vendredi 28 mai 2010

Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...

Tim Jackson (1) en est sûr.
Fondamentalement, la crise que nous vivons ne résulte ni d’une surveillance laxiste ni de la cupidité individuelle.
Elle est bel et bien systémique.
Car dans ses modalités actuelles, l'économie est «accro»
à la croissance.
Une dépendance qui contribue à la rendre structurellement déficiente.

La logique de la croissance n’est pas seulement irréaliste dans le contexte des limites écologiques d’une planète finie (2). Elle est aussi inefficiente d’un point de vue socio-économique.
Non pas que notre économie, telle qu'elle est aujourd'hui déclinée, puisse se passer d’elle. Au contraire, la croissance est essentielle à la stabilité du système. Mais à un moment ou à un autre, cet impératif finit toujours par mener à l’impasse.
Car il requiert un gain d’efficacité permanent, seul susceptible de faire baisser les coûts pour stimuler la demande et contribuer à un cycle positif d’expansion. Or, ce remède doit composer avec un effet secondaire: la diminution du besoin de main d’œuvre. On a beau tourner le problème dans tous les sens: pour fabriquer la même quantité de produits, il faut de moins en moins de personnel.
Les entreprises ne se privent pas de jouer sur cette variable d'ajustement. Et le spectre du chômage de masse, du coup, de se renforcer toujours davantage. Avec ses conséquences néfastes. Sur le plan social, bien sûr. Mais aussi en matière économique: diminution du pouvoir d’achat, baisse de la confiance des ménages… Autant de facteurs tendant à tirer la demande de biens de consommation vers le bas.
La récession s’installe alors. Avec son impact ravageur sur les finances publiques.
De quoi, souvent, inciter les gouvernements à emprunter davantage.
Parviennent-ils ainsi à maintenir les dépenses publiques et à restimuler la demande? Parfois. Mais le cas échéant, ils accroissent inévitablement la dette publique.
Durant plus de vingt ans, les monétaristes ont réagi contre les niveaux d’endettement public qu'avaient entraînés les programmes keynésiens de dépenses dans les années 1970. Ils ont présenté la dérégulation des marchés financiers comme le meilleur moyen de stimuler la demande. Mais leur stratégie a fini par remplacer la dette publique par la dette privée. Avec les séquelles que l’on sait.

Défaillance systémique

La faute à la défaillance et au cynisme de quelques-uns? Non, proclame Jackson. Le mal est incommensurablement plus profond.
« L’âge de l’irresponsabilité" ne résulte ni d’une surveillance laxiste, ni de la cupidité individuelle. La crise économique n’est pas la conséquence de fautes professionnelles isolées commises dans certaines parties du secteur bancaire. Si irresponsabilité il y a eu, ce fut alors de façon autrement plus systémique, une irresponsabilité avalisée par le sommet avec à l’esprit un objectif clair: la poursuite et la préservation de la croissance économique.» (3)(4)(5)
(A suivre)


Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Tout petit, ma planète....
3. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 45-46.
4. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
5. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mercredi 26 mai 2010

Développement durable. Tout petit, ma planète...


Nom: Jackson (1).
Prénom: Tim.
Nationalité: anglaise.
Fait marquant: dévoilait récemment à l'Université Libre de Bruxelles la version en français d'un livre (2) tiré du rapport (3) préalablement écrit en sa qualité de commissaire à l’économie d'outre-Manche (4).
«Dans la foulée de sa présentation officielle l’année passée, ce document a été accueilli par… un silence poli, raconte-t-il. Pas le moindre écho médiatique pendant une semaine! En revanche, le rapport s’est répandu comme une traînée de poudre sur internet. Par ce biais, et par ce biais seulement, les félicitations et les réactions se sont bousculées. Au point que me voici, ce soir, devant une salle plus grande et plus remplie que jamais auparavant. Pour moi, c’est une sorte de consécration!».
Premières notes de lecture...

Partout dans le monde depuis le début du XXème siècle, la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) a été l’objectif majeur du monde politique.
Et pourtant…
Pour Tim Jackson, cette logique n’est ni réaliste ni efficace ni juste ni épanouissante.
. Pas réaliste dans la mesure où elle se heurte aux limites écologiques de notre «planète finie».
. Pas efficace parce que son mode de fonctionnement appelle inévitablement une impasse socio-économique.
. Pas juste puisque, au mieux, les avantages auxquels elle donne lieu sont fort inégalement répartis.
. Pas épanouissante car, au-delà d’un certain stade, la recherche permanente de la croissance économique ne semble plus favoriser le bonheur humain et peut même l’empêcher.

Irréalisme

«L’idée d’une économie qui ne croît pas est peut-être une hérésie pour un économiste, rappelle l'auteur. Mais l’idée d’une économie en croissance continue est une hérésie pour un écologiste.» (5)
Ce dernier reste en effet fort sceptique devant la réponse conventionnelle qui est apportée à ses interrogations sur le dilemme de la croissance. A savoir le «découplage». Qui mise sur l'innovation, sur le progrès technologique et, de là, sur une reconfiguration des processus de production, puis sur une adaptation des biens et services pour affranchir progressivement l'économie de sa dépendance aux flux de matières.
Découplage, d’accord, répond Jackson. Mais lequel? Découplage relatif, qui désigne une baisse de l’intensité écologique par unité produite? Ou découplage absolu, qui tient également compte de l’accroissement à peu près permanent du volume global de production?
Le premier, en effet, «ne couvre que la moitié du problème. Il mesure uniquement l’utilisation des ressources (ou les émissions) par unité de production économique. Pour que le découplage offre une échappatoire au dilemme de la croissance, l’efficacité dans l’utilisation des ressources doit augmenter au moins au même rythme que ne le fait la production économique. Et pour que les impacts mondiaux liés à l’utilisation des ressources cessent d’augmenter, il faut aussi que cette efficacité continue à s’améliorer au fur et à mesure que croît l’économie. Pour accomplir cette tâche plus difficile, nous devons démontrer l’existence d’un découplage absolu, ce qui s’avère beaucoup plus complexe.» (6)
Un petit exemple vaut mieux qu’un long discours. La société PriceWaterhouse Coopers a estimé à trois pour cent du PIB mondial le coût d’une réduction de 50% des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Or, 3%, c’est à peu près ce qui sépare une économie en croissance d’une économie en stagnation. Le coût en question suffirait donc à signer l’arrêt de mort de la croissance. Et encore… Ce raisonnement ne tient pas compte du devoir moral auquel devraient se sentir tenus les pays riches de contribuer davantage que les pays pauvres à un tel effort. Et certainement pas du scénario moins inéquitable qui, idéalement, devrait prévoir une distribution plus égalitaire des revenus entre pays favorisés et défavorisés.
«Pour être franc, il n’existe à ce jour aucun scénario de croissance permanente des revenus qui soit crédible, socialement juste, écologiquement soutenable dans un monde peuplé par neuf milliards d’habitants.» (7)
La croissance «verte»? Elle est porteuse de nombreux avantages, surtout si elle se décline selon des modalités qui contribuent à soutenir les populations les moins privilégiées. Mais qu’il soit vert ou non, tout plan de relance se construit sur l'hypothèse implicite du retour à un état de croissance permanente de la consommation.
Or, il est «difficile d’échapper à la conclusion qu’à long terme nous aurons besoin de quelque chose de plus.» (8)
Un autre type de structure économique s’impose donc.
«Nous n’avons pas d’autre alternative que de remettre la croissance en question.» (9)(10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
3. Jackson Tim, Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy, Sustainable Developement Commission, Londres, 2009.
4. Dans le cadre d'une Commission britannique pour le développement durable.
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 31.
6. Jackson Tim, ibidem, p. 81.
7. Jackson Tim, ibidem, p. 94.
8. Jackson Tim, ibidem, p. 125.
9. Jackson Tim, ibidem, p. 31.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
11. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

samedi 22 mai 2010

L'allocation universelle en question...



«L'allocation universelle: juste ou injuste ?» (1)



Certains détracteurs de l’allocation universelle trouvent anormal que tout un chacun puisse être amené à recevoir un revenu de la collectivité sans qu’il ne soit question de la moindre contrepartie.
Devant cette objection, on pourrait se contenter de rappeler que la progressivité de l'impôt sur le revenu aurait pour effet de reprendre aux plus nantis (au moins) l'équivalent de leur allocation.
On pourrait aussi se satisfaire de rétorquer que rien n'empêcherait d'instaurer un service civil pour faire exécuter des travaux d'utilité publique.
Mais de telles réponses éluderaient un sujet de fond: celui de la légitimité du principe d'un revenu de base inconditionnel.
Le bien-fondé d’une telle approche, en effet, ne tombe pas sous le sens. C’est la raison pour laquelle Philippe Van Parijs y va d’une réflexion beaucoup plus fondamentale, par laquelle il entend remettre en cause l’idée même de justice qui sous-tend ce genre de réaction convenue.
La justice est affaire de liberté réelle, argumente l’intéressé. Et cette liberté réelle est celle qui permet de diriger ma vie dans la direction que je souhaite. Au-delà du simple droit, elle se calque donc sur mon potentiel d’accès effectif à des biens et à des opportunités. Encore convient-il de la répartir équitablement entre les uns et les autres.
«En première approximation, une distribution juste de cette liberté réelle exige que l’on répartisse d’une manière égale (…) tout ce qui nous est donné.» (2)
Tout? Oui. C’est-à-dire pas seulement les biens que nous obtenons, au départ et tout au long de notre vie, par héritage ou par donation. Loin de là. Car ce type de bien ne représente pas l’essentiel des donations dont nous bénéficions, très inégalement.
«Les rentes associées aux emplois que nous occupons en constituent la composante prépondérante. Que nous occupions ces emplois en raison de talents que nous possédons, de l’éducation dont nous avons bénéficié, de parents ou d’amis qui nous ont informés ou appuyés, de la citoyenneté dont nous jouissons, de la génération à laquelle nous appartenons, ou de la localité où nous habitons, ces emplois constituent un privilège.» (3)
Le philosophe belge se démarque ainsi résolument de la thèse de la «propriété de soi», qui est à la racine de la position néo-libérale, pour mieux rejoindre la perspective de son (regretté) «maître» américain John Rawls.
Mes talents et mes capacités? Ils ne m’appartiennent pas en propre car je n’ai rien fait pour en disposer: le fait d’être mieux doté en aptitudes relève de la «loterie naturelle».
Mieux, ajoute Van Parijs: pas plus que mes talents, l'efficience de mon réseau relationnel ou de mon cadre de vie ne me confère le moindre mérite moral.
Dans cette perspective, l’allocation universelle accède à une authentique légitimité: elle ne fait jamais que contribuer à redresser la barre en faveur de ceux qui, moins «chanceux», ont eu à composer avec un déficit de ce que nous oserons appeler ici «opportunités existentielles».
Conséquence: «Ce que fait l’allocation universelle, ce n’est pas redistribuer par solidarité de ceux qui travaillent à ceux qui ne le peuvent pas, mais donner d’abord à chacun, quels que soient ses choix, ce qui lui revient.» (4)(5)

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p. 75.
(3) Ibidem, p. 75.
(4) Ibidem, p. 77.
(5) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mercredi 19 mai 2010

L'allocation universelle en question....



«L’allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace ?» (1)

Séduisante par plusieurs de ses aspects, l’allocation universelle? Fort bien, répondent les détracteurs de la formule. Mais au-delà de ce côté jardin, n’oublions pas de mentionner le côté cour...
1. D’abord, l’allocation universelle aurait un coût (2).
2. Ensuite, elle ne se concevrait pas sans un taux d’imposition marginal (3) plus élevé. Une «pénalité» dont Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght eux-mêmes reconnaissent qu’elle ne pourrait qu’affecter négativement la motivation au travail du citoyen que je suis (4).
3. A ne pas sous-estimer non plus: les rigidités institutionnelles et comportementales. L'instauration d'une allocation universelle nécessitant une réforme du régime de la taxation, de l'impôt sur le revenu et/ou de son articulation avec les autres impôts, elle se heurterait immanquablement aux résistances qu’entraîne toute innovation. Elle aurait également à se confronter à la mauvaise humeur des organismes appelés à se voir affectés par l’évolution et/ou la disparition de certaines prestations (familiales, syndicales…). Avec les risques de licenciements ou, en tout cas, de changements d'activité qui en découleraient.
4. Enfin et surtout, quid du montant à verser par personne?
S’il était fixé à un bas niveau, le coût du système resterait limité, mais les effets positifs attendus sur l'emploi risqueraient fort de ne pas se produire.
«Les personnes peu, ou pas, qualifiées seraient en effet obligées d'accepter des emplois au rabais ou, à défaut, de se contenter de leur maigre prestation, prévoit Chantal Euzéby, Professeur de Sciences économiques à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble. D'où des risques persistants de dualisation de la société.» (5)
Par contre, si le niveau se faisait à peu près décent (de l'ordre du revenu minimum garanti, à la belge (6) ou même à la française (7)), mon autonomie en matière de choix de travail y gagnerait, mais le coût du système risquerait de devenir rapidement prohibitif et désincitatif pour les employeurs.
«On peut alors s'attendre à un freinage de l'innovation dans les entreprises, reprend la susnommée Euzéby. Et à un affaiblissement du dynamisme économique.» (5)
Ce qui, in fine, pourrait se traduire par une diminution de l’offre de… travail!
Crainte fondée ou non? Telle semble, en tout cas, l’objection la plus convaincante avancée à l’encontre de l’allocation universelle. (8)(9)

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Voir le message «L’allocation universelle est-elle réaliste?» (lundi 17 mai 2010). Voir aussi le site http://www.allocationuniverselle.com/
(3) C'est-à-dire par personne.
(4) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p. 57.
(5)
www.webu2.upmf-grenoble.fr/pepse/IMG/pdf/dico.pdf
(6) 725 euros pour un célibataire sans enfant.
(7) 464 euros pour un célibataire sans enfant.
(8) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... «L'allocation universelle: juste ou injuste?»
(9) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

L'allocation universelle en question...


«L’allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage ?» (1)



Oui, répondent Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght (2). Pour trois raisons.
1. Autant les dispositifs conventionnels contribuent à réduire la pauvreté, autant ils génèrent «un piège au chômage» (ou «piège de l’inactivité») en me pénalisant lourdement dès l’instant où je parviens à (re)trouver du travail.
«Les gains obtenus en effectuant un travail peu rémunéré sont annulés, voire plus qu’annulés, par la réduction correspondante ou le retrait de leur revenu de remplacement.» (3).
Rien de tel pour l’allocation universelle. Puisque j’en conserverais l’intégralité en toutes circonstances, ma situation financière s’améliorerait nécessairement au moment où je rentrerais dans le circuit de l’emploi. Conséquence: le travail «payerait».
2. Mieux: il payerait même dans des domaines aujourd’hui peu rentables. Le secteur associatif par exemple. Là où je me refuse aujourd’hui à envisager des activités dont la rémunération nette est inférieure au revenu minimum garanti, l’allocation universelle contribuerait à les rendre économiquement viables. Elle peut donc être considérée comme une modalité de subvention au travail relativement peu productif.
3. Mieux encore: là où mon accès au travail rémunéré est à ce jour rendu difficile par la nature même des emplois peu qualifiés (contrats souvent précaires, employeurs pas toujours scrupuleux, rémunérations toujours incertaines), l’allocation universelle aurait le grand avantage de me fournir un socle ferme sur lequel je pourrais m’appuyer. En ce sens, elle réaliserait «ce que les économistes appellent une amélioration parétienne : certains s’en trouvent mieux, et personne ne s’en trouve plus mal.» (4)(5)(6)

Christophe Engels
(D'après Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.)

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.
(3) Ibidem, p. 58.
(4) Ibidem, p. 67.
(5) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"
(6) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

lundi 17 mai 2010

L'allocation universelle en question...


«L’allocation universelle est-elle réaliste?»
(1)



Sous l’angle de la faisabilité économique, l’allocation universelle soufflerait le chaud et le froid. La difficulté consiste donc à évaluer la proportion de l'un et de l'autre.

Le chaud tout d’abord. Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght s’en expliquent dans leur ouvrage «L’allocation universelle» (2). Au travers d'un tel dispositif, le paiement de la prestation serait automatique et ne nécessiterait donc aucune procédure administrative particulière. Tout profit pour le citoyen que je suis: je n’aurais plus ni à me coltiner des démarches fastidieuses et humiliantes. Et tout bénéfice pour la fonction publique: elle s’éviterait un travail substantiel et coûteux.
«Il serait toutefois abusif d’affirmer, comme le font parfois des défenseurs de la proposition, que l’instauration d’une allocation universelle équivaudrait à l’installation d’un système de protection sociale ne requérant aucune bureaucratie, n’en reconnaissent pas moins les deux intellectuels belges. Tant qu’elle demeure à un niveau modeste, l’allocation universelle pourra certes entraîner une simplification notable de la fiscalité des revenus et la suppression de nombreuses prestations sociales d’un montant égal ou inférieur, mais elle devra continuer à être complétée, pour une partie des personnes actuellement assistées, par des formes conditionnelles d’assistance et bien sûr par des systèmes d’assurance sociale qui, dûment recalibrés, conservent toute leur raison d’être.» (3)

A côté de ce chaud devenu tiède, l’allocation universelle semble également devoir souffler le froid. Le fait même de pouvoir compter sur un revenu inconditionnel ne risquerait-il pas, en effet, de m’inciter à l’oisiveté aussi longtemps qu’un travail idéal ne me serait pas proposé? Et le cas échéant, cette inactivité ne serait-elle pas appelée à déboucher sur un manque à gagner pour la société?
«Ici encore, il faut prendre garde de ne pas se laisser guider par de fragiles évidences, tempèrent nos guides. Si le travailleur et l’emploi sont tels qu’abstraction faite de cette obligation, le travailleur n’a ni l’envie d’occuper l’emploi ni le désir de le garder, la productivité que son employeur peut en escompter a peu de chance d’être suffisante pour que celui-ci souhaite l’embaucher ou le retenir. (…) Forcer les bénéficiaires du revenu minimum garanti à travailler coûte cher.» (4)
Autant que le chaud précédent, ce froid-là est donc appelé à tiédir.

Reste, néanmoins, un courant d’air plus solidement susceptible d'enrhumer mon enthousiasme. En effet, une prestation indépendante de la composition des ménages n’aurait pas que des avantages (élimination du coût administratif et des atteintes à la vie privée induites par les visites domiciliaires et autres formes de vérification du statut d’isolé ou de cohabitant). Elle aurait aussi un coût. Qu’il s’agirait donc de financer d’une manière ou d’une autre.

Coût démesuré? Non. Car dans la plupart des propositions, l’allocation universelle n’est pas simplement ajoutée aux programmes existants de taxes et transferts: elle s’accompagne d’une réduction, à concurrence de son montant, des divers transferts sociaux conditionnels existants. Du coup, la «douloureuse» s’avérerait de facto beaucoup moins exorbitante qu’initialement redouté.
Elle n’en resterait pas moins effective. D’où la nécessité de trouver des sources de financement possibles...
. Soit qu’elles ramènent à l’imposition: impôt sur le revenu des personnes physiques (création d’un impôt spécifique ou suppression d’exemptions et déductions existantes) et/ou impôt foncier.
. Soit qu’elles renvoient à la taxation: taxe sur la valeur ajoutée, taxes écologiques, taxe «Tobin» sur les mouvements de capitaux spéculatifs et/ou autres (pourquoi pas, par exemple, une surtaxe sur la publicité?).

Reste à se demander si, à court ou à moyen terme, il est réellement envisageable de trouver une majorité politique qui accepte de consacrer tout ou substantielle partie de ces ressources à l’instauration de la dite allocation universelle. En période de crise économique (sans doute structurelle), il y a fort à parier que la probabilité d'une telle issue n'en devienne que plus faible. Et ce quels que soient les arguments de ceux qui voient dans l'inconditionnalité d'un tel revenu le moyen de renouer avec cette (bonne) croissance dont une majorité d’économistes s'accordent à penser qu’elle fait défaut à l’Europe d’aujourd’hui.

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.

(3) Ibidem, p. 53-54.
(4) Ibidem, p. 54-55.

(5) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"

dimanche 16 mai 2010

L'allocation universelle en question...


«Allocation universelle, "revenu garanti", "revenu minimum garanti" : quelle différence ?»
(1)


L’allocation universelle se définit comme «un revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie» (2).
Elle a été très diversement désignée, habituellement par la conjonction d’un substantif – «allocation», «revenu», «dividende», «prime», «salaire» - et d’un adjectif ou complément – «universel», «général», «garanti», «national», «de base», «citoyen», «de citoyenneté», «d’existence».
L’allocation universelle ne se différencie donc pas plus d’un «revenu garanti» que, par exemple, d’un «revenu de citoyenneté» ou d’un «revenu d'existence».

En revanche, elle ne doit pas être confondue avec le dispositif conventionnel de «revenu minimum garanti», connu en Belgique sous le nom de «revenu d’intégration» (725 euros/mois pour un célibataire sans enfant) ou en France sous l’appellation de «revenu de solidarité active» (464 euros).

Aux questions
. «quoi?»,
. «de qui?»,
. «à qui?»,
. «comment?»,
. et «en échange de quoi?»,
le revenu minimum garanti répond
. revenu en espèces et sur une base régulière (en général une fois par mois),
. versé par les pouvoirs publics,
. aux personnes en situation de précarité,
. en tenant compte de la situation familiale de chacun (en couple ou non, avec ou sans enfant(s)),
. et en échange d’efforts consentis à la recherche d’un emploi.

L’allocation universelle se distingue en ce sens que, si elle fait chorus en termes de
. revenu (du même type),
. versé par les pouvoirs publics,
elle entend, elle, destiner ce montant
. à tout un chacun,
. sur une base individuelle
. et en échange de… rien !

Revenu minimum garanti et allocation universelle ont donc, certes, des points communs : tous deux se concrétisent par des prestations
. versées en espèces et sur une base régulière,
. par des pouvoirs publics,
. sans être réservées à des personnes ayant préalablement cotisé.

La deuxième nommée se démarque cependant du dispositif conventionnel par le fait qu’elle est attribuée
. à tous et pas seulement aux plus pauvres,
. sans tenir compte de la situation familiale des bénéficiaires,
. et sans aucune exigence de contrepartie. (3)

Christophe Engels
(d'après Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005)

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p.6.
(3) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle est-elle réaliste?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"

lundi 10 mai 2010

Allocation universelle. Sus à la pauvreté !
















S’il est vrai que la lutte contre la pauvreté est autre chose qu’une forme de charité, la voie de l’allocation universelle ne peut sans doute pas être ignorée.
Pour Yannick Vanderborght (photo du dessus) et Philippe Van Parijs, l’Union européenne serait donc bien inspirée d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Au nom d’un idéal de justice qui accorde à la fois à l’égalité et à la liberté la place qui leur revient... (1)

Yannick Vanderborght (2) et Philippe Van Parijs (3),
Chaire Hoover

Il est indéniable que la sécurité économique est accrue, aujourd'hui comme hier, par l'accès à une activité rémunérée.
Dans le cadre de la Méthode ouverte de coordination de l'Union européenne, les institutions européennes ont ainsi fait de l’inclusion active la pierre angulaire de leurs efforts pour combattre la pauvreté. Au-delà de l’affirmation de lignes directrices qui, par définition, restent vagues et non-contraignantes, cet objectif mérite d’être poursuivi avec détermination. Pourquoi alors défendre une mesure aussi radicalement inconditionnelle? N’est-ce pas chercher à éradiquer l’exclusion en incitant à une dangereuse passivité?
Pas du tout. L’allocation universelle, en effet, n’est pas une alternative résignée au plein-emploi, mais une stratégie pour l’atteindre. Les dispositifs d'assistance classique, comme tous les programmes ciblés dont il a été question plus haut, tendent à creuser un véritable piège de l’inactivité en pénalisant les personnes qui parviennent à trouver un emploi peu rémunéré.
Les gains obtenus sont parfois plus qu’annulés par la réduction correspondante ou le retrait total du transfert. En cas d’allocation universelle, par contre, l’accès à l’emploi, même faiblement payé, peu productif ou à temps partiel, améliore le revenu net par rapport à une situation d’inactivité, l’allocation étant intégralement conservée.

Quand l’Etat social actif s’émancipe…

Contrairement aux apparences, l’allocation universelle constitue donc un élément essentiel d'une politique d'inclusion active. Mais alors qu'une version dure de l'activation constitue un retour au travail forcé, elle offre une perspective totalement différente. En effet, l’absence d’exigence de contrepartie confère aux plus faibles un pouvoir de négociation leur permettant de refuser des emplois abrutissants qui ne leur apportent ni formation ni perspectives d’avenir. Si l’universalité de la mesure en fait un subside à l’emploi peu rentable (en un sens économique immédiat), son inconditionnalité l’empêche de fonctionner comme subvention aux emplois dégradants.

Vers un euro-dividende ?

Il est douteux que l’allocation universelle soit instaurée où que ce soit par une transformation abrupte des régimes de transferts.
Mais il n’est pas du tout illusoire d’espérer que la proposition et l’argumentation qui la sous-tendent puissent non seulement muscler la résistance à la tentation myope de rendre nos systèmes nationaux de redistribution plus ciblés, mais aussi inspirer des réformes substituant l'universalité à la sélectivité.
Il est même permis de penser qu’à mesure que l’impuissance grandissante des Etats-nations nous forcera à penser et réaliser un dispositif de redistribution inter-individuelle à l’échelle de l’Union européenne, l’idée d’allocation universelle s’imposera d’elle-même: un euro-dividende qui pourrait prendre initialement la forme d’allocations familiales universelles financées au niveau de l’Union et distribuées à un niveau variant en fonction du coût de la vie dans chaque Etat membre. A la fois appui et substitut partiel aux politiques régionale, agricole, sociale et démographique de l’Union, un tel euro-dividende serait en même temps la préfiguration d’un modèle social européen enfin rénové en profondeur.
La voie de l’allocation universelle, en tout cas, ne peut être ignorée par quiconque voit dans la lutte contre la pauvreté non une forme de charité à l’égard de miséreux mais une exigence essentielle d’un idéal de justice qui accorde à la fois à l’égalité et à la liberté la place qui leur revient.

Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs,
Chaire Hoover

(1) Cette contribution a fait l’objet d’une première publication : Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs (Chaire Hoover), L’allocation universelle contre la pauvreté, Réseau européen contre la pauvreté, novembre 2009. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(2) Yannick Vanderborght (photo du dessus) est professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis (FUSL) de Bruxelles et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain. Il est membre de la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique et du Basic Income Earth Network (BIEN). Il a notamment écrit L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Philippe Van Parijs).
(3) Philippe Van Parijs est professeur ordinaire à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques de l'Université de Louvain, où il anime la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique depuis sa création en 1991. Il est également professeur invité au département de philosophie de Harvard University depuis 2004 et professeur invité à l'Institut supérieur de philosophie de la Katholieke Universiteit Leuven depuis 2006. Le Prix Francqui lui a été attribué en 2001. Cofondateur du Basic Income Earth Network (BIEN), il est l'auteur de nombreux livres, dont L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Yannick Vanderborght).
(5) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

vendredi 7 mai 2010

Allocation universelle. «Ambitieuse et efficace.»

L’allocation universelle ?
Plus ambitieuse et plus efficace que le revenu minimum, expliquent Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght.
Car elle favorise bel et bien les plus démunis.
Sans, pour autant, avantager les plus nantis. (1)

Philippe Van Parijs (2) et Yannick Vanderborght (3),
Chaire Hoover

La majorité des pays européens ont désormais introduit des systèmes d’assistance sociale qui permettent, en principe du moins, à ceux qui n’ont pas ou peu de ressources de bénéficier d’un revenu minimum.
Il est permis d’espérer que, dans les années à venir, les quelques Etats membres retardataires, l’Italie par exemple, suivent cette voie et mettent enfin en place un tel filet de dernier recours.

Plus ambitieuse que le revenu minimum

L’allocation universelle se veut toutefois plus ambitieuse. Certes, il y a des similitudes: comme les minima sociaux classiques, il s’agit d’un revenu en espèces, en principe financé par l’impôt, et payé sur une base régulière. Mais il y a aussi trois différences essentielles.
. En premier lieu l’allocation universelle est strictement individuelle, alors que les minima sociaux classiques sont attribués en tenant compte de la composition du ménage.
. Ensuite, elle est accordée sur base universelle, c'est-à-dire sans aucun contrôle de ressources. Riches et pauvres la perçoivent, quel que soit leur niveau de revenu.
. Enfin, elle est attribuée sans aucune exigence de contrepartie, que ce soit la disponibilité au travail ou l'obligation de signer un contrat d'insertion.
Cette triple inconditionnalité n'est pas totalement révolutionnaire. Plusieurs pays connaissent déjà des systèmes universels d’allocations familiales, de pension de base et d’assurance soins de santé. Il reste que l’allocation universelle a quelque chose de déroutant: ne serait-il pas manifestement plus intelligent, si l'on cherche à attaquer de front le problème pressant de la pauvreté, de cibler les dépenses sur ceux qui en ont vraiment besoin?

Plus efficace contre la pauvreté

Il serait effectivement insensé de donner une allocation à tous les citoyens si ceci impliquait d'accroître le revenu disponible de chacun d’entre eux. L’introduction d’une allocation universelle n’a cependant pas pour objectif, et n’aurait pas pour effet, de réaliser une amélioration nette de la situation des plus riches. D’une façon ou d’une autre, l’allocation doit être financée, comme n'importe quel autre programme de redistribution.
La plupart des versions de la proposition impliquent une restructuration des dispositifs actuels de transferts sociaux et d’impôt sur les personnes physiques. Concrètement, il s’agirait d’une part de supprimer ou réduire certains transferts en faveur des plus pauvres - mais jamais d’un montant supérieur à l’allocation universelle - et d’autre part d’en finir avec les exonérations fiscales (ou taux réduits) dont les plus riches bénéficient plus que les plus pauvres. Selon le montant de l’allocation universelle, un surcroît d’impôt plus ou moins négligeable ou important devra être prélevé.
Qu’il le soit de manière progressive ou proportionnelle, ce sont bien entendu surtout les plus riches qui y contribueront.
Une allocation accordée même aux riches n’est donc pas meilleure pour les riches. Mais pourquoi serait-elle meilleure pour les pauvres? Il est instructif, à cet égard, de comparer un instant les pays de tradition universaliste, essentiellement scandinaves, à ceux qui, comme le Royaume-Uni, l'Irlande, ou les Etats-Unis, ont le ciblage pour tradition. Tous les indicateurs le montrent, les premiers parviennent bien mieux à réduire pauvreté et inégalités que les seconds. Plusieurs arguments sont généralement avancés pour expliquer ce paradoxe, qui n'est qu'apparent.
. En premier lieu, les programmes de transfert ciblés sont mal connus de leurs bénéficiaires potentiels, qui se perdent dans un maquis d’organismes, de règlements et de catégorisations.
. Deuxièmement, la nature même des programmes ciblés implique de vérifier, parfois de manière intrusive et humiliante, que les bénéficiaires effectifs remplissent bien les conditions d’octroi.
. Enfin, les programmes ciblés assurent très mal la continuité des droits. Les transferts sont partiellement ou totalement supprimés en cas de changement de statut, ce qui n’incite pas les bénéficiaires à prendre des risques pour se réinsérer sur le marché du travail.
En évitant ces trois obstacles inhérents aux transferts ciblés sur les plus défavorisés, le paiement régulier d’une allocation inconditionnelle contribue à asseoir leur sécurité économique. (5)

Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght,
Chaire Hoover

(1) Cette contribution a fait l’objet d’une première publication : Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs (Chaire Hoover), L’allocation universelle contre la pauvreté, Réseau européen contre la pauvreté, novembre 2009. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(2) Philippe Van Parijs est professeur ordinaire à la Faculté des sciences économiques et sociale de l'Université de Louvain, où il anime la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique depuis sa création en 1991. Il est également professeur invité au département de philosophie de Harvard University depuis 2004 et professeur invité à l'Institut supérieur de philosophie de la Katholieke Universiteit Leuven depuis 2006. Le Prix Francqui lui a été attribué en 2001. Cofondateur du Basic Income Earth Network (BIEN), il est l'auteur de nombreux livres, dont L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Yannick Vanderborght).
(3) Yannick Vanderborght est professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis (FUSL) de Bruxelles et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain. Il est membre de la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique et du Basic Income Earth Network (BIEN). Il a notamment écrit L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Philippe Van Parijs).
(4) Pour suivre:
. Allocation universelle. Sus à la pauvreté !
(5) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr . Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mercredi 5 mai 2010

Il était une fois l'allocation universelle...

L’idée d’octroyer sans conditions un revenu de base pour tous n’a rien de neuf. Elle n’en continue pas moins, encore et toujours, à faire débat. Trop radicale, cette «allocation universelle»? Ou alors trop modeste? Rien de tout cela, assurent Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs… (1)

Yannick Vanderborght (2) et Philippe Van Parijs (3),
Chaire Hoover

En 1986, quelques chercheurs et activistes européens fondaient à Louvain-la-Neuve le Basic Income European Network (BIEN), destiné à penser et promouvoir l’idée d’une allocation universelle, ou d’un "revenu de base" pour tous. En 2004, lors de son congrès de Barcelone, ce réseau se transformait en une organisation mondiale rebaptisée pour l’occasion Basic Income Earth Network (4). Il publie une newsletter régulière et a suscité la création de la revue scientifique Basic Income Studies (5). Son prochain congrès aura lieu à Sao Paulo en juillet 2010 et sera ouvert par le président brésilien Lula (6). Les débats qui s’expriment dans le cadre de ces congrès et de ces publications, et plus encore les débats publics très nourris dont l’allocation universelle a fait l’objet dans de nombreux pays, ces dernières années en particulier en Espagne (7) et en Allemagne (8) montrent que de nombreuses questions demeurent ouvertes quant à la proposition d’allocation universelle. Certains la jugent trop radicale, d’autres trop modeste comme instrument de lutte contre l’exclusion. Mais il est clair désormais qu’un débat sur les moyens de vaincre la pauvreté, en Europe comme ailleurs, ne peut plus ignorer l’idée. L’ouverture prochaine de l’année européenne de lutte contre la pauvreté doit être l’occasion de comprendre pourquoi.

Du neuf avec de l’ancien

L’idée d’octroyer à chaque individu le bénéfice d’une part des richesses de la collectivité, sans conditions, est loin d’être nouvelle. Née à la fin du XVIIIe siècle et formulée indépendamment au cours du XIXe siècle par une poignée de penseurs plus ou moins utopistes, elle a fait l’objet d’un début de débat public à divers endroits au cours du XXe siècle. A l’origine, les partisans de l’allocation universelle la présentaient comme une forme de compensation pour l’appropriation des terres par une petite minorité. Ainsi, le socialiste Joseph Charlier publie en 1848, à Bruxelles, une Solution au problème social dans laquelle il affirme le droit de chacun à un "dividende territorial" correspondant à la valeur par tête du territoire national et de ses ressources naturelles. Par la suite, le raisonnement se généralise: nos économies produisent des richesses dont nous sommes collectivement propriétaires, et qui demeurent très inégalement réparties. Une façon commode d’organiser leur redistribution consiste à octroyer à chacun un socle de ressources, qui lui permette de poursuivre librement sa conception d’une vie accomplie. Au fil du temps, la proposition a été défendue par des démocrates américains, des libéraux canadiens, des socialistes néerlandais, des nationalistes catalans et bien d’autres. Aujourd'hui, en Europe comme en Amérique du Nord, ce sont les partis écologistes qui ont porté cette proposition avec le plus de constance, mais on en trouve des partisans dans toutes les familles politiques. Et l’argumentation, peu à peu, s’est faite plus pragmatique: il s’agit d’infléchir nos systèmes de protection sociale pour leur permettre de mieux lutter simultanément contre le chômage et contre la pauvreté. (9)

Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs,
Chaire Hoover

(1) Cette contribution a fait l’objet d’une première publication : Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs (Chaire Hoover), L’allocation universelle contre la pauvreté, Réseau européen contre la pauvreté, novembre 2009. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(2) Yannick Vanderborght est professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis (FUSL) de Bruxelles et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain. Il est membre de la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique et du Basic Income Earth Network (BIEN). Il a notamment écrit L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Philippe Van Parijs).
(3) Philippe Van Parijs est professeur ordinaire à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques de l'Université de Louvain, où il anime la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique depuis sa création en 1991. Il est également professeur invité au département de philosophie de Harvard University depuis 2004 et professeur invité à l'Institut supérieur de philosophie de la Katholieke Universiteit Leuven depuis 2006. Le Prix Francqui lui a été attribué en 2001. Cofondateur du Basic Income Earth Network (BIEN), il est l'auteur de nombreux livres, dont L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Yannick Vanderborght).
(4) www. basicincome.org
(5) http://www.bepress/.com/bis/
(6) Pour plus d’informations, voir Vanderborght, Yannick & Van Parijs, Philippe. L’Allocation universelle, Paris: La Découverte, 2005. (Edition allemande: Campus, 2005; portugaise: Civilizaçao brasileira, 2006; espagnole: Paidos, 2006; italienne: EGEA, 2006; anglaise augmentée: Harvard University Press, en préparation) ; Vanderborght, Yannick & Van Parijs, Philippe. "From Euro-Stipendium to Euro-Dividend", Journal of European Social Policy, 11 (2001), 342-346; Van Parijs, Philippe. "Bottom-up Social Europe", keynote address at the conference ‘The EU’s evolving social policy’, Helsinki, November 2006, www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/documents/DOCH_165__PVP_.pdf.
(9) Pour suivre :
. Allocation universelle. "Ambitieuse et efficace".
. Allocation universelle. Sus à la pauvreté !