mercredi 30 juin 2010

Business social. Nouveau capitalisme ?















En fondant une banque pour les pauvres,
il a transgressé les préjugés économiques, politiques et religieux les plus tenaces.
Mes micro-crédits ?
Non seulement ils seront efficaces,
assénait-il audacieusement.
Mais en plus ils seront remboursés.
Même par les plus démunis.
Seul contre tous, Muhammad Yunus a démontré
qu’il avait raison.
95% des prêts sont revenus à sa «Grameen Bank».
Avec les (petits) intérêts convenus.
Et avec une (grosse) cerise sur le gâteau :
le prix Nobel de la Paix 2006 !
Première partie d’un voyage
au pays du «nouveau capitalisme» (1)
de cet économiste atypique.
Ou quand le Bangladesh fait la leçon à l’Occident…


Le capitalisme échoue irrémédiablement à résoudre les problèmes sociaux et écologiques qui se présentent à lui.
Tel est le constat, sans langue de bois, de Muhammad Yunus.
Qui poursuit, implacable...
Des instruments régulateurs ont bien été mis en place.
Mais ils ne suffisent pas.
Aussi utiles soient-ils, pouvoirs publics, associations caritative et humanitaire, Banque Mondiale et autres institutions internationales n’en ont pas moins montré leurs limites.

Du marché ne faisons pas table rase...

Faut-il donc faire table rase du marché?
Non, assure notre guide.
Il convient au contraire de prendre appui sur ses points forts pour mieux en dépasser les insuffisances.
Ses points forts? L’efficacité, le dynamisme, l’innovation, le développement...
Ses insuffisances? Les effets pervers du flagrant réductionnisme qui sous-tend ses fondamentaux anthropologiques.
«La pauvreté existe parce que notre conception du monde repose sur des hypothèses qui sous-estiment les capacités humaines, écrit l'auteur. Nous avons élaboré des conceptions trop restreintes: notre conception de l’entreprise (qui fait de la recherche du profit la seule motivation humaine), notre conception de la solvabilité (qui prive automatiquement les pauvres de l’accès au crédit), notre conception de l’entreprenariat (qui ignore la créativité de la majorité des gens) et notre conception de l’emploi (qui fait des êtres humains des réceptacles passifs au lieu de voir en eux des créateurs actifs). Et nous avons développé des institutions qui sont au mieux à moitié achevées, tels nos systèmes bancaires et économiques qui ignorent la moitié du monde. Nos insuffisances intellectuelles sont les principales responsables de la pauvreté.» (2)

Réduction, votre honneur !

Tragique conséquence de ce réductionnisme conceptuel: «Dans leur forme actuelle, les marchés libres ne sont pas conçus pour résoudre les problèmes sociaux.» (3)
L’exemple de la mondialisation est révélateur à cet égard…
«Pour moi, la mondialisation est comparable à une autoroute à cent voies parcourant le monde. Si cette autoroute est librement accessible à tous, ses voies seront monopolisées par les camions géants des économies les plus puissantes. Les pousse-pousse bangladais en seront éjectés. Afin que la mondialisation profite à tous, nous devons avoir un code de la route, une police de la circulation, et une autorité assurant la régulation du trafic sur cette autoroute mondiale. La loi du plus fort doit être remplacée par des règles qui préservent la place des plus pauvres. La mondialisation ne doit pas devenir un impérialisme financier.» (4)(5)

(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007)

(1) Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007.
(2) Ibidem, p.350.
(3) Ibidem, p.28.
(4) Yunus Muhammad, extrait du discours «La pauvreté est une menace pour la paix» prononcé lors de la réception du prix Nobel, à Oslo, le 10 décembre 2006.
(5) Pour suivre: d'autres notes de lecture de Muhammad Yunus.

samedi 26 juin 2010

Actu. Greenpeace... financier !


Pas inintéressant du tout,
le projet récemment dévoilé
par vingt-deux députés européens,
dont les Belges Philippe Lambert (Ecolo)
et Dirk Sterckx (VLD).
Il s'agit de mettre sur pied
une ou plusieurs organisation(s) non-gouvernementale(s)
susceptible(s) de faire contre-poids
à l'énorme puissance des lobbys du secteur financier.
Une sorte de «Greenpeace de la finance» en quelque sorte...

En attendant de battre le rappel de la société civile (ONG, universitaires, think-tanks, syndicats...), le groupe tente de rassembler les signatures d'un maximum de parlementaires, européens et nationaux.
Objectif: se donner les moyens de s'appuyer, à terme, sur une contre-expertise digne de ce nom. A savoir une contre-expertise fiabilisée et crédibilisée par le recours à des personnes qui pourront se prévaloir d'une solide expérience professionnelle dans le secteur des marchés financiers.
A toutes fins utiles, voici le texte de cet appel.
«Nous, élus européens en charge de réglementer les marchés financiers et les banques, constatons tous les jours la pression exercée par l'industrie financière et bancaire pour influencer les lois qui la régissent. Il n'est pas anormal que ces entreprises fassent entendre leur point de vue et discutent régulièrement avec les législateurs. Mais l'asymétrie entre la puissance de ce lobbying et l'absence de contre-expertise nous semble un danger pour la démocratie. Le lobbying des uns doit en effet être contrebalancé par celui des autres. En matière environnementale et de santé publique, en face des industriels, les organisations non gouvernementales (ONG) ont développé une véritable contre-expertise. Il en est de même en matière sociale entre les organisations patronales et syndicales. Cette confrontation permet aux élus d'entendre des arguments contradictoires. En matière financière, ce n'est pas le cas. Ni les syndicats de salariés, ni les ONG n'ont développé d'expertise capable de rivaliser avec celle des banques. Il n'existe donc pas aujourd'hui de contre-pouvoir suffisant dans la société civile. Cette asymétrie constitue à nos yeux un danger pour la qualité des lois, et pour la démocratie.
Car cette asymétrie s'inscrit dans un contexte de forte proximité des élites politiques et financières. Aux Etats-Unis les liens entre Goldman Sachs et l'administration fédérale sont connus. Mais en Europe cette proximité n'est pas moindre. Elle contribue à renforcer la prise en compte des arguments de l'industrie financière de manière unilatérale et constitue un frein certain à la capacité du personnel politique à prendre des décisions en toute indépendance. Or, l'absence de réponse politique adéquate à la crise du système financier peut nourrir toute forme de populisme, basé davantage sur l'émotion que sur la raison.
En tant qu'élus européens en charge de la réglementation financière et bancaire nous appelons donc la société civile (ONGs, syndicats, universitaires, think-tanks...) à s'organiser pour créer une (ou plusieurs) organisation non gouvernementale capable(s) de développer une contre expertise sur les activités menées sur les marchés financiers par les principaux opérateurs (banques, compagnies d'assurances, hedge funds, etc…) et de faire connaitre de manière efficace cette analyse aux medias. En tant qu'élus issus de plusieurs familles politiques nous pouvons diverger sur les mesures à prendre. Mais nous convergeons pour alerter l'opinion sur ce risque pour la qualité de la démocratie.
Nous invitons l'ensemble des parlementaires européens et nationaux à rejoindre notre appel.» (1)(2)

Christophe Engels

(1) Ce texte, tout comme la liste complète de ses signataires, est disponible sur
www.finance-watch.org
(2) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

jeudi 17 juin 2010

Actu. Pour le meilleur et pour le lire.

En attendant le moment d'en revenir à un rythme de publication plus assidu, contentons-nous ici d'y aller de deux suggestions de lecture.
L'une renvoie au blog de Christian Arnsperger, qui propose depuis quelques jours l'approche critique d'un ouvrage préalablement évoqué ici-même: «Prospérité sans croissance» (1).
L'autre à un fort intéressant article du Soir, consacré à l'actuel débat de fond qui fait actuellement rage chez Inter-Environnement Wallonie (2).

Sur son blog «Transition économique», Christian Arnsperger propose depuis le 11 juin un message intitulé «Transition vers une "prospérité sans croissance"?», consacré au dernier livre de Tim Jackson, dont l'économiste philosophe de l'UCL s'emploie à souligner les forces et les faiblesses. (3)
Par ailleurs, un article paru ce jeudi 17 juin dans le journal Le Soir (4) révèle les dissensions qui opposent fundis et realos au sein de la mouvance écologiste belge. Les premiers dénoncent en effet de plus en plus... vertement le «ramollissement» (4) des seconds, accusés de ne plus proposer «rien d'autre que d'accompagner la course de la machine emballée» (4). Pour ces rebelles, l'heure du développement durable est (dé)passée. Place à l'objection de croissance.
«Le mouvement vert s'interroge, écrit le journaliste Michel De Muelenaere. Le message doit-il être plus radical? Parler de "développement durable", de "croissance verte" a-t-il encore un sens?» (4)
Non, répondent certains, qui jugent désormais ces notions parfaitement compatibles avec... la destruction de la planète!
"Un peu partout dans le monde associatif, le débat chauffe, au propre comme au figuré. Alors qu'ailleurs - la Banque nationale, par exemple - on se réjouit du retour de la "croissance".» (4)
En octobre, Greenpeace se penchera sur cette question de plus en plus existentielle, annonce le quotidien bruxellois. Et en novembre, ce sera le thème de la première université d'automne d'Inter-Environnement.
«Mais pour quel message au public? (...) En prônant quoi? Décroissance? Prospérité sans croissance? Sobriété heureuse? Développement durable?» (4)
Et le besoin de transcender la rigité des clivages d'apparaître, plus que jamais... (5)

Christophe Engels

1. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
2. Fédération wallonne des organisations environnementales.
3. Pour plus de détails, voir le lien renseigné dans notre rubrique «Un bon conseil...».
4. De Muelenaere Michel, «Les ultras secouent le lobby vert», in Le Soir, 17 juin 2010, p.8.
5. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

lundi 7 juin 2010

Développement durable. Alter-croissance.










La croissance du Produit Intérieur Brut favorise-t-elle réellement l’épanouissement humain ? Ne s’apparente-t-elle pas plutôt à une fuite en avant ? N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez» ? Et dans ce cas, n’avons-nous pas besoin de dépasser le système économique actuel ? Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à celle, artificielle, du PIB. Plaidoyer en faveur d’une «alter-croissance».
Signé Tim Jackson (1).

En plus d’être inefficiente (2), irréaliste (3) et injuste (4), la recherche permanente de la croissance économique pèche par son incapacité à générer l’épanouissement personnel. Car, au-delà d’un certain stade, elle ne semble plus en mesure de favoriser le bonheur humain. Pire: elle peut même l’empêcher.
Autant une telle stratégie relève donc d’une logique qui a de quoi séduire les pays les plus pauvres de la planète, autant se pose la question de l’opportunité de son maintien dans les pays plus riches, où les besoins de subsistance sont largement rencontrés.
Seulement voilà… La croissance articule deux dynamiques qui, en s’appelant mutuellement, donnent lieu à une espèce de «mouvement perpétuel».
D’un côté, la motivation du profit stimule la création de produits et de services nouveaux, meilleurs ou moins chers par un processus continu d’innovation et de «destruction créatrice». C’est ce que rappelle l’économiste Joseph Schumpeter: des technologies et des produits inédits font sans cesse leur apparition, reléguant leurs prédécesseurs aux oubliettes.
De l’autre, une logique sociale complexe contribue à gonfler en (quasi) permanence la demande de consommation de ces biens.
D’où l’apparition d’un cycle continu. Qui, pour faire les affaires de la croissance, n’en pose pas moins questions.
Favorise-t-il réellement l’épanouissement humain?
Ne s’apparente-t-il pas plutôt à une fuite en avant?
N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez»?

Chronique d’une évolution annoncée

Récapitulons. La croissance est à la fois inefficiente, irréaliste, injuste et - nous venons de le voir - porteuse d'imposture.
En ce sens, on ne regrettera pas outre-mesure l’évolution qui s’annonce.
Trois des caractéristiques distinctives de la nouvelle économie devraient en effet contribuer à tirer la croissance vers le bas:
. l’imposition de limites écologiques,
. la transition structurelle vers des types particuliers d’activités de service à forte intensité de main d’œuvre,
. l’allocation de ressources importantes aux investissements écologiques.
Si l’on en croit Tim Jackson, cette évolution à la baisse s’avère inéluctable.
Rien ne suffira à la contrer.
L’économie sociale? Elle «est un point de départ incroyablement utile pour construire une société sobre en ressources» (5). Mais elle restera marginale.
La réduction et le partage du temps de travail? L’une améliorerait l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et l’autre favoriserait l’équité. Mais aucun des deux n’est susceptible de relancer la croissance.
Le glissement vers une base de revenu totalement différente, comme l’allocation universelle? Elle serait encore plus difficile à mettre en place.
Quant à l’économie verte…
«Les réponses dépendront de la composition de l’investissement nécessaire pour la transition. Il s’agit plus précisément de trois types d’investissements écologiques:
. les investissements qui améliorent l’efficacité dans l’utilisation des ressources et entraînent des économies en matière de coûts des ressources (par exemple l’efficacité énergétique, la réduction des déchets, le recyclage);
. les investissements qui substituent aux technologies conventionnelles des technologies propres ou sobres en carbone (par exemple les énergies renouvelables);
. les investissements dans l’amélioration de l’écosystème (adaptation climatique, reforestation, renouvellement des zones humides, etc.).
L’impact sur la capacité productive de l’économie différera sensiblement selon ces différents types d’investissement.
Les investissements dans la productivité des ressources sont susceptibles d’avoir un impact positif sur la productivité globale. Mais ils ne produiront pas nécessairement des rendements supérieurs aux investissements classiques.
(…)
Certains investissements dans les énergies renouvelables généreront des rendements concurrentiels dans certaines conditions de marché. D’autres ne généreront des rendements que sur des périodes beaucoup plus longues que ce qu’attendent les marchés financiers traditionnels. Les investissements dans l’amélioration de l’écosystème et l’adaptation
climatique ne produiront peut-être aucun rendement financier classique (…).
En d’autres termes, les prescriptions simplistes selon lesquelles l’investissement contribue à la productivité ne fonctionneront pas dans ce contexte.
» (6)
On aura compris la conclusion de Jackson: il ne suffira pas de «remettre l’économie dans un état de croissance perpétuelle de la consommation» (7). Pour toutes les raisons préalablement esquissées, cette «hypothèse par défaut du keynésianisme» (7) «reste toujours aussi peu durable» (7). Nous avons donc besoin de dépasser le système économique actuel. Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à la croissance du PIB. (8)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

Un emploi du temps chargé nous contraindra

à ralentir sensiblement le rythme de parution

des messages de ce blog

au cours des prochaines semaines.

Ralentissement provisoire mais inéluctable.

Pour information.

Et avec nos excuses.


1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Voir le 35e message de ce blog:
Développement durable. Tout petit, ma planète…
3. Voir le 36e message:
Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Dépasser l’individualisme matérialiste et l’innovation sans lendemain...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 138.
6. 7. Ibidem, pp. 143-144 et 225.
8. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mardi 1 juin 2010

Développement durable. Dépasser l'individualisme matérialiste et l'innovation sans lendemain

Le capitalisme de la croissance à tout crin se caractérise par sa propension à favoriser outrancièrement l’individualisme, le matérialisme, l’innovation et le court terme.

Autant d’aspects qu’il importe
d’identifier et de corriger,
insiste Tim Jackson (1).

«Une politique nouvelle du bien commun ne tourne pas seulement autour de la question de trouver des responsables politiques scrupuleux.

Elle requiert aussi une idée plus exigeante de ce que signifie le fait d’être citoyen, un discours politique plus robuste – qui s’engage plus directement sur les questions morales et même spirituelles.» (2)



Inefficiente (3) et irréaliste (4), la stratégie de la priorité à la croissance économique s’avère par ailleurs injuste. Car elle tend intrinsèquement à n’être respectueuse ni de la nature ni de l’autre.
En cause: la quadruple dynamique qui anime une logique
. avant tout génératrice d’individualisme,
. exagérément centrée sur le matérialisme,
. obnubilée par l’innovation,
. excessivement tournée vers le court terme.

Une croissance avant tout génératrice d’individualisme
et exagérément centrée sur le matérialisme

Par bon nombre de ses aspects les plus fondamentaux, cette logique incline à l’individualisme matérialiste, sape le potentiel d’une prospérité partagée et s’oppose à l’équilibre entre libertés individuelles et intérêt général.
«Incitants pervers» (5), s’insurge Jackson. Car il serait erroné de supposer que les motivations humaines soient toutes égoïstes.
«Dans une certaine mesure, nous sommes tous déchirés entre l’égoïsme et l’altruisme.» (6)

Une croissance obnubilée par l’innovation

A la tension entre égoïsme et altruisme s’en ajoute une autre: celle qui se joue entre l’ouverture au changement et la conservation; en d’autres termes, entre la nouveauté et le maintien de la tradition.
«Bombardés avec persuasion et séduits par la nouveauté, nous sommes comme des enfants dans un magasin de bonbons, nous savons que le sucre est mauvais pour nous, mais nous sommes incapables de résister à la tentation.» (7)

Une croissance excessivement tournée vers le court terme

Nous privilégions outre-mesure aujourd’hui par rapport à demain et demain matin au détriment d’après-demain. Un phénomène bien connu des économistes qui s’y réfèrent sous le nom d’«actualisation hyperbolique».

Interroger et corriger la croissance

Alors que chaque société trouve un point d’équilibre différent entre égoïsme et altruisme ainsi qu’entre nouveauté et tradition, la société de consommation a mis en place des institutions qui, de plus en plus, semblent avoir été conçues pour privilégier le terme qui, au sein de chacune de ces deux équations, fait le mieux tourner l’économie: le premier.
Par là, notre structure sociale complexe encourage un individualisme particulièrement matérialiste et la recherche sans trêve de la nouveauté dans la consommation. Des aspects qui doivent être identifiés, interrogés et corrigés.
«Une transition de l’intérêt personnel étroit à des comportements sociaux, ou de la nouveauté permanente à la conservation réfléchie de ce qui compte, ne peut se faire que via des modifications de la structure sous-jacente, modifications qui renforcent l’engagement et encouragent le comportement social, écrit le professeur de l’Université du Surrey (Grande-Bretagne). Et ces modifications exigent que des gouvernements agissent. (…)
Malheureusement, tant que la stabilité macroéconomique dépendra de la croissance économique, ces changements n’auront pas lieu. Les gouvernements auront inévitablement tendance à soutenir les structures sociales qui renforcent l’individualisme matérialiste et la quête de la nouveauté. Parce que c’est le prix à payer pour maintenir l’économie à flot.
Mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Libérer la macroéconomie de l’exigence structurelle de la croissance de la consommation laissera, simultanément, l’Etat libre de jouer son propre rôle dans la fourniture des biens sociaux et environnementaux et dans la protection des intérêts à long terme. Le même objectif, qui est vital pour une économie durable, est essentiel à une gouvernance apte à recréer la prospérité.
» (8)
Car l’Etat est lui-même victime d'une croissance dont la poursuite se révèle ingérable sur le plan politique.
«Nous avons vraiment l’impression d’être en présence d’une schizophrénie institutionnelle, poursuit l’Anglais. D’une part, le gouvernement est lié à la poursuite de la croissance économique. D’autre part, il se trouve obligé d’intervenir pour protéger le bien commun des incursions du marché. (…)
Ayant pour responsabilité capitale de protéger l’emploi, l’Etat est contraint (dans les conditions actuelles) d’accorder la priorité à la croissance économique.» (9)
Un dilemme dont il n’existerait que deux moyens de sortir. L’un consiste à rendre la croissance durable. L’autre à rendre la décroissance stable… (10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Sandel Michael, première conférence dans le cadre des Reith Lecture, juin 2009, in Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 185
3. Voir le 35e message de ce blog: Développement durable. Tout petit, ma planète...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 161.
6. Ibidem, p. 163.
7. Ibidem, p. 163.
8. Ibidem, p. 168.
9. Ibidem, p. 167.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
11. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

vendredi 28 mai 2010

Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...

Tim Jackson (1) en est sûr.
Fondamentalement, la crise que nous vivons ne résulte ni d’une surveillance laxiste ni de la cupidité individuelle.
Elle est bel et bien systémique.
Car dans ses modalités actuelles, l'économie est «accro»
à la croissance.
Une dépendance qui contribue à la rendre structurellement déficiente.

La logique de la croissance n’est pas seulement irréaliste dans le contexte des limites écologiques d’une planète finie (2). Elle est aussi inefficiente d’un point de vue socio-économique.
Non pas que notre économie, telle qu'elle est aujourd'hui déclinée, puisse se passer d’elle. Au contraire, la croissance est essentielle à la stabilité du système. Mais à un moment ou à un autre, cet impératif finit toujours par mener à l’impasse.
Car il requiert un gain d’efficacité permanent, seul susceptible de faire baisser les coûts pour stimuler la demande et contribuer à un cycle positif d’expansion. Or, ce remède doit composer avec un effet secondaire: la diminution du besoin de main d’œuvre. On a beau tourner le problème dans tous les sens: pour fabriquer la même quantité de produits, il faut de moins en moins de personnel.
Les entreprises ne se privent pas de jouer sur cette variable d'ajustement. Et le spectre du chômage de masse, du coup, de se renforcer toujours davantage. Avec ses conséquences néfastes. Sur le plan social, bien sûr. Mais aussi en matière économique: diminution du pouvoir d’achat, baisse de la confiance des ménages… Autant de facteurs tendant à tirer la demande de biens de consommation vers le bas.
La récession s’installe alors. Avec son impact ravageur sur les finances publiques.
De quoi, souvent, inciter les gouvernements à emprunter davantage.
Parviennent-ils ainsi à maintenir les dépenses publiques et à restimuler la demande? Parfois. Mais le cas échéant, ils accroissent inévitablement la dette publique.
Durant plus de vingt ans, les monétaristes ont réagi contre les niveaux d’endettement public qu'avaient entraînés les programmes keynésiens de dépenses dans les années 1970. Ils ont présenté la dérégulation des marchés financiers comme le meilleur moyen de stimuler la demande. Mais leur stratégie a fini par remplacer la dette publique par la dette privée. Avec les séquelles que l’on sait.

Défaillance systémique

La faute à la défaillance et au cynisme de quelques-uns? Non, proclame Jackson. Le mal est incommensurablement plus profond.
« L’âge de l’irresponsabilité" ne résulte ni d’une surveillance laxiste, ni de la cupidité individuelle. La crise économique n’est pas la conséquence de fautes professionnelles isolées commises dans certaines parties du secteur bancaire. Si irresponsabilité il y a eu, ce fut alors de façon autrement plus systémique, une irresponsabilité avalisée par le sommet avec à l’esprit un objectif clair: la poursuite et la préservation de la croissance économique.» (3)(4)(5)
(A suivre)


Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Tout petit, ma planète....
3. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 45-46.
4. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
5. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mercredi 26 mai 2010

Développement durable. Tout petit, ma planète...


Nom: Jackson (1).
Prénom: Tim.
Nationalité: anglaise.
Fait marquant: dévoilait récemment à l'Université Libre de Bruxelles la version en français d'un livre (2) tiré du rapport (3) préalablement écrit en sa qualité de commissaire à l’économie d'outre-Manche (4).
«Dans la foulée de sa présentation officielle l’année passée, ce document a été accueilli par… un silence poli, raconte-t-il. Pas le moindre écho médiatique pendant une semaine! En revanche, le rapport s’est répandu comme une traînée de poudre sur internet. Par ce biais, et par ce biais seulement, les félicitations et les réactions se sont bousculées. Au point que me voici, ce soir, devant une salle plus grande et plus remplie que jamais auparavant. Pour moi, c’est une sorte de consécration!».
Premières notes de lecture...

Partout dans le monde depuis le début du XXème siècle, la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) a été l’objectif majeur du monde politique.
Et pourtant…
Pour Tim Jackson, cette logique n’est ni réaliste ni efficace ni juste ni épanouissante.
. Pas réaliste dans la mesure où elle se heurte aux limites écologiques de notre «planète finie».
. Pas efficace parce que son mode de fonctionnement appelle inévitablement une impasse socio-économique.
. Pas juste puisque, au mieux, les avantages auxquels elle donne lieu sont fort inégalement répartis.
. Pas épanouissante car, au-delà d’un certain stade, la recherche permanente de la croissance économique ne semble plus favoriser le bonheur humain et peut même l’empêcher.

Irréalisme

«L’idée d’une économie qui ne croît pas est peut-être une hérésie pour un économiste, rappelle l'auteur. Mais l’idée d’une économie en croissance continue est une hérésie pour un écologiste.» (5)
Ce dernier reste en effet fort sceptique devant la réponse conventionnelle qui est apportée à ses interrogations sur le dilemme de la croissance. A savoir le «découplage». Qui mise sur l'innovation, sur le progrès technologique et, de là, sur une reconfiguration des processus de production, puis sur une adaptation des biens et services pour affranchir progressivement l'économie de sa dépendance aux flux de matières.
Découplage, d’accord, répond Jackson. Mais lequel? Découplage relatif, qui désigne une baisse de l’intensité écologique par unité produite? Ou découplage absolu, qui tient également compte de l’accroissement à peu près permanent du volume global de production?
Le premier, en effet, «ne couvre que la moitié du problème. Il mesure uniquement l’utilisation des ressources (ou les émissions) par unité de production économique. Pour que le découplage offre une échappatoire au dilemme de la croissance, l’efficacité dans l’utilisation des ressources doit augmenter au moins au même rythme que ne le fait la production économique. Et pour que les impacts mondiaux liés à l’utilisation des ressources cessent d’augmenter, il faut aussi que cette efficacité continue à s’améliorer au fur et à mesure que croît l’économie. Pour accomplir cette tâche plus difficile, nous devons démontrer l’existence d’un découplage absolu, ce qui s’avère beaucoup plus complexe.» (6)
Un petit exemple vaut mieux qu’un long discours. La société PriceWaterhouse Coopers a estimé à trois pour cent du PIB mondial le coût d’une réduction de 50% des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Or, 3%, c’est à peu près ce qui sépare une économie en croissance d’une économie en stagnation. Le coût en question suffirait donc à signer l’arrêt de mort de la croissance. Et encore… Ce raisonnement ne tient pas compte du devoir moral auquel devraient se sentir tenus les pays riches de contribuer davantage que les pays pauvres à un tel effort. Et certainement pas du scénario moins inéquitable qui, idéalement, devrait prévoir une distribution plus égalitaire des revenus entre pays favorisés et défavorisés.
«Pour être franc, il n’existe à ce jour aucun scénario de croissance permanente des revenus qui soit crédible, socialement juste, écologiquement soutenable dans un monde peuplé par neuf milliards d’habitants.» (7)
La croissance «verte»? Elle est porteuse de nombreux avantages, surtout si elle se décline selon des modalités qui contribuent à soutenir les populations les moins privilégiées. Mais qu’il soit vert ou non, tout plan de relance se construit sur l'hypothèse implicite du retour à un état de croissance permanente de la consommation.
Or, il est «difficile d’échapper à la conclusion qu’à long terme nous aurons besoin de quelque chose de plus.» (8)
Un autre type de structure économique s’impose donc.
«Nous n’avons pas d’autre alternative que de remettre la croissance en question.» (9)(10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
3. Jackson Tim, Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy, Sustainable Developement Commission, Londres, 2009.
4. Dans le cadre d'une Commission britannique pour le développement durable.
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 31.
6. Jackson Tim, ibidem, p. 81.
7. Jackson Tim, ibidem, p. 94.
8. Jackson Tim, ibidem, p. 125.
9. Jackson Tim, ibidem, p. 31.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
11. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

samedi 22 mai 2010

L'allocation universelle en question...



«L'allocation universelle: juste ou injuste ?» (1)



Certains détracteurs de l’allocation universelle trouvent anormal que tout un chacun puisse être amené à recevoir un revenu de la collectivité sans qu’il ne soit question de la moindre contrepartie.
Devant cette objection, on pourrait se contenter de rappeler que la progressivité de l'impôt sur le revenu aurait pour effet de reprendre aux plus nantis (au moins) l'équivalent de leur allocation.
On pourrait aussi se satisfaire de rétorquer que rien n'empêcherait d'instaurer un service civil pour faire exécuter des travaux d'utilité publique.
Mais de telles réponses éluderaient un sujet de fond: celui de la légitimité du principe d'un revenu de base inconditionnel.
Le bien-fondé d’une telle approche, en effet, ne tombe pas sous le sens. C’est la raison pour laquelle Philippe Van Parijs y va d’une réflexion beaucoup plus fondamentale, par laquelle il entend remettre en cause l’idée même de justice qui sous-tend ce genre de réaction convenue.
La justice est affaire de liberté réelle, argumente l’intéressé. Et cette liberté réelle est celle qui permet de diriger ma vie dans la direction que je souhaite. Au-delà du simple droit, elle se calque donc sur mon potentiel d’accès effectif à des biens et à des opportunités. Encore convient-il de la répartir équitablement entre les uns et les autres.
«En première approximation, une distribution juste de cette liberté réelle exige que l’on répartisse d’une manière égale (…) tout ce qui nous est donné.» (2)
Tout? Oui. C’est-à-dire pas seulement les biens que nous obtenons, au départ et tout au long de notre vie, par héritage ou par donation. Loin de là. Car ce type de bien ne représente pas l’essentiel des donations dont nous bénéficions, très inégalement.
«Les rentes associées aux emplois que nous occupons en constituent la composante prépondérante. Que nous occupions ces emplois en raison de talents que nous possédons, de l’éducation dont nous avons bénéficié, de parents ou d’amis qui nous ont informés ou appuyés, de la citoyenneté dont nous jouissons, de la génération à laquelle nous appartenons, ou de la localité où nous habitons, ces emplois constituent un privilège.» (3)
Le philosophe belge se démarque ainsi résolument de la thèse de la «propriété de soi», qui est à la racine de la position néo-libérale, pour mieux rejoindre la perspective de son (regretté) «maître» américain John Rawls.
Mes talents et mes capacités? Ils ne m’appartiennent pas en propre car je n’ai rien fait pour en disposer: le fait d’être mieux doté en aptitudes relève de la «loterie naturelle».
Mieux, ajoute Van Parijs: pas plus que mes talents, l'efficience de mon réseau relationnel ou de mon cadre de vie ne me confère le moindre mérite moral.
Dans cette perspective, l’allocation universelle accède à une authentique légitimité: elle ne fait jamais que contribuer à redresser la barre en faveur de ceux qui, moins «chanceux», ont eu à composer avec un déficit de ce que nous oserons appeler ici «opportunités existentielles».
Conséquence: «Ce que fait l’allocation universelle, ce n’est pas redistribuer par solidarité de ceux qui travaillent à ceux qui ne le peuvent pas, mais donner d’abord à chacun, quels que soient ses choix, ce qui lui revient.» (4)(5)

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p. 75.
(3) Ibidem, p. 75.
(4) Ibidem, p. 77.
(5) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mercredi 19 mai 2010

L'allocation universelle en question....



«L’allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace ?» (1)

Séduisante par plusieurs de ses aspects, l’allocation universelle? Fort bien, répondent les détracteurs de la formule. Mais au-delà de ce côté jardin, n’oublions pas de mentionner le côté cour...
1. D’abord, l’allocation universelle aurait un coût (2).
2. Ensuite, elle ne se concevrait pas sans un taux d’imposition marginal (3) plus élevé. Une «pénalité» dont Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght eux-mêmes reconnaissent qu’elle ne pourrait qu’affecter négativement la motivation au travail du citoyen que je suis (4).
3. A ne pas sous-estimer non plus: les rigidités institutionnelles et comportementales. L'instauration d'une allocation universelle nécessitant une réforme du régime de la taxation, de l'impôt sur le revenu et/ou de son articulation avec les autres impôts, elle se heurterait immanquablement aux résistances qu’entraîne toute innovation. Elle aurait également à se confronter à la mauvaise humeur des organismes appelés à se voir affectés par l’évolution et/ou la disparition de certaines prestations (familiales, syndicales…). Avec les risques de licenciements ou, en tout cas, de changements d'activité qui en découleraient.
4. Enfin et surtout, quid du montant à verser par personne?
S’il était fixé à un bas niveau, le coût du système resterait limité, mais les effets positifs attendus sur l'emploi risqueraient fort de ne pas se produire.
«Les personnes peu, ou pas, qualifiées seraient en effet obligées d'accepter des emplois au rabais ou, à défaut, de se contenter de leur maigre prestation, prévoit Chantal Euzéby, Professeur de Sciences économiques à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble. D'où des risques persistants de dualisation de la société.» (5)
Par contre, si le niveau se faisait à peu près décent (de l'ordre du revenu minimum garanti, à la belge (6) ou même à la française (7)), mon autonomie en matière de choix de travail y gagnerait, mais le coût du système risquerait de devenir rapidement prohibitif et désincitatif pour les employeurs.
«On peut alors s'attendre à un freinage de l'innovation dans les entreprises, reprend la susnommée Euzéby. Et à un affaiblissement du dynamisme économique.» (5)
Ce qui, in fine, pourrait se traduire par une diminution de l’offre de… travail!
Crainte fondée ou non? Telle semble, en tout cas, l’objection la plus convaincante avancée à l’encontre de l’allocation universelle. (8)(9)

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Voir le message «L’allocation universelle est-elle réaliste?» (lundi 17 mai 2010). Voir aussi le site http://www.allocationuniverselle.com/
(3) C'est-à-dire par personne.
(4) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p. 57.
(5)
www.webu2.upmf-grenoble.fr/pepse/IMG/pdf/dico.pdf
(6) 725 euros pour un célibataire sans enfant.
(7) 464 euros pour un célibataire sans enfant.
(8) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... «L'allocation universelle: juste ou injuste?»
(9) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

L'allocation universelle en question...


«L’allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage ?» (1)



Oui, répondent Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght (2). Pour trois raisons.
1. Autant les dispositifs conventionnels contribuent à réduire la pauvreté, autant ils génèrent «un piège au chômage» (ou «piège de l’inactivité») en me pénalisant lourdement dès l’instant où je parviens à (re)trouver du travail.
«Les gains obtenus en effectuant un travail peu rémunéré sont annulés, voire plus qu’annulés, par la réduction correspondante ou le retrait de leur revenu de remplacement.» (3).
Rien de tel pour l’allocation universelle. Puisque j’en conserverais l’intégralité en toutes circonstances, ma situation financière s’améliorerait nécessairement au moment où je rentrerais dans le circuit de l’emploi. Conséquence: le travail «payerait».
2. Mieux: il payerait même dans des domaines aujourd’hui peu rentables. Le secteur associatif par exemple. Là où je me refuse aujourd’hui à envisager des activités dont la rémunération nette est inférieure au revenu minimum garanti, l’allocation universelle contribuerait à les rendre économiquement viables. Elle peut donc être considérée comme une modalité de subvention au travail relativement peu productif.
3. Mieux encore: là où mon accès au travail rémunéré est à ce jour rendu difficile par la nature même des emplois peu qualifiés (contrats souvent précaires, employeurs pas toujours scrupuleux, rémunérations toujours incertaines), l’allocation universelle aurait le grand avantage de me fournir un socle ferme sur lequel je pourrais m’appuyer. En ce sens, elle réaliserait «ce que les économistes appellent une amélioration parétienne : certains s’en trouvent mieux, et personne ne s’en trouve plus mal.» (4)(5)(6)

Christophe Engels
(D'après Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.)

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.
(3) Ibidem, p. 58.
(4) Ibidem, p. 67.
(5) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"
(6) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

lundi 17 mai 2010

L'allocation universelle en question...


«L’allocation universelle est-elle réaliste?»
(1)



Sous l’angle de la faisabilité économique, l’allocation universelle soufflerait le chaud et le froid. La difficulté consiste donc à évaluer la proportion de l'un et de l'autre.

Le chaud tout d’abord. Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght s’en expliquent dans leur ouvrage «L’allocation universelle» (2). Au travers d'un tel dispositif, le paiement de la prestation serait automatique et ne nécessiterait donc aucune procédure administrative particulière. Tout profit pour le citoyen que je suis: je n’aurais plus ni à me coltiner des démarches fastidieuses et humiliantes. Et tout bénéfice pour la fonction publique: elle s’éviterait un travail substantiel et coûteux.
«Il serait toutefois abusif d’affirmer, comme le font parfois des défenseurs de la proposition, que l’instauration d’une allocation universelle équivaudrait à l’installation d’un système de protection sociale ne requérant aucune bureaucratie, n’en reconnaissent pas moins les deux intellectuels belges. Tant qu’elle demeure à un niveau modeste, l’allocation universelle pourra certes entraîner une simplification notable de la fiscalité des revenus et la suppression de nombreuses prestations sociales d’un montant égal ou inférieur, mais elle devra continuer à être complétée, pour une partie des personnes actuellement assistées, par des formes conditionnelles d’assistance et bien sûr par des systèmes d’assurance sociale qui, dûment recalibrés, conservent toute leur raison d’être.» (3)

A côté de ce chaud devenu tiède, l’allocation universelle semble également devoir souffler le froid. Le fait même de pouvoir compter sur un revenu inconditionnel ne risquerait-il pas, en effet, de m’inciter à l’oisiveté aussi longtemps qu’un travail idéal ne me serait pas proposé? Et le cas échéant, cette inactivité ne serait-elle pas appelée à déboucher sur un manque à gagner pour la société?
«Ici encore, il faut prendre garde de ne pas se laisser guider par de fragiles évidences, tempèrent nos guides. Si le travailleur et l’emploi sont tels qu’abstraction faite de cette obligation, le travailleur n’a ni l’envie d’occuper l’emploi ni le désir de le garder, la productivité que son employeur peut en escompter a peu de chance d’être suffisante pour que celui-ci souhaite l’embaucher ou le retenir. (…) Forcer les bénéficiaires du revenu minimum garanti à travailler coûte cher.» (4)
Autant que le chaud précédent, ce froid-là est donc appelé à tiédir.

Reste, néanmoins, un courant d’air plus solidement susceptible d'enrhumer mon enthousiasme. En effet, une prestation indépendante de la composition des ménages n’aurait pas que des avantages (élimination du coût administratif et des atteintes à la vie privée induites par les visites domiciliaires et autres formes de vérification du statut d’isolé ou de cohabitant). Elle aurait aussi un coût. Qu’il s’agirait donc de financer d’une manière ou d’une autre.

Coût démesuré? Non. Car dans la plupart des propositions, l’allocation universelle n’est pas simplement ajoutée aux programmes existants de taxes et transferts: elle s’accompagne d’une réduction, à concurrence de son montant, des divers transferts sociaux conditionnels existants. Du coup, la «douloureuse» s’avérerait de facto beaucoup moins exorbitante qu’initialement redouté.
Elle n’en resterait pas moins effective. D’où la nécessité de trouver des sources de financement possibles...
. Soit qu’elles ramènent à l’imposition: impôt sur le revenu des personnes physiques (création d’un impôt spécifique ou suppression d’exemptions et déductions existantes) et/ou impôt foncier.
. Soit qu’elles renvoient à la taxation: taxe sur la valeur ajoutée, taxes écologiques, taxe «Tobin» sur les mouvements de capitaux spéculatifs et/ou autres (pourquoi pas, par exemple, une surtaxe sur la publicité?).

Reste à se demander si, à court ou à moyen terme, il est réellement envisageable de trouver une majorité politique qui accepte de consacrer tout ou substantielle partie de ces ressources à l’instauration de la dite allocation universelle. En période de crise économique (sans doute structurelle), il y a fort à parier que la probabilité d'une telle issue n'en devienne que plus faible. Et ce quels que soient les arguments de ceux qui voient dans l'inconditionnalité d'un tel revenu le moyen de renouer avec cette (bonne) croissance dont une majorité d’économistes s'accordent à penser qu’elle fait défaut à l’Europe d’aujourd’hui.

Christophe Engels

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.

(3) Ibidem, p. 53-54.
(4) Ibidem, p. 54-55.

(5) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"

dimanche 16 mai 2010

L'allocation universelle en question...


«Allocation universelle, "revenu garanti", "revenu minimum garanti" : quelle différence ?»
(1)


L’allocation universelle se définit comme «un revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie» (2).
Elle a été très diversement désignée, habituellement par la conjonction d’un substantif – «allocation», «revenu», «dividende», «prime», «salaire» - et d’un adjectif ou complément – «universel», «général», «garanti», «national», «de base», «citoyen», «de citoyenneté», «d’existence».
L’allocation universelle ne se différencie donc pas plus d’un «revenu garanti» que, par exemple, d’un «revenu de citoyenneté» ou d’un «revenu d'existence».

En revanche, elle ne doit pas être confondue avec le dispositif conventionnel de «revenu minimum garanti», connu en Belgique sous le nom de «revenu d’intégration» (725 euros/mois pour un célibataire sans enfant) ou en France sous l’appellation de «revenu de solidarité active» (464 euros).

Aux questions
. «quoi?»,
. «de qui?»,
. «à qui?»,
. «comment?»,
. et «en échange de quoi?»,
le revenu minimum garanti répond
. revenu en espèces et sur une base régulière (en général une fois par mois),
. versé par les pouvoirs publics,
. aux personnes en situation de précarité,
. en tenant compte de la situation familiale de chacun (en couple ou non, avec ou sans enfant(s)),
. et en échange d’efforts consentis à la recherche d’un emploi.

L’allocation universelle se distingue en ce sens que, si elle fait chorus en termes de
. revenu (du même type),
. versé par les pouvoirs publics,
elle entend, elle, destiner ce montant
. à tout un chacun,
. sur une base individuelle
. et en échange de… rien !

Revenu minimum garanti et allocation universelle ont donc, certes, des points communs : tous deux se concrétisent par des prestations
. versées en espèces et sur une base régulière,
. par des pouvoirs publics,
. sans être réservées à des personnes ayant préalablement cotisé.

La deuxième nommée se démarque cependant du dispositif conventionnel par le fait qu’elle est attribuée
. à tous et pas seulement aux plus pauvres,
. sans tenir compte de la situation familiale des bénéficiaires,
. et sans aucune exigence de contrepartie. (3)

Christophe Engels
(d'après Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005)

(1) Question récemment posée.
(2) Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005, p.6.
(3) Pour suivre:
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle est-elle réaliste?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle serait-elle plus efficace contre le chômage?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle peut-elle être à la fois réaliste et efficace?"
. L'allocation universelle en question... "L'allocation universelle: juste ou injuste?"