mercredi 2 juillet 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (39) Engagement phi. Penser ma vie et vivre ma pensée

  
Penser ma vie et vivre ma pensée.
Telle est la dialectique 
de l'anthropologie philosophique.
 D’un côté, donc, une réflexion 
portant immédiatement sur ma vie: 
le concret de mon vécu
et de mon expérience personnelle. 
De l'autre, la connaissance philosophique:  

«Connais-toi toi-même»: tel est le thème de toute anthropologie philosophique.
«L’anthropologie philosophique, c’est la réflexion sur soi, l’essai toujours renouvelé que fait l’homme pour arriver à se comprendre, écrit le philosophe français d’origine allemande Bernard Groethuysen (1).  
La réflexion sur soi peut toutefois signifier deux choses, selon que l’homme s’en tient à ce qui lui est arrivé dans la vie et veut se représenter lui-même, ou selon que la vie et lui-même deviennent pour lui un problème de la connaissance. 
Selon donc qu’il pose la question sous l’angle de la vie ou sous celui de la connaissance.»

Philosophie ou philoso… vie?

D’un côté, donc, une réflexion portant immédiatement sur ma vie: le concret de mon vécu et de mon expérience personnelle. 
Et de là, l’effort consenti pour trouver un sens à ce qui m’est arrivé et à ce que j’ai éprouvé. 
C’est le domaine de la «philosophie de la vie», qui s’inscrit quelque part entre philosophie et littérature.
Face à cette approche qui me ramène toujours à moi-même, la connaissance philosophique part d’un tout autre principe. 
Ce qui compte pour elle, ce n’est plus ce que je vis, mais ce que je pense. 
Exit le «Connais-toi toi-même» de Socrate. 
Place au «Cogito» («Je pense») du Français René Descartes (2)
Ici, la philosophie se méfie de l’expérience immédiate. 
Elle entend tenir ma vie à distance. 
Car dans cette optique, la concentration sur moi s’apparente à un rapport tout à fait primitif à la vie, à un égotisme qui doit être surmonté.
Seule façon de concilier ces deux points de vue: un aller-retour permanent entre introspection et savoir. 
Telle est justement, selon Bernard Groethuysen, «la dialectique de l’anthropologie philosophique, qui n’est que l’expression d’une tendance inhérente à l’esprit humain: celle qui oppose la vie à la connaissance.» (3)(4)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Groethuysen Bernard (1880-1946), Anthropologie philosophique, Gallimard, coll. Tel, Paris, 1953, p. 7, www.edenlivres.fr/p/2070229602?mid=3&l=fr
(2) 1596-1650.
(3) Groethuysen Bernard, Anthropologie philosophique, ibidem, p 11.
(4) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


Made in Germany

Depuis le début du XXe siècle, sous l’impulsion de philosophes, anthropologues et sociologues d’outre-Rhin, l’épicentre de l’anthropologie philosophique s’est résolument installé en Allemagne.
Principaux représentants de cette mouvance: Max Scheler (1), Helmuth Plessner (2) et Arnold Gehlen (3).
Ce dernier, anthropologue et sociologue, propose de subdiviser le nouveau courant en deux grands groupes.
. Le premier, initié par Scheler, se caractérise par «des implications métaphysiques» (4).
. Le second, emmené par Plessner, renvoie à des «projets qui entendent, du moins selon leur intention déclarée, se mouvoir sur le terrain empirique» (5).

Vrai fondateur…

Qu'est-ce que l'homme et quelle est sa place dans l’univers? 
Telles sont les deux questions qui obsèdent Max Scheler d’un bout à l’autre de son existence de penseur.
Loin de chercher à éluder la critique radicale des maîtres du soupçon (Marx, Nietzsche et Freud), le Munichois à la double casquette de philosophe et de sociologue s'imprègne de la psychologie de Nietzsche pour mieux la dépasser sur le plan métaphysique. 
Le moi psychophysique, dit-il, ne résume pas l’unité existentielle de la personne. 
Car au-delà du «sentir», celle-ci peut aussi penser, vouloir et aimer. 
C’est d’ailleurs ce qui la différencie du végétal et de l’animal. 
Et ce qui permet à l’homme de se libérer des limites de l’organique pour accéder à une existence plus riche. 
Plus riche, même, que celle d'une certaine tradition chrétienne qui tend à ne voir que vallée de larmes dans le séjour terrestre.
Publiées en 1928 dans le livre «La situation de l’homme dans le monde» (6), ces idées esquissent donc le projet d’une anthropologie philosophique revue et corrigée.
Las! 
Cette même année, la Grande Faucheuse frappe à la porte. 
Une apoplexie foudroyante. 
Et adieu Max…

 et fondateur vrai !

 Un autre philosophe/sociologue, natif, lui, de Wiesbaden, prend le relais. 
Il s’appelle Helmut Plessner. 
Son anthropologie philosophique se démarque pourtant de celle de son prédécesseur. 
Certes, les questions qu’il se pose sont assez proches (Comment le vivant se différencie-t-il de l’inanimé ? Comment s’organise-t-il ?…). 
Mais elles ne sont pas exactement les mêmes. 
En outre, il ne s’agit plus d’interroger l’essence intemporelle de l’homme. 
Désormais, c’est sur les seuls faits biologiques que s’appuie la réflexion.
Il n’empêche… 
Le projet reste très semblable. 
Conséquence: l’intéressé s’empresse de… revendiquer la paternité de la nouvelle discipline! 
En ce mois de mai 1928, son premier manuscrit sur le sujet n’est-il pas, après tout, achevé depuis plus d’un an? 
Son sous-titre sera donc «Fondements de l’anthropologie philosophique». 
Un point, c’est tout!
Le petit monde académique ravale sa salive… 
Cette mention passe mal. 
Il faudra toute la diplomatie du philosophe Nicolai Hartmann pour apaiser cette querelle de préséance. 
L’opus («Les étapes de l'organique et l'homme») sera donc finalement présenté comme une « Introduction à l’anthropologie philosophique ». 
Et la grande Histoire oubliera bien vite la petite.

C.E.

(1) 1874-1928.
(2) 1892-1985.
(3) 1904-1976.
(4) Scheler Max, Philosophische Anthropologie, Meyers Enzyklopädisches Lexikon, Mannheim / Vienne / Zürich, 1971.
(5) Scheler Max, Philosophische Anthropologie, ibidem. 
(6)  Traduction française : Aubier, Paris, 1979.


samedi 28 juin 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (38) Anthropologie philosophique. Clic, clac, Socrate!


Cet homme… 
Cet homme concret... 
Bon sang! 
Mais c’est vous-même!
Attention! 
Vous êtes dans le viseur 

En cette époque de vulgarisation tous azimuts qui est la nôtre, l’expression «anthropologie philosophique» fait presque office de gros mot. 
Pourtant, à y regarder de plus près, elle pourrait bien profiter de l’air du temps. 
Non pas qu’un Martin Heidegger, un Hans Georg Gadamer ou même un Paul Ricoeur soit en passe d’enthousiasmer les foules. 
Mais le projet de rejoindre une philosophie authentique en prenant appui sur le (toujours) très en vogue «développement personnel» est désormais porté par certains. 
Dont le philosophe français Michel Lacroix. 
Qui, pour rappel, défend l’idée que le mouvement en question aurait tout à gagner d’un élargissement en une «philosophie de la réalisation de soi» (1)
Fût-ce à un niveau infiniment plus convivial, loin -très loin- des cénacles universitaires, un tel projet reflète l’esprit de l’anthropologie philosophique…

Entre philosophie et anthropologie, mon coeur balance

Qu’est ce que l’homme? 
Telle est la question posée par l’anthropologie philosophique. 
Qui n’est pourtant pas la seule à s’interroger de la sorte... 
La philosophie, en effet, lui fait concurrence. 
Tout comme l’anthropologie.
Oui, mais…
Là où la philosophie s’intéresse facilement à l’abstraction de «l’humain» ou de «l’humanité», l’anthropologie philosophique se penche sur l’homme concret. 
«L’homme en chair et en os, précise le philosophe espagnol Miguel de Unamuno.
Celui qui naît, souffre et meurt.
Celui qui mange, boit, joue, dort, pense et aime.» (2)
Par ailleurs, là où l’anthropologie scientifique cherche à ramener à l’objectivité et se méfie de l’introspection, l’anthropologie philosophique s’appuie résolument sur l’intériorité. 
Qui plus est sur mon intériorité.
Si je cherche à découvrir l’homme, c’est donc directement, dans le concret de ma propre existence.
En la matière, Socrate (3) fait œuvre de précurseur. 
Son «Connais-toi toi-même» renvoie à un double décentrement:
. de l’extérieur (l’homme appréhendé objectivement) vers l’intérieur (l’intériorité du «soi»),
. de l’intérieur en général vers mon intérieur en particulier (vécu à la première personne du singulier).
Le philosophe grec appelle à se montrer courageux. 
Assez courageux pour voir ce qui vit en moi. 
Assez courageux, aussi, pour admettre que cette auto-connaissance n’est possible qu’en relation avec une connaissance à la deuxième personne. 
Ma connaissance de moi-même n’a de sens que sous le regard de l’autre. 
Me trouver, c’est te trouver. 
Tel sera aussi, huit siècles plus tard, le fondement du «recueillement» d’Augustin (4).

Entrez, c'est ouvert...

Ce repli sur soi ne conduit donc pas au narcissisme ou au solipsisme (5)
Il est au contraire la condition nécessaire d’une ouverture, à l’autre et au monde. (6)
 
(A suivre)

Christophe Engels

 
(1) Lacroix Michel, Se réaliser. Petite philosophie de l’épanouissement personnel, Paris, Robert Laffont, coll. Réponses, 2008, p.22.
(2) Unamuno Miguel, Le sentiment tragique de la vie, Folio, Paris, 1997.
(3) 470-399 avant Jésus-Christ.
(4) 354-430.
(5) «Le solipsisme désigne une clôture du sujet pensant sur lui-même à l’exclusion de toute réalité extérieure dont il n’ a aucune certitude qu’elle existe.» (Alain Renaut (avec la collaboration de Jean-Cassien Billier, Patrick Savidan et Ludivine Thiaw-Po-Une), La Philosophie, Albin Michel, Paris, 2006, p. 208).
(6) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):   
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


mardi 24 juin 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (37) «Engagement phi». Le retour de la philo momie



 

Pour contester 
l'individualisme 
marchand, 
le développement 
personnel 
a fait chou blanc.
Place, donc, 
à une alternative.
Celle de la philo.
Une «philo.2».
Une «philoso...vie».
Une philosophie de
l'épanouissement 
personnel.


L'individualisme marchand.
Un état d'esprit et un mode de vie dont la crise du moment contribue chaque jour davantage à élargir le cercle des détracteurs.
De quoi étayer la thèse de ceux qui, comme le regretté anthropologue culturel Thierry Verhelst, croient déceler dans nos sociétés les prémices d’un retournement intérieur, d’une «révolution» sans «Grand Soir», d’un quadruple changement: culturel, spirituel, économique et social (1).
De quoi, aussi, renforcer le poids de ceux qui ont pour projet de faire la jonction entre la vague un peu surfaite du «développement personnel» et l’authenticité d’une philosophie digne de ce nom.
Parmi eux, le plus qu’accessible Michel Lacroix (2).  
Qui défend l’idée que la vague en question aurait tout à gagner d’un élargissement  en une «philosophie de la réalisation de soi».  
Histoire de puiser «dans l’héritage des philosophes et des écrivains qui, depuis deux  siècles, ont réfléchi au problème de l’existence.» (3)

Développement: plus vrai que... culture!

«Au tournant des années 1960, la réalisation de soi a pris (...) une nouvelle orientation, une orientation qui s'est traduite tout d'abord par l'adoption d'une nouvelle appellation, raconte le philosophe français.
On s'est mis à parler de "développement personnel".» (4)
Rapidement, d'innombrables techniques allaient voir le jour. 
Des techniques contre-nature?
Oui et non.
Car autant elles ne se fixeraient pas d'autres objectifs que d'
«actualiser le potentiel que l'on porte en soi» et de «mobiliser des ressources propres», autant elles n'auraient de cesse de flirter avec l'excès (donc d'y tomber plus souvent qu'à leur tour) en érigeant en dogme la responsabilité personnelle illimitée.
Des techniques contre-culture?
Oui, incontestablement... 
«Les pédagogues, sociologues, psychologues, philosophes, écrivains qui se pressaient dans ce think tank des sciences humaines (...) brandissaient le drapeau de la contre- culture.» (5)

Les trois bouc-émissaires de la contre-culture

La contre-culture, explique encore l'auteur de «Se réaliser. Petite philosophie de l’épanouissement personnel», était d'abord une déclaration de guerre contre la culture classique, dite «bourgeoise» et appréhendée comme capitaliste, élitiste, aliénante et écrasante. (6)
«En matière littéraire, artistique, philosophique, insistait-elle, tout le monde a le droit de s'exprimer, tout le monde peut créer.
"Nous sommes tous des créateurs": tel était le slogan.
Avec ce corollaire égalitariste: "
tout se vaut".» (7)
La contre-culture visait aussi une seconde cible: la raison.
Accusée d'être déshumanisante, réductionniste et séparatiste.
«Contre l'objectivité scientifique, la contre-culture défendait les droits de la subjectivité, du ressenti.» (8)
Enfin, la troisième «tête de Turc» renvoyait aux religions de la transcendance.
«A ce dualisme, la contre-culture opposait une approche moniste.
Elle décrivait le cosmos comme un tout, une unité, un "holos".
Cette vision holistique du monde excluait toute séparation entre le divin et l'humain.» (9)

Victimes collatérales

Reste que les premières victimes collatérales du développement personnel furent nos écrivains, philosophes et autres artistes qui, jusque-là, avaient mené la réflexion sur la réalisation de soi.      
«La cible que visaient les partisans de la contre-culture n'était pas tant (...) la culture en général que la culture occidentale.» (10)
L'heure de gloire de l'Orient avait sonné.
Au point de faire passer nos propres trésors par pertes et profits.
Une erreur flagrante, sans doute.
Qui, à tout le moins,  rappelle que ce qui excessif est insignifiant...
D'autant que «Si riches soient-elles, les sagesses orientales (...) restaient tributaires des civilisations au sein desquelles elles étaient nées, c'est-à-dire de civilisations où, d'une manière générale, l'individu n'était pas considéré comme la valeur suprême.» (11) 
Et l’auteur de renvoyer tout particulièrement à deux noms...   
. Celui d’Abraham Maslow, qui considère que la société doit offrir à tous ses  membres «la possibilité de se réaliser» (12)  
. Et surtout celui d’Emmanuel Mounier, qui appelle de se vœux une «civilisation personnaliste (...) dont les structures et l’esprit sont orientés vers l’accomplissement comme personne de chacun des individus qui la composent(13)(14)  

(A suivre)

Christophe Engels


(1) Cfr. Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
(2) Lacroix Michel, Se réaliser. Petite philosophie de l’épanouissement personnel, Robert Laffont, coll. Réponses, Paris, 2008.
(3) Engels Christophe, Le grand retour du personnalisme?, in Perso. Regards personnalistes, n°16, octobre 2008, p.3. 
(4) Lacroix Michel, ibidem, p.152.
(5) Lacroix Michel, ibidem, p.153.
(6) Cfr. Lacroix Michel, ibidem, pp.152-154.
(7) Lacroix Michel, ibidem, p.155.
(8) Lacroix Michel, ibidem, p.155.
(9) Lacroix Michel, ibidem, 2008, p.156.
(10) Lacroix Michel, ibidem, 2008, p.161
(11) Lacroix Michel, ibidem, 2008, p.163.
(12) Maslow Abraham, The Farther Reaches of Human Nature, Penguin book, New York, 1994.
(13) Mounier Emmanuel, Manifeste au service du personnalisme, in Œuvres, tome I, Le Seuil, Paris, 1961.
(14) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):  
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.


jeudi 19 juin 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (36) Engagement mutant. S'impliquer pour construire













Comment s'engage le «mutant»?
D'abord en pensant et en agissant
par, sinon contre lui-même.
Ensuite 
en prenant 
position 
par  rapport 
à l'autre.
Enfin
en persistant 
dans la 
construction
d'un projet. 
Quitte, 
pour ce faire, 
à changer 
de collectif 
et/ou 
d'asso-
ciation.


Autant d'efforts sur soi-même.
Autant de voies qui mènent à l'engagement mutant.
Autant de préalables, donc.
Utiles, certes.
Nécessaires, sans doute.
Indispensables, peut-être.
Mais en aucun cas suffisants.
Ainsi le sociologue français Jacques Ion (1)...
«Dans un contexte d'individuation où les épreuves ordinaires sont le terreau de la définition de soi, il faut bien admettre qu'une certaine façon de penser abstraitement la citoyenneté supposant arrachement et apprentissage, ne représente peut-être pas et sans doute de moins en moins le modèle pertinent.» (2)
C'est que le combat intérieur doit encore se muer en lutte collective.
Sur le plan de la réflexion.
Et aussi dans le domaine de l'action. 

Je pense, donc... j'agis!

«On éprouve toujours une certaine réticence à qualifier d'"accomplie" une vie qui n'a pas été vraiment investie dans l'action, écrit le philosophe français Michel Lacroix (3). (...)
C'est pourquoi (...) l'autoréalisation ne peut être confondue purement et simplement avec la sagesse. (...)
L'action n'est pas une option facultative de l'auto-réalisation. 
Elle en est un attribut essentiel, une propriété constitutive.» (4)
S'il convient de penser par, voire contre soi-même, il importe donc également au mutant d'agir de la même façon.
Et autant il lui semble opportun de mettre sa pensée à l'épreuve du débat contradictoire, autant il lui paraît par ailleurs bienvenu d'agir en fonction de l'autre.
Avec ce dernier si possible.
Ou, à défaut, malgré celui-ci.

Qu'il soit a priori considéré comme un ennemi.
Ou alors comme un ami.  
Souvenez-vous de la jolie leçon professée au détour de la fameuse saga de Harry Potter: «S'il faut beaucoup de courage pour tenir tête à ses ennemis, il en faut encore plus pour s'opposer à ses amis 

Mutant: un engagement citoyen...

En général cependant, «L'engagement ne se conçoit que vis-à-vis d’autrui et de la collectivité en dehors du cercle familial et amical, fait valoir la sociologue belge Anne-Marie Dieu (5). 
Pour autrui, donc, ou incluant pour autrui.
Ce qui suppose deux types d'enjeu: 

. social d'une part,  
. sociétal ou politique d'autre part.» (6)
Sans doute l'engagement mutant se rapproche-t-il, en ce sens, de celui que la Fondation Roi Baudouin qualifie de «citoyen»... 
«L’activité citoyenne se définit essentiellement par son intention: au-delà d’un cercle familial ou amical, contribuer au bien-être d’autres individus ou de la collectivité dans son ensemble. 
Elle ressort d’une dynamique de la société civile, qui n’est ni commerciale, ni partisane. 
Elle ne vise donc pas essentiellement un profit financier ou un intérêt particulier.
En ce sens, elle est gratuite.
Bref, l’activité citoyenne répond essentiellement à une éthique de la participation.
Peu importe qu’elle soit bénévole, défrayée ou indirectement rémunérée dans le cadre d’un emploi.» (7)

...ancré dans la singularité de la personne

Encore, pour se faire mutant, cet engagement citoyen se doit-il d'être ancré dans le vécu de la personne.
«A caractériser ainsi l'existence même de l'individu singulier, l'engagement ne peut alors être présenté sous les seuls traits de l'engagement univoque et définitif. (...)
Plutôt qu'adhésion inconditionnelle, il va de plus en plus pouvoir signifier multiplication des expériences.
» (8)
Dans ces conditions, l
'engagement pour telle ou telle cause ne relève plus seulement de l'adhésion à des valeurs ou du respect à des normes.
Il suppose une remise en cause permanente. 
Il s'expérimente au quotidien.
Il s'expose au feu de l'action et des épreuves.
L'engagement politique?
«Comme il en va pour les religions, où chacun tend à se construire ses propres croyances et ses propres règles, chacun est conduit à bricoler personnellement son rapport aux grands systèmes politiques.» (9 )
L'engagement associatif?
«Les engagements dans des associations à but voisin mais hier idéologiquement très opposées comme le Secours catholique et le Secours populaire tendent (...) à s'effectuer aujourd'hui indépendamment des affiliations politico-religieuses qui les organisaient précédemment.» (10)

Zapping or not zapping?

Doit-on alors parler, aujourd'hui, de «militant zapping»?
«Oui et non, répond Anne-Marie Dieu.
Oui dans la mesure où il tend à passer d'un collectif ou d'une association à une autre.

Non parce que le projet, lui, reste sensiblement le même.» (11)
Ajoute l'intéressée. 
Qui précise par ailleurs que, de nos jours, la mobilisation va de plus en plus vers le ludique, la créativité et la culture.
Et qu'a priori, là où les femmes sont davantage attirées par le local, les hommes ont plus d'atomes crochus avec ce qui est formalisé et politique. (12)

(A suivre)

Christophe Engels
 
(1) Jacques Ion a écrit de nombreux ouvrages sur l'engagement et le militantisme..
(2) Ion Jacques, S'engager dans une société d'individus, coll. Individu et société, Armand Colin, Paris, Paris, 2012, pp.170-171.
(3) Michel Lacroix est maître de conférences aux universités et auteur de plusieurs ouvrages.

(4) Lacroix Michel, Le développement personnel, Flammarion, coll. Dominos, Paris, pp.71-72.
(5) La Belge Anne-Marie Dieu est sociologue à HEC-ULg (Université de Liège) et au Centre Socialiste d'Education Permanente (Cesep).
(6) Dieu Anne-Marie, propos tenus au cours du débat «Quel engagement, quelles alliances?» organisé le 22 octobre 2013 au Théâtre National de Bruxelles dans le cadre du Festival des Libertés
(7) Fondation Roi Baudouin, Un espace pour l'activité citoyenne, Bruxelles, 2001, http://www.kbs-frb.be/uploadedFiles/KBS-FRB/Files/FR/PUB_1242_Un_espace_activite_citoyenne.pdf. 
(8) Ion Jacques, ibidem, p.94.
(9) Ion Jacques, ibidem, p.95.
(10) Ion Jacques, ibidem, p.98. 
(11) Dieu Anne-Marie, propos tenus au cours du débat «Quel engagement, quelles alliances?» organisé le 22 octobre 2013 au Théâtre National de Bruxelles dans le cadre du Festival des Libertés
(12) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
.
des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.