
Certes, le langage apocalyptique n’est pas porteur d’action. Par contre, un constat de la réalité peut conduire à réagir. La recherche et la mise en oeuvre d’alternatives sont possibles, mais pas sans conditions. Elles supposent
. d’abord une vision à long terme, l’utopie nécessaire,
. ensuite des mesures concrètes échelonnées dans le temps,
. enfin des acteurs sociaux porteurs de projets, au sein d’un combat dont la dureté sera proportionnelle au refus du changement.
J'y reviendrai dans les prochains messages de ce blog… (2)(3)

François Houtart


(1) Né à Bruxelles en 1925, le Belge François Houtart est prêtre, sociologue et militant de la cause du Tiers-Monde. Il a fondé la revue Alternatives Sud ainsi qu'un centre d'étude, de publication, de documentation et d'éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud: le Centre Tricontinental (CETRI) de Louvain-la-Neuve (www.cetri.be).
(2) Cette contribution est une reprise partielle de l’allocution prononcée le 17 avril 2009 à la Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) (www.moc.be). Titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve de l'arrivée, entre-temps, de nouveau(x) texte(s) ad hoc) :
. «Clés altermondialistes pour le changement.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Utopie appliquée.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Appel au Bien commun.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme.» (Immanuel Wallerstein),
. «Altermondialisme. Feu le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein),
. «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels),
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

lundi 29 mars 2010

Altermondialisme. Stop ou encore ?


Certains le voient-ils déjà mort? D’autres prédisent-ils sa fin prochaine? La plupart des militants, pourtant, persistent et signent. Plus que jamais. Car l’altermondialisme est à la croisée des chemins…


Attention! Chute d’invectives.
Désapprouvé, fustigé, stigmatisé, attaqué, condamné, l’altermondialisme en prend plein la figure.
Certes, il a toujours été sous le feu de la critique.
Mais peut-être ne l'a-t-il jamais été autant qu'aujourd'hui.
Tant de l’extérieur que de l’intérieur…

Extérieur nuit…

De l’extérieur tout d’abord. Nombreux sont les politiciens, les sociologues et les économistes à dénoncer une mauvaise lecture des indicateurs économiques ou une tendance au repli national. Des supposés errements qui auraient le grand tort d’éluder bon nombre de données…
Des données économiques, avant tout:
. bienfaits de l'ouverture commerciale et de l'économie de marché;
. croissance des pays pauvres supérieure à celle des pays riches au cours des cinquante années de la mondialisation, alors que tel n’avait pas été le cas auparavant;
. surestimation du paramètre de l’exploitation des pays pauvres et sous-estimation des autres facteurs d’explication à leur déficit de développement (1);
. limites dans le temps de la nocivité de la croissance économique pour l'environnement;
. points forts du libre-échange admis et approuvés par une très grande majorité d’économistes...
Des données plus générales, ensuite:
. recours à des discours généreux qui servent souvent à rationaliser la défense corporatiste de catégories sociales excessivement protégées et subventionnées;
. impossibilité de définir la notion d’«intérêt général» à laquelle se réfèrent constamment les altermondialistes;
. peur du changement;
. forte exagération des effets négatifs du phénomène de délocalisation;
. incohérence;
. recours à des méthodes violentes et provocatrices, donc non démocratiques;
. force de propositions limitée...
N’en jetez plus ! La coupe est pleine…

Dissensions internes

Pourtant, aux critiques fusant de l’extérieur, s’ajoutent celles venues de l’intérieur même du mouvement.
«Une telle foule converge vers les Forums Sociaux Mondiaux que la formule devint la victime de son propre succès, écrit l'anthropologue belge Thierry Verhelst. Désormais, les Forums sont décentralisés par continent. Ils ont lieu tantôt à Mumbai, tantôt à Bamako, ou à Caracas, ou encore Karéachi ou Nairobi. Au sein de ce Forum ou dans les organisations citoyennes internationales telles qu’Attac (2) est menée une réflexion intense accompagnée de lobbying politique sur l’instauration d’un nouvel ordre, social, économique, politique mondial.» (3)Un bouillonnement intellectuel qui a débouché sur une multitude de questions…
. Les résultats obtenus à ce jour sont-ils suffisants?
. Convient-il de refuser toute forme de compromis avec le néo-libéralisme pour mieux l’abattre de l’extérieur? Ou bien s’agit-il de composer avec le système ennemi pour mieux le réformer de l’intérieur?
. Faut-il rester fidèle à la stratégie du contre-pouvoir? Ou bien la création d’un parti politique est-elle envisageable?
. Quel type d’alliances peut-on se permettre de nouer?
. Et quid de la place du mouvement dans l'ensemble des luttes sociales d'émancipation?
Certains vont même jusqu’à poser la question qui tue: l’altermondialisme a-t-il encore une raison d’être?
Autant de questionnements.
Autant d’occasions de divergences internes.
Autant d’avis sur l’avenir.
Dont quelques-uns particulièrement abrupts…
«L’altermondialisme, c’est fini, assène par exemple le philosophe italien d’extrême-gauche Antoni Negri. Les termes et les objectifs du mouvement sont changés. Sa vocation première était de relancer la conscience en la possibilité d’une transformation de la société sur des bases complètement nouvelles : celles de la globalisation. Or tout ça, c’est du passé. Tout autre mouvement qui réapparaîtra partira de ce point où est arrivé l’altermondialisme. Et je pense que ce ne sera pas très long.» (4)La thèse est radicale. Mais isolée. Car au sein et en marge de l’altermondialisme, une majorité de penseurs ne désarment pas.
Tels le Belge François Houtart ou l’Américain Immanuel Wallerstein.
Que nous retrouverons dans les prochains messages de ce blog… (5)

Christophe Engels


(1) Spécialisation dans des produits à faible valeur ajoutée, problèmes internes aux pays du Tiers Monde, protectionnisme des pays riches…
(2)Association pour la taxation des transactions financières et l’aide aux citoyens.
(3) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
(4) Negri Antoni, Les USA ne sont pas les patrons du monde, interview de Antoni Negri in Le Soir, 06/11/2006, p.16.
(5) Pour suivre : «Altermondialisme. De crises en crises…» (François Houtart), «Clés altermondialistes pour le changement.» (François Houtart), «Altermondialisme. Utopie appliquée.» (François Houtart), «Altermondialisme. Appel au Bien commun…» (François Houtart), «Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein), . «Altermondialisme. Feu le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein), «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels), «Economie. Changement de cap!» (Isabelle Cassiers)…

samedi 27 mars 2010

Altermondialisme. «Non, non et non !»


Un autre monde n’est-il pas impossible? Telle est la question que les altermondialistes… refusent de se poser! Car pour eux, la réponse va de soi. C'est «Non!». «Bien sûr que non!». «Incontestablement non!». Reste à s’entendre sur les moyens de transformer cette indignation en programme d’action…


Je suis bigarré.
Je grouille de partout.
Et je parle dans toutes les langues.
Qui suis-je?
Un "Forum Social"!
Ainsi va ce haut lieu de l'altermondialisme.
Ainsi va ce mouvement social lui-même, porté par une multitude d’acteurs très divers qui entendent opposer un ensemble de valeurs sociales et environnementales aux
«logiques économiques de la mondialisation néolibérale».
Ainsi va celui qui, initialement qualifié d’ «anti-mondialiste», a transformé son nom à partir de 1999 afin de prendre en compte l’inclination d'une partie substantielle de ses militants en faveur d’une mondialisation revue et corrigée dans le sens d’un encadrement politique. (1)

Mouvement des mouvements

Connu dans les pays du Sud depuis fort longtemps, l’altermondialisme est apparu en Occident il y a une quinzaine d’années.
Celui que l’on appelle parfois le «mouvement des mouvements» rassemble donc indistinctement, aujourd’hui, des composantes venues du Sud et du Nord de la planète.
Il s’est notamment développé, donc, au travers de ces lieux d'échanges que sont les Forums Sociaux, organisés aux niveaux local, continental ou mondial (avec, dans ce dernier cas, médiatisation toute particulière à la clé).
L’altermondialisme «affûte sa capacité de contestation et d’analyse, depuis qu’à Seattle puis à Porto Alegre se sont exprimés militants et chercheurs, responsables syndicaux et représentants religieux, explique Thierry Verhelst (2). Le Forum Social Mondial (FSM) se tient au moment où se réunissent à Davos les dirigeants mondiaux. Des dizaines de milliers de participants y accourent pour célébrer leur espérance qu’ «un autre monde est possible». Ils y sont aussi pour dénoncer, réfléchir, pour comparer des expériences concrètes et pour formuler des perspectives nouvelles.» (3)
C’est que la mouvance altermondialiste n'a pas d'organisation en elle-même. Elle constitue un réseau au fonctionnement «horizontal» qui réunit une multitude de personnes et de groupements d'horizons très divers:
. communistes et marxistes (qui rejettent le capitalisme),
. antilibéraux (qui s’opposent au libre-échange),
. souverainistes ou nationalistes (qui prônent un protectionnisme d'intérêt national ou régional),
. localistes (qui veulent privilégier ce qui est local),
. écologistes (qui pourfendent le laxisme environnemental de la société industrielle),
. objecteurs de croissance (qui stigmatisent le développement de la consommation comme modèle social),
. ou même extrémistes de droite.
Pour faire le tri, Thierry Verhelst (3) propose une grille d’analyse en trois colonnes…
. Celle d’une tendance socialiste (dont les antilibéraux issus du marxisme et du tiers-mondisme) qui affirme la nécessité d’accroître la productivité afin de partager plus équitablement les revenus de l’activité économique.
. Celle d’une approche visant l’émergence d’une nouvelle culture économique (Kenneth Boulding, Serge Latouche…), qui va plus loin que la précédente en se prononçant en faveur de la «décroissance» (4), considérée comme un impératif à la fois pratique et éthique, seul susceptible de mettre fin à l’obsession productiviste: il faut rompre avec la religion du «toujours plus».
. Celle d’un «solde» reprenant notamment tous ceux qui indiquent qu’il y a lieu d’«internaliser» les coûts des dommages causés par les entreprises (pollution, transport,... «et pourquoi pas du chômage ?» (3)) alors que ceux-ci sont aujourd’hui rejetés sur la collectivité. Un exemple ? Ricardo Petrella, qui veut soustraire à la marchandisation ces «biens communs vitaux de l’humanité» que sont l’eau, la terre ou la biodiversité.

«Un autre monde est possible»

Assez hétérogène, le «mouvement des mouvements» oscille entre volonté de réformisme et «imaginaire de la rupture».
La plupart des tendances s'accordent cependant sur deux plus petits dénominateurs communs…
. Celui d’un slogan tout d’abord : «Un autre monde est possible», récemment devenu «D'autres mondes sont possibles».
. Celui de revendications modérées, ensuite, qui portent sur la régulation du libre-échange par des impératifs sociaux et environnementaux.
Plus précisément, ces revendications communes renvoient à :
. «une contestation de l'organisation interne, du statut et des politiques des institutions mondiales telles que l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le G8 et la Banque mondiale;
. des revendications de démocratie selon les différentes orientations politiques;
. la justice économique;
. l'autonomie des peuples;
. la protection de l'environnement;
. les droits humains fondamentaux;
. une recherche d'alternatives, globales et systémiques, à l'ordre international de la finance et du commerce.
» (5)

Un peu de tout…

Une liste de propositions a été synthétisée dans le manifeste de Porto Alegre, qui distingue les requêtes liées
. à des réformes économiques (6),
. à la justice et à la paix (7),
. au développement de la démocratie (8).
Un «programme» dont l’hétérogénéité contribue sans doute à expliquer qu’au-delà de sa critique du système actuel, le mouvement altermondialiste ait été mis en cause pour sa capacité très limitée à proposer des solutions alternatives.
«Ce n’est pas être insultant que de souligner la grande faiblesse théorique de la mouvance altermondialiste, « flingue », mine de rien, le philosophe français Pascal Bruckner. Elle peine à dépasser le stade de la simple invective au moment où le système a plus besoin que jamais pour se régénérer d’un adversaire à sa mesure.» (9)
Thierry Verhelst, lui, est nettement moins sévère…
«Cela n’est pas assez concret, cela reste incantatoire, dit-on. Sans doute. Mais qui donc possède les bonnes réponses. Nous sommes à une époque charnière où l’humanité se cherche un autre avenir. Il n’est pas raisonnable en ces circonstances d’exiger des programmes parfaitement ficelés.» (3)

Christophe Engels


(1) Une telle régulation est présentée comme indispensable sous peine d’élargissement sans fin du fossé des inégalités dans le monde: inégalité entre les plus riches et les plus pauvres d’une part, inégalité entre pays du Nord et pays du Sud d’autre part.
(2) Docteur en droit, Thierry Verhelst est anthropologue juridique, consultant, enseignant dans plusieurs universités, responsable d’ONG et prêtre orthodoxe.
(3) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
(4) On y reviendra dans un prochain commentaire.
(5) D’après Wikipedia.
(6) . Annulation de la dette publique des pays du Sud,
. promotion du commerce équitable,
. reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels énoncés à la conférence de Vienne de 1993 (droit à la souveraineté et à la sécurité alimentaire, à l'emploi, à la protection sociale et à la retraite),
. mise sur pied d’un bilan exhaustif et indépendant des conséquences des décisions de l'OMC, du FMI et de la Banque mondiale,
. instauration de taxes internationales sur les transactions financières,
. démantellement des paradis fiscaux,
. interdiction de toute forme de brevetage du vivant et de privatisation de biens communs de l'humanité, comme l'eau...
(7) . Mise en place d’un système international de prévention et règlement des conflits,
. application de la Charte des Droits de l'Homme contre toute forme de discrimination, de sexisme et de racisme,
. condamnation systématique des différents pays qui ne la respectent pas.
(8) . Garantie du droit à l'information par des législations mettant fin à la concentration des médias et garantissant l'autonomie des journalistes par rapport aux actionnaires,
. rénovation et démocratisation en profondeur des organisations internationales régies par le consensus de Washington (FMI, Banque mondiale, OMC),
. respect en leur sein des droits humains, économiques, sociaux et culturels dans le prolongement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,
. incorporation de ces organisations dans le système et les mécanismes de décision des Nations unies.
(9) www.cybersopie.com

mercredi 24 mars 2010

Parole de lecteur. Esprit, es-tu là?

Pour l'un de nos lecteurs manifestement assidu, s'entendre sur les déficits, c'est bien. Mais il risque d'être plus difficile de se mettre d'accord sur les remèdes. D'où la nécessité de conférer à notre «Projet relationnel» un souffle spirituel et personnaliste. L'avis de Robert Hendrick... (1)

Robert Hendrick (2)


Votre «appel à projet relationnel» met en évidence l'insatisfaction et le «mal être» que ressentent de plus en plus de gens face aux conséquences sociales et humaines de la mondialisation économique. Vous soulignez très justement le foisonnement de mouvements d'idées que cela engendre mais aussi leur disparité.

Comme on avait déjà pu l'observer lors des premiers rassemblements internationaux de la mouvance alter-mondialiste, les motivations et les approches peuvent être fort différentes. L’inspiration peut aussi bien en être d'ordre philosophique, spirituel, religieux, politique, environnementaliste, militant, matérialiste, utilitariste, etc.

Vous souhaitez, en tant que président du Centre d’Action pour un Personnalisme Pluraliste (CAPP), susciter la rencontre des différentes approches. Il serait effectivement enrichissant d'élargir les horizons et de faire se côtoyer les différentes actions dans le cadre d'une réflexion personnaliste. Je trouve votre démarche très intéressante car, si elle réussit, elle contribuera certainement à donner un souffle plus profond à certaines initiatives et à ceux qui les portent.

Souffle spirituel

C’est vrai que l’on perçoit les prémices d’un retournement intérieur qui pourrait être le départ d’un grand changement. Je crois cependant que, s’il n’est pas porté par un souffle spirituel, tout ce mouvement naissant pourrait être détourné par la capacité d’adaptation et de récupération du capitalisme, le «développement durable» et le «capitalisme vert» en sont des exemples.

S’il est relativement facile de s’entendre sur les «déficits» du monde d’aujourd’hui, il risque d’être beaucoup plus difficile de s’entendre pour en définir les causes et rechercher les vrais remèdes. En effet, le matraquage médiatique et publicitaire conditionne les esprits et risque de brouiller les pistes de réflexion.

C’est probablement déjà le cas en ce qui concerne les campagnes médiatiques sur le thème «il faut sauver la planète». D’une certaine manière c’est de la manipulation, car ce n’est pas la planète qui est en danger, elle en a vu bien d’autres et elle est toujours là. C’est l’humain et l’humanité qui sont en danger, pas la planète.

Ce sont les modes de production, de distribution et de consommation, qui mettent directement en danger certaines formes de vie et la société humaine. Le réchauffement climatique n’en est qu’une des conséquences.

Le «développement durable» est plus un slogan qu’une réalité, il va de paire avec le «Capitalisme vert». Les dirigeants politiques et économiques se mobilisent autour de ces concepts pour combattre «techniquement» les effets du dérèglement, mais ils ne prennent pas en considération les causes culturelles et morales qui sont à la base du dérèglement.

Comme le disait si bien Jacques Ellul, le monde d’aujourd’hui «est tout entier livré à l’esprit de puissance, au dérèglement, à l’orgueil de moyens sans bornes et qui nous absorbent sans réserve possible».

Le but est de créer toujours plus de nouveaux besoins (ou normes règlementaires) pour faire consommer plus et plus vite, afin de pouvoir produire toujours plus, même si c’est inutile. La production n’est plus là pour répondre aux besoins et à la demande des personnes, elle est devenue une fin en soi.

Il faut produire plus et de plus en plus (productivisme), et donc contraindre l’être humain à consommer plus. Pour consommer il faut de l’argent, donc travailler; plus on travaille moins on a de temps à soi et plus on consomme; on dépend donc de la production industrielle. Ce cercle vicieux et infernal confisque peu à peu nos libertés et nos vies.

Mais comment en sortir ? Et surtout qui veut vraiment en sortir ? Car, si beaucoup sont séduits par le «Capitalisme vert» porté aujourd’hui par l’écologie politique, c’est souvent pour des raisons individualistes et matérialistes. Ils espèrent que ces solutions «techniques» règleront les problèmes et permettront de maintenir ces «comportements utilitaires qui font la froideur de l’individualisme marchand». Ce qu’ils veulent, c’est garder le droit de consommer, de posséder, de profiter et de jouir de tout, sans plus avoir à se poser de questions sur le devenir de la planète.

Le personnalisme, cet humanisme intégral...

C’est bien pourquoi je suis, pour ma part, convaincu que le retournement intérieur qui pourrait être le départ d’un grand changement, ne pourra se concrétiser que s’il est porté par un souffle spirituel.

Ce n’est pas d’une approche environnementaliste ou économiste dont nous avons socialement besoin, mais bien d’une approche humaniste pour un développement intégral de l’homme. C'est-à-dire le développement de tout homme et de tout l’homme que la dernière encyclique du Pape Benoit XVI appelle de ses vœux.

Je crois que c’est aussi cet humanisme intégral que Mounier et Maritain défendaient et que donc le Centre d’Action pour un Personnalisme Pluraliste défend à son tour dans un cadre pluraliste.

C’est aussi, me semble-t-il, un véritable humanisme qui anime les «objecteurs de croissance» tant en France qu’en Belgique. Le mensuel «La décroissance» en diffuse courageusement les idées et réalise un excellent travail d’information et de formation. En même temps des groupes de «simplicité volontaire» se constituent pour mettre en pratique, de façon plus personnelle, les idées de la décroissance.

Bon vent et bon courage.

Robert Hendrick

(1) Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(2) Robert Hendrick a été président et député de l'UDRT, parti politique belge francophone aujourd'hui disparu.

mardi 23 mars 2010

Créatifs culturels. Théorie de l'évolution...


Thierry Verhelst s’intéresse de très près aux cultures et aux spiritualités contemporaines. Qui plus est depuis longtemps. Inutile de préciser que le phénomène des Créatifs Culturels n'a pas échappé à cet anthropologue averti. Qui y voit le signe d’une évolution sociétale incontestable. A ne pas idéaliser, certes. Mais à ne surtout pas sous-estimer...

Thierry Verhelst (1)(2)


Ce qui est remarquable dans le phénomène des «créatifs culturels» américains et européens (3), c’est que les media et les politiques ne le captent pas, tant ils sont pénétrés de la conviction que la modernité est la seule manière d’être au monde. L’ancien système ne comprend pas et ne voit rien, dirait-on. Les haut-parleurs de cet ordre, à commencer par l’université et les media, diffusent généralement les valeurs courantes.
Ce qui est plus significatif encore, c’est que les intéressés eux-mêmes s’estiment marginaux et isolés. Interrogés sur le nombre de gens qui partagent leurs valeurs, les «créatifs culturels» se sous-estiment et évaluent à 5% de la population ceux qui pensent et se comportent comme eux.

Action !

Aujourd’hui donc, les «créatifs culturels» sont un fait incontournable. Certes, il convient de ne pas se leurrer au sujet des chiffres américains et européens rapportés ici (3). Il s’agit peut-être, chez certains, plus d’intentions que de changement de comportement réel. Le problème réside dans le passage à l’acte. Admettons donc de revoir à la baisse ces pourcentages impressionnants. Mais ne sous-estimons pas le rôle novateur des minorités. Gardons à l’esprit cette remarque de l’anthropologue Margaret Mead : «Ne remettez jamais en question la capacité d’un petit groupe à changer la situation. Rien d’autre n’y est jamais parvenu.»

Idéal simplifié?

Il ne faut pas non plus idéaliser l’évolution en cours.
Tout d’abord, cette évolution, même si elle est positive, ne nous conduit pas à une société idéale car elle laisse entier le problème du mal en l’homme. Ce n’est pas un paradis sur terre qui se prépare! L’expérience dramatique des messianismes staliniens et hitlériens nous met en garde contre une telle illusion.
Ensuite, il convient d’observer que certaines enquêtes qui révèlent l’avènement de ces nouvelles valeurs font état chez ceux qui les proclament, d’une allergie au politique. Cela pose question.
Où peut aboutir cette allergie au politique, par ailleurs bien compréhensible? L’hostilité au politique ne s’adresse-t-elle qu’aux palinodies vaniteuses et aux slogans superficiels qui trop souvent déparent la politique politicienne? Ou faut-il craindre une démobilisation qui frôlerait le cocooning individualiste.
Un regard plus optimiste verra dans cette désaffection une version originale de la politique de la chaise vide: le système souffre à la longue d’un tel déficit démocratique qu’il en perd sa légitimité.
Si une grande masse de gens sortent du système, dira-t-on, celui-ci ne pourra survivre à terme faute de légitimité. Peut-être… mais nous n’en sommes pas là. Et les partis populistes et d’extrême droite guettent toutes les occasions de détruire la démocratie. Il faut se garder de renforcer le discours néolibéral en dépouillant encore le politique de son rôle dans la société. Il demeure plus que jamais essentiel de s’engager politiquement en ces temps sinistres du «tout-au-marché». L’apport des «créatifs culturels» à un nouveau paradigme culturel, et l’événement concret de celui-ci sont liés indissociablement à l’effacement du néolibéralisme et au dépassement du capitalisme moderniste (3). Pour ce faire, le rôle du politique reste crucial. Il nous faudra d’autres maires tels celui d’Antinopolis, et puis d’autres mahatma Gandi, d’autres Nelson Mandela, d’autres Vaclav Havel pour intéresser les citoyens, et susciter en chacun ce qu’il y a de plus noble.

Thierry Verhelst


(1) Docteur en droit, Thierry Verhelst est anthropologue juridique, consultant, enseignant dans plusieurs universités, responsable d’ONG et prêtre orthodoxe.
(2) Cette analyse est extraite du dernier et remarquable ouvrage de Thierry Verhelst: Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(3) Voir le précédent message de ce blog.

samedi 20 mars 2010

Créatifs culturels. La culture nouvelle est arrivée…


Ils sont apparus aux Etats-Unis.
Ils ont essaimé en Europe.
Ils s’organisent en Belgique.
Mais qui sont donc les Créatifs Culturels...?




Samedi 29 août, place des sciences, à Louvain-la-Neuve.
Ils sont venus. Ils sont là. Et en nombre. Plus de trois cents. Quatre cents sans doute. Davantage peut-être…
Qui ? Les «Créatifs Culturels». Moins souvent mais sans doute plus explicitement appelés «créateurs de culture»…
Peu importe. L’expression n’est qu’une traduction. Venue de l’anglais «Cultural Creatives»…


New american way of life

Car le concept de Créatifs Culturels est né aux Etat-Unis. D’une bonne poignée d’individus réunis autour des dénommés Paul Ray et Sherry Anderson. Pendant une quinzaine d’années, l’équipe dirigée par ce sociologue de l’université du Michigan et cette psychologue de l’université de Toronto a sondé plus de cent mille personnes.
Bilans : une étude, en 1999, sur les «acteurs de changement de société», puis un ouvrage (1), en 2000, dont il ressort que 24% des citoyens américains vivent en marge des deux systèmes de valeurs et de comportements les plus en vue…
. Celui des «Modernistes», tout d’abord. Soit 48 % de la population. Après avoir été considérés au XVIIIe siècle comme «excentrique inoffensif», ce courant a réussi, avec le temps, à rafler la mise, plaçant ainsi au centre du jeu ses références essentielles: l’individualisme, le capitalisme et le divertissement.
. Autre système: celui des «Traditionalistes». Soit 24 % de la population, issus des diverses réactions opposées, à partir du XIXe siècle, au Modernisme. Ici, le «bon vieux temps» sert d’étalon. Aaah ! Mémorable passé que celui où les patriarches guidaient encore la vie familiale… Aaah ! Faste période que celle où hommes et femmes s’en tenaient au comportement que leurs dictaient la tradition… Aaah ! Formidable époque où les comportements immoraux étaient combattus comme il se devait…

Les Créatifs Culturels, eux, refusent de choisir pour l’un ou l’autre de ces deux camps. Ils sont à l’origine d’un nouveau courant fondamental. Bien loin de se conformer aux valeurs modernistes ou traditionnelles, cette substantielle minorité est au contraire branchée sur l’éveil intérieur, la féminité, la solidarité et l’écologie.
Eveil intérieur donc, via le poids accordé à l’introspection, au développement personnel et aux nouvelles spiritualités.
Valeurs féminines aussi, via, pour faire simple, un rapport adouci aux relations et aux choses.
Solidarité encore, via, entre autres, une implication personnelle dans la société, qui se traduit par des engagements locaux et globaux, immédiats et à long terme.
Ecologie enfin, via, par exemple, l’alimentation bio ou les méthodes naturelles de santé.

Plus précisément, les Créatifs Culturels se répartissent en deux populations de plus ou moins 23 millions d’adultes chacune…
. Un noyau central dit «avancé»: celui des «Créatifs Culturels spiritualistes», préoccupés à la fois de justice sociale, d’engagement écologique et de développement «psycho-spirituel».
. Une périphérie qui n'inclut pas vraiment le paramètre spirituel dans son univers: celle des «Créatifs Culturels écologistes», qui auraient tendance à ne faire que lentement, avec beaucoup de prudence, le lien entre l’engagement social et la vie intérieure, ou entre l’écologie et la spiritualité.

Autres caractéristiques des nombreux membres de cette (double) famille socio-culturelle…
. Ils ne supportent plus d’être en contradiction avec eux-mêmes. D’où leur souci de faire ce qu’ils disent et de dire ce qu’ils font. Non, d’ailleurs, sans un certain succès, si l’on en croit Ray et Anderson.
. Ils font preuve d’une grande lucidité…
Lucidité, d’abord, par rapport aux médias qu’un relent d’idéologie moderniste contribuerait à rendre moins conscients de leurs pouvoir d’intoxication que de leur mission d’information.
Lucidité, ensuite, par rapport aux leurres de la société de consommation en général et de la publicité en particulier, qui auraient tendance à tout transformer en spectacle.
Lucidité, aussi, par rapport aux manipulations des grands groupes économiques, qui – au minimum- se dédouaneraient par diverses formes de parrainage de leurs responsabilités sociétales (comme pollueurs, comme destructeurs de la biodiversité, comme pourvoyeurs de cancer…).

Pour les animateurs de l’enquête, aucun doute: les Créatifs Culturels forment un nouveau courant fondamental de la société occidentale. Un courant dont, pourtant, la portée n’a été décelée ni par les médias ni par le monde politique ni par… les intéressés eux-mêmes. Ces derniers, en effet, ont tendance à sous-estimer très nettement leur importance. Au mieux, ils s’évaluent à 5 % de la population. Soit, donc, cinq fois moins que les chiffres issus de l'enquête et des sondages qui ont suivi.

Car autant les Créatifs Culturels représentaient tout au plus 4% de la population nord-américaine à la veille des années 1960, autant ils rassemblent 24% d’adultes à la charnière des XXe et XXIe siècles. Une progression spectaculaire. Et dont on pressent qu’elle se poursuivra. Non sans raisons...

A preuve: en 2008, ce pourcentage flirtera avec les 35% de la population mâture. Soit 80 millions de personnes. Excusez du peu…


French connection

Les travaux de Ray et Anderson ont été relayés un peu partout dans le monde, notamment en Europe où une dynamique s’est créée afin de pouvoir quantifier et qualifier le mouvement des Créatifs Culturels. Impliquant la France, la Hongrie, l'Allemagne, les Pays Bas, la Norvège, l'Italie, puis, trois ans plus tard, le Japon, une équipe internationale a même été constituée, à partir de 2002, afin de dupliquer l’étude initiale dans ces pays.

L’enquête française fait apparaître cinq courants socioculturels, respectivement qualifiés de
. «protectionnistes inquiets» (23%),
. «conservateurs modernes» (20%),
. «détachés sceptiques» (18%),
. «alter créatifs» (21%),
. «créatifs culturels» (17%).

Les deux dernières catégories se recoupent par bien des aspects:
. écologique d’abord (respect de l’environnement et intérêt pour les pratiques de santé naturelles),
. féminin ensuite (reconnaissance de l’importance de la place des femmes dans la société),
. «essentialiste» pour suivre (prise de distance par rapport au besoin de paraître et d’avoir),
. culturel enfin (ouverture culturelle).

Mais les Créatifs Culturels y ajoutent deux dimensions:
. l’intériorité (développement personnel / spirituel),
. l’implication sociétale.

L’introspection à laquelle s’adonnent les représentants de cette ultime famille ne peut donc en aucun cas se réduire à un repli sur le «moi, je». L’«Enquête nationale sur les créatifs culturels français» (2) est on ne peut plus explicite à cet égard, quand elle renseigne la montée de l’«individualisme consumériste» comme un phénomène présentant deux faces bien distinctes…
«D’un côté, on trouve certes ce qui est fréquemment dénoncé comme un repli égoïste de chacun sur la recherche de satisfaction personnelle immédiate au détriment de tout sentiment ou comportement de solidarité avec autrui et de tout intérêt pour le reste du monde et pour l’avenir de la planète, la «me now society». Mais l’autre face existe également: l’expression de la volonté de reconquête par chaque individu de son autonomie dans la construction de son identité afin de mieux maîtriser son rapport aux autres et au monde et ses choix de vie et de consommation. C’est ce second versant qui est à la source des évolutions socioculturelles dont participent les créatifs culturels.»(3)

«Il est néanmoins évident que les créatifs culturels ne forment pas un «groupe» cohérent isolé du reste de la société, explique par ailleurs l’enquête. A vrai dire, l’intérêt de ces recherches sur les créatifs culturels, beaucoup plus modestement mais beaucoup plus utilement, est double :
. permettre à tous ceux qui, isolément, prennent leur part à ces transformations en profondeur de ce qui fera la société de demain, de savoir qu’en fait, ils ne sont pas seuls, de se sentir confortés dans leur capacité d’être, à leur échelle, agents de changement social, selon cette logique, si spécifique à ce mouvement articulant transformation personnelle et transformation sociale;
. donner plus de visibilité à ces valeurs et pratiques sociales innovantes, permettre aux uns et aux autres qui y participent de se reconnaître, de se rencontrer et de nouer des alliances au gré de leurs désirs et de leurs besoins, de constituer des réseaux entrecroisés ouverts et fluides, bref d’innover ainsi dans le champ des pratiques organisationnelles et de l’action collective pour porter plus haut et plus loin leur énergie transformatrice.
»


La Belgique aussi…

Voilà pour la France, où une première rencontre nationale des Créatifs Culturels a eu lieu dans les Cévennes les 31 mai et 1er juin 2008.
Mais d’autres pays se sont inscrits dans une dynamique tout à fait similaire.
Parmi eux, la Belgique (francophone), donc, où la journée néo-louvaniste du 29 août a débouché sur la création d’un site internet et sur l’organisation d’une série d'activités qui, au-delà de leur diversité, ont en commun d'être beaucoup plus axées sur l'émotion, l'intuition et le ressenti que sur la raison.

Les Créatifs Culturels de Belgique (4) peuvent notamment compter sur l’appui d’un magazine «socialement engagé», Imagine, dont l’ambition affichée est de favoriser «l'épanouissement de réseaux de «créatifs culturels». Ces réseaux dans lesquels des citoyens porteurs de changement (un quart de la population déjà !) se reconnaissent, se nourrissent et se retrouvent. Pour donner vie à un autre projet de société.»

«Les créatifs culturels sont constamment à la recherche de sens dans l'information, poursuit le rédacteur en chef, André Ruwet. Ils aiment apprendre de manière intime et personnelle, ils recherchent un mode de connaissance engagé et engageant, taillé dans la matière riche, viscérale et sensuelle de la vie. Ils veulent avoir une vision en grand angle de la société, sont tout autant passionnés par le détail des histoires personnelles que par le sort de la planète entière. L'authenticité, c'est-à-dire la concordance entre ce qu'une personne dit et ce qu'elle fait, est très importante à leurs yeux. La plupart sont convaincus que, s'ils ne sont pas impliqués dans un projet, leurs convictions ne sont que des paroles en l'air.
60% d'entre eux sont des femmes, ce qui implique une certaine manière d'envisager les questions de compassion et d'entraide, l'organisation de la vie familiale, l'importance attachée au relationnel et à la responsabilité envers autrui. Avec l'émergence des «créatifs culturels», une certaine vision féminine du monde est en train de quitter la sphère privée pour se retrouver sur le devant de la scène publique.
Les «créatifs culturels» ont une conscience sociale très développée et sont optimistes, quoique mesurés, à propos de l'avenir. Ils refusent l'idéologie du «toujours plus», le cynisme dominant que l'on nous présente comme du réalisme.
»

Le mouvement, en tout cas, prend son essor en Belgique.

En Belgique aussi…


Christophe Engels


(1) Ray Paul H. et Anderson Sherry Ruth, The Cultural Creatives. Fifty Million Who Will Change the World, Harmony Books, New York, 2000.
Traduction française : L’émergence des créatifs culturels, Enquête sur les acteurs d’une changement de société, éditions Yves Michel, Gap, 2001.
(2) Michel Yves (sous la direction de...), Les Créatifs Culturels en France, éditions Yves Michel, Gap, 2007.
(3) L'enquête précise aussi que l'on peut aisément retrouver la marque de ce second versant «
dans les manifestations suivantes de ces nouvelles orientations culturelles…
. La valorisation croissante du «développement personnel» et l’intérêt pour toutes les démarches et tous les outils d’aide à l’auto-production de soi.
. Un recentrage de ses priorités sur l’être plutôt que sur le paraître ou l’avoir.
. Un recul, voire une méfiance et un rejet à l’égard de toute structure ou institution assignant de l’extérieur à l’individu son mode de pensée, de vie et de comportement social, et notamment les églises et les partis politiques.
. Plus particulièrement, la reconquête de son autonomie dans la gestion de sa santé, dans l’éducation de ses enfants et, plus généralement dans ses modes de vie et de consommation, notamment alimentaire.
. La recherche d’un rapport aux autres et d’une sociabilité fondés sur la reconnaissance mutuelle et la valorisation de la diversité des identités (notamment valorisation de la diversité hommes/femmes et de la place des femmes dans la société, mais également valorisation de la diversité des cultures et de l’apport des autres cultures dans la construction d’une société multiculturelle).
. La valorisation des solidarités de proximité, mais également à l’échelle de la planète, la lutte contre les inégalités et pour un meilleur partage des richesses.
. Le souci d’un vivre ensemble plus harmonieux, de la paix, et de l’avenir de la «maison commune», l’engagement écologique et pour le développement durable.
»
(4) Créatifs Culturels de Belgique: www.creatifsculturels.be et contact@creatifsculturels.be

jeudi 18 mars 2010

Projet relationnel, clap ! Deuxième...


Bonne nouvelle : votre blog "Projet relationnel" accueillera bientôt des "messages" consacrés à d'autres thématiques émergentes.
Et - innovation - bon nombre d'entre eux seront désormais traités par des spécialistes de la question :
. Isabelle Cassiers (UCL) pour des considérations renvoyant au Produit National Brut et à la croissance économique,
. François Houtart (émérite UCL) pour l'altermondialisme,
. Yannick Vanderborght (FUSL) et Philippe Van Parijs (UCL et Harvard) pour l'allocation universelle,
. Marcel Bolle de Bal (émérite ULB) pour la reliance et la sociologie existentielle.
D'autres, comme Thierry Verhelst, seront également de la partie.
Rendez-vous ici-même dans les semaines à venir...

lundi 15 mars 2010

Elections qualitatives

Ancien candidat aux élections présidentielles françaises,
le... simplicitaire indépendant (!) Pierre Rabhi
n’en démord pas.
Votez sobriété!
Sobriété heureuse.
Sobriétés utopique, féminine, économique, éducative et agroécologique.
Mais aussi sobriété… «naturellement» humaniste.

Une sobriété heureuse, une utopie incarnée, une féminisation des mœurs, une relocalisation de l'économie, une éducation positivée, une écologie agricole: tels sont les grands axes du programme… de vie défendu par Pierre Rabhi.
Sans compter sa revendication ultime: l’humanisme.
Un humanisme de la personne, genre personnalisme? Un humanisme de l'individu, de la collectivité,... voire des "gens", types libéralisme, socialisme ancienne mouture ou cdH (1)?
Non. Un humanisme de la… terre! Façon «Colibri»!
Tel est en effet le nom de l'association portée par les idées du Français (2).
Présentation littérale de ses sept points forts.

1. Sobriété heureuse

«Face au "toujours plus" qui ruine la planète au profit d’une minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond. Elle représente un positionnement politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité.»

2. Incarner l'utopie

«L’utopie n’est pas la chimère mais le "non lieu" de tous les possibles. Face aux limites et aux impasses de notre modèle d’existence, elle est une pulsion de vie, capable de rendre possible ce que nous considérons comme impossible. C’est dans les utopies d’aujourd’hui que sont les solutions de demain. La première utopie est à incarner en nous-mêmes car la mutation sociale ne se fera pas sans le changement des humains.»

3. Le féminin au coeur du changement

«La subordination du féminin à un monde masculin outrancier et violent demeure l’un des grands handicaps à l’évolution positive du genre humain. Les femmes sont plus enclines à protéger la vie qu’à la détruire. Il nous faut rendre hommage aux femmes, gardiennes de la vie, et écouter le féminin qui existe en chacun d’entre nous.»

4. Relocalisation de l'économie

«Produire et consommer localement s’impose comme une nécessité absolue pour la sécurité des populations à l’égard de leurs besoins élémentaires et légitimes. Sans se fermer aux échanges complémentaires, les territoires deviendraient alors des berceaux autonomes valorisant et soignant leurs ressources locales. Agriculture à taille humaine, artisanat, petits commerces... devraient être réhabilités afin que le maximum de citoyens puissent redevenir acteurs de l’économie.»

5. Une autre éducation

«Nous souhaitons de toute notre raison et de tout notre cœur une éducation qui ne se fonde pas sur l’angoisse de l’échec mais sur l’enthousiasme d’apprendre. Qui abolisse le "chacun pour soi" pour exalter la puissance de la solidarité et de la complémentarité. Qui mette les talents de chacun au service de tous. Une éducation qui équilibre l’ouverture de l’esprit aux connaissances abstraites avec l’intelligence des mains et la créativité concrète. Qui relie l’enfant à la nature à laquelle il doit et devra toujours sa survie et qui l’éveille à la beauté et à sa responsabilité à l’égard de la vie. Car tout cela est essentiel à l’élévation de sa conscience.»

6. L'agroécologie, alternative indispensable

«De toutes les activités humaines, l’agriculture est la plus indispensable car aucun être humain ne peut se passer de nourriture. L’agroécologie que nous préconisons comme éthique de vie et technique agricole permet aux populations de regagner leur autonomie, sécurité et salubrité alimentaires tout en régénérant et préservant leurs patrimoines nourriciers.»

7. La terre et l'humanisme indissociables

«Nous reconnaissons en la terre, bien commun de l’humanité, l’unique garante de notre vie et de notre survie. Nous nous engageons en conscience, sous l’inspiration d’un humanisme actif, à contribuer au respect de toute forme de vie et au bien-être et à l’accomplissement de tous les êtres humains. Enfin, nous considérons la beauté, la sobriété, l’équité, la gratitude, la compassion, la solidarité comme des valeurs indispensables à la construction d’un monde viable et vivable pour tous.»

(1) Centre Démocrate Humaniste (parti centriste belge francophone).
(2) Colibri - mouvement pour la Terre et l’Humanisme (Paris) : http://www.mvt-terre-humanisme.org/ Colibris en Belgique (Nethen): s’adresser à http://www.maisondd.be/

vendredi 12 mars 2010

Deux visages pour un seul simplicitaire : moi, je et nous tous


La simplicité volontaire se veut éthique de vie. Elle n’entend donc pas se contenter de mener à l’épanouissement individuel. Le plaisir d’une vie simple ou l’authenticité d’une cohérence entre discours et comportements, d’accord! Mais pas question d’en rester à ce seul type de projet esthétisant qui tendrait à la reléguer au rang du développement personnel! En tant que simplicitaire, «je» me dois de poursuivre la quête d’une démarche globale. Qui s’appuie sur un mode d’existence tout en sobriété. Le seul, à vrai dire, qui me paraisse soutenable pour l’homme et la planète de demain.


Bref retour sur le Forum «Vers la simplicité» du 27 février dernier (1). L’intervention de Christian Arnsperger ne passe pas inaperçue. Il existerait deux types de simplicitaire, avance notamment l’économiste et philosophe de l’UCL : les moi,je et les nous tous. Et seuls les deuxièmes pourraient légitimement revendiquer un brevet d’authentification.
Fût-ce en d’autres termes, cette thèse était déjà défendue par Emeline De Bouver dans son ouvrage «Moins de biens, plus de liens» (2). Bienvenue à l’enrichissement intérieur! Mais uniquement comme point de départ. Oui à la recherche d’autonomie et d’authenticité, donc, si et seulement si elles contribuent à nous rapprocher de l’autre et de la nature!

Moi, je: l’autonomie par la richesse… intérieure

La simplicité volontaire m’invite à une existence à la fois «extérieurement plus simple et intérieurement plus riche» (3). Car la restriction de mes biens matériels n’est qu’un aspect du problème. Elle doit déboucher sur de nombreux autres changements: diminution de mes besoins en revenus, réduction de mon temps de travail et, de là, accroissement de ma disponibilité à ces facteurs de bien-être que sont, par exemples, la réflexion, les relations humaines ou la solidarité.
Loin de la ressentir comme une souffrance, je vis donc plutôt cette simplicité comme une délivrance. Car elle me permet de progresser sur le chemin de l’autonomie. Tout juste convient-il de ne pas oublier le conseil de Majid Rahnema: ne pas confondre la «pauvreté choisie» d’un «art de vivre dans la sobriété et la convivialité» avec la «misère» d’un état de dénuement qui, en s’imposant, se fait dégradant et injuste (4)

Moi, je encore: l’authenticité par le confort… non matériel

La simplicité ne suffit donc pas. Encore faut-il qu’elle se fasse volontaire. Qu’elle soit assumée. Et qu’elle m’oblige même à un effort.
Celui-là même qui entend prendre le pas sur le confort. Le confort matériel en tout cas. Car ce qui est recherché, c’est un autre type de confort. Un confort non matériel. Un confort qui, dans mon for intérieur, se construit sur le socle d’un refus et d’une triple exigence.
- Un refus, tout d’abord: celui du rythme effréné induit par la société.
- Une triple exigence aussi:
. celle, affective, des plaisirs simples et écologiques de la rencontre, de la relation avec mes proches, du lien avec la nature;
. celle, cognitive, d’une vie conforme à mes idées;
. celle, éthique, d’un recentrement sur ce qui donne sens à ma vie. (5)
«La simplicité volontaire s’occupe tout autant de repenser la vie matérielle traditionnelle des gens, leur sécurité, leurs revenus, que d’incarner de nouvelles valeurs moins matérialistes telles que l’écologie ou la solidarité», explique la susnommée De Bouver (6).
Impossible, par conséquent, de qualifier de simplicitaire le quidam qui se contenterait d’y aller de quelques timides fluctuations dans ses habitudes de consommation. La simplicité volontaire est une démarche qui ne se réduit pas au seul fait de réfréner mes compulsions d’achat. Elle suppose une conversion radicale de mes valeurs. Sous peine de faire de moi ce que Juliet Schor appelle un simple «downshifter» (7), un adepte du changement à la petite semaine.
Rappelons-le (8): la simplicité volontaire porte des valeurs qui sont fort proches de celles des créatifs culturels. Et qui peuvent donc être ramenées à quatre pôles: l’éveil intérieur, la féminité, la solidarité et l’écologie.
Comme simplicitaire, j’entends donc replacer au cœur de la société l’intériorité et la convivialité, de même que l’autre et la nature. Je veux revivifier les rapports humains et naturels pour en faire les moteurs de notre vie en commun. D’où la fin de non recevoir que j’oppose aux modèles de développement occidental et de croissance économique infinie.
Il ne saurait donc être question de badiner avec la simplicité volontaire. Ni d’y picorer ici et là l’un ou l’autre petit ingrédient isolé. La remise en cause préconisée n’a rien de périphérique ou de superficiel. Elle est, au contraire, globale et profonde.
«Quelques initiatives éparpillées ou la limitation de l’action aux domaines dans lesquels il est facile d’agir ne recouvre donc pas l’entièreté de la démarche de simplicité volontaire», insiste la jeune femme d’Ottignies (9).
Si j’évite d’acheter des bananes fabriquées dans de mauvaises conditions sans, dans le même temps, me soucier le moins du monde des t-shirts, j’ai tout faux.
Si j’oublie que social, économique et environnemental forment une unité indissociable, je suis busé.
Car la simplicité volontaire est un tout.
Par quoi ce mouvement semble moins individuel, social ou écologique que culturel. Tel est en tout cas l’avis de notre interlocutrice…
«Si, comme Thierry Verhelst, nous attribuons à la culture le rôle essentiel de la «quête et la dation de sens » (10), la simplicité volontaire me semble trouver clairement sa place dans le pôle culturel.» (11)

Théorie et pratique du nous tous

A l’instar du capitalisme, la simplicité volontaire valorise un sujet entrepreneur de lui-même, un individu qui gère l’évolution de sa «petite entreprise» personnelle.
Ce faisant, elle est parfois récupérée par le néo-libéralisme. Elle devient alors un prétexte rêvé pour mieux me replier sur moi-même.
Rien de tel, cependant, pour la mouture authentique de ce courant de pensée. Qui ne mange pas de ce pain là. Et qui ne se conçoit pas sans ouverture à l’autre.
Moi, simplicitaire pur jus, je cherche donc à me distinguer de l’homo oeconomicus. A rejeter le choix de la liberté absolue prônée par le mode de pensée capitaliste. A remplacer le lien de compétition par la relation de coopération.
Solidarité avec l’humanité, respect de la nature: pour vivre heureux, vivons reliés!
En théorie du moins.
Car en pratique, les choses ne sont pas toujours aussi claires. La simplicité volontaire se vit «à des niveaux très différents selon les individus, reconnaît notre guide. Parfois même, la dimension globale en semble absente. Peut-être cette absence trouve-t-elle sa source dans le transfert de la simplicité volontaire d’une personne à l’autre. En effet, comment communiquer par sa seule pratique la globalité de la démarche que vit l’individu? Est-il possible de convertir par le seul exemple? (…) Une solution se trouve peut-être dans les modèles de société proposés par les membres eux-mêmes: des collectivités plus petites où la présence d’autorités, même locales, permettrait de garder un système d’incitants (reconnaissance sociale) et de sanctions.» (12)
Car, quels que soient les obstacles à surmonter pour l’atteindre, l’objectif reste le même: rejoindre l’autre et la nature. Ceux d’aujourd’hui, bien sûr. Mais aussi ceux de demain.

Christophe Engels (d’après Emeline De Bouver)


(1) Voir l’article «Engagez-vous, qu’ils disaient…».
(2) De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008.
(3) Elgine Duane, Voluntary Simplicity. Toward a way of life that is outwardly simple, inwardly rich, Quill, New York, 1981.
(4) Rahnema Majid, Quand la misère chasse la pauvreté, Fayard/Actes Sud, Paris, 2002, p.1, p.117.
(5) cfr. De Bouver Emeline, ibidem, p.18.
(6) De Bouver Emeline, ibidem, p.31.
(7) Schor Juliet, The overworked American. The unexpected decline of leisure, Basic Books, New York, 1991, p.115.
(8) Voir le précédent article : «Moi, simplicitaire…».
(9) De Bouver Emeline, ibidem, p.108.
(10) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmatan, Paris, 2008, p.135.
(11) De Bouver Emeline, ibidem, p.32.
(12) De Bouver Emeline, ibidem, p.111-112.

mercredi 10 mars 2010

Moi, simplicitaire…


Son niveau d’études est élevé. Il est plus souvent qu'à son tour considéré comme un peu marginal par son entourage. Il regarde, en effet, avec un certain malaise l’incarnation du tout au matérialisme et à l'individualisme que véhicule notre société. Et s’il se sent riche, c’est en capital… culturel et en ressources… sociales. Son nom? «Simplicitaire»...

«Simplicitaire».
Un néologisme venu du Québec.
Et qui signifie «adepte de la simplicité volontaire».
Mais qui est-il exactement?
A quoi ressemble-t-il donc?
Et quel est son profil? (1)
Présentation...

Priorités alternatives

Les choix de vie du simplicitaire renvoient le plus souvent à un cocktail de motivations diverses :
. un souci environnemental,
. une quête de sens et de spiritualité,
. un besoin de justice sociale,
. des préoccupations portant sur sa propre manière de consommer,
. des problèmes d’argent ou d’endettement,
. des ennuis de santé, du stress ou de l’épuisement. (2)
 «La simplicité volontaire passe par cette rupture qu’est la prise de conscience» précise Emeline De Bouver (3).
«Pour rentrer dans une telle démarche, il faut vivre dans un certain mal-être et avoir envie que cela change» renchérit le président des amis de la Terre, Ezio Gandin. (4)
A partir de là, cependant, la convergence d’approche n’est plus nécessairement parfaite entre compagnons de route simplicitaires.
L’attente, par exemple, n’est pas toujours la même par rapport à la manière d’équilibrer témoignage, réflexion et action. «Certains sont même critiques de la manière dont se traduit parfois l’engagement au sein d’associations : on ne quitte pas une certaine forme de consommation si ce sont toujours les mêmes qui font la formation.» (5)

L’altermondialiste, ce cousin éloigné…

Le simplicitaire, pourtant, n’est pas contestataire dans l’âme.
Là se situe d’ailleurs peut-être sa principale divergence avec les alter-mondialistes.
«Ces activistes s’insurgent contre les politiques néolibérales», écrit Emeline De Bouver.
Pour eux, «un autre monde est possible dans lequel les individus et les collectivités peuvent participer aux décisions qui affectent leur avenir et celui de la planète. (…)
La simplicité volontaire pourrait entrer dans ce mouvement très vaste. 
En effet, ses actions sont locales tout en reposant sur une logique globale. Et elles sont aussi pragmatiques, concrètes et directes. 
En revanche, dans la simplicité volontaire, le côté militant (au sens d’une entrée en lutte sociale) du mouvement altermondialiste est très peu présent, voire entièrement absent. (…)  
La simplicité volontaire part de l’idée selon laquelle il faut commencer par se développer soi-même avant de pouvoir agir sur le collectivité. (…)
La volonté n’est pas du tout d’imposer un mode de vie, mais plutôt d’arriver (…) à montrer aux autres une des voies possibles à suivre.» (5)

Le créatif culturel ? Un frère pour moi…

Ainsi, si le simplicitaire cherche autant que l’alter-mondialiste à s’épanouir dans un système qui ne lui correspond pas, il ne ressent pas, lui, le besoin de tout changer et de recréer la société selon d’autres principes.
Il préfère, a priori, se replier sur lui-même ou dans une communauté réduite qui partage ses idées. Une option qui le rapproche du créatif culturel. Qu’il retrouve fréquemment dans les mouvements Slow (6), RESs (Réseaux d’Echange des Savoirs), SELs (Systèmes d’Echanges Locaux), GACs (Groupements d’Achats Communs)… Et dont il épouse étroitement les valeurs intérieures, féminines, solidaires et écologiques. «Comme les simplicitaires, il importe aux créatifs culturels de faire correspondre les actes de leur vie quotidienne avec leur conception du monde et leurs valeurs personnelles.» (5)
Fort bien.
Mais alors, quelle différence?
Se situerait-elle dans l’accentuation encore plus manifeste que fait porter la simplicité volontaire sur le minimalisme?
Ou alors dans le rapport entre raison et émotion, le simplicitaire accordant autant de poids aux deux termes de l’équation alors que le cœur du créatif culturel balancerait plus volontiers vers le cerveau gauche et l’intuition?
A moins que cette ultime spécificité ne vaille pas au-delà de la petite Belgique francophone?
Autant d’imprécisions qui trouveraient sans doute avantage à être approfondies. Même si elles ne doivent pas faire oublier l’essentiel : «80% des créatifs culturels sont partisans de la simplicité volontaire». (7)
Simplicitaires et créatifs culturels, même combat... intérieur!

Christophe Engels (d'après Emeline De Bouver)

(1) Il existe une abondante littérature sur le sujet. Mais nous nous sommes plus spécialement penché sur un ouvrage en particulier (sur lequel, d’ailleurs, nous reviendrons), celui de Emeline De Bouver: De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008.
(2) Les quatre premières de ces «portes d’entrée», présentées par ordre d’importance, sont reprises à Emeline De Bouver (ibidem) qui, pour les deux autres, se réfère à Dominique Boisvert (Dominique Boisvert, L’ABC de la simplicité volontaire, Ecosociété, Montréal, 2005, p. 29).
(3) Licenciée en sciences politiques, la jeune habitante d’Ottignies s’est fendue d’un travail de fin d’études sur la déclinaison belge de ce mouvement, auquel elle adhère d’ailleurs elle-même. Elle prépare aujourd’hui un doctorat à la Chaire Hoover d’éthique économique, sociale et politique de l’UCL.
(4) Entretien avec Ezio Gandin, in De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008, p. 20.
(5) De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008.
(6) La nébuleuse des mouvements Slow propose un nouveau rapport au temps (Take back your time,…) et, parfois, à la nourriture (Slow Food).
(7) Ruwet André, Magazine-réseau pour créatifs culturels, in Imagine magazine, février 2003.

mardi 9 mars 2010

Simplicité volontaire. L’éternelle résurgence…


Un ton plus bas, les biens matériels ! Les «biens» relationnels ne se contentent plus des seconds rôles. Ils revendiquent dorénavant leur part du gâteau. Et brandissent crânement leur nouveau mot d’ordre : «Moins de biens, plus de liens». Lubie ? Marginalité ? Effet de mode ? Vraiment… ?


Un article dans Le Vif / L’Express par ci. Une carte blanche dans Le Soir par là. Ou alors un Forum qui fait le plein à Louvain-la-Neuve… Mine de rien, la simplicité volontaire semble aujourd’hui avoir le vent en poupe. Non pas, bien sûr, qu’elle soit représentative d’un courant de pensée majoritaire. Mais son succès va croissant.
Reste à savoir de quoi on parle exactement…

Présent : expérience personnelle et choix de vie

En fait, l’idée de simplicité volontaire s’ancre à la fois dans le passé, dans le présent et dans le futur.
Dans le présent ? Oui.
Celui de l’expérience personnelle tout d’abord.
Celui d’un choix de vie aussi. Un choix assumé. Pratiquer la simplicité volontaire, c’est opter en toute connaissance de cause pour un certain souhaitable et pour un certain désirable, explique le politologue et écrivain français Paul Ariès. Un souhaitable et un désirable qui transcendent les mythes du «toujours plus», de la croissance infinie et de cette consommation éternellement inassouvie qui relève de l’addiction.
Telle est en effet la route tracée par le Québécois Serge Mongeau, initiateur du mouvement simplicitaire. On peut vivre mieux avec moins, assure-t-il. On peut aussi travailler moins pour vivre plus. A condition de le décider. Condition suffisante, donc. Mais aussi condition nécessaire. Pas question, en effet, de confondre la simplicité volontaire avec une pauvreté subie et imposée par les circonstances. Pas question non plus de l’envisager comme un ascétisme. Car autant l’ascète se prive volontairement des plaisirs de la vie matérielle, autant l’adepte de la simplicité volontaire n’entend pas fuir le plaisir. Il le recherche au contraire. Mais pour s’y épanouir pleinement. Ainsi s’explique le recul critique qu’il prend par rapport aux soi-disant évidences de notre société de consommation. Le plaisir, oui. Mais le plaisir d’une vie sobre. Il s’agit moins de se priver d’un bien que de choisir de le remplacer par autre chose. Qui apporte davantage.
Car, poursuit Mongeau, un tel dépouillement incite à apprécier, à savourer, à rechercher la qualité. Bref à remplacer la course au «plus» par la quête du «mieux». Exit l’accumulation, place à la conscience…

Passé : innombrables et grandioses précurseurs…

Individualisme dans l’engagement, liberté par rapport au rythme de concrétisation de celui-ci… : certaines caractéristiques de la simplicité volontaire renvoient à la modernité. Mais d’autres rappellent l’idéal-type des sociétés traditionnelles. C’est le cas, par exemple, de la convivialité mise en avant par le mouvement. Ou alors de la soumission à certains principes qu’ont choisi de s’imposer les simplicitaires. (1)
La simplicité volontaire s’ancre ainsi dans le passé. Et pour cause. Elle ne sort pas de nulle part. Les grandes religions, Epicure, Diogène, les Stoïciens, Socrate, Thoreau, François d’Assises, Rousseau, Tolstoï, Gandhi, Schumacher l’ont portée à bout de bras. Tout comme, plus près de nous, les Dumont, Ellul, Gorz (qui parle d’austérité joyeuse), Illich et autre Rabhi (qui vante la sobriété heureuse).
Peut-être la simplicité volontaire pourrait-elle, du coup, être située à la charnière des sagesses/spiritualités de la tradition et des valeurs de la modernité…

Futur : vers un post-capitalisme…

La simplicité volontaire est finalement ancrée dans le futur : celui d’un art de vivre post-capitaliste. Par quoi elle entend faire œuvre pionnière. Et rejoint, en un sens, une constellation d’autres mouvements. Créativité culturelle, développement personnel, écologie, reliance, personnalisme…(2) Mais aussi consommation éthique, finance responsable, responsabilité sociale des entreprises, économie sociale…
Autant de variations sur le thème d’une éthique de la reconstruction.
La fuite en avant économique, non merci !
Place à une croissance revue et corrigée.
Revue à la lumière d’un approfondissement philosophique.
Et corrigée dans le sens d’un élargissement solidaire.

Christophe Engels

(1) Cfr. Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmatan, Paris, 2008.
(2) On y reviendra.

lundi 1 mars 2010

Simplicité volontaire. Engagez-vous, qu’ils disaient…


Au lendemain du remarquable (et remarqué) Forum organisé ce 27 février à Louvain-la-Neuve et intitulé «Vers la simplicité», le moment semble bien choisi pour (commencer à) nous pencher sur la simplicité volontaire. Un mouvement qui a le vent en poupe. Un mouvement, aussi, dont les implications profondes mènent sans doute plus loin qu’on ne croit. Au-delà du bien-être individuel. Au-delà d’une certaine écologie. Voire au-delà du capitalisme...


Elle : Amalia Ruiz Gomez, pharmacienne d’industrie, assistante à la communication en langue des signes pour malentendants et célibataire… jusqu’au treize mars prochain!
Lui : Vincent Golard, ingénieur électronicien, marié et père de deux enfants.
Tous deux sont sensibilisés depuis leur naissance à l’injonction du «ne pas gaspiller».
Tous deux ont construit leur développement personnel autour de cette logique.
Tous deux s’interrogent quant à la manière de l’appliquer au quotidien. Comment mettre en place un rapport différent au temps, au travail, au logement, aux transports…? Comment vivre ce choix matériellement et concrètement au sein de la société de consommation qui est la nôtre? Et une telle perspective est-elle seulement possible sans se couper de toute vie sociale?
Amalia et Vincent se sont donc retrouvés sans surprise dans une association qui milite pour une société moins «vorace» en ressources naturelles : «Les Amis de la Terre».

L’enfance de… l’âne

Leur état d’esprit est assez proche de celui de Mélanie et Bernard Delloye. Qui, depuis une dizaine d’années, estiment avoir fait «le choix de la lucidité» et préféré «l’effort au confort». Il n’y a pas mille solutions pour s’extraire de la confusion générale, assurent-ils. Hors de l’éloignement et du silence, point de salut.
Le couple en a tiré la conclusion qui leur a semblé devoir s’imposer. En 2003, Mélanie et Bernard ont quitté leur métier et leur quotidien. Avec leurs deux enfants, Madeleine (huit ans) et Pierre (six ans). Et aussi avec… deux ânes! Objectif: voyage. Destination: inconnue. Le périple se construirait au fur et à mesure. Au gré des rencontres. Et au fil des eldorados inexploités.
Trois bonnes années et 3.500 km plus tard, les revoici en Belgique. Renforcés par la découverte que d’autres modes de vie sont possibles. Et plus décidés que jamais à s’arracher à la tyrannie de l’immédiat. A prendre goût à la poésie de la vie. A vanter les bienfaits de la lenteur. A communiquer les vertus de la proximité...

La simplicité : un changement intérieur

Entre ces expériences, un point commun: la simplicité. Celle d’un retour aux sources. Des sources moins matérialistes. Des sources moins individualistes. Et, souvent, les deux à la fois.
«Chacun de nous cherche un sens personnel et vivant à son existence, rappelle Thomas d’Ansembourg, auteur de plusieurs ouvrages très appréciés du grand public (1). Faute de le trouver à l’intérieur de soi, nous avons créé une société où tout le monde court hors de soi. Faute d’avoir puisé dans notre puits intérieur, nous faisons de la fuite en avant extérieure. Cette course nous épuise et épuise la planète. Et ceux qui n’ont plus rien à y gagner sont aussi ceux qui n’ont plus rien à… perdre. Ce dont nous sommes de plus en plus nombreux à manquer, ce n’est pas de ressources, mais d’accès à ces ressources. L’intériorité "transformante" est la clé de cet accès. La clé qui permet de passer du "moi" au "nous". Il s’agit à la fois
. de regarder ce que j’ai vu autrement que comment je l’ai vu,
. d’accepter la différence de l’autre,
. de puiser dans l’être pour faire des choix qui soient justes, au-delà de l’ego.
Il faut donc aller de l’ego à l’être. Ce qui implique un démantèlement du système de croyances, une déprogrammation donc, nécessaire étape préalable à une reprogrammation intérieure. Ce genre de processus s’apparente à un développement personnel et spirituel qui doit être considéré aujourd’hui, comme clé du développement social durable. Le développement personnel sert le développement social. Le changement intérieur sert le changement extérieur.
»
Vive, donc, l'intériorité! Et vive la simplicité! Quelles qu'en soient les modalités d'approche...

Made in France : un humanisme… terre à terre !

Pour Aline Wauters, Georges Debaisieux et Alain Dangoisse, cette quête de ressourcement est passée par le chant léger et aérien d’un petit… colibri. Le symbole d’un mouvement (du même nom) qui s’est donné pour mission d’encourager, de relier et de valoriser les projets cherchant à inscrire l’être humain et la nature au cœur des priorités...
«L’interdépendance du vivant est irrévocable, font valoir nos trois compères. Si nous voulons assurer la pérennité et l’épanouissement de l’espèce humaine sur la planète, nous sommes appelés à construire de nouveaux modèles de société fondés sur la sobriété heureuse, l’autonomie, la coopération et la compassion.»
Leur association, "Colibris en Belgique", se profile comme une antenne noire-jaune-rouge du mouvement "Colibri pour la Terre et l’Humanisme" initié par le Français Pierre Rabhi et déjà répandu dans plusieurs régions de l’hexagone. Elle vise, elle aussi, à donner une visibilité et une reconnaissance citoyenne à un ensemble d’initiatives très variées qui contribuent à l’émergence d’une nouvelle société : plus écologique, plus conviviale, plus juste et plus simple.
«Nous travaillons en synergie avec la Maison du Développement Durable de Louvain-la-Neuve, précisent-nos interlocuteurs. Pour le reste, nous fonctionnons avec les moyens du bord. Exemple révélateur : nous n’avons pas encore de site internet. Mais c’est… pour très bientôt! Et pour cause. Il s’agit d’être à pied d’œuvre pour soutenir le Festival que nous organiserons le week-end des 20-22 août prochain, à Nethen, près de Grez-Doiceau (en Brabant wallon)

Made in Great Britain : des projets bien urbains…

D’autres projets ont une vocation plus collective. Donc plus ambitieuse.
«La seconde moitié de l’âge du pétrole se profile à l’horizon, martèle Véronika Paenhuysen, animatrice d’un atelier sur les villes en transition dans le cadre du Forum "Vers la Simplicité". Comme le confirment aujourd’hui de nombreux scientifiques, le "pic pétrolier" est imminent. Il y aura toujours du pétrole dans le sous-sol , mais son extraction deviendra de plus en plus difficile à pratiquer et à rentabiliser. Or nous sommes des "pétroliques". C’est donc la globalité de notre manière de vivre qui doit être remise en question. Deux alternatives s’offrent à nous : subir ou choisir… Partant de ce constat, certains citoyens de notre petite planète ont décidé de prendre leur avenir en main et de rejoindre le réseau des "Villes en Transition". Né en Grande-Bretagne, ce concept s’est rapidement répandu à travers le monde. Si bien qu’il existe deux cents localités en transition à ce jour. Autant d’initiatives pour se bâtir un futur moins gourmand en énergie. Autant de projets entendant limiter les changements climatiques. Autant d’incarnations de la volonté grandissante de développer une meilleure aptitude locale de "résilience" en s’adaptant aux nouvelles contraintes énergétiques, écologiques, sociales et économiques.»
Ces propos, l’architecte-philosophe Eric Furnemont n’est pas près de les démentir. Il s’est en effet impliqué très tôt dans les questions d’écologie appliquée à l’architecture et à l’urbanisme. Et ses recherches concluent à la nécessité d’un renouvellement de notre vie sociale, politique, culturelle… ainsi que spirituelle.
«S’orienter volontairement vers la simplicité est urgent, assène-t-il. Pourtant, le travail est à peine esquissé. Et des questions se posent avec plus d’insistance que jamais. Comment faire vaciller la science positiviste et ses idéaux d’efficacité, la toxicité grandissante du monde, la technique pénétrant jusqu’au cœur du vivant, l’anesthésie médiatique et la mondialisation? Comment faire évoluer la conception d’un individu libre de ses choix et isolé au sein d’un monde "à consommer"? Comment sensibiliser la majorité passive au fait qu’une telle conception est à la base du capitalisme contemporain et de sa grande entreprise de dévastation de nos milieux de vie, de nos savoirs-faire communs et de nos appartenances? Face aux catastrophes écologistes et sociales qui vont bouleverser nos existences, n’est-il pas temps d’envisager une mutation radicale de la conception de la subjectivité? Et de déterminer la ou les direction(s) à emprunter?»

Made in Québec : la simplicité, volontairemiiin...

Dans un tel contexte, l’affirmation d’une tendance à la "simplicité volontaire" n’est pas particulièrement surprenante.
«Les premiers groupes de simplicité volontaire ont été mis en place au Québec, explique un orfèvre en la matière, le président des "Amis de la Terre" Ezio Gandin. C’était au début des années 2000, à l’initiative d’un certain Serge Mongeau. Cette dynamique n’a cessé de se confirmer outre-Atlantique. Mais elle s'est également exportée. Notamment en Belgique francophone. C’est ainsi que depuis 2005, à l’initiative des "Amis de la Terre Belgique", une quarantaine de groupes ont été créés aux quatre coins de notre communauté française. Chacun d’eux rassemble sur une zône géographique peu étendue une dizaine d’adultes, qu’ils soient homme ou femme, jeune ou moins jeune. Chacun d’eux se construit sur le socle d’un engagement fort en faveur du non jugement et du respect de l’autre. Chacun d’eux est appelé à acquérir son autonomie au terme d’une brève période d’accompagnement. Une expérience de partage unique pour celles et ceux qui… restent encore trop souvent considérés comme des extra-terrestres par leur entourage.»

Reliance simplicitaire

Cette approche groupée n’est cependant pas la seule possible. La simplicité volontaire peut également se vivre au singulier. Mais même dans ce cas, elle ne semble pas se concevoir sans dimension collective. Tel est en tout cas l’avis de Emeline De Bouver, doctorante à la Chaire Hoover d’éthique économique, sociale et politique (UCL) et auteure du livre Moins de biens, plus de liens.
«Le simplicitaire (…) ne poursuit pas son seul intérêt personnel et se préoccupe de la collectivité, écrit-elle. (Il) construit sa philosophie autour d’une éthique écologique qui affirme que toutes les choses de l’univers sont interdépendantes. Cette éthique est proche de la notion de reliance. (…)
Il n’existe donc plus d’intérêt strictement personnel, puisque la réalisation des objectifs du simplicitaire passe par le bien-être de ce et ceux qui l’entourent: ses concitoyens et son environnement naturel. Le simplicitaire est caractérisé par son sentiment d’appartenance à un tout qui le transcende.» (2)
«La simplicité volontaire comme démarche individuelle mais aussi collective suppose tout à la fois un engagement sur la voie d’une transformation profonde de nous-mêmes mais aussi de la société, renchérit Marcel Roberfroid, professeur émérite de médecine (UCL) et membre actif des (décidément omniprésents) "Amis de la Terre". Démarche individuelle d’abord, car il faut tout à la fois renoncer à des habitudes solidement ancrées et décoloniser son imaginaire. Démarche collective ensuite. Pour deux raisons: d’une part, ce renoncement et cette décolonisation ne se conçoivent pas sans échange, sans partage, sans encouragement réciproque et sans absence de jugement; d’autre part, il s’agit aussi de s’engager ensemble pour faire naître le changement de la société. »

Du "moi, je" au "nous tous"

Christian Arnsperger, lui, fait référence à deux types de simplicitaire : les "moi, je" et les "nous tous".
«On peut en effet adopter cette attitude pour des raisons diverses, poursuit ce chercheur UCL, spécialiste de la philosophie économique et de la réflexion existentielle. Etre mieux dans sa peau, par exemple. Ou alors favoriser l’empreinte écologique. Mais même dans ce dernier cas, on agit encore quelque part pour soi-même. La cohérence nécessite d’aller plus loin. De prendre conscience qu’une démarche individuelle et isolée de simplicité volontaire ne sert strictement à rien. Et, à partir de là, d’en arriver à politiser notre démarche personnelle. Existe-t-il d’ailleurs un simplicitaire authentique qui soit totalement "moi, je"? Ne cherche-t-il pas toujours, quelque part, à être "contagieux"? A être militant. Attention! Le militant, tel que je l’entends, n’impose jamais. Pourquoi le ferait-il? Il n’en a pas les moyens. Non! Le militant se contente de proposer. Mais il le fait avec fermeté. En veillant, notamment, à ne jamais utiliser le respect de l’autre comme refuge contre les implications de ses choix personnels.»
Pour Arnsperger, être simplicitaire, c’est donc être militant. C’est même être militant de l’anti-capitalisme.
«Le capitalisme n’est pas autre chose qu’une logique globale dans laquelle les ressources publiques sont mises au service d’un maître : le capital. Or, celui-ci est un parasite qui se sert de nos faiblesses pour nous persuader que se projeter dans l’avenir vaut toujours mieux que vivre le présent. Pour arriver à ses fins, le capitalisme requiert nécessairement productivisme et consumérisme. Auxquels il faut dire non! Non au productivisme! Non au consumérisme! Donc, non au capitalisme, en ce compris le capitalisme vert. Etre simplicitaire, c’est donc nécessairement être anti-capitaliste. C’est vouloir relocaliser l’économie. C’est souhaiter une véritable autonomisation locale, via la création de communautés locales résiliantes. C’est ouvrir des espaces de réflexion sur les finalités du système capitaliste. C’est prôner l’avénement d’un "communalisme" fait de diverses entités post-capitalistes, qui pourraient être reliées par des solidarités choisies. C’est s’apercevoir qu’autant la logique capitaliste peut à la limite être individuellement compatible avec l’humanisme, autant elle ne peut jamais l’être globalement.»
Récapitulons… Le capitaliste, en tant qu’individu, n’est pas par définition un salaud. Mais le capitalisme, en tant que système global, ne pourrait que générer effets déshumanisants sur effets déshumanisants. Du coup, il ne saurait être question de se présenter comme simplicitaire sans, dans le même mouvement, s’assumer en tant qu’anti-capitaliste.
On sait à quoi s’en tenir.
Engagez-vous, qu’ils disaient…

Christophe Engels


(1) d’Ansembourg Thomas, Cessez d’être gentil, soyez vrai !, Les éditions de l’Homme, 2001.
d’Ansembourg Thomas, Etre heureux, ce n’est pas nécessairement confortable, Les éditions de l’Homme, 2004.
d’Ansembourg Thomas, Que fuis-je ? Où cours-tu ? A quoi servons-nous ?, Les éditions de l’Homme, 2009
(2) De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleurs Livres, Charleroi, 2008.