lundi 5 septembre 2011

Post-libéralisme. Mains invisibles, non merci !


Le libéralisme, le socialisme et l’écologie
ont un fond commun.
Chacune de ces doctrines
s’en remet à une «main invisible»:
celle du marché,
celle de l’État
ou celle de la nature.
Pour émanciper l’homme dans le dépassement de soi,
une seule parade:
le post-libéralisme,
qualifié d'«humanisme démocratique».
Ainsi pense Laurent de Briey.
A qui, jusqu'à nouvel ordre,
«Projet relationnel» laisse directement la parole... (1)


 
Laurent de Briey

 
La référence à l’humanisme peut-elle être constitutive d’un projet politique spécifique?
Cette question était sous-jacente au livre Le sens du politique. Essai sur l’humanisme démocratique que j’ai publié l’an dernier (2).
Situant l’humanisme démocratique dans le champ des débats contemporains en philosophie politique, j’y ai défendu la thèse selon laquelle l’humanisme démocratique devait, pour avoir une spécificité philosophique et politique, correspondre à la volonté de dépasser la conception du politique dominante aujourd’hui, à gauche comme à droite: le libéralisme politique. 
À partir du cas particulier de la crise économique, je voudrais illustrer en quoi l’humanisme rompt avec le libéralisme sans pour autant revenir au socialisme.
J’indiquerai également en quoi l’humanisme se différencie aussi de l’écologie politique et s’inscrit dans l’héritage de la démocratie chrétienne tout en s’en émancipant.
 
Humanisme et libéralisme

Le libéralisme politique est une conception philosophique considérant que le rôle du politique est la préservation de la liberté individuelle, comprise comme la possibilité d’agir selon ses préférences personnelles en étant préservé de toute interférence des autres personnes.
Cette liberté n’est restreinte que par une limite externe: l’égale liberté des autres individus.
L’État est l’instrument dont se dote la société afin d’assurer cette coexistence des libertés individuelles: il garantit que «la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres».
L’État libéral doit ainsi se préoccuper du juste, c’est-à-dire d’une équitable répartition des ressources (économiques, sociales, culturelles...), mais non du bien, c’est-à-dire des valeurs qui guident ce que les individus font de la part des ressources qui leur revient. 
Contrairement à une idée reçue, le libéralisme politique est compatible avec une régulation importante de l’économie par l’État.
Cette régulation se justifie principalement en raison des nombreuses «imperfections» des marchés économiques réels (déficit de concurrence, «externalités», environnementales notamment...), bien éloignés des conditions de la concurrence pure et parfaite de la théorie économique classique.
La référence au libéralisme politique ne concerne donc pas spécifiquement les partis politiques dits libéraux et défendant une économie de marché peu régulée.
John Rawls, figure centrale du libéralisme contemporain (3), se concevait d’ailleurs comme un penseur de gauche.
Le libéralisme de gauche se distinguera néanmoins du socialisme
. par son attachement à la propriété privée des moyens de production –les privatisations des deux dernières décennies réalisées souvent par des partis socialistes sont ainsi un des signes de leur conversion, au moins partielle, au libéralisme de gauche–,
. par sa volonté d’encadrer le marché plutôt que de s’y substituer –l’abandon du contrôle des prix est un autre signe de cette conversion (4)–,
. par le renoncement à la rhétorique de la lutte des classes au profit de celle de l’émancipation individuelle –d’où l’attention accordée à des discriminations comme celles liées à l’orientation sexuelle–,
. par sa conception de l’État social –le passage du modèle de l’État-providence à celui de l’État social actif est exemplaire sur ce point.
Ce libéralisme politique est porté par un idéal émancipateur que l’on ne peut que partager: vouloir permettre à chacun de poursuivre sa propre conception du bien.
Il a incontestablement été une source de progrès social indéniable dans une société dominée par la tradition et le conformisme social.
Mais il est également l’une des sources de la crise actuelle en raison d’un point commun à ses expressions de gauche comme de droite: la légitimation par l’individualisme libéral de la recherche de la seule satisfaction de leurs préférences personnelles.
La dérégulation est, en effet, un processus moral avant d’être économique et financier. 
La crise démontre que lorsque les individus agissent sur base de leurs seuls intérêts immédiats, le concert des intérêts particuliers ne peut être durablement conforme à l’intérêt général.
Le libéralisme de gauche se contente de souhaiter que le système économique et financier soit fortement régulé par l’État.
Cela revient à vouloir substituer la main de fer de l’État à la main invisible du marché sans remettre en cause la logique de l’individualisme libéral
Certes, l’État doit créer un cadre réglementaire et mettre en place des incitants pour modifier la gouvernance des banques et des entreprises, mais l’enjeu principal est dans la tête de chacun d’entre nous et dans nos comportements quotidiens.
Nous devons prendre conscience que la crise actuelle est aussi une crise de valeurs et que nous avons tous été, à un degré ou à un autre, contaminés par l’idéologie libérale.
Une lecture humaniste de la crise voit donc en celle-ci la démonstration de la faillite d’un système de valeurs qui invite les individus à agir sur base de leur seul intérêt immédiat.
Elle en déduit la nécessité de rompre avec l’individualisme libéral pour lequel la seule limite à la liberté individuelle est externe à celle-ci (la liberté des autres).
L’humanisme lui oppose une conception de la liberté comme autonomie, inspirée de Kant, selon laquelle la liberté, outre sa limite externe, reçoit également une limitation interne: la volonté d’agir conformément à ce que l’on estime bien en fonction d’une morale universelle et non seulement selon ses intérêts personnels.
Qu’il existe ou non une telle morale universelle, que les devoirs et obligations qui en découlent soient ou non connus, n’est pas ici pertinent.
Ce qui importe, c’est la volonté de l’individu de se conformer à l’idée d’une telle morale et d’adopter des comportements qu’il juge compatible avec celle-ci.
Le point de rupture avec l’individualisme réside donc dans l’indissociabilité de l’exercice de la liberté et du sentiment de responsabilité de l’individu vis-à-vis des autres membres de la société.
À la compréhension libérale de la responsabilité exigeant de l’individu qu’il assume les conséquences de ses actes et prenne en charge son bien-être individuel, est opposée une conception de la responsabilité sociale –celle des entreprises par exemple– consistant dans la volonté de contribuer au bien commun. (5)(6)


(A suivre)
 
 
Laurent de Briey


(1) Directeur du Centre d’études politiques, économiques et sociales (CEPESS), proche de ce parti politique de Belgique francophone qu'est le Centre Démocrate Humaniste. Auquel, pour rappel, ni ce blog ni son initiateur ne sont liés de près ou de loin.
(2) Briey Laurent de, Le sens du politique, Wavre, Mardaga, 2009.
(3) Rawls John, Théorie de la justice, trad. C. Audard, Paris, Seuil (La couleur des idées), 1987 et Libéralisme politique, trad. C. Audard, Paris, PUF (Philosophie morale), 1995.
(4) En Belgique francophone, le programme socialiste pour les élections législatives (2010) proposait de réinstaurer un contrôle des prix pour certains biens de base. C’est illustratif d’un retour, suite à la crise, à un positionnement et à une rhétorique dont certains accents sont plus classiquement socialistes.
(5) Paradoxalement, c’est le voile d’ignorance de Rawls qui permet de rendre intuitive cette notion de bien commun: le bien commun, c’est ce que nous jugerions souhaitable si nous étions sous un voile nous dissimulant la place que nous occuperions dans la société et les qualités particulières qui seraient les nôtres.
(6) Le contenu du message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Il a déjà fait l'objet d'une première publication en Belgique francophone: Briey Laurent de, L'humanisme, un projet politique spécifique, in Politique-Revue de débats, numéro 66, septembre-octobre 2010, pp.71-74. Ci-dessus, seuls le titre et le chapeau sont de la rédaction.

3 commentaires:

  1. La 81e saison des Grandes Conférences Catholiques est maintenant complète et elle s’annonce particulièrement riche et variée.




    Le lundi 24 octobre 2011 à 20h30

    Marguerite Barankitse

    Fondatrice de la « Maison Shalom »

    En dialogue avec Edmond Blattchen
    Journaliste



    En 1993, alors que sévissent la guerre civile et les massacres ethniques au Burundi, Marguerite Barankitse n’a pas hésité à recueillir des orphelins et des femmes en détresse, au péril de sa vie. A partir de sa « Maison Shalom », elle a multiplié les centres de soins pour les femmes et les enfants, quelle que soit leur ethnie, et son combat lui a valu d’être honorée des plus grandes récompenses internationales. Plus de 20.000 enfants ont pu ainsi bénéficier de son aide et de ses réseaux d’accueil. Celle qui s’est vue décerner, en 2003, le prix Nobel des enfants, témoignera à notre tribune de la force de vie qui l’anime et de son action au service de la paix et des droits des enfants. Elle dialoguera avec Edmond Blattchen. Le titre de sa conférence : « L’amour pour dépasser la loi ».

    Le mardi 15 novembre 2011 à 20h30

    Frédéric Lenoir

    Philosophe, sociologue et historien des religions



    Depuis 2004, Frédéric Lenoir dirige la rédaction du magazine « Le monde des religions ». Il est également l’auteur d’une trentaine d’ouvrages (essais, encyclopédies, romans), traduits dans une vingtaine de langues. Parmi ses livres de philosophie et de spiritualité, on se rappellera « Le Christ philosophe », « Socrate, Jésus, Bouddha », « Comment Jésus est devenu Dieu » ou encore son « Petit traité de vie intérieure ». Pour notre tribune, Frédéric Lenoir a choisi comme titre de sa conférence : « Dieu en questions ». ./...

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  2. Le lundi 28 novembre 2011 à 20h30

    Peter de Caluwe
    Directeur général du Théâtre Royal de la Monnaie

    Paul Dujardin
    Directeur général du Palais des Beaux-Arts

    Michel Draguet
    Directeur général des Musées Royaux de Belgique

    En dialogue avec Jacques De Decker

    Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et littérature française de Belgique



    Alors que la richesse de la création artistique belge contemporaine est reconnue internationalement, quelques uns des plus éminents représentants de la « culture belge » ont accepté de dialoguer pour nous sur les enjeux auxquels celle-ci est confrontée et sur la dimension qu’elle représente pour la Belgique et pour Bruxelles. Jacques De Decker, le secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et littérature française de Belgique sera le modérateur de cette soirée, consacrée aux « gardiens des temples des muses ».



    Le jeudi 15 décembre 2011 à 20h30

    Eric-Emmanuel Schmitt

    Écrivain



    Romancier, dramaturge, passionné de musique ainsi que d’écriture cinématographique, Eric-Emmanuel Schmitt est l’écrivain francophone contemporain le plus lu dans le monde. Quel autre auteur vivant peut se targuer de voir un de ses livres, «Oscar et la dame rose », figurer dans le classement établi par les lecteurs du magazine « Lire », des œuvres qui « ont changé votre vie » ? Il y est cité aux côtés de la Bible, du « Petit prince » et des « Trois mousquetaires » … Eric-Emmanuel Schmitt a accepté de nous faire partager cet amour profond de l’humanité qui l’habite. Le titre de sa conférence : « A quoi sert la littérature ? » ./...

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  3. ./...

    Le mardi 17 janvier 2012 à 20h30

    Christophe de Margerie

    Président Directeur général de Total



    Répondre de manière durable à une demande d’énergie en croissance impose de relever plusieurs défis : diversifier les sources d’énergie, contribuer à une saine maîtrise de la consommation, limiter les émissions de gaz à effets de serre liées à l’emploi des combustibles fossiles. La transition énergétique dans laquelle notre monde s’est engagé implique ainsi un effort considérable de recherche technologique et d’investissement de la part de l’industrie. Christophe de Margerie, Président Directeur général de Total et personnalité internationale du monde des affaires au grand charisme, a accepté de nous exposer les missions complexes, mais exaltantes, d’un industriel qui se veut responsable. Le titre de sa conférence : « Quelles énergies pour demain ? ».


    Le jeudi 9 février 2012 à 20h30

    Alain Duhamel

    Journaliste, éditorialiste et chroniqueur politique



    Auteur de nombreux essais politiques, éditorialiste et chroniqueur politique reconnu, Alain Duhamel a fréquenté tous les grands hommes politiques français de ces quarante dernières années. A la veille des prochaines échéances présidentielles en France, Alain Duhamel a choisi de dresser pour nous quelques « portraits politiques à l’aube des élections présidentielles ».


    A une date à déterminer ultérieurement

    Edgar Morin

    Philosophe et sociologue



    Philosophe et sociologue de renommée internationale, docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde, Edgar Morin a exercé une forte influence sur la réflexion contemporaine. Depuis vingt ans, il se consacre à la recherche d’une méthode apte à relever les défis de la complexité, tout en étant un observateur attentif de l’actualité. Edgar Morin nous précisera la date de sa venue à notre tribune en septembre prochain.



    Tout au long de cette saison, les Grandes Conférences Catholiques retrouveront la grande salle (« Gold Hall ») de « Square Brussels ».

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    Renseignements & abonnements : Emmanuel Cornu, président des Grandes Conférences Catholiques asbl, avenue Louise 149/21 à 1050 Bruxelles. Tél. (du lundi au vendredi de 9 heures à 12 heures) 02/543 70 99 – Fax : 02/543 70 98 courriel : gcc@grandesconferences.be – site Internet : www.grandesconferences.com

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