samedi 16 février 2013

Politique. Utopia lex, sed lex


La perfection lointaine 
s'est ringardisée, 
assure Michel Maffesoli (1).
L'heure est 
à la complétude proche. 
L'utopie d'antan?
Elle s'est faite «relative» 
En phase, donc, 
avec le bricolage existentiel 
de notre temps.
Et avec une nouvelle forme de «reliance».
Postmoderne...

Michel Maffesoli

L’Utopie a pu être majuscule. 
La modernité s’est constituée là-dessus. 
L’idéal progressiste d’une société parfaite, forme politique de la Cité de Dieu chrétienne est d’origine messianique. 
Il en est de même de l’Etat Providence qui démocratise la bienfaisance divine. 
Le fonctionnariat, dans cette optique, joue le rôle de cette «bureaucratie céleste» qui, régulièrement, se met au service des peuples pour accomplir ce louable et quelque peu illusoire, désir de perfection.

Bricolage existentiel

Mais voilà que tout passe, tout casse, tout lasse. 
Et dès lors, plus qu’une perfection lointaine, les peuples se satisfont d’une complétude proche. 
D’une vie vécue, tant bien que mal, avec d’autres, en un lieu donné. 
L’utopie ne disparaît pas, elle prend une autre forme. 
Albert Camus a pu, ainsi, parler «d’utopies relatives». 
C’est judicieux en ce que cela traduit bien le bricolage existentiel, le fait de s’ajuster, de s’adapter à cette dure nécessité qui est le lot de l’humaine nature. 
Les Grecs avaient fait d’Anankè une déesse redoutable avec laquelle il convenait de négocier.

Relation et confiance: une double reliance

Il y a dans cet ajustement à la nécessité quelque chose qui renvoie au sentiment tragique de l’existence. 
Cela ne manque pas de grandeur. 
Ne serait-ce que parce que cela façonne des âmes fortes et conforte la tenue du corps social. 
L’utopie «relative» redonne à la vie quotidienne une indéniable noblesse.
Cela, également met l’accent sur la «relation». 
C’est cette «reliance» qui relie et qui redonne de la confiance qui est le défi lancé par la socialité de l’homme sans qualité aux divers protagonistes de l’action publique, les politiques en particulier.
Dans cette reliance postmoderne (être relié aux autres, être en «confiance» avec le monde), on est loin de l’idéologie du changement. 
Ce dernier, pâle ersatz du mythe de l’incendie universel, ou du déluge, que l’on retrouve, depuis l’épopée de Gilgamesh, puis dans celle de la Bible, dans toutes les cultures, ressurgit régulièrement dans les histoires humaines.
On le retrouve, chez G. Sorel, dans le «mythe de la grève générale». (2)(3)(4)

(A suivre)

Michel Maffesoli 


(1) Membre de l’Institut universitaire de France et professeur à la Sorbonne, directeur du Centre d’études sur l’actuel et le quotidien (Paris-V), Michel Maffesoli est l’auteur, entre autres, de La Part du diable (Flammarion, 2002), du Réenchantement du monde (La Table ronde, 2007) et de Homo eroticus, des communions émotionnelles (CNRS Éditions, 2012).
(2) Ce message est extrait d'un document de 23 pages qui nous a été envoyé par  Michel Maffesoli sous l'intitulé L'Opéra-Bouffe du Politique. Nous le publions ici avec l'accord explicite de l'auteur et par parties. Avec, aussi, tous nos remerciements. Et en précisant que les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(3) Merci à Renaud De Mot, juriste au Service International de Recherche, d'Education et d'Action Sociale (Siréas, à Bruxelles) d'avoir porté à notre connaissance la B.D. (ci-dessus) de Mafalda, la petite héroïne du dessinateur argentin Quino.
(4) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute) : 
. «Politique. Enracinement dynamique.» (Michel Maffesoli),
. «Le politique sera populaire ou ne sera pas... Pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté.» (Michel Maffesoli),
. «Politique. Le sens de l'ordinaire.» (Michel Maffesoli)...

mercredi 13 février 2013

Politique. Formes formantes ou formes formules ?


La «formule».
Un fourre-tout sémantique.
Que Michel Maffesoli (1) ne se prive pas 
de pointer du doigt.
Car elle est l'apanage des vaincus.
De ceux qui font montre d'une incoercible frilosité 
devant ce qui est en train d’advenir. 
De ceux qui s'avèrent incapables 
de reconnaître et d’accompagner 
l’émergence des «tribus» postmodernes. 
De ceux qui, bientôt, laisseront la place à une autre élite.
En phase, elle, avec son temps...

Michel Maffesoli

À certains moments, les «formes» sont formantes. 
C’est-à-dire qu’elles déterminent ce qui est. 
Elles permettent d’exister. 
Ce sont des creusets où s’élabore la vie sociale. 
Ainsi tout au long du XIXème siècle, avec des retards et des retours, d’une manière difficultueuse, la «forme» république a permis l’élaboration d’un être-ensemble spécifique. 
Ce qui donna les institutions que l’on sait dont l’éducation, la santé, la solidarité, par exemple, bénéficièrent. 
La notion même de «service public» en est l’expression achevée. 
À bien des égards, ce qu’il est convenu d’appeler le «modèle français» s’est «moulé» dans cette forme. 
Et il influença, largement, de nombreux pays de par le monde, qui étaient sous son influence intellectuelle.

Formules fourre-tout

Mais, quand elle n’est plus en congruence avec l’esprit du temps, une «forme» tend à devenir «formule». 
C’est-à-dire un fourre-tout où l’on va remiser quelques vieilleries dont on n’ose pas se débarrasser, mais dont on ne sait que faire. 
La «formule» embarrasse. 
Elle n’a rien de dynamique.
Elle est l’expression des âmes de vaincus ayant une incoercible frilosité devant ce qui est en train d’advenir. 
Ainsi, par rapport à ce qui vient d’être dit: incapacité de reconnaître et d’accompagner l’émergence des «tribus» postmodernes
Peur, également, devant le dynamisme des solidarités de proximité. 
Effroi devant le retour, internet aidant, de la «forme» initiation faisant paraître bien datée la «formule» éducation nationale. 
Et l’on pourrait multiplier les exemples à l’infini.

Progressisme: arrière, toute!

C’est ainsi que le «républicanisme» ne sait en rien repérer l’émergence d’une mosaïque sociétale avec ses caractéristiques propres et exprimant le dynamisme des âmes de vainqueurs! 
À trop parler d’évolution sociale les progressistes sont devenus rétrogrades. 
Ils s’enferment dans une «ligne Maginot» dont l’histoire a montré la superbe efficacité! 
À propos de l’homme soviétique dont nombre d’intellectuels (et non des moindres) ou de politiques ont vanté les mérites, Arthur Koestler parlait, avec justesse, d’un «Neandertal industrialisé».

Service public : à notre service, M'sieurs, Dames...

Voilà qui fait mouche. 
Et l’on peut se demander si les tenants d’un service public englobant des domaines qui ne sont pas de sa compétence ne peuvent pas être qualifiés de la même manière. 
Il en est de même de «l’État-Providence» et de ses innombrables serviteurs qui confortent une machinerie auto-suffisante dont la fonction est moins le service du public que la reproduction d’elle-même.
Le mythe de Cronos qui se nourrit de ses enfants est un phénomène récurrent. 
En dévorant ce qu’il engendre, il détruit ce qui a pu être créatif. 

Le bal des courtisans 

Voilà bien ce que les politiques n’osent dire. 
Le théoriquement correct le leur interdit. 
Manque de courage des élites des périodes décadentes. 
Elles jouent entre elles à qui sera le plus républicain, le plus démocrate, le plus social. 
«Tu me tiens, je te tiens par la barbichette. 
Le premier qui rira…» 
Sinon que le rire sera de courte durée. 
Avant qu’émerge une autre élite en phase, elle, avec son temps, les politiques du moment continuent à faire la cour à la déesse Raison, cause et effet de ce «social» réduisant l’être-ensemble au simple paramètre rationnel.
Et, comme l’on sait, un vrai courtisan doit être sans honneur et sans humeur.

Chers administrés, n'ayez pas peur...

Il y a, bien sûr, de l’exagération dans les qualificatifs employés, mais l’administration préfectorale en France est, à bien des égards, la quintessence de la providence venue du haut. 
Son pouvoir, certes, est amoindri, mais dans l’esprit des élus, tous bords politiques confondus, le préfet joue le rôle antique de la «fons perennis», la source éternelle des bienfaits du Dieu tout-puissant. 
Ce qui suscite fascination et sidération. 
Vestige des temps anciens en des temps nouveaux, il est un frein inconscient à toute initiative venue du bas. 
Ce qui correspondrait bien à la «pique» postmoderne par excellence: l’horizontalité.

L'humeur à l'honneur

Pour l’honneur, je n’en sais rien. 
Mais être sans humeur, voilà qui risque d’être contre-productif en un moment où les affects retrouvent une force et une vigueur indéniables. 
Et il est urgent que, cessant d’être courtisan d’une «forme» sociale désuète, le politique sache entrer en empathie avec l’expression de toutes ses humeurs, c’est-à-dire, en son sens strict, de toutes ses sécrétions issues du corps social.
«Corps» social n’étant plus, dès lors, une simple métaphore à usage de sociologues décatis, mais bien l’expression de l’entièreté de l’être: personnel et collectif. (2)(3)

(A suivre)

Michel Maffesoli


(1) Membre de l’Institut universitaire de France et professeur à la Sorbonne, directeur du Centre d’études sur l’actuel et le quotidien (Paris-V), Michel Maffesoli est l’auteur, entre autres, de La Part du diable (Flammarion, 2002), du Réenchantement du monde (La Table ronde, 2007) et de Homo eroticus, des communions émotionnelles (CNRS Éditions, 2012).
(2) Ce message est extrait d'un document de 23 pages qui nous a été envoyé par  Michel Maffesoli sous l'intitulé L'Opéra-Bouffe du Politique. Nous le publions ici avec l'accord explicite de l'auteur et par parties. Avec, aussi, tous nos remerciements. Et en précisant que les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute) :
. «Politique. Utopia lex, sed lex.» (Michel Maffesoli),
. «Politique. Enracinement dynamique.» (Michel Maffesoli),
. «Le politique sera populaire ou ne sera pas... Pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté.» (Michel Maffesoli),
. «Politique. Le sens de l'ordinaire.» (Michel Maffesoli)...

dimanche 10 février 2013

Politique. Les mots pour le dire

Un principe générateur 
de vivre-ensemble 
n'est jamais éternel,
explique Michel Maffesoli (1)
A l'échelle de l'Histoire, 
il  finit toujours 
par s'effacer 
devant un autre,
non moins puissant. 
Mais dans l’intervalle, 
les mots manquent...

Michel Maffesoli

Acceptera-t-on de reconnaître que la vérité est tributaire de son temps? 
Notre nombrilisme ne rend pas la chose aisée. 
Et pourtant. 
Lorsqu’on regarde sur la longue durée les histoires humaines, on voit bien en quoi un principe générateur du vivre-ensemble est appelé à perdre de sa force pour laisser place à un autre principe non moins puissant. 
Mais dans l’entre-deux on continue à faire usage de mots, d’idées, d’institutions n’étant plus en phase avec le temps. 
Ce n’est, toujours, que «post festum» que l’on trouve mots et actions en congruence avec ce qui est vécu.

Les lendemains de la veille

Pour décrire ces moments de vacuité, on peut reprendre la formule de Mallarmé: une «monnaie usée». 
Monnaie qui, à certains moments, passe de main en main, dans l’absolu silence de la pensée.
Peut-être est-ce cela la langue de bois. 
On pastiche ce qui fut, en un moment fondateur, mais qui, n’ayant plus le dynamisme de la jeunesse, s’est alourdi et a pris de la mauvaise graisse. 
Par exemple, les fameuses «valeurs républicaines». 
On ne sait plus trop ce que c’est sinon que l’on psalmodie, jusqu’à plus soif, ce qu’elles sont censées représenter. 
Elles sont devenues une idéologie: le républicanisme permettant de stigmatiser ce qui ne rentre plus dans son moule quelque peu décati.

Libres penseurs: ni libres ni penseurs

Pareil pour la laïcité qui était la spécificité de ceux qui n’étaient pas des «clercs»: dans les monastères, les frères «lai». 
Mais ce caractère laïc est devenu «laïcisme», et l’esprit-prêtre a pris le dessus. 
Il n’est pas plus fanatique que ceux qui défendent, bec et ongle, la non-intrusion du religieux dans la sphère publique. 
Ils se proclament «libres penseurs» et, comme le disait ironiquement Nietzsche, sont tout sauf libres ou penseurs! 
Esprits asservis à un préjugé idéologique, la plupart d’un âge certain, ils s’emploient à occuper leur retraite en des combats d’arrière-garde à l’utilité des plus douteuses.

Nouveaux contrats sociaux: en retard d'une guerre

Il en est de même pour les «nouveaux contrats sociaux» qui, ici ou là, fleurissent dans les discours des meetings politiques, ou dans les joutes télévisées, où les protagonistes d’un camp ou de l’autre, essaient de prouver qu’ils sont résolument «modernes». 
C’est bien là où le bât blesse! 
En se revendiquant comme tels, ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en retard d’une guerre, et que leurs arguments fleurent bon son XIXème siècle. 
Siècle, certes, attachant, mais, décidément, daté.

(A suivre)

Michel Maffesoli 


(1) Membre de l’Institut universitaire de France et professeur à la Sorbonne, directeur du Centre d’études sur l’actuel et le quotidien (Paris-V), Michel Maffesoli est l’auteur, entre autres, de La Part du diable (Flammarion, 2002), du Réenchantement du monde (La Table ronde, 2007) et de Homo eroticus, des communions émotionnelles (CNRS Éditions, 2012).
(2) Ce message est extrait d'un document de 24 pages qui nous a été envoyé par  Michel Maffesoli sous l'intitulé L'Opéra-Bouffe du Politique. Nous le publions ici avec l'accord explicite de l'auteur et par parties. Avec, aussi, tous nos remerciements. Et en précisant que les titre, chapeau et intertitre sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute) :
. «Politique. Formes formantes ou formes formules.» (Michel Maffesoli),
. «Politique. Utopia lex, sed lex.» (Michel Maffesoli),
. «Politique. Enracinement dynamique.» (Michel Maffesoli),
. «Le politique sera populaire ou ne sera pas... Pessimisme de l'intelligence, optimisme de la volonté.» (Michel Maffesoli),
. «Politique. Le sens de l'ordinaire.» (Michel Maffesoli)...