mardi 9 janvier 2018

De l'autre côté de ma vitre, le regard de Yadna...













«Elle sait juste 
que l'Homme est fou 
et que c'est là-bas, en Syrie, 
que s'est formé, petit à petit, 
l'épicentre de sa folie.» 
Elle? 
Oui, cette Yadna.
Dont le regard 
a transpercé notre vitre, 
au feu rouge.
Et que rappelle 
à notre dérangeant souvenir 
l'insolent Grand Corps Malade.







«Heureusement, je n'ai pas d'enfant, 
   se dit Yadna très souvent. 
Ce serait encore plus dur, 
   encore plus humiliant.
Et puis comment elle aurait fait 
   avec un bébé comme paquetage? 
Est-ce qu'il aurait survécu 
   après tout ce voyage? 
Yadna a fui les bombes, 
   la guerre dans son pays. 
Elle sait qu'elle avait peur 
   mais ne sait plus de quels ennemis. 
Entre les tirs de son président, 
   des rebelles, de l'occident, 
de Daesh et des Kurdes, 
   elle ne sait plus d'où vient le vent. 
Elle ne sait plus d'où vient la poudre 
   qui a rasé son village. 
Elle ne sait plus qui tire les balles 
   qui ont éteint tous ces visages. 
Elle sait juste que l'Homme est fou et que c'est là-bas, en Syrie, 
que s'est formé, petit à petit, l'épicentre de sa folie. 

Yadna pense à tout ça en s'approchant de ma vitre. 
Moi, je lui dis "non" avec la main et je redémarre bien vite. 
J'avais peut-être un peu de monnaie, 
   mais je suis pressé: il faut que je bouge. 
Je me rappelle de son regard... 
   J'ai croisé Yadna au feu rouge. 

Après trois mois de périple dans toutes sortes d'embarcations, 
elle a souvent cru que la mort serait la seule destination. 
Comme lors de cette nuit noire, au milieu de la mer Égée, 
dépassée par les vagues sur un bateau bien trop léger. 
Entre les centres de rétention et les passeurs les plus cruels, 
Yadna a perdu de vue tous ceux qui avaient fui avec elle. 
Elle s'est retrouvée seule avec la peur, le ventre vide, 
et des inconnus aussi perdus qu'elle comme seuls guides. 
Marchant pendant des semaines puis payant à des vautours 
le droit de se cacher à l'arrière des camions, sans voir le jour. 
Après ces mois d'enfer, elle passe ses nuits sur un carton. 
Son Eldorado se situe Porte de la Chapelle, sous un pont. 

Yadna pense à tout ça en s'approchant de ma vitre. 
Moi, je lui dis "non" avec la main et je redémarre bien vite.
J'avais peut-être un peu de monnaie, 
   mais je suis pressé: il faut que je bouge. 
Je me rappelle de son regard... 
   J'ai croisé Yadna au feu rouge.

Dans ses nuits, les cauchemars d'expulsion sont réguliers. 
Elle attend d'obtenir le statut de réfugiée.
Elle mendie au feu rouge avec la détresse comme bâillon. 
Elle se renseigne sur ses droits, petite princesse en haillons. 
Elle imagine parfois sa vie d'étudiante dans son pays, 
si la justice avait des yeux, si la paix régnait en Syrie. 
Elle sourit même parfois, quand elle trouve la force d'y penser. 
Elle rêve en syrien mais, là, elle pleure en français. 

J'aperçois Yadna rapidement 
lorsque le feu passe au vert. 
J'ai un petit pincement au cœur, 
   mais je suis en retard et j'accélère.
Les plus grands drames sont sous nos yeux, 
   mais on est pressé: il faut qu'on bouge. 
Il y a des humains derrière les regards... 
   J'ai croisé Yadna au feu rouge.» (2)

(Grand Corps Malade)



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(2) Grand Corps Malade (texte) et Foley Angelo (musique), Au feu rouge, Anouche Productions (Jean Rachid), 2017.


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