jeudi 23 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (10). Vers un alter-populisme indigné ?

 


Populiste, le mouvement indigné? 
Pas vraiment. 
A moins que l'on ne se risque à parler 
de populisme aimable. 
Voire de populisme discursif...

 

Il y a populisme et populisme.
Tel est l'avis de cet éditorialiste de Die Zeit qu'est l'Allemand Werner Perger. 
Qui voit dans le mouvement espagnol des indignés l’expression d’un populisme aimable, totalement dénué de xénophobie, qui pourrait faire pièce à celui des formations d’extrême droite...
«L’Espagne va-t-elle devenir le modèle du nouveau populisme des déçus et des laissés-pour-compte, comme les Pays-Bas, le Danemark et l’Autriche l’ont été pour le populisme des défenseurs des acquis et de la prospérité? (...)  
Ces manifestants (...) pourraient devenir un contrepoids aux antidémocrates de l’extrême droite, hostiles au consensus. 
Qui, sinon les indignés chers à Stéphane Hessel, pourra éviter que l’on ne glisse définitivement dans la postdémocratie?» (1) 

Un zeste de Mai 68, un peu de web...: le cocktail indigné

«La montée des populismes européens, classés à droite, n’est pas si éloignée d’un mouvement comme les "indignés" espagnols, classés plutôt à gauche, renchérit un autre éditorialiste, le Français Philippe Thureau-Dangin de l'hebdomadaire Courrier international. 
Ce sont même les deux côtés de la même médaille. 
On retrouve chez les uns comme chez les autres un égal rejet des partis politiques traditionnels et une déception à l’égard du système parlementaire. (...) 
Populistes et indignés refusent d’une même voix les diktats des marchés financiers, même si les premiers s’en prennent aussi aux étrangers de toutes conditions, coupables à leurs yeux de prendre le travail des autochtones. 
Bref, les indignés incarnent une sorte de "populisme aimable", non xénophobe, pour reprendre l’expression de l’hebdomadaire allemand Die Zeit.
Il y a pourtant une différence de taille entre les deux vagues. 
Les populistes, y compris le FN de Marine Le Pen, pratiquent le culte du chef et proposent des solutions simples, voire brutales, face à la complexité du monde. 
Les jeunes et moins jeunes qui campent sur la place de la Puerta del Sol, à Madrid, savent que la réalité n’est pas simple et qu’il faut d’abord réfléchir. 
Tandis que les populistes lancent des slogans, les indignés ouvrent des forums sur le Net. 
On assiste à une fusion de Mai-68 et du web.» (2)(3)(4)

(A suivre)

Christophe Engels


(1) Perger Werner, Un signal pour toute l'Europe démocratique, in Die Zeit du 26/05/2011.
(2) Thureau-Dangin Philippe, Editorial. Populistes, indignés, même combat ?, in Courrier international du 26/05/2011.
(3) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16.Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la publication initiale..
(4) Pour suivre:  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.


lundi 20 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (9)... La tentation du négationnisme politique




Souvent allergiques aux politiciens, 
les indignés.
Dont certains vont 
jusqu'à vouloir se passer 
de toute forme de politique. 
Attention!
La tentation du négationnisme guète...


Les indignés?
«Un présupposé utopiste les anime, insiste Temps critiques: si un très grand nombre d'individus s'indignent, alors le cours des choses ne pourra plus se poursuivre en l'état.» (1) 
C'est le syndrome de l'utopie libertaire.
Qui fait d'autant plus problème que les membres les plus influents du groupe ne sont nécessairement ni les plus légitimes ni les plus qualifiés.

Politique: je t'aime, moi non plus...

Manque de culture politique, dénonce le philosophe de l'Université de Liège et directeur du Centre pour l'égalité des chances, Edouard Delruelle (2).
Erreur stratégique, renchérit l'anthropologue belge Thierry Verhelst, récemment disparu...
«Il faut se garder de renforcer le discours néolibéral en dépouillant encore le politique de son rôle dans la société, écrit-il
Il demeure plus que jamais essentiel de s’engager politiquement en ces temps sinistres du tout-au-marché.» (3) 
Le constat, pourtant, est implacable: la plupart des indignés n'accordent aucune crédibilité à ce type d'engagement. 
Un rejet qui n'est sans doute pas signe de lucidité. 
Et qui pose donc question.
«Où peut aboutir cette allergie au politique, par ailleurs bien compréhensible?, se demande ainsi Verhelst.  
L’hostilité au politique ne s’adresse-t-elle qu’aux palinodies vaniteuses et aux slogans superficiels qui trop souvent déparent la politique politicienne? 
Ou faut-il craindre une démobilisation qui frôlerait le cocooning individualiste ?
Un regard plus optimiste verra dans cette désaffection une version originale de la politique de la chaise vide: le système souffre à la longue d’un tel déficit démocratique qu’il en perd sa légitimité.
Si une grande masse de gens sortent du système, dira-t-on, celui-ci ne pourra survivre à terme faute de légitimité. 

Peut-être… mais nous n’en sommes pas là. 
Et les partis populistes et d’extrême droite guettent toutes les occasions de détruire la démocratie.»  (4)(5)(6)

(A suivre) 

Christophe Engels


(1) Les indignés : écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283.
(2) Delruelle Edouard, C'est plutôt l'expression d'un no future, in La Libre Belgique, 01 juin 2011 (propos recueillis rar Thierry Boutte).
(3) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
(4) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, op cit., 2008.
(5) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la parution originale.
(6) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.


jeudi 16 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (8). Indignés: un engagement indéfini dans son objet


Indéfini, le mouvement indigné.
Dans son intensité sans doute.
Mais aussi dans son objet...


Difficile, évidemment, de cerner l'ennemi à combattre quand on ne s'est mis d'accord
. ni sur des objectifs finaux à atteindre,
. ni sur des propositions à présenter,
. ni sur les stratégies d'action à arrêter...

Objectifs ? Quels objectifs ? 

Les objectifs à atteindre?
Entre les activistes terre-à-terre (en quête de potager ou de relations de bon voisinages) et les adeptes de l'envolée lyrique (qui souhaitent «jouir pleinement et dignement de nos existences», «une autre idée du bonheur» ou «vivre, vraiment vivre»), on trouve, outre ceux qui... «ne demandent rien», tous ceux qui sont en recherche... (1)
Mais, ici encore, en recherche de quoi?
«La notion même d'"indignation" ne dit rien sur ce qui la cause, reconnaît le collectif Réelle Démocratie Maintenant ! Belgium
Et cela est gros de malen­tendus en série.» (2) 
Aux yeux de ceux qui considèrent que la démarche citoyenne consiste à recréer les condi­tions d’appa­ri­tion d’une société civile qui échap­pe­rait aux fon­da­men­ta­lis­mes du marché et de l’indi­vi­dua­li­sa­tion, la cri­ti­que aura à se focaliser sur les poli­ti­ques néolibérales. 
Pour les autres, la poli­ti­que sera condamnée à la racine. 
Non pas seulement dans sa déclinaison peu ou prou néolibérale du moment, donc. 
Mais dans son fondement étatique même. 
Ceux-là redouteront comme la peste le piège d'une possible vic­toire à la Pyrrhus. 
Celle «d’une démocra­tie considérée sim­ple­ment sous sa défini­tion mini­ma­liste de moins mau­vais des régimes poli­ti­ques au sein d’un capi­ta­lisme perçu comme hori­zon unique et indépas­sa­ble.» (3)
Il est vrai que si les indignés mani­fes­tent leur exaspération et leur colère, c'est majoritairement dans le res­pect des ins­ti­tu­tions. 
Une modéra­tion qui découle manifestement de la nécessité de faire consensus entre
. la volonté d'auto-­li­mi­ta­tion des uns,
. la cons­cience, pour les autres, de la dif­fi­culté de mettre en branle une dyna­mi­que d'insubordination.
«L'essentiel est ailleurs, assène néanmoins Damien, déjà rencontré dans les messages précédents. 
Il renvoie au fait que le mouvement indigné se réunit bel et bien autour d'un objectif commun. 
Il s'agit de trouver une alternative humaine à toutes les inhumanités auxquelles notre planète est soumise. 
Ce qui nécessite le rejet de trois types d’"inacceptable":
. la toute puissance du monde financier,
. l'exploitation des ressources de la planète,
. la discrimination entre ceux qui ont des papiers et ceux qui n’en ont pas.
Dans la mesure où il s’agit d’un projet universel, il ne peut qu’être flou. 
Rappelons le: il faut laisser du temps au temps. 
Car nous n'avons pas d'autre choix. 
Aujourd’hui, nous nous dirigeons en somnambule vers l’horreur absolue. 
Celle-là même que nous nous étions promis de ne jamais répéter. 
A savoir celle des... camps de concentration! 
Sait-on par exemple que, dans les centres fermés, les réfugiés reçoivent 1000 calories par jour? Soit à peine plus que les 800 dont avaient à se contenter les victimes de la Shoa...?» 

Propositions ? Euuuh... 

Les propositions à présenter?
De l'altermondialisme à la simplicitévolontaire en passant par la décroissance, la créativité culturelle, l'allocation universelle (4), le développement durable (5), le business social (6), l'économie sociale (7), la responsabilité sociétale des entreprises et/ou des acteurs économiques (8), la finance solidaire ou  responsable (9), le commerce équitable (10), la monnaie sociale (11), la transition écologique et économique (12), le Revenu de Transition Economique (13), le post-capitalisme (14) ou le post-libéralisme (15)...: une série impressionnante de courants de pensée et modes de vie émergents pourraient servir de points d'appui aux indignés.
Qui s'abstiennent pourtant de toute source d'inspiration de ce type. 
Explicitement en tout cas, aucune référence n'est faite à ce qui existe. 
On semble préférer repartir de zéro. 
Et vouloir tout (ré)inventer par soi-même. 
Qui plus est, souvent, sans faire appel au moindre spécialiste, qu'il soit économiste, politologue, juriste ou autre. 
Côté jardin, un tel choix assure de ne pas se faire récupérer.
Mais côté cour, il expose à un triple risque...
. Celui de réinventer la poudre.
. Celui, en perdant du temps, de manquer une hypothétique fenêtre d'opportunité historique.
. Celui, enfin, dénoncé en son temps par Alexis de Tocqueville...   
«Dans la démocratie, les simples citoyens voient un homme qui sort de leurs rangs et qui parvient en peu d'années à la richesse et à la puissance, écrivait le penseur français.
Ce spectacle excite leur surprise et leur envie.
Ils recherchent comment celui qui était hier leur égal est aujourd'hui revêtu du droit de les diriger. 

Attribuer son élévation à ses talents et à ses vertus est incommode, car c'est avouer qu'eux-mêmes sont moins vertueux et moins habiles que lui. 
Ils en placent donc la principale cause dans quelques-uns de ses vices, et souvent ils ont raison de le faire. 
Il s'opère ainsi je ne sais quel odieux mélange entre les idées de bassesse et de pouvoir, d'indignité et de succès, d'utilité et de déshonneur.» (16)
Qu'en pensent nos interlocuteurs indignés ?
«Sous cet angle, l'expérience bruxelloise s'est avérée dramatique, tranche Ben, un Belge d'origine portugaise chargé du site internet de la capitale du plat pays. 
On peut presque parler de dictature de l'horizontalité. 
Un concept revendiqué par tout un tas de pseudo libres penseurs. 
Qui, malheureusement, réfléchissent beaucoup plus qu'ils n'agissent...» 

Vous avez dit stratégies ? 

Les stratégies d'action à arrêter ? 
«Devant l’absence de pers­pec­tive, même immédiate, le démocra­tisme abs­trait va être érigé en prin­cipe, "enfonce" Temps critiques. 
L’Assemblée générale doit être régie par le consen­sus après dis­cus­sion. 
Ce qui conduit le plus sou­vent au blo­cage puisqu’une petite mino­rité peut tou­jours cri­ti­quer un point par­ti­cu­lier. 
Dans ce cas, la décision est renvoyée à une com­mis­sion quitte à ce que la pro­po­si­tion revienne devant l’A.G. après modi­fi­ca­tion. 
On a là en germe toutes les tares du par­le­men­ta­risme.» (17)
«L’horizontalité bien comprise ne doit pas empêcher de fonctionner à la majorité, abonde Damien.  
Et pour cause: si elle se confond avec l’unanimité, elle barre la route à quelque décision que ce soit. 
Elle n’a donc à incorporer les avis divergents que jusqu’à un certain point: dès lors qu'un désaccord fondamental apparaît, on doit pouvoir continuer sans l’ultra-minorité qui le porte. 
Le cas échéant, celle-ci doit se montrer assez mature pour quitter le groupe.»
Une leçon manifestement tirée de l'expérience. 
Dont celle du Carré de Moscou, à Bruxelles.
Où certains caractères dominants sont notamment parvenus à faire passer l'idée que tout devait se régler «en famille», donc en évitant comme la peste quelque forme de patronage politique, syndical ou associatif que ce soit. 
Ainsi, rappelons-le, que toute velléité de récupération de la part de professionnels. 
Ceux de la politique ou du syndicalisme, bien sûr.   
Mais aussi ceux de l'économie, du droit... (18)(19)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Toutes ces idées et expressions parsemaient la littérature indignée.
(2) Réelle Démocratie Maintenant ! Belgium, Analyse. Le mouvement des "indignés". Potentialités, contradictions, perspectives, www.facebook.com/note.php?note_id=162316587171545.
(3) Les indignés : écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283.
(4) Voir par exemple Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.
(5)Voir par exemple Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
(6) Voir par exemple Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007.
(7) Voir par exemple Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, ULg, 2007.
(8) Voir par exemple Gendron Corinne, L’entreprise comme vecteur du progrès social: la fin ou le début d’une époque?, in Les cahiers de la CRSDD, collection Recherche, Montréal, 2009.
(9) Voir par exemple www.rfa.be
(10) Voir par exemple l'analyse du Siréas : Commerce équitable. L'intention qui compte. www.sireas.be/pages/spip.php?page=publications&id_article=559.
(11) Voir par exemple Blanc Jérôme et Ferraton Cyrille, Une monnaie sociale? Systèmes d’Échange Local (SEL) et économie solidaire, 2001, http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/13/36/57/PDF/BlancFerratonLame.pdf.
(12) Voir par exemple www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/documents/Arnsperger.TRANSITION.12.02.2010.pdf.
(13) Voir www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/documents/ARNSPERGER.Transition.Veritable.15.12.2010.pdf.
(14) Arnsperger Christian, Pour une éthique existentielle de l'économie, Cerf, Paris, 2005 et Arnsperger Christian, Ethique de l’existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel, Cerf, Paris, 2009.
(15) Briey Laurent de, Le sens du politique, Mardaga, Wavre, 2009.
(16) Tocqueville Alexis de, De la démocratie en Amérique, in Oeuvres II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2004, pp.252-253.
(17) Les indignés: écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, .http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283.
(18) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la parution originale.
(19) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents..

dimanche 12 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (7). Indignés: un engagement indéfini dans son intensité

 
Confus,
hétérogène,
disparate et réactif, 
le mouvement indigné 
s'avère par ailleurs indéfini.
Notamment dans son intensité...


Outre les difficultés mentionnées dans les précédents messages, reste à pointer du doigt le fait que l'intensité à imprimer au processus d'opposition ne fait pas consensus.

Ambiguïté, mon amour...

Dans chacun des cas de figure préalablement envisagés, la course du curseur est vertigineusement longue...
Celle du rejet politique, par exemple, brasse une vaste étendue qui couvre le triple champ
. de l'une ou l'autre occurrence visant à une simple transformation des institutions existantes,
. d'une posture assumant la perspective d'une rupture radicale,
. d'une position dé­légitimant entièrement la médiation politique.
Même constat d'imprécision pour le volet économico-social dont le choix du degré de fermeture aux«évidences» du moment divise, selon que l'option revendiquée renvoie plutôt 
. à une simple augmentation du volume des richesses à redistribuer,
. à la volonté de combattre les excès du productivisme et du consumérisme,
. à l'éradication complète du capitalisme...
«Cela nous amène à une question qui n'est pas tranchée par les indignés, observe Réelle DémocratieMaintenant! Belgium. 
Doit-on encore attendre quelque chose de l'oligarchie?» (1)(2)


(A suivre)

Christophe Engels 


(1) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la publication originale. 
(2) Pour suivre:  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.


mercredi 8 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (6). L'exemple trop réactif des indignés


Les indignés ne se contentent pas de s'offusquer. 
Il s'engagent aussi.
En se déplaçant.
En prenant la parole.
En campant.
En participant à des marches... 

Il n'empêche...
Trop souvent, leur combat 
s'inspire d'une logique réactive
Et se décline sur le mode négatif.


Les intéressés cantonnent leur action dans un registre défen­sif: celui du refus. 
Ils sont contre...
Mais contre quoi? 
Contre le système politique? 
Contre la tyrannie de l'économique? 
Contre l'ensemble de l'ordre établi?...

Refus stérile...

«Nos sociétés regorgent de gens qui sont "contre", tandis que se raréfient ceux qui sont "pour" quelque chose de concret et d’identifiable, analyse le philosophe espagnol Daniel Innerarity. 
Ce qui mobilise aujourd’hui, ce sont des énergies négatives d’indignation et de victimisation. 
Tout le problème consiste à savoir comment y faire face. 
C’est ce que Pierre Rosanvallon a appelé l’"ère de la politique négative", où ceux qui s’opposent ne le font plus à la façon des rebelles ou des dissidents d’hier, dans la mesure où leur attitude ne dessine aucun horizon souhaitable, aucun programme d’action. 
Dans ce contexte, le problème est de réussir à distinguer la colère régressive de l’indignation juste, et de mettre cette dernière au service de mouvements efficaces et transformateurs. » (1) 

... ou approfondissement constructif ?

«Balivernes!, s'insurge Damien (2)
Il faut nous laisser le temps d'oeuvrer à l'approfondissement de notre projet. 
Avant d'agir, nous devons d'abord mener cette tâche à bien. 
Car il n'est pas question de reprendre en l'état une idéologie indignée qui, aujourd’hui, reste trop focalisée sur l'analyse marxiste et sur l’anarchisme. 
Nous avons besoin de régénérer ce qui existe. 
Comment s'en étonner? 
Le monde a changé. 
Le principe de solidarité nationale, par exemple, est remis en cause. 
La sécurité sociale est vendue au plus offrant. 
Et tous les services publics sont menacés de privatisation. 
Ce qui constitue une remise en cause fondamentale du contrat social en vigueur dans toute l’Europe depuis cinquante ans.» (3)(4)


(A suivre)

Christophe Engels


(1) Innerarity Daniel, S'indigner pour que rien ne change, in El Pais du 25/05/2011.
(2) Voir message précédent.
(3) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la parution originale.
(4) Pour suivre:  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents..


samedi 4 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (5). Des indignés hétérogènes et disparates




Prolétariat?
Quel prolétariat?
La conscience de classe n'est plus ce qu'elle était.
Et une question, du coup, 
de se poser avec insistance...
faire reposer un mouvement d'indignation? 


Les insurrections ou les révolu­tions repo­saient jadis sur une cons­cience de classe.
Celle-là même qui s'est réduite à peau de cha­grin avec le déclin quantitatif et «qualitatif» du prolétariat. 
Car la catégorie ouvrière est 
. de plus en plus restreinte, donc de moins en moins représentative, 
. de plus en plus fragmentée, donc de moins en moins porteuse d'une identité spécifique.
Elle s'est en outre désolidarisée des autres catégories défavorisées (salariés peu ou pas qualifiés, chômeurs de longue durée, jeunes en recher­che d’emploi, per­son­nes âgées en dif­ficulté...). (1)

 Convergence: soeur Anne, ne vois-tu rien venir? 

Sur quelle base, dès lors, faire repo­ser un mouvement d'indignation...? 
. Sur des valeurs?
Difficile, au sein d'une société centrée sur un matérialisme (2) qui tend à privilégier l'intérêt tangible sur toute considération touchant de près ou de loin à l'éthique, de se mettre d'accord sur la façon de traduire dans le concret des notions aussi abstraites que la solidarité, la fraternité ou l'humanisme. 
. Sur l'intérêt général?
Ardu d'atteindre un tel but dans une collectivité faisant ses choux gras d'un individualisme qui, fût-ce au nom d'une saine singularité, dérape si facilement vers l'égoïsme. 
. Sur une convergence d'intérêts particuliers?
C'est l'option du plus petit commun dénominateur.
Qui se heurte à l'opposition des acteurs les plus catégoriques du mouvement..
 «La cons­cience morale (...) qui prend aujourd’hui la forme média­ti­que de l’opus­cule à succès de Stéphane Hessel en reste à “l’indi­gna­tion” et à la dénon­cia­tion de ce qui est vrai ment exagéré, relaye par exemple Temps critiques
Comme si cet exagéré n’était pas le pro­duit d’une logi­que générale.» (3)

 Radicaux: «Nous ne mangeons pas de ce pain-là 

Les radicaux, en effet, veulent aller plus loin, sur le(s) plan(s) politique et/ou économico-social... 
. Sur le plan politique, ils qualifient d'illu­soire -voire raillent- le projet, jugé par trop timoré, d'une «démocra­tie réelle», censé toucher au but de l'auto­no­mie poli­ti­que par le simple biais de l'une ou l'autre de ces formes d'auto­no­mie économique que sont l'inter­ven­tionnisme de l’État, la mora­li­sa­tion de la finance, le pro­tec­tion­nisme... 
«Le mouvement des indignés oscille entre deux tendances, que le terme de démocratie réelle ne résout pas, poursuit Temps critiques. 
La première veut seulement cor­riger les excès du système. 
Ses revendications portent sur la moralisation de la vie publique, la qualité de vie, la juste ré­partition des richesses, le droit au travail, la justice, la réforme de l'économie, etc. 
La seconde remet en cause les fondements de nos sociétés et pose les prémisses d'un projet de changement radical: autoges­tion, autonomie, démocratie directe, autant de pratiques de terrain qui ne sont, semble-t-il, revendiquées nulle part pour toute la société - sauf à Athènes, sur la place Syntagma.» (4).
. Sur le plan économico-social, les défenseurs d'une ligne dure entendent se distinguer de l’homo oeconomicus.
Et rejeter le mode de pensée capitaliste. 
Il y a de la simplicité volontaire dans cette version-là de l'indignation.
Pas question d’en rester à un type de projet esthétisant qui tendrait à reléguer le mouvement au rang du développement personnel. 
Pas question de se laisser enfermer dans le réductionnisme économique qui marque notre époque au fer rouge. 
Pas question, donc, de laisser jouer un rôle d’épicentre sociétal à cette économie qui, martèle-t-on, n'a pas à faire office de fin, juste  de moyen. 
«Ceux qui dénoncent les excès voudraient une espèce de retour en arrière où le système était cen­sé être mieux régulé et les richesses mieux réparties, estime Réelle Démocratie Maintenant! Belgium. 
Or, même avec une redistribution égalitaire de la pro­duction, le retour à une société de plein emploi basée sur une croissance forte telle qu'on l'a connue lors des trente glorieuses est impossible. (...) 
La difficulté pour ceux qui, comme nous, veulent "sortir du capitalisme" et de sa "démocratie repré­sentative" réside dans l'invention des formes de la démocratie réelle.  
Les mettre en acte par inter­mittence et à petite échelle sur une place publique est une chose. 
Les étendre à tous les secteurs de la so­ciété en est une autre.» (5) 

La porte des possibles 

On peut ainsi considérer le mouvement indigné comme un appel à élaboration de programme alterna­tif. 
Là se situe certainement sa pertinence. 
Mais aussi, sans doute, sa limite. 
Car quand vient le moment d'aborder le contenu concret d’un projet de substitution, les propositions tendent, au mieux, à balayer un  spec­tre vertigineusement large et, au pire, à rester aux abonnés absents. 
Dans ces conditions, il est plus facile de sa­voir ce que l’on ne veut pas que de choisir ce que l’on veut. 
De là la propension de bon nombre d'indignés à fustiger, à stigmatiser, à condamner davantage qu’à suggérer. 
«L’indi­gna­tion exprime assez bien l’impuis­sance des dominés dans ce contexte et la difficulté à se pro­je­ter vers un avenir dont on sou­haite et dont on redoute en même temps sa dis­sem­blance avec le présent, considère Temps critiques.
D’où le flou que l’on res­sent non seu­le­ment sur le plan pro­gram­ma­ti­que, mais sur celui même du désir.» (6) 
«Une idéologie indignée existe pourtant bel et bien, se rebiffe Damien, un Français expatrié en Grande-Bretagne, puis aux Pays-Bas, qui met son multilinguisme au service du mouvement. 
Mais il s'agit encore d'une idéologie naissante.
Qu'elle ne soit pas encore aboutie à ce stade, quoi de plus normal? 
Ce manque de précision n'a d'ailleurs pas que des inconvénients. 
Il a aussi un incontestable avantage. 
Quel atout formidable, en effet, de se retrouver à l'abri de toutes les formes d'enfermement! 
C'est la porte ouverte à tous les possibles...» (7)(8)

(A suivre) 

Christophe Engels 

(1) Voir, notamment, Touraine Alain, Après la crise, Seuil. Coll. La couleur des idées, Paris, 2010. 
(2) Nous n'utilisons évidemment pas, ici, ce mot dans son sens philosophique, qui renvoie à l'idée que tout est matière ou produit de la matière. C'est de l'acception courante de ce terme qu'il est question dans ces pages. Celle qui  décrit beaucoup plus prosaïquement une manière de penser et de vivre accordant une place prépondérante aux contingences purement matérielles et intéressées.  
 (3) Les indignés: écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283. 
(4) Les indignés: écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283. 
(5) Réelle Démocratie Maintenant ! Belgium, Analyse. Le mouvement des "indignés". Potentialités, contradictions, perspectives, www.facebook.com/note.php?note_id=162316587171545. 
(6) Les indignés: écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283. 
(7) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la parution originale.
(8) Pour suivre:  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.,