lundi 9 juillet 2012

Slow Science. Figures d'artisans.


Accepter les exigences 
du métier 
de scientifique 
implique de refuser 
les solutions de facilité 
ou les voies de contournement.
Et aussi de comprendre 
l’importance 
des erreurs 
ou de la répétition.
Rappel à l'ordre 
d'Olivier Gosselain (1).
Qui, coiffant  aussi
sa casquette de poète,
ajoute joliment
que «les arbres 
à croissance lente 
altèrent 
plus durablement 
leur environnement 
que les herbes folles»...


 Olivier Gosselain

Adopter une démarche Slow Science consiste moins à développer un univers parallèle ou à bricoler dans les marges du système, qu’à transformer nos pratiques scientifiques en y (ré)insufflant les valeurs qui font de notre vie une vie de qualité. 
Deux ouvrages récents, remarquablement convergents, offrent à cet égard une figure de référence: celle de l’artisan. 
Le premier est le fait d’un universitaire américain, Matthew Crawford (2), titulaire d’un doctorat en philosophie. 
Après avoir fait l’expérience de la dérive actuelle du monde académique, il l’a abandonné pour ouvrir un atelier de réparation de motos, dans lequel il mène une vie bien plus satisfaisante sur le plan intellectuel et moral. 
Le second ouvrage est du sociologue Richard Sennett (3), qui poursuit une réflexion historique sur l’univers du travail. 
Tous deux partent d’un constat devenu banal: la dévalorisation du travail manuel en milieu scolaire et professionnel est concomitante au développement d’une «économie du savoir» caractérisée par un flux de connaissances de plus en plus superficielles et désincarnées.
Comme bien d’autres, ils soulignent le caractère idéologique de cette séparation entre la tête et les mains. 
«Faire» c’est «penser» et réciproquement. 
Les aptitudes élémentaires sur lesquelles se fonde le travail artisanal –localiser, questionner, ouvrir (4)– sont d’ailleurs identiques à celles du travail de recherche. 
La première implique en effet «de donner à une chose un caractère concret; la deuxième, de réfléchir à ses qualités; la troisième, d’en étendre le sens.» (5)

Qualité, créativité, indépendance, autorité:
les quatre plus-values de l'artisanat 

Les préoccupations de Crawford et Sennett rejoignent directement les nôtres lorsqu’ils décrivent les conditions nécessaires à la conduite d’une activité manuelle qui engendre à la fois de la qualité et de la satisfaction. 
De façon générale, l’impératif est de se soumettre aux exigences du métier, c’est-à-dire aux limitations imposées par la matière travaillée et la tâche effectuée. 
Ce sont en effet «les objectifs propres (de la tâche), en tant que biens en soi, qui font que je désire accomplir mon travail correctement», rappelle Crawford (6)
«Ils régissent de façon très stricte la “qualité” d’un produit, dimension quasi métaphysique qui échappe largement à ceux qui se contentent de calculer leurs bénéfices mais qui reste une préoccupation centrale tant pour l’usager que pour le producteur de l’objet lui-même.» (7)
Accepter les exigences du métier implique évidemment de refuser les solutions de facilité ou les voies de contournement. 
Mais également de comprendre l’importance des erreurs et de la répétition, trop souvent envisagées comme la marque d’une absence de réflexion et de créativité (8)
«(L)a véritable créativité est le sous-produit d’un type de maîtrise qui ne s’obtient qu’au terme de longues années de pratique. (...) 
L’identification entre créativité et liberté est typique du nouveau capitalisme; dans cette culture, l’impératif de flexibilité exclut qu’on s’attarde sur une tâche spécifique suffisamment longtemps pour y acquérir une réelle compétence. 
Or, ce type de compétence est la condition non seulement de la créativité authentique, mais de l’indépendance dont jouit l’homme de métier  (9)

C’est aussi la source de son autorité car, celle-ci ne revient pas à «occuper une place d’honneur dans un réseau social.» (10)
Qualité, créativité, indépendance, autorité: voilà ce qu’apporte, en plus des gains matériels, la poursuite honnête d’un artisanat. 
À ces bénéfices s’ajoute la fierté engendrée par «l’exécution intégrale d’une tâche susceptible d’être anticipée intellectuellement dans son ensemble et contemplée comme un tout une fois achevée.»  (11)

Comme le conclut Sennett –dans des termes qui pourraient figurer sur un manifeste Slow Science– «les artisans sont surtout fiers du savoir-faire qui mûrit. 
C’est bien pourquoi la simple imitation ne procure pas une satisfaction durable; la compétence doit évoluer. 
La lenteur même du temps professionnel est une source de satisfaction; la pratique s’enracine et permet de s’approprier un savoir-faire. 
La même lenteur permet aussi le travail de réflexion et d’imagination –au contraire de la course aux résultats rapides.» (12)

Des arbres et des herbes

Les réflexions de Crawford et Sennett nous rappellent un fait essentiel: les vraies compétences, celles qui sont sources de progrès, ont une dimension pratique et éthique (un terme malheureusement galvaudé à l’heure actuelle). 
Elles s’incarnent et mûrissent dans des activités orientées vers la production de résultats tangibles, qui habilitent au plan aussi bien professionnel qu’individuel. 
Il est bon de le garder à l’esprit, au moment où nos universités se lancent dans une nouvelle réflexion sur les «référentiels de compétences». 
Crawford et Sennett nous rappellent également que l’élitisme intellectuel sur lequel se fonde le monde universitaire a entraîné une extraordinaire confusion des valeurs et affaibli notre capacité de résistance à la dérive managériale actuelle. 
Sur quels critères évaluer la qualité d’une recherche? 
Au nom de qui et à quelles fins cette évaluation doit-elle se faire? 
Qui fait figure d’autorité? 
À ces questions viennent s’ajouter d’autres interrogations: sur la responsabilité professionnelle, l’équilibre entre passion et obsession, le rapport à établir avec les pairs ou l’engagement vis-à-vis de ceux que l’on forme. 
L’exemple de l’artisanat ne nous offre pas seulement des pistes pour sortir de cette confusion; il nous invite aussi à une plus grande humilité par rapport à d’autres formes d’expérience.
Comme je l’ai signalé plus haut, la recherche d’une forme stable et cohérente de résistance devrait se concevoir dans la perspective d’un logiciel libre, nourri et amélioré par ceux qui s’en servent concrètement. 
Si j’ai résumé et proposé ici quelques pistes de réflexion, le travail à accomplir reste phénoménal. 
Mais quelles que soient les solutions apportées, la meilleure attitude est sans doute de plonger profondément nos racines dans les interstices du système universitaire et de les cultiver, pour qu’elles finissent par faire sauter la chape idéologique qui le recouvre. 
On se souviendra à cet égard que les arbres à croissance lente altèrent plus durablement leur environnement que les herbes folles. 
L’éclat de ces dernières ne dure en effet qu’un temps, celui d’une saison… (13)(14)(15)

Olivier Gosselain

(1) Olivier P. Gosselain est professeur à l'Université libre de Bruxelles et Honorary research fellow au GAES de l'University of the Witwatersrand (Johannesburg).
(2) Crawford, M.B., 2010. Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail. Paris : Editions La Découverte.
(3) Sennett, R., 2010. Ce que sait la main. La culture de l’artisanat. Paris : Albin Michel.
(4) Ibid., p. 372.
(5) Ibid.
(6) Crawford, op. cit., p. 158.
(7) Ibid.
(8) « Le développement à long terme des techniques manuelles montre [que la] faculté de se concentrer durablement vient d’abord ; c’est ensuite seulement qu’une personne pourra s’impliquer émotionnellement ou intellectuellement. La concentration physique suit ses règles propres, fondées sur la manière dont les gens apprennent à pratiquer, à répéter ce qu’ils font et à tirer les leçons de la répétition. » (Sennett, op.cit., p. 236).
(9) Crawford, op. cit., p. 63.
(10) Sennett, op. cit., p. 87.
(11) Crawford, op. cit. p. 179.
(12) Sennett, op. cit., p. 395. 
(13) Une version originale illustrée du texte dont la quatrième partie est publié ci-dessus est disponible sur le site Patrimoine culturel.
(14) Ce message est publié avec l'autorisation de l'auteur, que nous remercions. Il constitue la fin d'un texte dont les trois précédentes parties ont été présentée précédemment sur ce blog. Les titre, chapeau et le premier  intertitre sont, comme l'encadré, de la rédaction. 
(15) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. au rapport de la reliance à l'éthique (par Marcel Bolle de Bal),
. aux sociologie compréhensive, existentielle et clinique (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

- > Slow city. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement).
- > Slow travel. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement). 
- > Slow sex. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement). 
-> Be slow. Etre un activiste, cela veut dire quoi? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Be slow. Le slow activiste et la créativité. (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Be slow. Première expérience de slow activisme. (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne). 
- > Be slow. Le slow activiste est-il un funambule sans filet? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).

3 commentaires:

  1. Chère Madame, Cher Monsieur, Chers Amis de la Presse,



    Permettez-moi de vous annoncer en primeur le programme de notre saison 2012-2013, qui sera la 82e de notre tribune. Celle-ci s’annonce riche et variée. Comme l’an dernier, nous retrouverons le « Square Brussels », qui est la dénomination actuelle du Palais des Congrès de Bruxelles.



    Nous aurons le plaisir d’accueillir à notre tribune, d’octobre 2012 à avril 2013, sept personnalités de premier plan.




    le lundi 22 octobre 2012 à 20h30

    Raphaël Enthoven

    Philosophe



    En dépit de son jeune âge (il a 37 ans), Raphaël Enthoven est déjà un philosophe célèbre. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, parmi lesquels « La philosophie – un jeu d’enfant », « Kant, la tête dans les nuages », « L’absurde » et « La folie », Raphaël Enthoven enseigne à « Sciences Po » et à l’Ecole Polytechnique à Paris. Conseiller de la rédaction de « Philosophie Magazine », il anime également l’émission « les nouveaux chemins de la connaissance » sur France Culture ainsi que l’émission « philosophie » sur Arte. Raphaël Enthoven, qui enseigne que la philosophie est « une façon de répondre au monde par le sourire plutôt que par la plainte, une école de légèreté », a choisi comme titre de sa conférence : « Dieu, la joie et le singulier ».




    le mardi 27 novembre 2012 à 20h30

    Michel Pébereau

    Président d’honneur de BNP Paribas,

    Président de l’Institut d’études politiques,

    Membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques



    Ancien haut fonctionnaire de l’inspection des finances, ayant occupé des postes de responsabilités au sein des cabinets de Valéry Giscard d’Estaing et de René Monory, Michel Pébereau a assuré la privatisation de plusieurs institutions bancaires. Il devient ainsi le président-directeur général de la « BNP », qu’il privatise en 1993, puis, après avoir assuré sa fusion avec la banque d’affaires « Paribas » en 2000, de « BNP Paribas ». De 2003 à 2011 il préside son conseil d’administration avant d’en être nommé « président d’Honneur ». Parallèlement à son activité de banquier, Michel Pébereau a longtemps enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris, qu’il préside encore aujourd’hui. Il sera chargé par le Ministre français de l’économie d’étudier la dette de la France. Son rapport sur la dette est très remarqué et restera connu comme « le rapport Pébereau ». Administrateur de plusieurs grandes entreprises de dimensions internationales, Michel Pébereau est également président de la Fédération bancaire européenne. A l’occasion de sa conférence à notre tribune, Michel Pébereau s’interrogera sur le rôle de la banque et de la finance dans l’économie et sur la compatibilité de celui-ci avec l’éthique et la morale. Il a choisi comme titre de sa conférence : « Les défis de l’industrie bancaire européenne ».

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    2.
    le lundi 14 janvier 2013 à 20h30

    Peter Praet
    Membre du directoire de la Banque centrale européenne

    Philippe Maystadt
    Président honoraire de la Banque européenne d’investissement



    Alors que depuis plusieurs mois, la crise de la zone euro défraie presque chaque jour l’actualité, il nous a paru utile de réunir deux éminents spécialistes de la politique financière au niveau européen. Peter Praet, membre du directoire de la Banque centrale européenne et « économiste en chef » de celle-ci a accepté de dialoguer pour notre tribune avec Philippe Maystadt, ancien président de la Banque européenne d’investissement. Ensemble, ils s’interrogeront sur le rôle et les responsabilités respectives des institutions publiques, qu’elles soient européennes ou nationales, ainsi que celle des acteurs économiques face à la crise de la zone euro. Le titre de leur conférence : « Quelles issues possibles pour la crise de la zone euro ? ».





    Le lundi 18 février 2013

    Jean Vanier

    Philosophe et Fondateur de « L’Arche »



    Docteur en philosophie de formation et de nationalité canadienne, Jean Vanier est avant tout l’homme d’un engagement : celui en faveur des personnes ayant un handicap mental. C’est son expérience de vie partagée avec ces personnes qui lui a permis de développer une vision de l’homme marquée d’une intense générosité. Ce chrétien engagé a fondé en 1964 « L’Arche », une communauté de vie avec des personnes marquées d’une déficience mentale. Aujourd’hui, l’Arche est constituée de 150 communautés essaimées partout dans le monde. Jean Vanier a accepté de venir témoigner à notre tribune qu’il est possible d’instaurer une « culture de paix » en nous et autour de nous en accueillant nos faiblesses et en servant les plus humbles.




    le lundi 11 mars 2013 à 20h30

    Trinh Xuan Thuan

    Astrophysicien, professeur de l’Université de Virginia (U.S.A.)



    Astrophysicien de renommée internationale, Trinh Xuan Thuan est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’univers et les questions philosophiques qu’il pose. Son dernier ouvrage, « Le Cosmos et le Lotus » s’interroge sur la nature de l’univers, sur son origine et son futur. Il nous questionne autant sur le sens de la vie que sur la place de l’homme dans l’histoire de l’univers. Trinh Xuan Thuan se déplacera spécialement des Etats-Unis pour notre conférence. Il a choisi pour titre de celle-ci : « Science et humanisme ».




    le mardi 26 mars 2013 à 20h30

    Catherine Nay

    Chroniqueur politique et écrivain



    Journaliste et éditorialiste à « Europe 1 », Catherine Nay est également l’auteur de plusieurs ouvrages portant des éclairages inédits sur la vie politique en France. On se rappellera spécialement sa célèbre biographie du président Mitterrand intitulée « Le noir et le rouge, ou l’histoire d’une ambition », suivie des « Sept années Mitterrand, ou la métamorphose d’un septennat », ainsi que son dernier livre « L’impétueux : tourments, tourmentes, crises et tempêtes », consacré au président Sarkozy. Pour notre tribune, Catherine Nay a accepté de dresser un premier bilan de la nouvelle présidence française. Le titre de sa conférence sera : « François Hollande et les premiers mois de socialisme en France ».

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    Vous le constatez : il reste encore un septième rendez-vous à organiser. Comme chaque année, cela sera fait pour la fin du mois d’août. Vous serez tenus au courant en consultant notre site internet et nous vous enverrons la traditionnelle brochure en septembre prochain.







    Vous noterez également que lors de l’attribution des places, nous privilégierons les abonnements aux locations de places individuelles. L’an dernier, nous comptions ainsi plus de 1.100 abonnés.

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