jeudi 13 novembre 2014

Actu. L'humanisme, ce fil d'Ariane...



 
Fil retissé par le philosophe français 
Abdennour Bidar.
Pour qui, aujourd'hui, 
il s'agit non seulement 
de retrouver, de  dire et de redire 
toute la noblesse d'une ambition. 
Mais aussi de construire des ponts
entre deux visions du monde:
religieuse et non-religieuse. 



«L’humanisme, c’est la passion de l’être humain pour son propre mystère, pour son génie, son tragique, et la sagesse qu’il peut acquérir. 
C’est l’exhortation à une fraternité universelle dont l’homme serait capable, mais aussi la dénonciation du mal effroyable dont il se rend parfois coupable. 
C’est l’émerveillement mêlé d’effarement pour ses ambitions démesurées qui sont peut-être, paradoxalement, les seules à sa mesure…»
Ainsi pense Abdennour Bidar (1).
Qui, dans son dernier ouvrage
(2), cherche à montrer comment l’Occident s’est voué sans relâche à l’élucidation du mystère humain. 
Non pas, bien sûr, que les penseurs, artistes et acteurs de cette civilisation puissent se prévaloir d'un monopole en la matière.
Ils se sont néanmoins transmis le flambeau d'un questionnement sur l’identité humaine.
Ainsi que la responsabilité de faire émerger une
«humanité plus... humaine».

Homme aux foyers

Sous l'angle chronologique, l'auteur entend balayer les idées reçues...
Non, la Renaissance ne doit pas être retenue comme le seul moment humaniste de l’histoire occidentale!
Tout au plus fut-elle l’un de ses foyers majeurs.
Un parmi d’autres...
Celui des religions monothéistes, par exemple.
Ou alors celui des Antiquités grecque et romaine.
Et même, bien plus tard, celui de la modernité issue des Lumières.

Ici et maintenant

Reste à se demander où nous en sommes, à ce jour, de cette longue quête de l’homme par l’homme.
Et à s'interroger sur la capacité de l'Occident contemporain à se montrer à la hauteur de ses grands humanismes... 
«Il y a dans l'époque actuelle un fond de cynisme qui m'agace et que je trouve un peu irresponsable, confie l'auteur. 
On pense pouvoir évacuer une fonction et une ambition comme celle de l'humanisme au prétexte qu'on aurait affaire qu'à des bons sentiments et à une illusion sur cette nature humaine que, de plus en plus, on considère comme de facto incapable d'empathie, de bonté, de solidarité, de fraternité.
Je crois qu'on a tort de traiter avec une telle désinvolture quelque chose qui renvoie à une ambition aussi pérenne de notre culture et qui, bien loin de faire office de solution de facilité, a au contraire vocation à rencontrer un objectif aussi noble que difficile: celui de l'effort et du travail sur soi.»

L'individualisme n'est pas un humanisme

Hors de l'humanisme, point de salut?
Bidar, en tout cas, estime qu'à ce stade, on n'a rien trouvé de mieux...  
«Je suis sceptique par rapport à ce cynisme contemporain qui, sous les dehors assez séduisants de la moquerie et de la dérision, passe à côté de cette noblesse et de cette ambition, sans pour autant proposer d'alternative.
Sans humanisme, en effet, quel projet pour soi?
Quel projet pour l'homme?
Quel projet pour la vie en société?
Et quel projet pour la civilisation?
Sauf à se contenter d'une espèce d'individualisme et de contentement de soi béats.
Voire -pire encore- à se satisfaire d'une barbarie.

Celle qui se caractérise par l'absence de toute ambition humaine pour l'homme.»

L'humanisme, ce double souci...

Comment définir l'humanisme?
«Par un double souci, poursuit notre homme.
Celui de soi et celui d'autrui. 
Une première ambition, celle de devenir plus humain, ne va donc pas sans une deuxième...
Qui se cherche dans la qualité de la relation à l'autre.
Et qui se joue notamment dans la volonté d'accroître la qualité d'attention ou de considération que l'on a pour cet autre.» 
Alors que se pose de plus en plus la question de savoir où on en est dans le processus de sortie de la religion, une telle manière d'envisager l'humanisme peut aider.
Car elle fournit à l'interrogation du sens de la vie une réponse susceptible de convenir autant au croyant qu'au non-croyant.
Mieux: elle offre la possibilité de construire des ponts entre ces deux versions du monde qui peinent tant à trouver du commun.
«A charge pour nous d'ouvrir une discussion mondiale sur nos héritages, fait valoir le philosophe.
Histoire de voir comment, au-delà de clivages fort importants, on peut constituer une espèce de bien commun de ce que j'ose appeler un "universel humaniste".
Soit un universel qui, au rebours de toute abstraction, se construirait par la contribution de ce que chacun peut mettre dans un pot commun dont la dimension d'universalité soit reconnue par les autres.» (3)

C.E.


(1) Le philosophe et écrivain français Abdennour Bidar est spécialiste des évolution actuelles de l'islam et des mutations de la vie spirituelle dans le monde d'aujourd'hui. Membre du comité de rédaction de la revue Esprit, il s'est fendu de plusieurs essais sur les évolutions modernes et contemporaines de l’islam, la philosophie de la religion ou la laïcité.
(2) Bidar Abdennour, Histoire de l'Humanisme en Occident, coll. Le temps des idées, Armand Colin, Paris, 2014. L'extrait repris au début de ce message est tiré du texte de la quatrième page de couverture.
(3) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite de notre série de messages consacrés à l'immigration, 
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).


vendredi 7 novembre 2014

Vu de là-bas. Au nom des laissés-pour-compte...



















C'était il y a trente ans (1).
Trois décennies, donc, 
avant les récentes émeutes du Burkina Faso 
débouchant sur la démission d'un Blaise Compaoré, 
contraint de se réfugier en Côte d'Ivoire
après avoir poussé trop loin le bouchon 
du cumul des modifications constitutionnelles
qui, espérait-il, lui permettrait, 
cette fois encore, 
de se maintenir au pouvoir. 
Ainsi, en cette année 1984, 
Un discours fameux qui,
comme le rappelle Christine Tréguier 
vit le jeune 
et révolutionnaire 
Président
d'une (ex-)Haute-Volta 
fraîchement rebaptisée 
«pays 
des hommes intègres»
dénoncer 
avec véhémence 
et sans concession
les «trafiquants politiques»
et les «exploiteurs économiques»  
issus de l’«arrière-monde 
d’un Occident repu». 
Retour 
sur un réquisitoire 
qui continue à «parler»
dans un monde, 
celui de 2014,
où les laissés-pour-compte 
percolent plus que jamais.


« Je ne parle pas seulement au nom du Burkina Faso tant aimé, mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part.
Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire ou qu’ils sont de culture différente et bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal. 
Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur. 
Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis.
Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. (...)
Je parle au nom des mères de nos pays démunis, qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe pour les sauver des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas. (...)
Je parle aussi au nom de l’enfant. 
L’enfant du pauvre, qui a faim et qui louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riches.
La boutique protégée par une vitre épaisse.
La vitre défendue par une grille infranchissable. 
Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. 
Ce policier placé là par le père d’un autre enfant qui viendra se servir, ou plutôt se faire servir, parce que représentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système. 
Je parle au nom des artistes (poètes, peintres, sculpteur, musiciens, acteurs), hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations du show-business.
Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge pour ne pas subir les dures lois du chômage. 
Je proteste au nom des sportifs du monde entier, dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage moderne. (...)
Enfin, je veux m’indigner en pensant aux Palestiniens qu’une humanité inhumaine a choisi de substituer à un autre peuple, hier encore martyrisé. (...)
Je souffre avec tous ceux qui, en Amérique latine, souffrent de la mainmise impérialiste. 
Je veux être aux côtés des peuples (...) en recherche d’un bonheur dicté par la dignité et les lois de sa culture. 
(...) Je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils peuvent se faire entendre. 
Oui, je veux donc parler au nom de tous les "laissés-pour-compte" parce que "je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger". » (2)

Thomas Sankara


(1) Le 4 octobre 1984.
(2) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).
 

lundi 3 novembre 2014

Droit des migrants, demandeurs d'asile et réfugiés. Caramba! Encore râpé...




 






























L'immigration attire toujours davantage l'attention. 
En cause: les conjonctures économique, 
politique et environnementale, bien sûr.
Mais aussi l'accélération de la mobilité internationale.
Qui a largement triplé en une bonne quarantaine d'années.
Au point de pousser
dans ses derniers retranchements
le droit des migrants, des demandeurs d'asile 
et des réfugiés
Celui-là même qui, quand il n'en arrive pas 
à être purement et simplement ignoré,
se voit de plus en plus souvent 
réduit à la portion congrue.
Ou à tout le moins... dépoussiéré.


«Les migrations sont des mouvements de populations, mais elles sont d'abord des histoires et des aventures humaines.
Elles sont l'expression de choix et de rêves individuels, mais elles sont aussi la conséquence de la violence, de la pauvreté, de la discrimination ou de l'exploitation.
» (1)
On ne saurait mieux dire que ce professeur de journalisme international qu'est Jean-Paul Marthoz (2).
Qui ajoute...
«Dans les cas de migrations forcées et de demandes d'asile, ce rappel des causes humaines et humanitaires de l'émigration est crucial.
Dans les pays d'arrivée, en effet, les autorités tendent à gommer les raisons de départ, comme si l'attention portée aux conditions de vie et au régime politique dans les pays d'émigration fragilisait l'approche sécuritaire, restrictive et soupçonneuse qui, souvent, les inspire.  (...)
Les migrants semblent surgir de nulle part, comme si leur existence commençait au poste frontière du pays de destination, comme s'ils n'avaient pas de passé ni d'histoire.» (3) 
Une façon de faire oublier qu'autant certaines demandes d'asile peuvent se révéler non fondées, autant la façon dont elles sont traitées par les autorités peut, au contraire, s'avérer trop restrictive.
Donc suspecte.
Voire spécieuse.
«Ainsi, pendant très longtemps, aux Etats-Unis, toute personne fuyant un régime communiste, Cuba par exemple, était considérée par définition comme "réfugiée", explicite le Belge. 
Alors qu'une personne en provenance d'un pays non-communiste (Haïti notamment) était soupçonnée d'être d'abord un "migrant économique" et devait démontrer qu'elle était menacée politiquement par le régime.» (4)

Les uns rognent, les autres grognent

C'est que le droit des réfugiés a ses limites.
Bien sûr, il concède des garanties minimales aux plans humain (5), économique et social (6).
Mais ces principes sont de plus en plus souvent bafoués, les Etats, dont ceux de l'Union européenne, tendant par exemple à interpréter la Convention de Genève (7) d'une manière toujours plus limitative.
Une évolution qui s'ajoute à deux autres difficultés... 

Nébuleuse juridique 

D'un côté, la définition des droits des migrants constitue, selon l'expression de la juriste marocaine Khadja El Madmad, «un puzzle juridique géant non assemblé» (8).  
«Les droits des migrants sont éparpillés dans différents textes, abonde cette autre spécialiste en la matière qu'est Stéphanie Grant (9). 
Des textes qu'il faudrait regrouper et revoir afin d'assurer une meilleure protection.» (10)
C'est ainsi que, pour chaque pays de l'U.E., non seulement l'asile est largement réglementé par Bruxelles mais la transposition de la législation communautaire au niveau national se doit encore de tenir compte de diverses obligations internationales.

Bienvenue chez... mon voisin!

D'un autre côté, le droit d'asile n'a été consacré par aucun instrument contraignant de portée universelle (11).
La Convention de Genève énonce, certes, un principe de non-refoulement qui interdit aux Etats de renvoyer un réfugié dans son pays d'origine ou dans un autre où sa vie pourrait être en danger.
Mais elle ne les oblige pas à accueillir ce même réfugié sur leur propre territoire.
Peut-on encore, dans ces conditions, parler d'un droit de migrer?
«Oui, répond  le Belge Henri Goldman, ancien coordinateur du département "migrations" au Centre fédéral pour l’égalité des chances et actuel rédacteur en chef du magazine MICmag (12).
Mais dans des circonstances particulières, déterminées par les pays de destination.»

«No way! You will not make Australia home

Un petit exemple vaut mieux qu'un long discours. 
Prenons donc le cas de l'Australie.
Où, plus que jamais, les immigrants se voient refuser toute possibilité de s'installer.
Et ce, dorénavant, même si l'instruction de leur dossier aboutit à la reconnaissance du statut de réfugié.
De quoi inciter le député indépendant Andrew Wilkie à demander (13) à la Cour pénale internationale (C.P.I.) d’enquêter sur les restrictions drastiques dont fait plus que jamais l'objet la politique d’immigration de son pays
Un pays que le dit parlementaire n'hésite plus à pointer du doigt pour «crimes contre l’humanité».
Opportunisme politicien?
Peut-être.
L'événement ne s'en inscrit pas moins dans la «dynamique» d'une impuissance. 
Celle des règles édictées par les organisations internationales à contrer les ravageuses conséquences des conjonctures économique, politique et environnementale.
Soit un contexte qui, aujourd'hui, ne débouche plus seulement sur la persistance des violations de droits fondamentaux.
Mais, trop souvent, sur leur montée en puissance. (14)(15)

(A suivre)

Christophe Engels 


(1) Marthoz Jean-Paul, Couvrir les migrations, De Boeck, coll. Info & com, Bruxelles, 2011, p.36.
(2) Professeur de journalisme international à l'Université Catholique de Louvain et de déontologie de l'information à l'Institut des Hautes Etudes de Communications Sociales, Jean-Paul Marthoz est aussi chroniqueur de politique international au quotidien Le Soir.
(3) Marthoz Jean-Paul, ibidem, pp.36-37.
(4) Marthoz Jean-Paul, ibidem, p.37.
(5) Droit à la sécurité, liberté de pensée et de religion, droit à la protection contre la torture et les traitements dégradants...
(6) Accès aux soins, à l'éducation et à l'emploi.
(7) Ou Convention relative au statut des réfugiés signée en 1951 (à Genève, donc).
(8) Madmad Khadja El, propos prononcés lors d'un colloque organisé en octobre 2008 à Rabat par l'Institut Panos Europe.
(9) Stéphanie Grant est juriste. Spécialisée dans les droits de l'Homme, la migration, la nationalité et les réfugiés, elle a dirigé le service de la recherche et du droit au développement du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme, à Genève. Elle a aussi été directrice de recherche au Secrétariat International de Amnesty International. Elle a par ailleurs exercé pour Bindman & Partners, à Londres, et travaille actuellement comme chercheuse invitée à l'Université du Sussex.
(10) Grant Stéphanie, International migration and human rights, GCIM, 2005, p.3.
(11) Voir, entre autres, Lochak Danièle, Les droits de l'homme, La Découverte, Paris, 2002, p.102.
(12) MIC avec M comme migrations, I comme interculturel et C comme coopération au développement. 
(13) Le 22 octobre 2014.
(14) Une première version de ce message a été relue par deux juristes du Service International de Recherche, d'Education et d'Action Sociale (Siréas), Dieudonné Diumishutsha et Renaud De Mot, que nous remercions.
(15) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).


jeudi 30 octobre 2014

Immigration. Le monde est comme ça...


 

Wandifa,  le Gambien.
Ragip, le Kosovar.
Autant d'exemples 
d'immigrés
qui ont finalement
été expulsés.
Non qu'ils aient omis d'user, 
sinon d'abuser
de toutes les procédures 
de recours possibles.
Mais ils ont dû 
se résoudre 
à l'inéluctable.
Déboutés, 
ils ont été éconduits.
Retour au pays, donc.










Wandifa, le retour...
En Gambie.
Où il a été hébergé dans la maison de son oncle.
Et où il subit les récurrentes remontrances de sa tante...
«Ce n'est pas facile, répète-t-elle avec une lancinante obstination.
Tu dois nous aider.
La nourriture est chère.
Et il faut que les enfants aillent à l'école.
Quand tu étais en Suisse, tu contribuais à alléger notre fardeau.
Mais depuis que tu es revenu, tout est difficile.
J'aimerais que tu retournes là-bas.
C'est ce que nous voulons.
Tu dois nous débarrasser de cette souffrance...» (2)

«La Suisse, retournes-y!»

Quelle différence avec Ragip!
Qui -paradoxe- se voit, lui, reprocher amèrement d'avoir... déserté son pays d'origine!
«A l'époque, mon père me demandait de rentrer au Kosovo, se souvient celui qui se retrouve cantonné dans le rôle-oh, combien!- ingrat du fils indigne.
Mais je refusais.
Car j'aimais la Suisse.
Je voulais y rester.
Au bout du compte, je me suis pourtant fait expulser tout nu.
C'est comme ça...» (1)
Le retour au bercail s'annonçait difficile.
Il l'a été, en effet...
«Quand je suis revenu, mon père m'a dit:
"Bon ! Je te prête une chambre.
Mais tu ne le mérites pas.
Tu n'as pas bâti quoi que ce soit au Kosovo.
Tu n'a pas gagné ta vie.
Tu n'as rien fait.
Construis-toi une maison.
Puisque tu as été en Suisse, tu dois en être capable.
Ou alors tu n'as qu'à retourner là-bas."
C'est comme ça...» (2)

«Je deviens dingue!»

Fatalisme?
Oui.
Désabusé.
Et tout en contraste avec la révolte intérieure de Dia.
Qui, provisoirement séparé de son épouse, s'est laissé aller à oublier de renouveler sa carte B dans les temps.
Et qui a donc été renvoyé vers le Sénégal.
«Quelle erreur!
Elle m'a fait perdre les enfants et le travail qui étaient miens, à Lausanne.
Et elle m'a contraint à rallier Dakar.
Où j'ai découvert que la maison familiale n'était pas seulement désertée de mes parents, décédés entre-temps.
Elle était aussi complètement inondée.
Tout à fait inhabitable.
J'ai donc dû aller dormir ailleurs.
A la plage tout d'abord.
Puis chez ma soeur.
Qui continue à ignorer ce qui m'est arrivé.
Au même titre que tout mon entourage.
Car je n'ai osé raconter mon histoire à quiconque.
Evidemment certains se doutent de ce qui s'est passé, mais personne ne sait rien.» (2)
L'homme est littéralement ravagé.
«La pression est terrible.
Tout est mélangé dans ma tête.
Chaque fois que j'ai ma fille au téléphone, je me rends compte qu'elle ne comprend rien...
"Tu reviens quand, papa?"
"Tu es parti pour faire de la musique?"
Ca me rend dingue!
Ma famille, ce n'est pas ici!!
C'est en Suisse !!!
L'homme n'habite nulle part si ce n'est là où est sa famille!!!!
Là où est sa vie!!!!!
Là où il peut travailler !!!!!!
Ma dignité, c'est en Suisse!!!!!!!» (1)
Dia a sorti son mouchoir.
Il s'éponge les yeux.
«Je deviens fou...» (2)(3)

(A suivre)

Christophe Engels 
(d'après un remarquable document 
de l'excellent réalisateur suisse Fernand Malgar)(2) 


(1) Rivière noire, Bate Longe. Ou l'histoire d'un coeur qui, après avoir trop battu pour quelqu'un, ne veut plus rien savoir. «Il bat loin, loin. Il bat loin, loin...»
(2) Malgar Fernand, Le monde est comme ça, Climage (avec Arte, RTS, SSR, SRG), https://www.youtube.com/watch?v=9vL1PgyL0lk
(3) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).