lundi 18 juillet 2011

Libéralisme. Rawls: l'individu en personne ?


Faut-il faire
de la position originelle
et du voile d'ignorance (1)
de John Rawls
les outils
d'une banale justification
de l’Etat providence,
voire une caution
de l’offensive néo-libérale?
Une telle interprétation
ne rendrait pas justice
au philosophe.
Qui cherche en fait,
pour bâtir
ses principes de justice,
à contourner le piège
des intérêts particuliers et des calculs égoïstes.
Donc, en un sens, à dépasser les sables mouvants de l'individu pour s'ancrer dans le sol ferme de la personne...

En subordonnant l'inégalité des bénéfices au mieux être des plus désavantagés (1), John Rawls (2) place le sort de ces derniers au centre du jeu.
Ce faisant, il rend ses lettres de noblesse à une justice sociale qui n'a plus pour seule fonction de corriger à la marge les résultats inégalitaires du fonctionnement du marché.
En outre, le fait de prendre explicitement en compte la notion d’efficacité n'empêche pas l'Américain de réaffirmer la valeur centrale de l’égalité, tant pour l'attribution des droits et des devoirs de base que pour les possibilités d'accès aux diverses positions sociales (1).
Placé derrière le voile d’ignorance, je suis en effet appelé à choisir l’égalité, à moins que certaines inégalités ne permettent d’améliorer l’efficacité de la coopération sociale, au bénéfice de celui qui a le moins.
Telle est la justice de Rawls.
Ni simple égoïsme ni pur altruisme, donc.
Et pas davantage marche-pied vers une quelconque conception du bonheur ou du bien.
«Il ne s’agit pas pour l’Etat de rendre heureux des citoyens, explique Vanessa Nurock (3).
Ni de promouvoir une conception du bien particulière.
Mais plutôt de garantir la distribution de biens primaires et d’offrir un cadre permettant la réalisation de leurs projets de vie particuliers.
Le juste est ainsi considéré comme prioritaire par rapport au bien.
» (4)

Décentrement, mode d'emploi

Les écrits de Rawls ne parleront donc qu'à ceux qui accepteront de rester à l'intérieur de ce cadre.
Reste que, pour tout qui y consent, les concepts de position originelle et de voile d'ignorance ne manquent pas d'intérêt.
Car, explique le philosophe français Alain Renaut (5), «En plaçant les participants de ce débat sur la justice sous un tel voile, Rawls se donne en réalité des partenaires sociaux qui, sans être privés des capacité leur assurant la possibilité d’un choix cohérent, sont amputés par ailleurs de toutes les informations particulières dont les individus disposent habituellement sur eux-mêmes et sur les autres.
On aperçoit sans peine la signification d’un tel procédé: il s’agit au fond d’imaginer des individus s’arrachant à ce qui les individualise et s’élevant jusqu’au point où, n’étant plus animés par des considérations procédant de leurs intérêts particuliers, c’est en tant que sujets ou personnes qu’ils réfléchissent sur les principes de justice.
En ce sens, loin d’être extravagante, la supposition du voile d’ignorance est au contraire, comme instrument méthodologique, d’une portée très profonde puisqu’elle nous permet de mettre en scène une situation où c’est proprement, en l’homme, la dimension qui fait de lui un sujet ou une personne qui présiderait à l’établissement des principes de justice: bref, il s’agit ainsi de se donner les moyens de dégager les principes qui seraient en accord non pas avec le simple jeu des intérêts particuliers et des calculs égoïstes, mais avec ce qui correspond proprement, en nous, à l’humanité de l’homme.» (6)
Rawls ne répond-t-il pas en fait à la question «Comment faire...?»: comment faire, en l'occurrence, pour «traduire» l’individu en personne?
Et ne s’empresse-t-il pas de répondre à cette interrogation par la mise à disposition d’une procédure?
Un mode d’emploi, donc, qui –retrouvons ici Alain Renaut– consisterait à produire «un décentrement, en prévenant les déformations de perspectives qu’introduisent les intérêts personnels: cela étant, on peut concevoir la production de ce décentrement à partir de la discussion, par "la participation effective de chaque personne concernée à la discussion" (7); on peut aussi la concevoir par abstraction méthodique de ce qui nous différencie et de ce qui nous individualise.
Dans un cas, ce qui fonde le décentrement, c’est une "discussion réelle"; dans l’autre, le procédé du voile d’ignorance correspond à une sorte d’argumentation de pensée.
» (6)(8)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Voir, sur ce blog, les messages «Libéralisme. Liberté, égalité, austérité.» et «Libéralisme. Rock and Rawls.»
(2) Pour rappel (voir messages précédents de ce blog), le philosophe américain John Rawls, né en 1921 et disparu en 2002, a passé l’essentiel de sa carrière à Harvard. Il a notamment écrit A Theory of Justice, Harvard University Press, Cambridge, 1972. Traduction française: Théorie de la justice, Seuil, coll. Points, Paris, 1987.
(3) Université de Lille III.
(4) Nurock Vanessa, Rawls. Pour une démocratie juste, Michalon, coll. Le bien commun, Paris, 2008, p. 61.
(5) Université Paris Sorbonne.
(6) Renaut Alain, Habermas ou Rawls?, http://enssibal.enssib.fr/autres-sites/reseaux-cnet/60/06-renau.pdf
(7) Cfr. l'«agir communicationnel» de Jurgen Habermas.
(8) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. au libéralisme (d'après Vanessa Nurock, Philippe Van Parijs, Laurent de Briey...),
. au post-libéralisme (d'après et par Laurent de Briey),
. à une présentation de la psychologie positive (par Jacques Lecomte),
. à une approche du bonheur par la psychologie positive (par Jacques Lecomte),
. à une approche du sens de la vie par la psychologie positive (par Jacques Lecomte),
. à plusieurs aspects de la Communication Non Violente et à l'Université de Paix (d'après Marshall Rosenberg, avec l’aide précieuse de Jean-Marc Priels),
. à l’Approche Centrée sur la Personne (d'après Carl Rogers, avec l’aide précieuse de Jean-Marc Priels),
. à la reliance et à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme...

1 commentaire:

  1. Dans le cadre de la commémoration des 450 ans du Colloque de Poissy, le service des musées de la Ville de Poissy propose :

    - l’exposition « Le Colloque de Poissy de 1561. Catholiques et protestants : dialogue et tolérance ? », qui sera présentée du 9 septembre 2011 au 1er juillet 2012, au sein du musée du Jouet, avec les collections du musée d'Art et d'Histoire.

    - le colloque « Le Colloque de Poissy de 2011. Au cœur de la laïcité : dialogue et tolérance », qui se tiendra les 10 et 11 septembre 2011, au théâtre de Poissy.


    Présentation du projet:
    http://www.ville-poissy.fr/fr/decouvrir-poissy/colloque-de-poissy.html
    Programme détaillé du colloque:
    http://www.ville-poissy.fr/fileadmin/documents/Decouvrir_Poissy/colloque_poissy/110531_colloque_8%20pages.pdf


    Inscription au colloque (attention, places limitées) :
    http://www.ville-poissy.fr/fileadmin/documents/Decouvrir_Poissy/colloque_poissy/colloque_bulletin_inscription_20mai.pdf

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