Et qui se fonde
de facto
sur un agrégat
de frustrations,
de ressentiments, de colères
et de protestations.
Paradoxe: autant le populisme se caractérise par la position éminente d’un «leader» charismatique et autoritaire, autant «à cette personnalisation très poussée s’oppose une tendance au collectivisme englobant toutes les classes sociales, reprend Werner Bauer.
Le postulat des populistes est l’existence d’une volonté commune du peuple et d’une vaste homogénéité culturelle.» (1)
Cette conception du peuple regroupe pourtant prolétariat et classe moyenne, voire même fraction non négligeable des catégories favorisées, en une entité présentée comme
● majoritaire,
● homogène,
● monolithique.
«Dans cette perspective, le populisme s'oppose aux marxismes, qui s'adresse spécifiquement au prolétariat ou à la classe ouvrière, analyse Patrice Deramaix.
Le populisme russe, comme le populisme américain, mobilisait le monde rural.
Le populisme d'aujourd'hui mobilise les couches populaires supposées s'enraciner dans la nation perçue comme unicité ethnique.» (2)
Peuple virtuel
Sous cet angle, le peuple est donc appréhendé comme un gigantesque bloc dont chacun des éléments constitutifs serait de mêmes nature et caractère.
Un bloc unique, donc, qui ne laisse aucune place aux tendances contradictoires ou simplement variées.
Cette représentation unificatrice, censée transcender les clivages de classe pour mieux affronter les périls extérieurs, débouche sur la fiction d’une société identitaire qui fait l’impasse sur la qualité des liens sociaux.
Le populisme «ignore la segmentation en classes sociales, en dehors d’une ligne de clivage unique, tranchante, mais fondamentale séparant le peuple des élites, confirme Dominique Reynié.
S’il n’y a pas de classes sociales, il n’y a que des individus. (…)
Le "peuple" est une entité abstraite que l’on ne se préoccupe guère de définir et que représente un leader parlant à une pluralité d’individus, pris dans leur frustration personnelle, dans leur ressentiment personnel et non dans une revendication de groupe ou l’exaltation d’une quelconque cause commune.
Le peuple du populisme est une agrégation de colères individuelles, de protestations disparates, morcelées, et qui n’ont pas grand chose à faire ensemble quand elles ne sont pas purement et simplement contradictoires.» (3)
La vision du monde populiste idéalise donc un peuple appréhendé dans sa dimension culturelle et idéologique.
En outre, elle relève d’une approche émotionnelle...
«Le peuple auquel les populistes font appel, généralement, est un peuple qu'on pourrait dire brute, observe Thériault.
C'est le peuple du sentiment, de la passion, et non pas le peuple de la parole.
On pourrait dire que le populisme essaie de flatter le peuple dans le sens du poil, non pas de le questionner ou de l'interpeller.» (4)
Flatter le «peuple», donc.
Mais pas n’importe lequel.
Un peuple qui se démarque…
● Qui se démarque, d’abord, «de l’élite "assoiffée de pouvoir", "hautaine" et "corrompue", de l’establishment, de la "classe politique"», précise Bauer. (5)
● Qui se démarque, aussi, de l’étranger.
Car le populisme est par ailleurs corrélé à une pensée de type nationaliste.
«C’est l’idéal d’un peuple seul avec lui-même, sans aucune médiation ni parasitage du rapport à soi, fait valoir Reynié.
C’est un peuple, parce qu’il est en butte à ceux qui le gouvernent, mais c’est un peuple national parce qu’il est en butte à l’étranger qui le menace.
Certes, les figures de l’étranger sont multiples, mais elles n’ont pas toutes la même importance.
Dominent largement, jusqu’à l’hégémonie, la dénonciation de l’immigré et le rejet de l’Europe.» (6)
Un ressort identitaire qui, dans certains pays, débouche même sur un populisme de séparation. (7)
(A suivre)
Christophe Engels
[1] Bauer Werner, op. cit.
[2] Deramaix Patrice, op. cit.
[3] Reynié Dominique, op. cit., pp.131-132.
[4] Thériault Joseph-Yvon, op. cit.
[5] Bauer Werner, op. cit.
[6] Reynié Dominique, op. cit., p.13.
[7] Cfr. Reynié Dominique, op. cit., p.153.