jeudi 19 juillet 2012

«Ethique de reliance» selon Edgar Morin versus «éthique de la reliance» d'après Michel Maffesoli... Provocation en duel ou conception duelle?


Edgar Morin 
et Michel Maffesoli.
Deux approches
différentes
de l'idée 
de reliance.
Provocation 
en «duel»?
Non !
Simple 
vision 
«duelle»
des enjeux,
assure 
ce parrain 
de la notion
qu'est 
Marcel 
Bolle de Bal.
Qui distingue
«éthique 
de reliance» et
«éthique 
de la reliance»...

Marcel Bolle de Bal (1)
  
En 1985 sortait de presse le premier ouvrage concernant le concept de reliance (2). 
Auparavant, cette notion avait fait l’objet, de 1975 à 1981, d’une vaste étude pluridisciplinaire sur les aspirations de la population belge, notamment en matière de reliance et de lien social (3)
Quelques années plus tard, en 1996, cette même notion a constitué le thème central d’un livre collectif réunissant les contributions de quarante-cinq chercheurs de différentes nations, experts reconnus dans quinze disciplines scientifiques, relevant des sciences dites humaines pour la plupart, des sciences dites exactes pour quelques-uns (4)
Ce concept a été rapidement adopté au sein de multiples associations ainsi que par des sociologues africains enthousiastes qui y ont vu une clé pour rendre compte des avatars subis par leurs cultures traditionnelles face à l’intrusion de la modernité occidentale, système socio-scientifique à base de division et de déliance (c’est-à-dire de rupture de liens humains et sociaux fondamentaux). 
Malgré cela (ou à cause de cela), il a éprouvé –et éprouve encore– d’indéniables difficultés pour se faire une place au soleil de la sociologie académique en nos contrées dites développées. 

Francs-tireurs

Sans doute le caractère «duel» -à la fois psychologique et sociologique, donc essentiellement psycho-sociologique (5)– de cette notion nourrit-il la réticence des sociologues purs et durs, formatés à certains types de raisonnements, méthodes et analyses? 
Je laisserai aux futurs historiens de nos disciplines le soin de déterminer les raisons des réticences de certains de mes collègues sociologues. 
Il n’empêche. 
Deux sociologues renommés –Edgar Morin et Michel Maffesoli– ont fait exception, ont saisi toute la valeur heuristique  de cette notion,  y ont eu régulièrement recours et s’en sont fait  avec constance et autorité les avocats chaleureux, … ceci sans s’en attribuer indûment la paternité (honnêteté intellectuelle qui mérite d’être signalée …). 
Deux exceptions qui confirment la règle. 
Morin et Maffesoli, quel que soit leur incontestable rayonnement, ne sont pas considérés comme faisant partie du «petit monde» de la sociologie officielle. 
Deux francs-tireurs aux marges de celui-ci. 
Le fait que leurs interprétations, analyses et descriptions du monde contemporain comporteraient des dimensions proches de la psycho-sociologie ne serait-il pas quelque peu dérangeant pour les forteresses disciplinaires repliées sur elles-mêmes, en ces temps de disette financière?
Leur vocation à relier des savoirs trop souvent séparés (sociologie, psychologie, philosophie…) ne constituerait-il pas un crime de lèse-majesté et ne justifierait-il pas leur relatif ostracisme? 
Toujours est-il  que  ces  auteurs prolixes viennent tous deux –convergence fortuite… mais peut-être pas tant qu’il n’y paraît- de consacrer un chapitre de l’un de leurs derniers ouvrages aux rapports entre l’éthique et la reliance. 
Edgar Morin, dans le sixième et ultime tome de La Méthode,  son œuvre maîtresse, intitule un de ses chapitres Ethique de reliance (6)
Michel Maffesoli fait de même dans son livre Le réenchantement du monde,  mais en analysant, lui, l’Ethique de la reliance (7)
Ethique de reliance, éthique de la reliance: deux expressions proches, point toujours aisées à distinguer, et pourtant différentes en leur essence. 
Notions duelles, qui sous-tendent la vision «duelle» (8) de nos deux éminents auteurs: elles sont inséparables, distinctes et complémentaires, forment une paire philosophique, un tout, une entité en deux parties. 
Il se fait que, personnellement, j’avais naguère tenté de cerner cette nature duelle des rapports entre éthique et reliance, les contours spécifiques de l’une et l’autre expression, en conclusion de l’ouvrage collectif évoqué il y a quelques instants (9)
Je ne sais si nos deux sociologues ont perçu ou eu conscience que ces deux expressions n’étaient pas équivalentes. 
Ils ne le précisent pas, en tout cas. 
Point de «duel» entre eux … et pourtant leur vision des enjeux est «duelle», complémentaire. 
Car, à travers la différence de leurs points de vue, leurs analyses sont révélatrices de deux approches personnelles, confortant la nécessité d’identifier la spécificité de chacune des expressions en cause. 

(A suivre)

Marcel Bolle De Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...  
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Marcel Bolle De Bal, La Tentation communautaire. Les paradoxes de la reliance et de la contre-culture, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1985.
(3) Pour une étude détaillée sur la naissance, le développement et le contenu de la notion de reliance, ainsi que sur les enjeux scientifiques et politiques qu’elle porte en elle, voir Marcel Bolle De Bal, « Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques », Sociétés, n° 80, 2003, pp. 99-131.
(4) Marcel Bolle De Bal (ed.), Voyages au cœur des sciences humaines. De la reliance, Paris, l’Harmattan,  2 tomes, 1996.
(5) Ce que notre maître ès-psychosociologie, Jean Maisonneuve, écrit à propos du « groupe de référence » peut s’appliquer, mutatis mutandis, au concept de « reliance :; « il s agit d’un concept  charnière indispensable en psychosociologie, il permet d relier les situations collectives où l’individu est sans cesse immergé (au sein de tel groupe, auprès de tel compagnon) et les processus psychologiques qui confèrent leur sens à ces situations en fonction d’une dynamique personnelle ». Jean Maisonneuve, Introduction à la psychosociologie, Paris, PUF, 1973, p. 155.
(6)Edgar Morin, La Méthode, VI. Ethique, Paris, Seuil, 2004, pp.113-120.
(7) Michel Maffesoli, Le Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps, Paris, La Table Ronde, 2007, pp. 109-130.
(8) Entendons-nous bien : si j’utilise ici le mot « duel », ce n’est pas dans son sens courant de joute entre deux orateurs ou de combat entre deux personnes, mais bien dans son sens grammatical et numérique :  je fais ici référence au “duel”, nombre intermédiaire entre le singulier et le pluriel, tel qu’il existe dans de nombreuses langues (le grec, le slovène, l’hébreu, etc. mais pas le français). Ce nombre désigne ce qui va par deux et forme néanmoins un ensemble, deux qui forment un tout, une entité en deux parties : les deux yeux, les deux mains, le yin et le yang, le bonheur et le malheur, la vie et la mort, l’ombre et la lumière, l’ignorance et la connaissance, etc.
(9) Marcel Bolle De Bal, « Ethique de reliance et éthique de la reliance », in Marcel Bolle De Bal (ed.), op.cit., tome 2, pp. 307-318. 
(10) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Les titre, chapeau et intertitre sont de la rédaction.
(6) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

1 commentaire:

  1. Mesdames, Messieurs,

    Le Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien (CeaQ) est heureux de vous annoncer la parution du livre de Philippe Joron La Fête à pleins bords. Bayonne: fêtes de rien, soif d'absolu (CNRS Éditions) avec préface de Michel Maffesoli.


    Très cordialement

    Le CeaQ


    Le CEAQ (Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien) est un laboratoire de recherche à vocation internationale qui s'intéresse principalement aux nouvelles formes de socialités et à l'imaginaire sous ses formes multiples.

    Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien Bâtiment Jacob
    Bureau 527bis 45, rue des Saint Pères
    75006 Paris
    Tel./Fax : 00 33 (1) 42 86 46 34

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