mardi 29 mars 2011

Monnaie sociale. Marché: oui, mais...


Jérôme Blanc (1) et Cyrille Ferraton (2) persistent et signent.
Il existe plusieurs types de monnaie sociale.
Place, ici, à une deuxième catégorie (3):
celle des «LETS à dominante marchande».
Où l’on considère que l’actuel système économique
n’a pas que de mauvais côtés.
Pourquoi, donc, jeter le marché avec l’eau du bain?

Jérôme Blanc et Cyrille Ferraton

Les LETS (4) à dominante marchande, que l’on trouve en particulier dans les pays anglo-saxons (Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande) entretiennent des rapports plus étroits avec l’économie marchande et ne refusent pas l’équivalence entre monnaie nationale et monnaie interne.
Il s’agit en fait de reproduire à un niveau local une organisation par le marché en créant une monnaie ad hoc.
A la différence des LETS à dominante réciprocitaire, ils visent à combler les déficiences du système économique en luttant contre la pauvreté par une rationalisation des échanges.
L’introduction d’une nouvelle monnaie au sein d’un groupe social volontaire permet de développer un échange multilatéral rationalisé d’une part, et de constituer des relations de confiance par l’appartenance au groupe, la connaissance des personnes du groupe et la formalisation monétaire des liens d’autre part.

Meilleur marché…

Ce type de LETS répond a priori mieux au principe économique de l’économie solidaire que dans le cas précédent; leur but consiste en effet à redonner aux activités économiques un dynamisme contraint dans l’organisation marchande par le poids que les modalités d’accès au crédit font peser sur l’approvisionnement en monnaie nationale des agents.
Pousser la logique de ce type de LETS revient en particulier à développer deux éléments que l’on ne rencontre pas dans les LETS à dominante réciprocitaire et qui impliquent une convertibilité partielle de la monnaie de LETS.
. Le premier élément consiste en des échanges inter-LETS, à savoir des échanges entre membres de LETS différents.
Ils peuvent se développer au travers de trois procédures distinctes, selon le degré d’organisation de ce type d’échanges: soit en laissant les personnes adhérer à plusieurs LETS (ce qui ne donne pas lieu véritablement à des échanges inter-LETS), soit en ouvrant un compte de correspondant dans chaque LETS où figurent les débits et les crédits liés aux échanges extérieurs effectués par les membres du LETS, soit enfin en ouvrant pour chaque membre de LETS un deuxième compte auprès d’un registre central des LETS.
. Le second élément consiste à autoriser les échanges bimonétaires, c’est-à-dire à autoriser que des échanges soient réglés pour partie en monnaie de LETS et pour partie en monnaie nationale, notamment pour permettre que des professionnels soient intégrés au dispositif.
De fait, cette dernière perspective donne aux échanges pratiqués dans les LETS à dominante marchande un poids potentiellement plus important que dans les LETS à dominante réciprocitaire, limités par l’inconvertibilité de la monnaie interne; on comprend alors mieux comment les LETS à dominante marchande entendent lutter contre la pauvreté et pourquoi ils inscrivent leurs actions dans le cadre du principe économique de l’économie solidaire.
Ils ne portent pas un regard critique comme les SEL français notamment sur l’organisation marchande, mais en font même leur principe de fonctionnement à un niveau local.
Les problèmes de sous-emploi, de pauvreté, etc. affectant l’économie sont moins des conséquences des échanges marchands qu’une mauvaise affectation et circulation de la monnaie nationale.
La solution consiste alors à réorganiser le marché sur des bases locales afin de contrôler les flux de richesses entre le local et l’extérieur. (5)(6)

(A suivre)

Cyrille Ferraton et Jérôme Blanc

(1) Jérôme Blanc est docteur en sciences économiques (1998) et maître de conférences en sciences économiques à l’Université Lumière Lyon 2 (depuis 1999). Ses travaux portent sur la monnaie, qu’il aborde principalement du point de vue des pratiques et de l’histoire des idées. S’intéressant à la pluralité des monnaies, il a publié Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire (L’Harmattan, Paris, 2000). Il travaille en particulier sur un aspect de la pluralité monétaire, à savoir les monnaies sociales, locales ou complémentaires. À ce sujet, il a coécrit Une économie sans argent: les systèmes d’échange local (SEL) (dirigé par J.-M. Servet, Seuil, Paris, 1999) et dirigé Monnaies sociales: Exclusion et liens financiers, rapport 2005-2006 (Economica, Paris, 2006). En matière d’histoire des idées, il dirige avec Ludovic Desmedt l’ouvrage collectif Idées et pratiques monétaires en Europe, 1517-1776 (à paraître). À partir du cas des monnaies sociales, ses travaux portent aussi sur l’économie sociale et solidaire. Il est membre du Réseau inter-universitaire de l’économie sociale et solidaire (RIUESS, http://www.riuess.org/) et fait partie du comité éditorial de l’International Journal of Community Currency Research (IJCCR, http://www.uea.ac.uk/env/ijccr/).
(2) Cyrille Ferraton est docteur en sciences économiques et maître de conférences à l'Université Paul Valéry de Montpellier III. Ses principaux thèmes de recherche portent sur l'économie sociale et solidaire (en particulier la finance solidaire) et l'économie institutionnaliste. Il a travaillé en 2004-2005 sur un programme de recherche européen portant sur la création d'emploi dans les services à la personne. Il a publié L'enquête inachevée: introduction à l'économie politique d'Albert Hirschman (avec Ludovic Frobert, Paris, PUF, 2003), Associations et coopératives. Une autre histoire économique (Erès, Paris, 2007), L'Institutionnalisme de Gunnar Myrdal en question (ENS, Paris, 2009) et La Propriété. Chacun pour soi? (Larousse, coll. Philosopher, Paris, 2009).
(3) La première catégorie, celle des «LETS à dominante réciprocitaire», a fait l’objet du pénultième message de ce blog: «Monnaie sociale. Marché: non, merci!».
(4) Pour rappel, nous considérons, sauf mention contraire, «LETS» comme le terme générique désignant ces associations; lorsque nous traitons de leur déclinaison anglo-saxonne, nous précisons «LETS anglo-saxons» et lorsque nous traitons de leur déclinaison française, nous précisons «SEL français».
(5) Ce message est extrait du texte : Blanc Jérôme et Ferraton Cyrille, Une monnaie sociale? Systèmes d’Échange Local (SEL) et économie solidaire, 2001. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction. Avec l’aimable autorisation des auteurs, que nous remercions. Le texte original a d’abord été présenté lors des Deuxièmes Journées d’Etude du LAME, «Économie sociale, mutations systémiques et nouvelle économie», Reims, 29-30 novembre 2001. Il est ensuite paru dans l’ouvrage collectif (actes du colloque): G. Rasselet, M. Delaplace et E. Bosserelle (coord.), L’économie sociale en perspective, Presses Universitaires de Reims, Reims, 2005, pp.83-98.
(6) Pour suivre:
. «Monnaie sociale. Oyez, citoyens...»,
. «Monnaie sociale. LETS béton…»,
. «Monnaie sociale. En résumé, je vous le dis…».

2 commentaires:

  1. Gouverner sans gouverner ? - Avec Thomas Berns, ce samedi 2 avril.

    Non, il ne s’agit pas du titre d’un nouveau débat sur la crise politique belge actuelle. Mais du thème qu’abordera ce samedi 2 avril au matin le dernier séminaire de notre cycle de Philosophie & Management sur la responsabilité, auquel nous vous convions.

    «Gouverner sans gouverner» est l’expression qu’utilise le philosophe Thomas Berns pour qualifier un gouvernement par les normes plutôt que par les lois. Ce phénomène, qui est aussi un projet dans le chef de certains, n’est pas nouveau: Berns considère qu’il s’esquisse dès la fin de la Renaissance, même s’il se développe particulièrement dans les démocraties contemporaines. En effet, il ne concerne pas que notre petit pays mais tous les pays et sociétés qui sont entrés dans l’âge de la «transparence des faits». Il ne s’agit plus pour ces gouvernements de gouverner le réel mais de gouverner à partir du réel, à partir des faits, dévoilés par les statistiques. Pour ces gouvernements, les actes doivent être aussi objectifs, techniques, voire scientifiques, que possible. Certains parlent d’une managérialisation technico-scientifique pour qualifier le recours de plus en plus fréquent à des normes techniques et scientifiques, plutôt qu’à des règles juridiques, pour gouverner le monde.

    Or, par cette évolution, la rationalité gouvernementale contemporaine devient de plus en plus profondément normative et insidieusement moralisante: elle affecte profondément la façon dont nous nous comportons et la façon dont pensons notre responsabilité vis-à-vis de ces comportements. Comment expliquer cette évolution? Quels en sont les dangers? Comment pouvons-nous y faire face? Voilà quelques unes des questions dont nous débattrons avec Thomas Berns, professeur à l'ULB, membre du Centre Perelman de Philosophie du droit et auteur entre autres de "Droit, souverenaité et gouvernementalité" et de "Gouverner sans gouverner: une archéologie politique de la statistique".

    Info & Inscription: http://www.regonweb.eu/Registration.aspx?EventID=28.

    Bien à vous.

    Laurent Ledoux & Roland Vaxelaire
    Pour l'asbl Philosophie & Management
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  2. Bonjour.

    Vous trouverez sur l’agenda de notre site (www.philosophie-management.com) tous les détails relatifs à nos prochaines activités, entre autres:
    - 18/04 au soir – The great disruption, conference by Paul Gilding, sustainability advocate (en Anglais)
    - 14/05 en matinée (et extension possible l’après-midi) – Comment se poser les bonnes questions ? avec Oscar Brénifier, philosophe
    - 17/05 au soir – Séance publique, gratuite, clôturant notre cycle avec Christian Jourquin, CEO de Solvay, & Benoît Frydman, philosophe – Ne tardez pas à vous inscrire : le nombre de place est limité.
    - 26/05 toute la journée – Ennéagramme : la découverte de soi et des autres – développer un leadership éthique et responsable avec Emmanuel Toniutti, philosophe.
    - Ainsi que les séminaires que nous organisons avec Tetra les 2, 9 et 30 avril.

    Bien à vous.

    Laurent Ledoux & Roland Vaxelaire
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