mercredi 30 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (45). Mutants spi. La religion, si je veux...















 






La spiritualité est-elle encore soluble dans la religion?
Oui, bien sûr. 
Car autonomie ne signifie pas incompatibilité.
La séparation, si je veux...

On le constate: non seulement la spiritualité ne doit pas se confondre avec la religion, mais elle peut très bien se passer, désormais, de celle qui naguère lui tenait lieu d’indispensable compagne. 
N’allons pas trop loin, néanmoins. 
Spiritualité –même contemporaine– et religion ne sont évidemment pas devenues incompatibles! 
Frédéric Lenoir en veut pour preuve que les grandes religions ont développé en leur sein divers courants spirituels: ceux-ci ont été initiés par des maîtres de vie, des sages et des mystiques qui, d’ailleurs, n’ont pas hésité à décréter la prééminence de l’amour et de la quête spirituelle sur l’appartenance religieuse (1)
Au quotidien aussi, le croyant se doit de s’appuyer sur la spiritualité –ne serait-ce qu’au travers de la prière ou de la méditation–, sous peine de faire de sa religion une coquille vide.  
Seulement voilà… 
À tort ou à raison, la religion n’a plus la cote. 
C’est dorénavant entre une foi de plus en plus clairsemée et un athéisme convaincu, sinon agressif, que campent la plupart d’entre nous: sur le vaste territoire de l’agnosticisme. 
Agnosticisme assumé, incertain ou négligent? 
Agnosticisme à hypothèse de travail religieuse ou athée? 
Peu importe. 
Globalement, près de deux tiers des Européens, sans pour autant revendiquer aucun engagement dans une religion particulière, déclarent qu’ils ne sont pas incroyants (2)
D’où le commentaire de Jean-Louis Servan-Schreiber, hier rédacteur en chef du magazine Psychologies et aujourd'hui directeur du bimestriel Clés
 «Si on a la foi –et ça ne se commande pas plus que l’amour–, une vie spirituelle en découle naturellement.
Mais la vraie foi est rare. 
Et c’est là que les complications commencent, puisque les mystères n’en persistent pas moins.» (3)

La spiritualité en personne

Alors que faire? 
On peut refuser de s’attarder sur les questions qui dérangent ou se débrouiller pour les éviter. 
C’est ce qu’a bien vu Simone Weil en écrivant que «Tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle.» (4)
Oui mais… 
Rien ne garantit que les problèmes éludés ne sont pas appelés à nous rattraper un jour ou l’autre, à l’occasion de l’une de ces multiples difficultés que nous réserve inévitablement notre périple existentiel. 
Pas étonnant, dès lors, d’assister au déploiement d’une spiritualité laïque. 
Celle-ci s’impose de plus en plus comme un recours. 
Chez les athées, parfois. 
Mais surtout chez les agnostiques. 
Et même chez les «proches» des grandes religions.
Voilà qui tombe bien: de plus en plus nombreux sont ceux qui pensent qu’il convient aujourd’hui de refonder l’humanisme en dépassant les clivages qui opposent croyants et non croyants. 
Parmi eux, Frédéric Lenoir, qui conclut de la sorte l'un de ses livres (5)
«Face au péril des fanatismes religieux et de leur vision totalitaire de la société, mais aussi du matérialisme consumériste déshumanisant, notre monde a besoin d’un nouvel élan humaniste qui réunisse tous ceux qui sont attachés à la dignité et à la liberté de la personne humaine.» (6)(7)

(A suivre)

Christophe Engels


(1)
Lenoir Frédéric, Les métamorphoses de Dieu / La nouvelle Spiritualité occidentale, Plon, Paris, 2003.
(2) D’après une enquête de 1999 publiée dans la revue Futuribles, seuls 37 % des Européens prennent nettement positions pour ou contre l’existence de Dieu : 7 % se disent athées et 30% pratiquants convaincus. Pour plus de détails, voir «Que reste-t-il de chrétien en nous?» dans le dernier livre de Frédéric Lenoir: Le Christ philosophe, Plon, Paris, 1997, p. 237 à 267.
(3) Servan-Schreiber Jean-Louis, La spiritualité laïque existe…, dossier spiritualité, Psychologies, n° 181, décembre 1999, p. 74.
(4) Weil Simone, La pesanteur et la grâce, collection Bibliothèque du XXe siècle, Plon, Paris, 1988, p. 35.
(5) Lenoir Frédéric, Le Christ philosophe, Plon, Paris, 2007, p. 299.
(6) Ce message est extrait de Engels Christophe, Touche pas à ma spiritualité!, Perso/Regards personnalistes, n°15, mai 2008, pp.4-9.
(7) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):  
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


samedi 26 juillet 2014

Actu. No comment...




«Mon défunt père a été déporté
dans le camp de concentration de Auschwitz.
Et ma défunte mère 
dans celui de Majdanek. 
Tous les membres de ma famille,
tant du côté maternel que du côté paternel,
ont été exterminés.
Mes deux parents étaient 
du soulèvement du ghetto de Varsovie. 
Et c'est précisément et exactement grâce aux leçons
qui nous ont été enseignées 
à moi et à mes deux frère et soeur
que je ne garderai pas le silence
tant qu'Israël commettra ces crimes 
contre les Palestiniens.
Et je trouve qu'il n'y a pas plus dégueulasse
que de profiter de la souffrance 

et du supplice de mes parents 
pour justifier les actes de torture, 
de sauvagerie et de destruction immobilière
qu'Israël commet chaque jour contre les Palestiniens.
Si vous aviez un coeur, vous auriez pleuré 
pour les Palestiniens.
Et non pour le passé.»  

Propos tenus par le politologue juif Norman Filkenstein.
Qui, à tout le moins, donne à réfléchir
dans la mesure où il en appelle à un double courage.
Celui de penser contre soi-même.
Et celui de renoncer à la facilité des grilles de lecture préformatées.  


vendredi 25 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (44) Militants spi. La spiritualité nouvelle est arrivée





La spiritualité contemporaine?
Un ressenti 
qui s'éprouve
au croisement 
de deux ou trois types d'appel...
Appel personnel 
d'une vie intérieure.
Appels transpersonnels 
au monde et/ou à l'univers.
Et éventuellement appel à Dieu.





La spiritualité contemporaine apparaît comme un espace de sens. 
Mais ce sens est plus intuitif que raisonné. 
Au lieu de s’appréhender dans le rationnel, il concerne le vécu. 
Loin de se penser, il s’éprouve. 
Spontané ou 
favorisé, ce ressenti accompagne un double mouvement:
• celui qui appelle à s’affranchir du moi exclusif,
• celui qui autorise à dépasser le singulier de la personne.
Si la spiritualité indique une direction, c’est donc celle de la sortie. 

Exit le «tout à l’ego»! 
Une quête de paix intérieure incite non seulement à s’échapper de la prison des intérêts égocentriques et égoïstes pour s’aventurer à travers les idéaux du soi (1), mais aussi à franchir TOUT ou PARTIE d’un cheminement consistant à
• rejoindre autrui (l’autre choisi et connu, voire les autres, inconnus, indifférents, adversaires, sinon ennemis),
• se relier au monde et/ou à l’univers,
• établir le contact avec Dieu
(2).
 

Elémentaire, ma chère personne...

Sortir du moi, donc, pour mieux entrer en communion avec le monde, avec l’univers, voire avec Dieu: on retrouve là une manière assez traditionnelle d’envisager le concept de spiritualité. 
On pourra en revanche s’étonner de voir celui-ci aspirer la relation à l’autre. 
Peut-être doit-on déceler dans cet élargissement sémantique le signe d’une influence du bouddhisme. 
Celui-ci considère en effet qu’au-delà des convictions religieuses, il existe un deuxième niveau de spiritualité.
«C’est ce que j’appellerais la spiritualité élémentaire, explique le dalaï-lama. 

Il s’agit des qualités élémentaires de base: la bonté, la gentillesse, la compassion, le souci de l’autre. 
Que l’on soit croyant ou non-croyant, cette sorte de spiritualité est essentielle» (3).
La voie la plus directe pour accéder à la spiritualité serait-elle donc celle du transpersonnel, sur laquelle on s’engage seul, sans trop savoir où elle nous mènera?
Ce chemin, en tout cas, s’apparente à un processus permettant à quiconque de sortir du moi et même du soi. 
Il s’agit en effet d’aller doublement plus loin. 
Plus loin en soi, d’une part. 
Plus loin hors de soi, d’autre part: vers l’autre, les autres, le monde, l’univers, voire Dieu.
 

Trois appels en... présence

La spiritualité s’éprouve donc au croisement de deux ou trois types d'appel...
• Appel personnel d’une vie intérieure, d’un sentiment d’exister aussi intimement qu’harmonieusement (intériorité).
• Appels transpersonnels qui supposent de se sentir relié à autrui, au monde et/ou à l’univers par autre chose que des nécessités pratiques ou des liens formels (spiritualité laïque).
• éventuellement, appel de Dieu (spiritualité religieuse).
Construite sur l’intériorité –socle indispensable mais insuffisant pour parler de spiritualité–, la spiritualité se décline donc selon plusieurs modalités qui peuvent se ramener à ces deux grandes lignes de force que sont la spiritualité laïque et la spiritualité religieuse.
• L’intériorité, c’est une déliance
(4) par rapport au passe-droit de l’ego et une reliance avec soi: elle se traduit par une remise en cause de cette vision du monde individualiste qui engage à ne penser qu’en fonction de «moi» et à n’agir que pour «moi».
• La spiritualité laïque, c’est une reliance
– altruiste restrictive (avec l’autre choisi et connu),
– altruiste collective (avec l’autre des communautariens: celui qui me ressemble),
– altruiste inconditionnelle (avec l’autre universel: autrui en général),
– écologique (avec le monde),
– et/ou cosmique (avec l’univers).
• La spiritualité religieuse, c’est une reliance avec Dieu.
(5)(6)

(A suivre)

Christophe Engels


(1) Le soi, rappelons-le en nous inspirant de Paul Ricoeur, est un pronom qui ne prend pas par hasard la forme réflexive. Sa signification est à l’avenant. Elle renvoie à une relation de réflexivité qui désigne un mouvement partant d’un point pour y revenir. Le soi a le caractère du pli. Il sort de lui-même pour revenir à… soi, non sans avoir profité du passage par autrui pour se transformer.
(2) Peu importe ici, évidemment, qu’il s’agisse d’un Dieu chrétien, musulman, hindouiste ou autre.
(3) Dalaï-Lama et Cutler Howard, L’art du bonheur, Robert Laffont, Paris, 1999, p. 277.
(4) Encore un mot initié par le psychosociologue belge Marcel Bolle de Bal.  

(5) Ce message est extrait de Engels Christophe, Touche pas à ma spiritualité!, Perso/Regards personnalistes, n°15, mai 2008, pp.4-9. (6) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


mardi 22 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (43). Mutants spi. Une spiritualité bien sentie



Pour la plupart d’entre nous, 
la spiritualité est appréhendée 
comme une aspiration 
à se mettre à l’écoute 
d’une partie plus noble de soi-même.
Je ressens, donc je suis.
 
«Ce qui distingue les états d’en haut de ceux d’en bas, c’est, dans les états d’en haut, la coexistence de plusieurs plans superposés», écrit Simone Weil (1)
Pas étonnant, dans ces conditions, que la spiritualité n’exclue a priori ni la religion ni l’éthique ni la morale ni la sagesse (2)
Elle peut en effet très bien faire cause commune avec des «consoeurs» qui, comme elle, ont le souci de privilégier l’être par rapport au faire et à l’avoir.
Reste qu’il convient de ne pas confondre les unes et les autres. 
Spiritualité, religion, éthique, morale et sagesse ont chacune leurs spécificités propres. 
Car si elles cherchent toutes à rencontrer un objectif assez semblable, elles se distinguent par leur manière de l’atteindre. 
Pour accéder à l’être,
• la première (la spiritualité) conseille d’éprouver,
• la deuxième (la religion) de croire,
• les troisième et quatrième (l’éthique et la morale) de -bien- penser,
• la quatrième (la sagesse) de vivre sa pensée.
 

Ressenti 

Ainsi,
• là où la religion prône la foi et –de moins en moins– l’observance dogmatique,
• là où l’éthique et la morale requièrent –au minimum– la cohérence normative,
• là où la sagesse recommande une existence bâtie sur la réflexion philosophique,
la spiritualité suggère le ressenti, voire l’inspiration et le pressentiment.
Pour la plupart d’entre nous, la spiritualité est appréhendée comme une aspiration à se mettre à l’écoute d’une partie plus noble de soi-même pour accéder à une impression intime: celle de sortir par le haut de sa quotidienneté et de tisser avec la communauté des humains, le monde et/ou l’univers un lien transcendant les habituelles contingences pratiques. 
Ressenti, donc, plutôt, que raisonnement. 
Impression plutôt que réflexion. 
Avec, évidemment, un danger sous-jacent: celui de cette spiritualité alibi que Simone Weil préfère aborder sous le nom de «transposition». 
«Transposition: croire qu’on s’élève parce qu’en gardant les mêmes bas penchants (exemple: désir de l’emporter sur les autres), on leur a donné des objets élevés» (3). (4)

(A suivre)
 


(1) Weill Simone, La pesanteur et la grâce, Plon, collection Bibliothèque du XXe siècle, Paris, 1988, p. 91.
(2) Laissons provisoirement de côté l’intériorité que nous avons appréhendée –pour faire simple– comme une partie de la spiritualité.
(3) Weil Simone, La pesanteur et la grâce, collection Bibliothèque du XXe siècle, Plon, Paris, 1988, p. 93. 

(4) Ce message est extrait de Engels Christophe, Touche pas à ma spiritualité!, Perso/Regards personnalistes, n°15, mai 2008, pp.4-9.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):  
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


mardi 15 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (42). Mutants spi. Pas morte, la spiritualité!

 


Pas morte, 
la spiritualité!
Une certaine spiritualité
du moins.
Libérée de la religion.
Affranchie de l'éthique 
et de la morale.
Autonomisée de la sagesse.
Et repositionnée 
par rapport à l'intériorité.

Désormais épurée et dépouillée de son écorce dogmatico-institutionnelle, la spiritualité du XXIe siècle apparaît bien éthérée, elle qui, dans sa nouvelle acception, ne se distingue plus clairement
• ni de la religion,
• ni de l’éthique,
• ni de la morale,
• ni de la sagesse,
• ni même de l’intériorité.
Et pourtant, la spiritualité a bien sa spécificité propre…

Spiritualité n’est pas religion

Pour dissocier le spirituel du religieux, il convient tout d’abord de répondre à une interrogation préalable: qu’est-ce qu’une religion ?
Doit-on, comme Auguste Comte, estimer que ce mot provient du latin «religare» (relier)?
C’est une première possibilité qui met l’accent sur une aptitude à relier. 
Relier le croyant à Dieu. 
Et/ou relier les fidèles entre eux (autour d’une foi commune).
Cependant, une deuxième étymologie peut être proposée. 
Elle renvoie à une autre origine latine: «relegere» (relire). 
Sous cet angle, la religion s’apparente plutôt à une pratique de relecture, celle-ci portant soit sur des textes considérés comme sacrés soit sur tout ou partie de l’univers.
Cette activité renvoie dès lors à un processus permettant à l’homme de sortir de lui-même, avec, à la clé, une remise en cause de sa vision du monde.
Spécialiste en sciences des religions, Frédéric Lenoir englobe, d’une certaine manière, ces différents codes d’accès quand il explique que la religion est collective et culturelle.
(1)
Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. 
Cette approche lui sert avant tout à différencier la spiritualité qui, comme foi ou comme recherche de sens, serait, elle, éminemment universelle et individuelle: universelle par l’aspiration dont elle fait l’objet, individuelle par sa déclinaison dans le vécu. 
Croyants ou non, religieux ou non, nous sommes donc tous plus ou moins touchés par la spiritualité. 
Mais chacun d’entre nous l’est à sa façon. 
Le mot spiritualité permettrait ainsi de distinguer au mieux la religion communautaire de cette quête d’absolu qui, de près ou de loin, nous anime tous, spécifiquement mais systématiquement, dès lors que, nous interrogeant sur le sens de la vie ou nous demandant s’il existe d’autres niveaux de réalité, nous nous plongeons dans un authentique travail sur nous-mêmes.
D’une part, donc, un processus religieux aux relents communautariens
(2)
De l’autre, une démarche spirituelle de type universaliste. 
Selon le philosophe français, la religion doit ainsi être considérée comme le langage symbolique qui explique à un groupe social ce qu’il faut croire et faire, l’inclination spirituelle se rattachant, elle, à la confrontation (intime) de chacun d’entre nous à la question (universelle) de l’énigme de l’existence (1)
Un autre philosophe, Régis Debray, ne dit d’ailleurs rien d’autre quand il parle de «quête inspirée [faisant] vivre au singulier, comme un tressaillement plutôt qu’une adhésion, un effort de rejointoiement que les religions –c’est leur générosité– aménagent à grande échelle». (3)
Spiritualité n’est donc pas religion.

Spiritualité n’est ni éthique ni morale

Comment définir l’éthique et la morale aujourd’hui? 
La question, complexe, dépasse de très loin le cadre de ce message. 
Contentons-nous donc, ici, de mettre l’une et l’autre dans le même sac (4) pour considérer, avec le philosophe Alain Renaut, que «Dans les deux cas, la sphère désignée est celle des jugements évaluatifs sur ce que l’on doit faire ou sur la manière dont il faut concevoir une vie bonne, c’est-à-dire une vie conforme au bien ou au devoir» (5).
Qu’est-ce qui fonde l’éthique et/ou la morale? 
Est-ce le devoir, le bien, la justice…? 
Ou alors est-ce le bonheur, le plaisir, l’utilité…? 
Toute l’histoire de la philosophie morale n’a pas suffi à apporter de réponse définitive à cette question.
Dans tous les cas, cependant, ce qui meut aujourd’hui la démarche éthique est, selon le philosophe belge Philippe Van Parijs (Université Catholique de Louvain), «le souci de cohérence, le souci de formuler explicitement, et de la manière la plus simple possible, un ensemble de principes qui confèrent une unité à l’ensemble de nos jugements moraux face aux circonstances les plus diverses.»
(6).
Spiritualité, qui ne se réduit pas à un tel souci de cohérence normative, n’est donc ni éthique ni morale.

Spiritualité n’est pas sagesse

Spiritualité serait-elle plutôt sagesse? 
Caramba, encore raté!
Certes, l’une et l’autre ne font pas nécessairement mauvais ménage: elles se côtoient souvent au sein d’une même personne. 
Mais tel n’est pas forcément le cas. 
Pas question, donc, de les confondre. 
L’une naît en effet d’un ressenti, l’autre d’une réflexion sur l’existence. 
L’une s’apparente à un vécu, l’autre à une philosophie incarnée. 
Non qu’il y ait incompatibilité: on trouve –essentiellement en Orient– des sages inspirés, voire mystiques, tels les swamis indiens. 
Simplement, un sage n’a pas NÉCESSAIREMENT de dimension spirituelle: il peut –surtout en Occident– fonder sa discipline de vie sur la raison consciente, comme les stoïciens.
Spiritualité, qui s’éprouve avant de se penser, n’est donc pas sagesse, qui se pense plutôt qu’elle ne s’éprouve.

Spiritualité n’est pas intériorité

Spiritualité serait-elle alors intériorité? 
Certaines enquêtes pourraient le laisser croire. 
Et pourtant…
La spiritualité a une dimension centripète, certes, mais, en en tirant la conclusion qu’elle s’assimile à l’intériorité, on oublierait de prendre en compte sa composante centrifuge. 
Une spiritualité à la seule échelle humaine s’éprouve en effet aux confins de deux besoins:
• celui, centripète, d’intériorité et de ressourcement,
• celui, centrifuge, d’une reliance
(7) qui nous «raccroche» à autrui, au monde et/ou à l’univers.
Pour cette raison au moins, spiritualité n’est pas –ou pas seulement– intériorité.
(8)(9) 


(A suivre)

Christophe Engels


(1) Lenoir Frédéric, Les métamorphoses de Dieu / La nouvelle Spiritualité occidentale, Plon, Paris, 2003. 
(2) Les philosophes communautariens (Alistair MacIntyre, Michael Sandel, Charles Taylor, Michael Walzer…) entendent substituer à l’individu universel, abstrait et désincarné du libéralisme politique un homme appréhendé en tant que sujet engagé au sein d’une ou plusieurs communauté(s). Ils veulent ainsi empêcher que l’être humain ne soit coupé des attaches communautaires (histoire, valeurs, relations, solidarités…) qui donnent sens à son existence.
(3) Debray Régis, Les Communions humaines. Pour en finir avec les religions, Fayard, Paris, 2005, p. 131.
(4) «L’usage des deux termes peut parfois être différencié, mais ces usages distinctifs sont toujours conventionnel.» (Alain Renaut, La philosophie, Paris, 2006, Odile Jacob, p. 414).
(5) Renaut Alain, La philosophie, Paris, 2006, Odile Jacob, p. 414.
(6) Arnsperger et Van Parijs Philippe, Éthique économique et sociale, La Découverte, Paris, 2000, p. 8 à 10.
(7) Avant d’être repris par d’autres, comme Edgar Morin, ce mot séduisant a été initié par le psychosociologue belge Marcel Bolle de Bal, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). 

(8) Ce message est extrait de Engels Christophe, Touche pas à ma spiritualité!, Perso/Regards personnalistes, n°15, mai 2008, pp.4-9.
 (9) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
.
des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


vendredi 11 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (41) Mutants spi. Touche pas à ma spiritualité !


 










Une spiritualité laïque existe bien.
Nous sommes, en tout cas, 
une majorité à le penser.
Un constat dont on peut se demander 
s’il témoigne d’avantage 
de la sémantique de plus en plus débridée d’un concept 
ou d’un rapprochement entre athées et croyants…


Ils sont de moins en moins nombreux, ceux qui se soucient encore de Dieu au quotidien. 
Ils le sont de plus en plus, ceux qui ressentent un vide spirituel que ni la science ni l’État ni les institutions ne sont en mesure de combler.
La régression, chez nous, des religions traditionnelles n’a donc absolument pas débouché sur un déclin des besoins spirituels. 
Ces derniers, au contraire, sont plus présents que jamais. 
Tout juste ont-ils changé de forme en subissant un double phénomène d’émancipation et d’individualisation.
Conséquence: le principal modèle de l’homme religieux n’est plus le «pratiquant». 
Place, dorénavant, à un «chercheur spirituel» appelé à chercher seul la réponse à ses questions existentielles.
 
L’heure du renouveau a sonné 

En matière de spiritualité, l’heure du renouveau a donc sonné. 
Et, du coup, une question se pose avec de plus en plus d’insistance: de quoi parlons-nous, dorénavant, quand nous recourons à ce terme? 
Les résultats des enquêtes d’opinion révèlent l’urgence d’une mise au point en la matière.
Le mot renvoie-t-il désormais à un ensemble de valeurs morales, à l’amour, à la vie intérieure, à la beauté de la nature, au mystère de l’existence…? (1)
Fait-il référence à une démarche destinée à appréhender le monde non matériel, à un questionnement sur le sens de la vie, à une réflexion sur soi (projets, objectifs, attitude face à la vie), à une forme de compréhension du monde en général, à l’éthique ou à la morale…? (2)
Autant de réponses qui, à tout le moins, manquent singulièrement de précision…

Mot valise

Ainsi, deux constats majeurs s’imposent. 
D’une part, on (re)parle de plus en plus de spiritualité. 
Mais, d’autre part, cette notion s’est faite de plus en plus vaporeuse. 
Tout se passe comme si sa récente notoriété avait été obtenue au prix d’une vertigineuse évanescence. 
D’où l’urgence de s’entendre, d’abord et avant tout, sur une définition. 
Un objectif difficile quand on sait à quel point la signification même du mot divise les intellectuels. 
Voyez, par exemple, Luc Ferry et André Comte-Sponville. 
Pour le premier, il s’agit d’une «aspiration au sacré [qui] se redéploie à partir de l’homme lui-même et du mystère de la liberté». 
Pour le second, une spiritualité ne se conçoit pas sans référence à Dieu. (3)(4)(5)
 

(A suivre)

Christophe Engels


(1) Sondage par téléphone réalisé en France par BVA auprès de 1005 personnes et publié par le magazine Psychologies (1999).
(2) Enquête portant sur «La spiritualité en milieu étudiant», réalisée en Belgique par la société Sonecom pour le compte de l’Université Catholique de Louvain (UCL), sous la direction de Luc Albarello, 2001.
(3) Comte-Sponville André et Ferry Luc, La Sagesse des Modernes, collection Pocket, Robert Laffont, Paris, 1998, p. 721 à 723.

(4) Ce message est extrait de Engels Christophe, Touche pas à ma spiritualité!, Perso/Regards personnalistes, n°15, mai 2008, pp.4-9.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration. 



dimanche 6 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (40) Engagement phi. Devenir à soi-même une question

















Telle est la tâche 
que s'assigne tout qui, 
«mutant» et adepte 
de l'«engagement phi»
s'adonne de près ou de loin 
Objectif lucidité?
Oui.
Mais pour y tendre,  
un détour s'impose.
Celui d'un «décryptage»...


L’anthropologie philosophique propose une double démarche:
. le recours à la lucidité d’un art de me voir,
. le détour par un «décryptage» (1).
«Le philosophe ou l’apprenti philosophe qui fait de l’anthropologie entend d’abord s’examiner lui-même en tant que personne, confie un spécialiste belge de la discipline, Michel Dupuis (voir portrait ci-dessus).  
Car c’est autour de ce qu’il découvre en lui qu’il cherche à organiser tout ce qu’il trouve chez l’homme de l’histoire et chez l’homme contemporain. 
Il s’agit donc avant tout de quitter le stade pré-philosophique du sommeil -qui ignore le problème de l’homme, dans une sorte de cohabitation endormie avec soi- ou de l’inquiétude -hantée par l’absurdité de l’existence- pour devenir à soi-même une question. 
L’anthropologie philosophique est donc plus qu’une attente passive. 
Elle est une interrogation active, une attention, un "recueillement" qui se fait en terme de "Je" ou de "Tu".»
Un bémol, cependant: Karl Marx (2), Friedrich Nietzsche (3) et Sigmund Freud (4) ont formulé des critiques graves qui mettent en cause l’authenticité de ma conscience.
L’apport de ces «maîtres du soupçon» a contribué à accréditer l’idée que je ne suis pas maître de moi, dans la mesure où je suis déterminé par un inconscient. 
Conséquence: la connaissance directe de moi-même est vouée à l’échec.
J’ai besoin d’une aide extérieure.
Le fait que l’homme d’aujourd’hui ait renoncé à se connaître lui-même d’une façon immédiate et transparente empêche-t-il de rester fidèle à la vision d’un sujet capable de traverser cette épreuve de la non-connaissance véritable de lui-même? 
Non. 
Mais une telle lucidité appelle au détour par un art de me décrypter.
La plupart du temps, en effet, ma pensée exprime moins ma «vérité» que mes pesanteurs, mes défenses et mes conditionnements.
Seule, donc, une boucle par l’extérieur, en autorisant un réel dépassement de croyances initialement fortuites, incertaines et circonstancielles, peut autoriser l’accès à une pensée authentique de moi-même.

Demandez le programme…

Pour dépasser ces instances de contrôle qui, plutôt que la réalité de ce que je suis, traduisent, au mieux, une somme d'«habitudes» psychologiques, socio-économiques ou culturelles, l’anthropologie philosophique renvoie autant aux grandes œuvres culturelles (en particulier littéraires) qu’aux découvertes scientifiques, la philosophie gardant, quant-à elle, la possibilité d’interroger ces savoirs particuliers.
Cette conversation entre art et spéculation est nécessaire pour développer une sérieuse méditation sur l’homme. 
Une méditation capable, notamment, d’affronter le poids des sciences humaines.
L’anthropologie philosophique développe donc un travail en dialogue:
. dialogue avec la littérature des Sophocle, Shakespeare, Goethe, Dostoïevski et autre Primo Levi,
. dialogue avec l’art en général,
. dialogue avec les sciences humaines,
. dialogue avec les sciences de la nature biologiques,
. dialogue, même, avec la cosmologie.
«L’anthropologie philosophique a l’ambition de tenir ensemble -fût-ce de manière assez lâche- la somme des concepts proposés, conclut le professeur de l'Université Catholique de Louvain (UCL). 
Elle combine l’unité d’un projet et la diversité de ses contenus.»
Vaste programme… (5)

(A suivre)

Christophe Engels 


(1) On préférera ici le terme de «décryptage» à celui de «décodage» dans la mesure où, en l'espèce, il n'existe évidemment pas de code dont il serait possible de se servir pour décoder ce qui aurait préalablement été codé.
(2) 1818-1883.
(3) 1844-1900.
(4) 1856-1939.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):   
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.