samedi 22 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (22) Méditants. Quête de puissance ou travail sur soi ?



 






Autre acteur des 
courants de pensée 
et modes de vie émergents,
le méditant est souvent
adepte du
développement personnel.
Un certain 
développement personnel du moins.
Précisions avec Michel Lacroix (1)...


Nous avons proposé de subdiviser les courants de pensée et modes de vie émergents (C.P.M.V.E.) en trois groupes: 
. les «militants»
. les «mutants»,
. les «méditants».
Après nous être penché sur les premiers nommés, le moment est venu de nous attarder sur les troisièmes cités.
Prenons donc congé des militants.
Et faisons connaissance avec les méditants.   
Soit une catégorie aussi périphérique que la précédente. 
Car, rappelons-le, si les C.P.M.V.E. intègrent les militants et les méditants, c'est à la marge
Leur centre de gravité, en effet, renvoie plutôt à une tierce catégorie, composée de ceux dont le philosophe français René Macaire faisait des «mutants».
Soit une notion que nous n'aborderons que postérieurement...

Les deux visages du développement personnel
 
Gros plan, donc, sur ceux que feu l'anthropologue belge Thierry Verhelst appelait «méditants».
C'est-à-dire ceux qui ressortissent 
. à l'univers d'une spiritualité sur laquelle nous reviendrons  
. et/ou au royaume du fameux «développement personnel» (D.P.).
Le développement personnel?
Un domaine initié par le psychologue américain Abraham Maslow, puis défriché par ceux qui le relayèrent dans le cadre du courant dit «humaniste»
Bien loin de sacrifier à la supposée nécessité de brider des pulsions, ces opposants au freudisme et au comportementalisme partagent une conception positive de la personne.
Le D.P., en effet, s'inscrit radicalement dans une telle optique. 
A preuve, le concept central retenu par cette nébuleuse.
A savoir le «potentiel».
«Se développer, c'est actualiser le potentiel que l'on porte en soi, explique le philosophe français Michel Lacroix. 
C'est-à-dire mobiliser ses ressources propres.» (2)
Et en particulier celles de mon cerveau. 
Comment?
En recourant à des techniques qui, pour nombreuses et variées qu'elles soient, ne s'en laissent pas moins classer en deux grandes catégories...

Et moi, et moi, et moi: la dérive narcissique

C'est qu'il existerait deux façons antinomiques de concevoir la réalisation de soi.
Deux formes de croissance, donc.
«La première s'inscrit à l'intérieur de la sphère de l'ego.
Elle vise à renforcer la position du moi, en augmentant ses pouvoirs, en développant ses aptitudes et ses compétences.» (3)
Autant d'activités de renforcement du moi qui sont orientées vers la réussite. 
Et qui mobilisent les potentialités de l'individu pour lui permettre d'agir avec efficacité.
Le but?
Obtenir des résultats.
Qu'ils se déclinent à l'aune de l'argent, du succès, du pouvoir, du charisme, voire de l'amour ou de la guérison...

Au-delà du moi: le travail sur soi 

«La deuxième forme de croissance ne se place pas, comme la précédente, à l'intérieur de la sphère de l'ego, mais au-delà.» (4)
Plus question, alors, de renforcer le moi.
Il convient désormais de le dissoudre.
En faisant appel à un autre concept-clé.
Celui de la «non-séparation».
«Dans une telle situation, le moi ne se sent plus séparé d'autrui. (...)
Comme dans l'expérience mystique, la totalité du monde apparaît comme une unité, tandis que les repères ordinaires du temps et de l'espace s'évanouissent.» (5)
A ce stade, la séparation se fait lacunaire. 
Et l'ego prend les allures d'une prison.
Au point de conférer au développement personnel une dimension transpersonnelle.  
L'affirmation du moi, non merci!
A présent, c'est sa dissolution qui est recherchée. 
«Loin d'accroître la prise sur le monde, ce type de développement encourage le "lâcher prise".
Au lieu d'un engagement dans la lutte sociale et économique, il prône le retrait, le désengagement, le repli dans l'intériorité. (...)
Le mode de présence au monde qu'il exalte n'est ni la compétition, ni la performance, mais le recueillement, la contemplation, l'extase.» (6)

Méditant psy

Ainsi se caractérise le méditant.
Ou en tout cas le premier des deux types de méditant qui animent les courants de pensée et modes de vie émergents. 
. Celui qui tout en s'adonnant au développement personnel n'en évite pas moins soigneusement de tomber dans le piège du narcissisme.
. Celui qui, à la quête de puissance, privilégie le travail sur soi.
. Celui que l'on peut qualifier de «méditant psy».
A ne pas confondre avec son homologue «spi». 
Qui fera l'objet d'un prochain message... (7)

Christophe Engels

(1) Michel Lacroix est maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise. 
(2) Lacroix Michel, Le développement personnel, Flammarion, coll. Dominos, Paris, p.24.  
(3) Lacroix Michel, idem, p.26.
(4) Lacroix Michel, idem, p.28.
(5) Lacroix Michel, idem, p.29.
(6) Lacroix Michel, idem, p.32.  
(7)  Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...
  

 

mardi 18 mars 2014

Assoc. citoyennes. Le coeur et l'argent du coeur


A force de voir le robinet 
des ressources se tarir, 
les associations citoyennes s'asphyxient. 
Tirer le diable par la queue 
ne suffit plus.
Place, donc, aux solutions qui s'imposent.
Les alliances par exemple.
Ou la visibilité.

C'était il y a quelques jours, à Paris. 
Le Collectif français des Associations Citoyennes se réunissaient pour analyser le nouveau discours qui se développe depuis quelques mois dans certains milieux gouvernementaux ou associatifs.  
Lequel présente le déclin des soutiens publics comme inéluctable et propose aux associations de trouver de nouvelles sources de financement dans le mécénat d'entreprise, le mécénat de compétences et les fonds privés, par des appels sur internet ou par voie de publicité. 
«Ces recommandations sont, comme on peut le regretter, tout à fait en phase avec les positions européennes et avec les pressions très fortes exercées sur les démocraties occidentales par les puissances économiques aux plans national, européen et mondial, explique, pour le collectif, Isabelle Boyer.
Il est pourtant évident que les pratiques préconisées ne peuvent s'appliquer qu'à un petit nombre d’associations de grosse taille et ne sauraient constituer une solution générale de financement pour l'ensemble des associations.
Par ailleurs, l'enjeu de ce débat n'est pas seulement financier. 
C'est aussi un enjeu de société, un enjeu de domination et un enjeu anthropologique. 
Face à ce nouveau discours, les associations doivent réagir en refusant toute assimilation forcée à la logique caritative ou à la marchandisation de leur action, et en réaffirmant leur volonté d'agir au service du bien commun.
Elles doivent pour cela construire un rapport de forces en s'alliant avec d'autres organisations et rendre visible l'espoir dont elles sont porteuses.
Il est en effet important de réaffirmer que les richesses produites par les associations citoyennes se situent avant tout dans les domaines qualitatifs du développement humain, de la démocratie locale, de la participation à la vie de la cité, du renforcement du lien social et de l'épanouissement des personnes. 
La création de richesse économique, bien que réelle, n'est jamais qu'une conséquence de leur activité et ne correspond aucunement à leur finalité. 
Les associations citoyennes réalisent, un peu partout sur le terrain, des actions porteuses d’alternatives à la logique dominante qui, toutes ensemble, tracent les contours d'une alternative globale. 
Elles sont l'expression concrète de la liberté fondamentale de s'associer, qui doit être clairement garantie pour redonner toute sa réalité au pouvoir du peuple. 
Enfin, les associations citoyennes ont des responsabilités essentielles en ce qu'elles constituent, par leur action et les valeurs qu'elles promeuvent, un rempart face à la montée de l'extrême-droite et de la xénophobie.»

Pistes d'action

Sur ces bases, le collectif a retenu plusieurs pistes d'action:
  • définir des méthodes de gestion des associations qui soient en cohérence avec leurs projets porteurs d'autonomie et de transformation sociale; 
  • analyser de façon systématique des exemples positifs d'actions innovantes et de difficultés associatives sur le terrain;
  • organiser des temps de débats pour élargir la réflexion commune à une vision globale de l'Europe et du monde;
  • poursuivre la mobilisation sous de nouvelles formes, pour soutenir collectivement des associations en difficulté, interpeller les équipes municipales nouvellement élues, poser des questions aux candidats aux élections européennes et participer à des actions communes contre l’austérité. (1)

(1) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration... 


Pour plus d'informations... 

Pour le Collectif des Associations Citoyennes: Isabelle Boyer
0(033)7 70 98 78 56



vendredi 14 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (21) Nouvelle militance. Je t'aide, moi non plus...




Tout groupe militant attire, 
par définition, 
des fortes personnalités.
Et c’est tant mieux!
Mais ne peut-on pas être tel
sans pour autant sacrifier le vivre ensemble?
Sans pour autant se sentir moins relié 
à ses compagnons de lutte? 
Sans pour autant éluder l'effort 
d'une réflexion sur soi-même?
Questionnements sans concession
de Bernard Legros (1)...  

«Le néo-activiste est un butineur, mais un butineur bien souvent incapable de polliniser; il prend davantage qu’il n’apporte et oublie de s’insérer dans le cycle du don; il a toujours "d’autres fers au feu" comme bonne raison de s’absenter des réunions ou des actions; il n’écoute pas, il parle. 
Le néo-activiste est un Narcisse (2).» (3)
Ainsi s'exprime l'objecteur de croissance Bernard Legros.
Qui affiche haut et clair sa désillusion.
«Il est devenu presque impossible d’affirmer, sans aussitôt prendre une volée de bois vert, qu’un groupe résistant vit de l’abnégation de tous ses membres, pas seulement du plaisir ou de l’intérêt propre qu’ils en retirent.» (4)
Et l'enseignant belge d'ajouter... 
«Les termes effort, devoir, fidélité, fiabilité, loyauté, morale, renoncement, modestie, vertu, honneur (ne parlons même pas de sacrifice!) sont devenus des gros mots partout, à forte teneur liberticide voire crypto-fasciste, y compris chez ceux qui se targuent de vouloir changer le monde en oubliant de se changer d’abord eux-mêmes. 
Pourtant, si le néo-activiste ne remet pas en question sa culture individualiste –"je fais ce que je veux sans rendre de comptes à personne"–, ou libérale-libertaire, comme dirait Jean-Claude Michéa, nous ne risquons pas de bâtir un monde différent qui nous permette de bien vivre ensemble, sans sacrifier notre individualité. 
Si nous n’aplanissons pas, dans une certaine mesure, nos petites différences individuelles –plus ou moins réelles, plus ou moins fantasmées–, nous ne risquons pas de refaire du collectif, pas plus que si nous ne redéfinissons pas ensemble les critères de la "vie bonne" que le libéralisme avait cantonnés à la sphère privée.» (5)  

Altruisme vs égoïsme: le combat tronqué

Au-delà de toute naïveté («Nous, petits-bourgeois de la classe moyenne, estimons avoir encore trop à perdre à nous engager(6)), Legros renvoie à la socio-analyse de Alain Accardo.
Présentée comme susceptible de nous aider à débusquer dans notre psychisme les multiples chaînes qui nous relient aux modes de vie capitalistes (7) .
«Si altruisme et égoïsme coexistent au sein de la psyché, on constatera avec désarroi que le second semble aujourd’hui l’emporter. 
J’ai souvent entendu l’argument empreint de réalisme et de tolérance: "il faut prendre les gens tels qu’ils sont, pas tels qu’on voudrait qu’ils soient". 
Justement, les gens tels qu’ils sont aujourd’hui font sérieusement douter qu’un activisme humainement équitable et politiquement efficace ait un avenir.» (8)
En cause, notamment, l'idéologie néolibérale. 
Qui «nous répète 
. que nos désirs priment tout le reste et doivent être le moteur exclusif de nos actions (quand ce ne sont pas plus vulgairement nos humeurs ou nos pulsions), 
. que notre épanouissement dans l’hédonisme et notre "développement personnel" sont des objectifs prioritaires, 
. que toute forme d’autorité autre que technocratique et "experte" est à rejeter, ainsi que toute forme de contrôle social, du plus imposant (celui de l’État) au plus simple (celui de l’association libre et informelle). 
Le néolibéralisme produit la "désagrégation de l’humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier." (9)
Le sentiment, jadis répandu, de "devenir soi-même en faisant ce que la société attend" (10) s’est étiolé.» (11)

Questions pour un pigeon

Conséquence d'une telle situation: la montée en puissance de cette sempiternelle question...   
«Comment régler pacifiquement et démocratiquement le problème des free riders?»
Soit la difficulté du «passager clandestin», qui consiste à laisser une minorité d’actifs travailler, faire des efforts et prendre des risques personnels pour ensuite profiter facilement des bénéfices obtenus par eux. 
«D’où il s’ensuit qu’être passager clandestin dans une dissociété libérale (12) est un choix rationnel.»
De là, donc, une série d'interrogations...
. Comment faire «pour que militer ne soit plus synonyme de "pigeonner ou être pigeon"»?
. «Plus fondamentalement, quelles seront désormais les conditions du changement social? 
. Est-il simplement envisageable avant que ne surviennent les grandes catastrophes? 
Nous devons bien poursuivre "la résistance aux effets psychologiques et culturels humainement dévastateurs de la logique libérale" (13), mais le désespoir guette…» (14)(15) 

(A suivre)

C.E. (d'après Bernard Legros)

(1) Bernard Legros est enseignant, essayiste et objecteur de croissance.
(2) Christopher Lasch, La culture du narcissisme, Climats, Paris, 2000, pp. 62-85.
(3) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, Le Stroboscope, 2013, www.lestroboscope.net/lindividualisme-en-milieu-militant.
(4) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, idem.
(5) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, idem. 
(6) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, idem. 
(7) Cf. Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, éd. Agone, 2009.
(8) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, ibidem.
(9) Une objection pénible est celle qui brise l’élan politique, précise Michel Lepesant in Politique(s) de la décroissance. Propositions pour Penser et Faire la Transition, Utopia, Namur, 2013.
(10) Guy Bajoit, Le changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Armand Colin, Paris, 2003, pp.63 et suivantes.
(11) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, ibidem.
(12)  Cfr. Jacques Généreux, La dissociété, Seuil, Paris, 2006.
(13) Jean-Claude Michéa in Revue du MAUSS, L’homme est-il un animal sympathique? Le contr’Hobbes, La Découverte, n° 31, premier semestre 2008, p. 301.
(14) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, ibidem.
(15) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...
                                                  


lundi 10 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (20) Nouvelle militance. Liberté, égalité, nombrilisme




C'est du vécu,
coco!
Bernard 
Legros (1)
ne se mouche
pas du pied
pour décrire 
le monde militant.
Avec imper-
tinence.
Et non 
sans
pertinence.


Qui sait si le XXIe siècle ne passera pas à la postérité comme celui de l’individualisme?
D'un certain individualisme en tout cas.

Qui interpelle par le décalage entre son essence, conçue au Siècle des Lumières, et la forme qu’il a prise aujourd’hui. 
«Les philosophes du XVIIIème siècle espéraient que l’individuation permettrait aux hommes de s’affranchir des tutelles de l’Église, de la monarchie et de la tradition, qui avaient été causes de guerres et d’injustices, rappelle l'objecteur de croissance belge Bernard Legros.
Ils n’avaient pas prévu que ce beau programme, à savoir atteindre l’autonomie de la pensée, déboucherait sur l’atomisation (2) caractéristique de notre époque, remarquablement pressentie par Tocqueville quand il observait la démocratie américaine au début du XIXème siècle. 
Hobbes, qui redoutait la "guerre de tous contre tous", voulait l’exorciser par la toute-puissance du Léviathan. 
Entre-temps, celui-ci, l’État, s’est allié aux capitalistes pour asservir les peuples aux lois du marché, donc nous a ramené à la guerre de tous contre tous.» (3) 

Sous les pavés, la rage... 

Dorénavant libéral, méritocratique et consumériste, l'individualisme irrigue donc plus que jamais tous les rapports des sociétés marchandes.
Juqu'à leur plus lointaine périphérie.
Celle des militants, indignés, libertaires, objecteurs de croissance et autres anti-systèmes…
«D’aucuns pourraient supposer que là-bas, on chercherait passionnément à recréer d’autres relations humaines qui rompent avec le modèle libéral de l’individu délié et auto-construit. 
Il suffit de fréquenter quelques-unes de leurs réunions pour rapidement déchanter. 
L’individualisme, mais aussi l’égocentrisme, l’égotisme et le nombrilisme y sont largement représentés, sans que cela ne semble poser de problème de conscience à quiconque, comme si l’on avait affaire à une donnée indépassable, un socle bien commode qui apporte des avantages dont on ne voudrait plus se passer.» (4)
Legros fustige notamment ceux qui, en quête parfois désespérée de reconnaissance, chercheraient en fait «une tribune pour épancher leur mal-être existentiel, exprimer leurs frustrations et soigner leurs complexes.» (5)
«Au début, la solidarité est fusionnelle, c’est-à-dire qu’elle est fondée sur une communauté de convictions, écrit l'enseignant.
C’est seulement dans un second temps qu’elle peut éventuellement devenir affective, lorsque les membres sont solidaires parce qu’ils se connaissent et ont vécu les mêmes expériences. 
Certains néo-activistes pressés veulent directement sauter à la seconde étape, d’où leur forte demande de marques d’estime, voire d’affection (être chaleureusement accueillis, mis en valeur, questionnés sur leurs motivations, etc.) à leur première réunion.» (6)
Et notre homme d'en remettre une couche sur ceux qui viendraient donner libre cours à des «organisations psychiques typées, parfois pathologiques» (7).
Parmi lesquelles la paranoïa et la psycho-rigidité se tailleraient une place de choix.
Ainsi que des formes plus ou moins larvées de dépression. (8) 

(A suivre) 

C.E. (d'après Bernard Legros)


(1) Bernard Legros est enseignant, essayiste et objecteur de croissance.
(2) Christian Godin, La haine de la nature, éd. Champ Vallon, 2012, p. 66.
(3) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, Le Stroboscope, 2013, www.lestroboscope.net/lindividualisme-en-milieu-militant.  
(4) Legros Bernard, idem.
(5) Legros Bernard, idem.
(6) Legros Bernard, idem.
(7) Legros Bernard, idem.
(8) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...



jeudi 6 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (19) Militance. Quand le moteur de l'action s'emballe...



De la 
militance 
à la colère
il n' y a 
qu'un pas.
Excellent moteur 
pour l'action,
sans doute. 
Mais aussi,
parfois,
vecteur 
de dérive.
Notamment 
cognitive.  


L'un des principaux dangers de la militance renvoie aux excès de la distorsion cognitive. 
Soit des altérations et des erreurs qui apparaissent dans mes mécanismes de décodage. 
Ceux portant sur la réalité extérieure (1)
Mais aussi, parfois, ceux renvoyant à l'intimité de ma personne. (2)
Mon cerveau, en effet, ne se comporte pas simplement en réceptacle passif face à la multitude de stimulations que nous fournit le cours de ma vie. 
Confrontée à une situation donnée, la conscience procède à une «lecture» très personnelle de l’environnement. 
En sélectionnant certaines données. 
En en ignorant d’autres. 
En leur attribuant des significations particulières… 

Une vérité qui... arrange!

Mon interprétation d’une situation dépend donc autant de cette situation elle-même que de mes a priori sur ce type d'occurrence. 
Or peuvent intervenir dans ces systèmes de traitement de l'information toute une série de dysfonctionnements.
Qui tendent à me privilégier, ainsi que mes alliés, par rapport au reste du monde.
 ● Ainsi, en matière de comportement, c'est le processus du «deux poids deux mesures» qui fait son office.
Il s'agit d'un (double) excès,
. dans la complaisance que je m’accorde à moi-même (ainsi qu’à mes proches),
. dans la sévérité dont je fais preuve à l’égard des «autres» (que je peux même en arriver à disqualifier). 
Soit une procédure à la carte, qui permettra d'appréhender fort différemment une réalité selon qu'elle me serve ou non. 
● En terme d'opinion, c'est plutôt l'exacerbation des préjugés et la dénaturation de la vérité qui émergent.
De quoi m'inciter à privilégier systématiquement, dans ma lecture des événements, ce qui confirme mon point de vue initial. 
Et à en tirer des conclusions formelles malgré l'absence de preuves manifestes ou avant même de les rechercher. 
● Sous l'angle des valeurs, c'est aussi l'absence de nuance qui prévaut. 
On pense ici à une façon de voir très tranchée qui tendra à classer 
. dans le noir de l'entièrement mauvais le clan dont je ne fais pas partie,
. dans le blanc du totalement bon le camp dont je suis partie prenante. (3)(4)

(A suivre)

Christophe Engels 

(1) Stimuli externes. 
(2) Stimuli internes.
(3) Les lecteurs les plus fidèles et les plus attentifs de ce Projet relationnel remarqueront peut-être que ce message s'inspire très étroitement d'un précédent post, cette thématique de la dissonance cognitive ayant déjà été abordée dans le cadre de notre série sur le populisme.  
(4) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents, 
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...

 

dimanche 2 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (18) Nouvelle militance. Non aux règles du pouvoir !



















La capacité collective des citoyens
fait émerger de nouveaux mouvements 
politiques et sociaux.
Dont l'enjeu est moins la prise du pouvoir 
que l'intelligence du devenir. 
Reste à relever le plus délicat des défis.
Celui de la convergence.

Face aux multiples crises -démocratique, économique, écologique-, on assiste globalement à une assez grande inertie. 
Les réactions sont plutôt timides. 
Non pas qu'elles n'existent pas.
Mais elles prennent de nouvelles formes. 
A la baisse, les cotes des mouvement ouvrier et syndicats hiérarchisés, ces derniers étant de plus en plus cantonnés au rôle de simples prestataires de services. 
A la hausse, en revanche, l'intérêt pour les mouvements de lutte contre l'austérité et pour les diverses initiatives locales.
«La capacité collective des citoyens (...) fait émerger de nouveaux mouvements politiques et sociaux, dont l’enjeu n’est pas la prise du  pouvoir mais l’intelligence du devenir, explique Marjo Hansotte
(1).
L'engagement politique de nombreux humains aujourd’hui a pour enjeu de créer  une interférence forte entre ce qui surgit et ce que les principes démocratiques impliquent.» (2)

Critique et projet: des racines et des ailes 

Reste que «pour que l'humanité survive, pour que le Nous Tous ait ses chances, se pose  la question permanente du "vers où" nous allons.
Ce "vers où" a deux versants.
Il peut avoir statut de question et implique alors un travail de veille ou de vigilance critique, interrogeant les conséquences des tendances lourdes à l'œuvre.

Il peut  avoir aussi statut d'exigence, et implique alors la formulation d'une prescription  radicale en faveur du principe "Humanité" (...)
Les injustices et difficultés du monde amènent  des citoyens de partout à s’organiser pour  construire une intelligence collective.» (2)
Une intelligence collective, sans doute.
Mais revue à la baisse... 
«En matière de transformation sociale, deux conceptions s'affrontent dorénavant, analyse la philosophe belge Laurence Blesin (3)
D'une part, on tend à s'émanciper de la société. 
D'autre part, on veut renforcer un pouvoir d'agir dans des lieux concrets.
Aujourd'hui, les collectifs ont des modes de fonctionnement plus horizontaux, plus participatifs. 
Dimension essentielle: la contestation. 
Sus à la société du consensus!» (4) 

Contester pour mieux créer

Contester, oui.
Mais pour mieux créer.
Pour aller de l'avant, donc.
Plus que pour conserver les acquis du passé.
C'est peut-être ce que n'ont pas suffisamment compris les syndicats.
Qui, mode de fonctionnement oblige, semblent abonnés aux vielles recettes.
Eculées parfois.
Poussiéreuses souvent.
Militantes toujours...
Un Felipe Van Keirsbilk (5), par exemple, n'y va pas par quatre chemins...
«L'état naturel de la société, ce n'est pas la paix sociale, tranche le secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés (CNE, en Belgique).
C'est le conflit.
Nous ne cherchons absolument pas à éviter celui-ci.
Nous entendons au contraire l'organiser.
Pour en tirer profit.» (6)
Effrayant?
Simplement opportuniste?
Ou alors réaliste?
«Il s'agit d'éviter que la résistance et la lutte se fassent selon les règles du pouvoir en place.» (4)
Dixit Laurence Blesin.
Qui explique par ailleurs...
«Pour le moment, on est battu par ce que Gramsci appelait l'hégémonie culturelle.
Il convient donc de se demander comment lutter contre le modèle néolibéral. 
Et sans doute d'apporter à cette question les réponses de l'éducation permanente.
Le défi est de taille.
Car partout, on est confronté au
culte de la performance. 
Quand des employés sont payés au mérite, on les met systématiquement en concurrence.
Ils doivent en permanence donner le meilleur d'eux-mêmes, se dépasser.
Et il n'y a plus le moindre garde-fou dans la mesure où les médias ne jouent plus leur rôle de contre-pouvoir. 
Un contre-pouvoir qui s'appréhende de plus en plus comme une façon de faire émerger le changement à partir de la prise de parole.» (4)

Convergences: je suis timide mais je me soigne...

Reste une interrogation...
«Quid des convergences réelles? 
On a peu de recul pour se faire une idée de leur efficacité.
Les tentatives actuelles n'ont pas encore donné beaucoup de résultats.» (4)
Certains pourtant s'y essayent.
Ils ont pour noms créatifs culturels, altermondialistes, contributeurs au Etats généraux du Pouvoir Citoyen, convivialistes...
Voire sympathisants de Projet relationnel.
Ou alors participants à l'Alter Summit...
«L'Alter Summit, c'est un réseau, explique Felipe Van Keirsbilk. On ne peut y arriver que si on renonce à jouer les donneurs de leçons.
Nous nous sommes fixés 80 priorités.
Et nous les avons ramenées à trois cibles. 
Histoire de compenser ce que la Confédération Européenne Syndicale ne fait pas au niveau continental...» (6)(7)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Docteure en Philosophie et Lettres, Majo Hansotte est l’auteure d’une thèse sur l’espace public  contemporain (Université de Liège), d’un ouvrage intitulé «Les intelligences  citoyennes» (De Boeck 2è édition 2005), et de plusieurs plaquettes  méthodologiques en lien avec des préoccupations de terrain.   Elle dirige une collection portant le même titre que son ouvrage «Les intelligences  citoyennes» destinée à accueillir des démarches concrètes de citoyenneté ou des  réflexions théoriques soutenant le travail militant.  Depuis de nombreuses années, elle a en charge la formation d’acteurs engagés  dans les mouvements sociaux et associatifs, dans le développement territorial et  l’éducation populaire. Elle est également chargée par la Communauté française de  Belgique d’une mission portant sur la participation citoyenne en Wallonie et à  Bruxelles, en lien avec l’Europe et la francophonie. Dans ce cadre, elle collabore de  manière privilégiée avec le Bureau International jeunesse.
(2) Hansotte Majo, Par où passe le devenir? Mouvements émergents et nouvelles modalités de l'engagement politique, Etopia, 2007, www.etopia.be/IMG/pdf/hansotte.pdf, p.8.
(3) Chargée d'études et de formation à la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), la philosophe belge Laurence Blesin est aussi chercheuse à l'Université Catholique de Louvain (UCL).
(4) Blesin Laurence, propos tenus au cours du débat «Convergences contre l'austérité?» organisé le 22 octobre 2013 au Théâtre National de Bruxelles dans le cadre du Festival des Libertés.
(5) Felipe Van Keirsbilck travaille à la Centrale Nationale des Employés (CNE, Belgique). Il est aussi une des chevilles-ouvrières de l'Alter Summit. 
(6) Van Keirsbilck  Felipe, propos tenus au cours du débat «Convergences contre l'austérité?» organisé le 22 octobre 2013 au Théâtre National de Bruxelles dans le cadre du Festival des Libertés.  
(7) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...