mercredi 2 mai 2012

Pierre Larrouturou. «Nous ne voulons pas mourir dans les décombres du néolibéralisme !»



Le journal Le Monde vient de publier une tribune 
de l'économiste français Pierre Larrouturou, 
qui appelle à signer le Manifeste Roosevelt 2012.
Tribune qu'un représentant du collectif du même nom,  
Thomas Mazière, 
nous appelle à «diffuser sans modération».
La voici donc...

Pierre Larrouturou, 
Membre du Collectif Roosevelt 2012

«Les systèmes tiennent souvent plus longtemps qu'on ne le pense, mais ils finissent par s'effondrer beaucoup plus vite qu'on ne l'imagine
En quelques mots, l'ancien chef économiste du Fonds monétaire international, Kenneth Rogoff, résume bien la situation de l'économie mondiale. 
Quant au gouverneur de la Banque d'Angleterre, il affirme que «la prochaine crise risque d'être plus grave que celle de 1930»...
La zone euro ne va pas bien, mais les Etat-Unis et la Chine, souvent présentés comme les deux moteurs de l'économie mondiale, sont en fait deux bombes à retardement: la dette totale des Etats-Unis atteint 358 % du produit intérieur brut (PIB); la bulle immobilière chinoise, presque trois fois plus grosse qu'elle ne l'était aux Etats-Unis avant la crise des subprimes, commence à éclater.
Vu le contexte international, comment le PS et l'UMP peuvent-ils continuer de tout miser sur le retour de la croissance? 
Il n'y a qu'une chance sur mille pour que ce rêve devienne réalité.  
«Ça va être effroyable, me confiait récemment un responsable socialiste.  
Il n'y aura aucune marge de manoeuvre. 
Dès le mois de juin, on va geler des dépenses. 
Dans quelques mois, le pays sera paralysé par des manifestations monstres et, en 2014, on va se prendre une raclée historique aux élections.»
L'austérité est-elle la seule solution? 
La gauche au pouvoir est-elle condamnée à décevoir? 
Non. 
L'Histoire montre qu'il est possible de s'extraire de la «spirale de la mort» dans laquelle nos pays sont en train de s'enfermer.

En 1933...

En 1933, quand Roosevelt arrive au pouvoir, les Etats-Unis comptent 14 millions de chômeurs, la production industrielle a diminué de 45 % en trois ans.
Il agit alors avec une détermination et une rapidité qui raniment la confiance: certaines lois sont présentées, discutés, votées et promulguées dans la même journée. 
Son objectif n'est pas du tout de «rassurer les marchés financiers», mais de les dompter.
Son but n'est pas de donner du sens à l'austérité, mais de reconstruire la justice sociale. 
Les actionnaires sont furieux et s'opposent de toutes leurs forces à la loi qui sépare les banques de dépôt et les banques d'affaires, aux taxes sur les plus hauts revenus ou à la création d'un impôt fédéral sur les bénéfices.
Mais Roosevelt tient bon et fait voter quinze réformes fondamentales en trois mois. 
Les catastrophes annoncées par les financiers ne se sont pas produites. 
Mieux! 
L'économie américaine a très bien vécu avec ces règles pendant un demi-siècle.
Ce qu'a fait Roosevelt en matière économique n'était sans doute pas suffisant (sans l'économie de guerre, les Etats-Unis allaient retomber en récession), mais les réformes qu'il a imposées en matière bancaire et fiscale ont parfaitement atteint leurs objectifs.
Jusqu'à l'arrivée de Ronald Reagan en 1981, l'économie américaine a fonctionné sans avoir besoin ni de dette privée ni de dette publique.
Alors que, pendant trente ans, des règles fordistes avaient assuré un partage équitable de la valeur ajoutée entre les salariés et les actionnaires, les politiques de dérégulation ont, en trente ans, fait passer la part des salaires de 67% à 57% du PIB des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce qui a conduit à augmenter tant la dette publique -car les impôts sur les salaires et la consommation sont la première ressource des Etats- que la dette privée, car les salariés ont dû s'endetter pour maintenir leur niveau de vie.
C'est à cause du chômage et de la précarité que la part des salaires a tellement baissé dans tous nos pays: le chômage n'est pas seulement une conséquence de la crise que nous vivons depuis cinq ans, il en est une des causes fondamentales. 
On ne pourra pas sortir de la crise sans s'attaquer radicalement au chômage et à la précarité.
 N'en déplaise aux néolibéraux, nous ne sommes pas face à une crise de l'Etat-providence, mais bien face à une crise du capitalisme dont l'extrême gravité rend insuffisantes les réponses classiques de l'Etat-providence. 
La justice sociale n'est pas un luxe auquel il faudrait renoncer à cause de la crise; reconstruire la justice sociale est le seul moyen de sortir de la crise!

Deux stratégies possibles pour le prochain président

Deux stratégies sont possibles pour le prochain président de la République... 
- Soit il pense que la crise est bientôt finie et qu'il suffit d'une bonne gestion des finances publiques pour passer les quelques mois difficiles qui nous séparent de l'embellie.
- Soit il pense au contraire qu'il ne reste qu'un temps limité avant un possible effondrement du système économique, et il doit «faire du Roosevelt»
. organiser un nouveau Bretton Woods dès le mois de juillet 2012,  
. mettre fin aux privilèges incroyables des banques privées dans le financement de la dette publique,  
. lutter frontalement contre les paradis fiscaux,
. agir avec force contre le chômage et la précarité en lançant dès le mois de mai des états généraux de l'emploi: trois mois de travail avec l'ensemble des partenaires concernés pour construire un nouveau contrat social, comme l'ont fait en 1982 les Néerlandais avec les accords de Wassenaar.
Quel est le rôle historique de la gauche européenne? 
Gérer l'effondrement du modèle néolibéral, quitte à mourir dans les décombres, ou accoucher d'une nouvelle société avant que la crise, comme dans les années 1930, ne débouche sur la barbarie?
Pour pousser le prochain président à l'audace, nous venons de créer le Collectif Roosevelt 2012: avec Stéphane Hessel, Edgar Morin, Susan George, Michel Rocard, René Passet, Dominique Méda, Lilian Thuram, Robert Castel, Bruno Gaccio, Roland Gori, Gaël Giraud, la Fondation Abbé Pierre, la Fondation Danielle Mitterrand, la Ligue de l'enseignement, Génération précaire et bien d'autres, notre objectif est simple: provoquer un sursaut!
Si vous partagez cette envie, rejoignez le collectif en signant son manifeste et les quinze propositions de réformes sur www.roosevelt2012.fr. (1)

2 commentaires:

  1. Bonjour

    À l'occasion de cette fête du travail du 1er mai, je voudrais insister sur la nécessité qu'il y a de créer des emplois non qualifiés à suffisance afin de donner une possibilité d'épanouissement professionnel et social aux nombreux chômeurs qui se morfondent et souffrent de leur condition.

    Si souffrance sociale il y a, des solutions doivent être trouvées. Il n'est pas décent que pour le haut bénéfice de certains hommes d'affaires et rentiers, des multitudes de gens soient tenus de subir des situations misérables, où pour certains il convient de faire appel aux banques alimentaires pour se nourrir. La faim frappe dans notre pays.

    Les élites politiques, économiques et financières ont une responsabilité dans cette situation. Les élites politiques ont toléré un système économique où l'on remplace vigoureusement les hommes par des machines. S'il est remarquable que la productivité ait considérablement augmenté ces 50 dernières années, cela aurait pu conduire à un temps de travail raccourci pour chacun qui aurait pu donner un espace-temps disponible à chacun pour sa créativité personnelle et sociale. Il n'en a rien été: les gains de productivité du travail ont été privatisés par les élites économiques et financières : certains bénéficient de gains plantureux et la part du PIB visant à rémunérer le travail diminue.

    Les tâches non qualifiées disparaissent aujourd'hui au nom de la poursuite de la compétitivité des entreprises et des gains des managers et actionnaires et particulièrement aussi parce que des systèmes informatiques sophistiqués peuvent se charger de leurs tâches. Cela implique donc qu'il y a de moins en moins d'espace professionnel disponible pour les gens qui ne peuvent faire que des métiers simples.

    Or il y a une multitude de gens peu formés qui cherchent un métier simple et qui accepteront d'être modestement payés pour ce qu'ils font. Ce métier sera aussi l'opportunité de se former sur le tas et de s'améliorer personnellement car ils seront confrontés à la rencontre des autres et des savoirs. Ils pourront ainsi vivre grâce à ces emplois qualifiants dans la dignité que confère un boulot. Ils pourront ainsi notamment se loger et se nourrir sans trop de difficultés, si on n'envisage pas le phénomène regrettable des working poors, qui nécessite des mesures spécifiques.

    Le risque de ne pas avoir ses besoins fondamentaux satisfaits et l'absence de possibilités d'épanouissement par le travail pour les milieux populaires doit faire réfléchir les décideurs politiques.

    ./...

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  2. ./...

    Je voudrais ici évoquer les obligations internationales nées par la Belgique de la ratification du Pacte international des droits économiques sociaux et culturels. Ainsi l'article 6 lié au droit au travail comprend-il le droit pour toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisis. Les mesures prises par l'Etat doivent donc inclure l'orientation et la formation technique professionnelle ainsi que des mesures propres à assurer le développement et le plein emploi.

    Au niveau européen, nous avons aussi la Charte sociale européenne révisée où l'article 1er, point 1 dit l'engagement à "reconnaître comme l'un de leurs principaux objectifs et responsabilités la réalisation et le maintien du niveau le plus élevé et le plus stable possible de l'emploi en vue de la réalisation du plein emploi". Il y a aussi la charte des droits fondamentaux de l'UE qui en son article 15 dit que toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée. Enfin pour la Belgique, nous avons aussi l'article 23 de la constitution qui dit aussi le droit au travail.

    Nous avons donc 3 instruments internationaux et la constitution belge qui disent le droit au travail. Ces droits ne peuvent être fictifs: ils doivent être effectifs et réels.

    Un travail pour tous réglera bien des problèmes: on peut compter sur la diminution des dépenses de sécurité sociale (chômage), de santé publique (santé mentale, criminalité), d'impayés (commerciaux, financiers et fiscaux) et il y aura un accroissement bienvenu du commerce pour les commerçants.

    Les élites politiques doivent donc faire leur part de travail pour qu'il y ait du travail pour les personnes peu qualifiées. Et les élites économiques et financières doivent suivre. La responsabilité d'un manager est aussi sociale. L'enrichissement personnel n'est pas une valeur. Il faut que l'activité économique développée apporte du travail à autrui. On ne devient important dans la société que si l'on rend service à la société. Et un des grands services à rendre à la société, c'est de créer un emploi pour tous.

    Il faut aussi aimer son peuple et le défendre par rapport à des situations d'ouverture indécente au commerce international qui détruisent les acquis sociaux et font subir une concurrence déloyale aux travailleurs. Pensons aux salaires faiblement rémunérés en Allemagne qui mettent à mal le modèle social belge et que toutes les forces économiques et sociales du pays devraient combattre.

    Je conclus. Il faut aujourd'hui des politiques de travail contre un salaire de base décent pour tout citoyen. Pour le respect de la dignité. Il importe bien sûr de voir à cet égard quel contenu donner à ce travail. C'est le défi que les élites politiques et les économistes doivent relever pour le bien public, à la lumière des multiples besoins de la société définis dans les instruments internationaux des droits de l'homme.

    Bien cordialement

    Éric Watteau

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