vendredi 6 juillet 2012

Slow Science. Tout travail mérite plaisir.

Le chercheur,
aujourd'hui?
Souvent 
obnubilé 
par la quête 
de crédits 
et de galons
acadé-
miques.
Grave 
erreur,
déplore
Olivier Gosselain (1).
Car tout travail mérite plaisir...

Olivier Gosselain

Outre la frénésie, l’urgence et la compétition qui régissent aujourd’hui l’agenda scientifique, il semble qu’une cause majeure de la détresse du chercheur soit sa transformation en VRP (2).
Inlassablement contraint de vendre ses compétences, ses idées, ses projets, son CV ou son équipe, c’est sa dignité qu’il finit par perdre peu à peu.  
Or que rapportent ces transactions? 
Des crédits de plus en plus incertains et quelques galons académiques, qui permettent sans doute de se rapprocher des lieux de pouvoir, mais au prix d’un éloignement des lieux de savoir. 
Du côté institutionnel, le gain ne concerne pas la qualité du travail accompli mais l’image de marque. 
Derrière les incantations magiques glorifiant l’excellence et la performance se cachent en effet des enjeux très prosaïques: accroître son stock d’étudiants et gagner quelques places dans le Classement annuel des universités du monde (3)
Objectif dérisoire, ce dernier ferait sourire s’il n’était pas arbitré, depuis Shanghai, par les représentants d’un État dont l’idéologie remet fondamentalement en cause un apport majeur de l’éducation: l’émancipation. 
Comme disent les anglo-saxons, on ajoute ici l’insulte à la blessure.

Egoïsme, calcul, médiocrité...: la rançon du système 

Dans cette perspective, refuser l’excellence, c’est refuser une politique scientifique qui nous condamne à l’égoïsme, au calcul et à la médiocrité. 
Qui nous oblige à être acteurs de notre propre destruction. 
Car ne nous y trompons pas: la bureaucratisation et la dérive managériale du monde académique ne sont pas le fait d’acteurs externes. 
Comme le rappelle Yves Gingras, «[c]e sont (...) les scientifiques eux-mêmes qui succombent souvent aux usages anarchiques de la bibliométrie individuelle et qui, siégeant parfois sur différents comités et conseils d’administration d’organes décisionnels de la recherche, suggèrent d’en généraliser l’usage. 
Cela confirme que dans le champ scientifique, “l’ennemi” est souvent moins le “bureaucrate” que le collègue…». (4)
Comment en sortir? 
Deux types de réponses sont apportées par les défenseurs de la Slow Science. 
Il y a d’abord des propositions d’améliorations ponctuelles, plus ou moins à la marge du système. 
L’une d’elles serait de repenser –ou à tout le moins professionnaliser– l’évaluation de la recherche. 
C’est ce que préconisent également de nombreux autres collègues qui, il faut le souligner, ne remettent pas en cause le principe même des évaluations de carrière (5)
Autre proposition: mieux informer le public des réalités de la recherche, afin d’éviter la versatilité des politiques de financement. 
Ces financements devraient par ailleurs favoriser des projets à long terme, pour assurer des résultats solides. 
Enfin, on pourrait transformer le contexte même de l’activité scientifique en créant des «poches» de recherche sur d’autres bases temporelles. 
Le lancement d’une «Slow Science Academy» va tout à fait dans ce sens, puisque celle-ci offre aux scientifiques une possibilité de repli temporaire dans une sorte de «tour d’ivoire» (pour reprendre les termes de nos collègues allemands).

Tu te mets au travail? Bon appétit!

À côté de ces réponses pratiques, il y a des propositions plus diffuses, mais peut-être plus en accord avec l’idée d’une Slow Science inspirée du mouvement Slow Food
Ainsi, la finalité de ce dernier n’est pas d’améliorer la qualité du menu des fast food –en y imposant par exemple un quota d’aliments bio ou AOC–, mais de promouvoir un rapport à la nourriture centré sur le plaisir, le goût et la convivialité. 
Il s’agit, en d’autres termes, de transformer les valeurs sur lesquelles se fonde notre consommation alimentaire. 
Transposée à l’univers académique, cette question de valeur semble surtout liée à l’attitude adoptée dans le travail. 
Or celle-ci retentit sur les résultats et les récompenses qui en découlent, mais dans des termes pratiquement opposés à ceux qu’envisagent nos managers universitaires. 
Lisa Alleva et Dave Beacon vont clairement dans ce sens lorsqu’ils invitent à se détacher des ambitions de ses pairs, à s’absorber tout entier dans une activité de recherche ou à savourer – plutôt que jalouser– la qualité d’un travail bien fait. 
Une telle attitude ne favorise évidemment pas la course au ranking ou à la carrière académique. 
Mais elle apporte une récompense bien plus essentielle: la possibilité de tirer plaisir et fierté de son travail. (6)(7)

(A suivre)

Olivier Gosselain

(1) Olivier P. Gosselain est professeur à l'Université libre de Bruxelles et Honorary research fellow au GAES de l'University of the Witwatersrand (Johannesburg).
(2) Voyageur, Représentant, Placier. Soit le porteur d'une fonction qui s'assimile à celle du représentant ou du voyageur de commerce.
(3) Pour un portrait réaliste de ce classement, voir : Gingras, Y., 2008. La fièvre de l’évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs. Montréal : Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie (voir ce lien).
(4) Ibid., p. 11.
(5) Voir, par exemple : Gingras 2008, op. cit. ; Servais, P. (Ed.), 2011. L’évaluation de la recherche en sciences humaines et sociales: Regards de chercheurs. Louvain-la-Neuve: Editions Bruylant-Académia.
(6) Ce message est publié avec l'autorisation de l'auteur, que nous remercions. Il constitue la troisième partie d'un texte dont la fin sera proposée prochainement sur ce blog. Les titre, chapeau et intertitres sont, comme l'encadré, de la rédaction. 
(7) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la Slow Science (par Olivier Gosselain),
. au rapport de la reliance à l'éthique (par Marcel Bolle de Bal),
. aux sociologie compréhensive, existentielle et clinique (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

En savoir plus sur le mouvement Slow...  
-> Be slow. Etre un activiste, cela veut dire quoi? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Be slow. Le slow activiste et la créativité. (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Be slow. Première expérience de slow activisme. (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne). 
- > Be slow. Le slow activiste est-il un funambule sans filet? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Slow city. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement)
- > Slow travel. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement) 
- > Slow sex. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement) 
 

3 commentaires:

  1. oui en fait un peu de slow en tout pour prendre le temps et le plaisir de vivre dans le respect de tous, réinventer un dynamisme moins centré sur le profit de la quantité, tout en apporter une qualité de vie qui soit plus centré sur la qualité et l'objectivité, c'est cela l'évolution non? Merci Pour ton article Christophe.

    Yvonne de Paris

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  2. Journal 25 de Culture et Démocratie -déjà!
    Le 25e numéro du Journal de Culture et Démocratie réunit les propos d’un historien des idées politiques, du directeur du Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, du chef de cabinet de la Commissaire européenne chargée de la culture, d’un économiste, du coordonnateur de l'Institut interdisciplinaire d'éthique et des droits de l'homme de l'Université de Fribourg...
    Tous ont accepté de s'exprimer sur la politique culturelle européenne…
    Ce thème fait écho à l'actualité, puisque le programme culturel de la Commission européenne pour la période 2014-2020, Europe Créative, est en cours de discussion au Conseil et au Parlement.
    Ambitieux, il prévoit une augmentation de 37% du budget consacré à la culture.
    Une initiative saluée par certains contributeurs de ce Journal qui considèrent que la culture peut être une des solutions à la crise (économique, financière, sociale...) que traverse l'Europe.
    D'aucuns considèrent toutefois que le programme
    n'est pas exempt de tout reproche.
    L’un pointant les contradictions entre les textes fondamentaux qui rappellent les fondements européens de dignité et les directives qui, elles, ne consacrent que
    la concurrence et la course au profit.
    Un autre craignant que cette nouvelle politique européenne ne favorise que les «grosses machines» culturelles.
    Un autre encore estimant que cette augmentation de budget puisse être une dangereuse mainmise de la bureaucratie européenne sur les cultures européennes et l’entame d’une vaste entreprise d’uniformisation et de contrôle des imaginaires…
    Le Journal propose les différentes perspectives et ouvre le débat.
    ./...

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  3. ./...
    Si, au fil des pages, plusieurs contributeurs évoquent la nécessité d'élaborer une culture européenne, celle-ci ne doit pas être pensée comme une somme de produits, ou d'articles.
    Au contraire, porteuse de valeurs, elle doit
    se présenter comme l'expression de nos humanités, de notre diversité et de nos richesses.
    Enrichi des illustrations de Jean-Claude Salemi et d’Anne-Catherine van Santen, ce Journal 25 a
    augmenté d’un point la taille de ses caractères typographiques, pour vous rendre la lecture plus
    agréable.
    Vous pouvez dès à présent le lire et le télécharger sur le site de l'association :
    http://www.cultureetdemocratie.be/fr/documents/Journal_25.pdf

    Bonne lecture !

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