vendredi 22 avril 2016

«Filimbi». Kabila veut lui couper le sifflet






Eux,
le président 
Kabila
leur 
peut-être
coupé le sifflet.
Mais pas
aux 
mouvements
citoyens
qu'ils 
incarnent.
Eux? 
Fred Bauma 
et Yves 
Makwambala
(portraits 
ci-contre).
Leurs 
mouve-
ments?
«Lucha» 
et «Filimbi».






















Le respect de l’alternance démocratique, sinon rien!
Tel est le leitmotiv des nouvelles mobilisations citoyennes qui émergent en Afrique.
«Y'en a marre» au Sénégal
«Balai citoyen» au Burkina Faso.
«Iyina» au Tchad.
«Ras le bol» au Congo-Brazzaville. 
D'autres encore. 
Comme «Filimbi» et «Lucha». 
Qui paient un tribut particulièrement lourd à une cause sociétale.
Celle de la République Démocratique du Congo (RDC)...

L'arbitr... aire siffle la fin de la récréation

Retour en mars 2015.
Le 15 exactement.
A l’est de Kinshasa, dans le quartier de Masina, l'opération «Filimbi» («coup de sifflet» en swahili) est officiellement lancée.
Au programme: des échanges sur le thème de la bonne gouvernance.
Premier pas, espère-t-on, sur le chemin d'un projet plus vaste, consistant à sensibiliser la jeunesse à la dynamique de l’engagement citoyen.
Une conférence de presse est également prévue, autorisations à l'appui.
Elle tourne pourtant court.
Car rapidement, les forces de l’ordre entrent en action.
Et procèdent à de multiples arrestations dans l'assistance.
Activistes congolais, journalistes étrangers et locaux, simples passants, diplomate américain: tout y passe.
Au point qu'une quarantaine de personnes se retrouvent embarquées vers le siège de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR).
Trois Sénégalais du mouvement «Y’en a marre» sont du nombre, de même qu'un représentant burkinabé du «Balai citoyen».
Accusés de préparer des «actes de violence», ces quatre hommes se retrouveront expulsés du pays trois jours plus tard. 
Les autres?
Pour la plupart, ils seront libérés au compte-goutte.
Mais pas Fred Bauma, représentant du mouvement «Lucha» (LUtte pour le CHAngement, basé à Goma).
Ni Yves Makwambala, membre de «Filimbi».
Qui, tous deux, demeurent sous les verrous treize mois plus tard.

La raison du plus fort

Juin 2015.
Une trentaine de militants d'Afrique noire se réunissent à Ouagadougou (Burkina Faso) pour le festival «Ciné Droit Libre».
«Quand la jeunesse se met debout...!»: tel est le thème de cet événement culturel.
Qui s'achèvera sur la signature d'une déclaration, dite «de Ouagadougou».
Soit une feuille de route commune appelée à déboucher sur la création d’une plateforme panafricaine des mouvements citoyens. 
Si le texte prévoit les modalités d'une mutualisation des stratégies et des moyens, il revendique d'abord et avant tout la libération de deux activistes détenus en RDC.
En vain, jusqu'à ce jour.
Accusés d'«atteinte à la sûreté de l’État», les deux Congolais n'en finissent pas de croupir dans la prison de Makala.
Malgré les dénonciations des quelques 200 organisations de défense des Droits de l'homme qui fustigeront une atteinte à la liberté d’expression.
Malgré les préoccupations du directeur du bureau des Nations unies pour les droits de l'homme au Congo, José Maria Aranaz, qui parlera d'«arrestations arbitraires».
Malgré le rapport de parlementaires congolais qui conclut à l'absence de preuve sur le caractère terroriste du collectif au sifflet.
Malgré les prises de position du Parlement européen en faveur d'une libération immédiate et sans conditions des deux activistes...

Les Congolais parlent aux Congolais...


Tel n'est heureusement pas le cas de cinq fondateurs de «Filimbi».

Qui, eux, sont passés entre les mailles du filet. 
Au prix de la clandestinité.
Puis, pour trois d'entre eux, de l'évacuation.
Un avion de l’ONU les a en effet exfiltrés.
Vers la France.
Et vers cette ancienne puissance coloniale qu'est la Belgique.
Où résident désormais le chargé de la communication Franck Otete et le coordonnateur Floribert Anzuluni.
Qui estiment, plus que jamais, que les autorités de Kinshasa ont choisi le mauvais chemin.
«Il est clair que la population montre des signes de radicalisation.
C’est l'une des raisons qui nous incitent à penser qu’il est important de canaliser la jeunesse en lui offrant un espace de débat et des outils d’expression non violents.»
Joseph Kabila n'est manifestement pas sur la même longueur d'onde.
Chat échaudé, il est vrai, craint l'eau froide...
Les 19 et 20 janvier 2015, en effet, des manifestations avaient dégénéré en pillages.
Et vingt-sept morts avaient été (officiellement) déplorés dans la foulée de ces protestations contre un projet de loi dont on redoutait qu'en prévoyant la mise sur pied d'un recensement de la population avant la présidentielle de 2016, il n'annonce en fait la remise aux calendes grecques de l'échéance électorale prévue par la constitution.
«Cette action spontanée était en fait l’expression d’une grande frustration, non encadrée. 
D'où ces débordements que le gouvernement s’est permis de réprimer.
Attention, cependant, aux conclusions hâtives!
Un cas n'est pas l'autre.
Il est plus compliqué d’étouffer une voix comme le nôtre, qui est plus jeune et plus organisée.»
Par rapport aux précédentes initiatives, la particularité d'un mouvement comme «Filimbi», c'est qu’il est porté par la jeunesse.
En tout cas par une certaine jeunesse.
«Une jeunesse issue de la classe moyenne.
Une jeunesse instruite.
Une jeunesse qui a décidé de jouer un rôle citoyen en vue d’améliorer la situation.
Ce qui a effrayé les autorités, c'est clairement notre profil de jeunes cadres éduqués.»


Bankable Floribert

Anzuluni, par exemple, a rejoint la RDC après obtention, à Montréal, d'un diplôme universitaire en sciences politiques.
Ce qui lui a permis (2006) de mettre le pied à l'étrier d'une carrière dans le secteur bancaire.
Devenu Directeur des Risques de «Ecobank RDC» (2011), il a participé, avec une dizaine d'autres «jeunes cadres dynamiques», à la création de «Génération Congo» (2014), un think-tank centré sur les questions de l'émergence et du développement socio-économique de la RDC.
Désormais en exil, l'homme coordonne la plateforme «Front Citoyen 2016», qui se donne pour vocation de défendre la constitution.
Mais il poursuit aussi l'animation de «Filimbi».
Qui se définit comme un collectif citoyen non partisan.
Et qui puise ses forces vives aux sources des milieux activistes, artistes et entrepreneuriaux autant que dans le vivier des organisations de jeunes (souvent venus des milieux associatifs et/ou universitaires).

Triiit !

Créé et dirigé par des jeunes pour les jeunes, le mouvement au sifflet est dédié à la promotion de la participation citoyenne de la jeunesse congolaise et repose sur l'implication bénévole de ses membres.
«Nous avons souhaité mener une action non violente et non partisane de sensibilisation à l’engagement citoyen
, explique l'intéressé. 
L’objectif est double...
D'abord, nous voulons offrir un espace d’expression et de débat à tous les jeunes qui partagent notre vision du Congo.
Ensuite, nous espérons aider à leur structuration.
Nous sommes partis du constat que l’environnement démocratique et économique en RDC n’est pas assez stable pour le développement du pays.
Et nous avons fini par en tirer la conclusion qui nous semblait devoir en découler: le problème ne renvoie pas seulement à des individus, mais au système politique tout entier.
»
Le collectif s'est structuré au travers de deux associations, légalement constituées et localisées à Kinshasa.
Dans un premier temps, «Jeunesse pour une nouvelle société» (JNS) s’est focalisée sur un travail de terrain.
Deux années d'effort qui ont permis d'identifier des groupes de jeunes et de créer un début de réseau.
Ensuite s'est créé un «Forum national de la jeunesse pour l’excellence» (FNJE).
C'est-à-dire une association qui prend en charge les événements de «Filimbi» et qui fonctionne désormais de façon décentralisée, via des cellules disséminées un peu partout dans le pays.
Une dynamique porteuse, donc.
Et pour cause...

«L'actuelle génération n'accepte plus les excès du pouvoir. 
Elle voit les choses différemment. 
Grâce, notamment, à la montée en puissance des nouvelles technologies.» 

«Faire avec ce qu'on a»

Place, donc, à l'avenir.
«Pour l'heure, nous parons au plus pressé.
C'est pourquoi nous nous concentrons sur l'alternance.
Mais il faut aussi veiller à préparer une nouvelle classe politique.
Aujourd'hui, 90% de l'économie du Congo est détenue par des réseaux mafieux.
L'heure est donc moins que jamais à l'expectative!
Ceux qui pensent comme nous qu'il faudrait pouvoir compter au plus vite sur une autre classe politique devraient nous aider, dès aujourd'hui, à travailler à son émergence.
En attendant, on ne peut faire qu'avec ce qu'on a.
»
Une ultime phrase qui acquiert une résonance toute particulière quand elle est prononcée par un homme qui désormais ne peut que vivre loin de son pays et loin des siens.
«J’assume, confiait-il il y a quelques mois dans le journal "Le Congolais".
Car je reste convaincu que mon engagement démocratique en faveur de l’amélioration des conditions de vie de la majorité des citoyens, à travers notamment l’implication de la jeunesse majoritaire, est juste.
Lumumba disait "
le Congo est un grand pays, il mérite de nous de la grandeur", ce qui implique donc un certain niveau de sacrifices au profit du bien commun.
Cela fait partie du long chemin vers la démocratie auquel je souscris.
Il est grand temps de mettre fin au système de prédation qui se matérialise par un pillage systématique des ressources communes par une minorité de citoyens, en étroite complicité avec des "
forces" extérieures, au détriment de la majorité des citoyens, et ce depuis plus de 50 ans.
Un système porté par des leaderships politiques égoïstes et sans scrupules, ayant des ramifications dans toutes les couches de notre société (société civile, secteur économique, administration, intellectuels...).
Le Congo est notre copropriété, il nous appartient à tous, par conséquent nous y avons tous des Droits (liés aux Devoirs) que personne ne peut nous enlever.
Les ressources du Congo doivent donc bénéficier à tous.
J’exhorte les dirigeants congolais à cesser toute forme de répression et/ou intimidation car nous ne sommes que l’émanation d’une nouvelle génération ayant des aspirations fortes et qui ne tolère plus l’Injustice.
Quand la Jeunesse se met debout…, elle ne détruit pas.
Elle bâtit un monde meilleur…
» (1)(2)



Christophe Engels


(1) Ce message s'inspire largement d'une soirée/discussion («Nouvelles mobilisations citoyennes en Afrique: Y'en a marre, Balai citoyen, Filimbi») organisée le lundi 11 avril 2016 à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) par le professeur Marie-Soleil Frère et animée par elle ainsi que par Olivier Rogez (Radio France International), en présence du Sénégalais Aliou Sané («Y'en a marre»), du Burkinabé SmockeyBalai citoyen»), du Congolais Floribert Anzuluni («Filimbi») et du Tchadien Didier Lahaye, dit CroquemortIyina»). 
(2) Sur le sujet, on lira aussi, par exemple, Rimondi Laurène, RDC: Filimbi, la nouvelle génération de citoyens qui ébranle le pouvoir, GRIP, Bruxelles, 17 août 2015.



mardi 12 avril 2016

Oyez, citoyens. Ces Indignés venus d'Afrique...







Eux aussi refusent le fatalisme.
Eux aussi se démarquent 

des partis politiques et des syndicats.
Eux aussi initient 

de nouvelles mobilisations citoyennes.
Eux, les Africains.
Congolais de «Filimbi».
Burkinabè du «Balai citoyen».
Tchadiens de «Iyina»...
Ou, pour commencer, 

Sénégalais de «Y' en a marre».


















Aliou Sané est journaliste.
Il a travaillé comme reporter au «Quotidien» de Dakar et à la «Radiodiffusion Télévision nationale Sénégalaise» (RTS) avant de se consacrer à la communication du programme panafricain de l'ONG «ENDA Tiers Monde»
Mais, avec Fadel Barro et d'autres, il est surtout connu comme cofondateur d'un collectif.
Apparu il y a quelques années au pays de la «teranga» (hospitalité en wolof)...

Non !

Nous sommes en 2011.
Au Sénégal, la vie est chère.
Les coupures d'électricité se succèdent.
Et les scandales financiers se multiplient.
La «crise» est là.
Et bien là.
D'autant que le système de gouvernance installé et entretenu à la tête de l'Etat n'en finit pas de rester fondé sur le népotisme.
Bonjour le clientélisme politique!
Bonjour la corruption!
Bonjour l'impunité!

«Y' en a marre!», entend-t-on de plus en plus souvent dans les entrailles des quartiers, villes et villages du pays
Un sentiment de «ras le bol» dans lequel Aliou Sané se retrouve pleinement. 
Sans, cependant, qu'il ne soit question pour lui de se contenter de maugréer.
Loin de là.
Joignant le geste à la parole, le jeune homme s'associe à l'un ou l'autre confrère et à quelques artistes engagés.
Histoire de dire «Non!»...

Jamais deux sans... droit !  

Le collectif «Y'en a marre» est né.
«Au lieu de suivre ceux qui brûlaient des pneus et cassaient ce qui leur tombait sous la main, nous avons décidé d'opter pour une stratégie plus constructive, se souvient Sané.
Nous nous sommes fixés d'autres objectifs. 
Notamment celui d'inciter les jeunes à aller chercher leur carte d'électeur.»
La dynamique s'incarne rapidement en un cadre d'expression.
Celui d'une nouvelle citoyenneté.
Qui promeut l'émergence d'un
«Nouveau Type de Sénégalais».
N.T.S. pour les intimes.
Soit quelqu'un qui s'adresse à l'Etat, aux acteurs politiques et à l'ensemble des acteurs sociaux afin de revendiquer la construction d'une société de justice, d'équité, de droit, de paix et de progrès pour tous.
Regroupant toutes les franges de la jeunesse sénégalaise, le mouvement sera l'un des principaux acteurs de l'alternance démocratique.
Celle-là même qui surviendra en mars 2012 quand la
«bande à Aliou» s'opposera farouchement à la violation de la Constitution par un président initialement décidé à briguer un troisième mandat.
Le Sieur Abdoulaye Wade devra déchanter.
«Nous nous sommes beaucoup battus, sourit le... héros de cette histoire!
Et nous avons gagné.
Grâce à notre investissement humain, bien sûr.
Mais aussi grâce aux SMS
(textos).
Pour nous, Internet a joué un rôle beaucoup plus modeste: trop de nos concitoyens n'y avaient pas encore accès.
»

«Filimbi», «Balai citoyen», «Iyina» 
et les autres...

Tel est le premier fait d'arme de «Y' en a marre».
Une instance qui en rappelle d'autres:
«Filimbi» (sifflet) en République Démocratique du Congo, «Balai citoyen» au Burkina Faso, «Iyina» au Tchad, «Ras le bol» au Congo Brazzaville...
Autant d'entités que l'on pourrait peut-être, en première approche, présenter comme des ateliers d'échanges.
Mais qui traduisent, en fait, bien davantage...
«On peut parler de mouvements citoyens, explique notre interlocuteur. 
Voire de mouvements sociaux.
Mais de grâce, qu'on nous épargne toute allusion à la "
société civile"!
Une expression qui, chez nous, a été complètement galvaudée par les pouvoirs en place.
Ceux-ci la teintent d'une coloration de neutralité que nous abhorrons.
Car nous considérons qu'il faut pouvoir prendre position.
Qu'il faut faire le choix de dire "
non!"»
«Non!», sans doute.
Mais pas seulement.
La preuve par un manifeste lancé, e
n mars 2011, à destination du «Nouveau Type de Sénégalais»
Puis par les «cellules Y' en a marre» mises sur pied un peu partout.
«Nous voulons nous ériger en sentinelles à travers tout le pays.
Pour veiller, bien sûr.
Mais aussi pour mobiliser.
Pour former.

Ou encore pour inciter à conjuguer les efforts des uns et des autres.
Nous espérons ainsi contribuer à créer de la richesse.
»


Des petits sous, encore des petits sous...


Les objectifs, certes, sont ambitieux.
Mais les moyens financiers sont infiniment plus limités.
«Pour l'essentiel, nous nous débrouillons avec les moyens du bord.
Tout juste bénéficions-nous en de très rares occasions de l'une ou l'autre aide ponctuelle. 

Ainsi, Oxfam nous a octroyés un soutien pour une opération de formation qui doit durer deux ans.
Et pour que les choses soient tout à fait claires et incontestables, nous avons confié notre gestion à une association spécialisée.
Ce qui n'empêche pas le système de chercher à nous salir.
On essaye de nous discréditer en faisant croire que nous sommes corrompus.
Que nous sommes soutenus par des puissances étrangères.
Par George Soros.
Et même par... des lobbies homosexuels!
L'imagination de nos détracteurs est sans limites.
Et d'autant moins fondée que je ne cache pas mes préférences en la matière: il faut, 
autant que faire se peut, cesser d'en appeler à l'étranger pour régler nos problèmes intérieurs.»

La petite bête qui monte, qui monte, qui monte...

Aliou et les siens, il est vrai, peuvent parfois compter sur des alliés inattendus... 

«Un jour, nous nous sommes fait arrêter à Mbake.
Quand nous nous sommes retrouvés en garde à vue, nous avons eu l'occasion de discuter avec les policiers.
Qui en ont profité pour nous demander pourquoi nous ne nous occupions jamais de... leurs problèmes!
»
«Y'en a marre»?
Une bête noire pour le pouvoir.
Petite bête, peut-être.
Mais petite bête qui monte, qui monte, qui monte... (1)
 


Christophe Engels


(1) Ce message s'inspire largement d'une soirée/discussion («Nouvelles mobilisations citoyennes en Afrique: Y'en a marre, Balai citoyen, Filimbi»organisée le lundi 11 avril 2016 à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) par le professeur Marie-Soleil Frère et animée par elle ainsi que par Olivier Rogez (Radio France International), en présence du Sénégalais Aliou Sané («Y'en a marre»), du Burkinabé Smockey («Balai citoyen»), du Congolais Floribert Anzuluni («Filimbi») et du Tchadien Didier Lahaye, dit Croquemort («Iyina»). 


lundi 11 janvier 2016

Bernard Werber. «Démoder le Système»




Contre
le Système,
la révolution?
Oui.
Mais sans «r».
Et sans épée.
L'évolution, donc. 

Personnelle.
Tranquille.
Et créative.
Dixit
le romancier
français
Bernard Werber.
Qui invite
à chercher.
A explorer.
A inventer.
A dépasser
aussi bien
contrainte
             et manipulation
qu' immobilisme
et retour au passé.
Car le temps est venu
d'aller de l’avant.
De miser sur une force
de proposition.
De passer à autre chose.
Et même à tout autre chose.
Histoire, 

non pas de s’attaquer
au Système, 
mais de le démoder...




«Contre le Système, il faut faire la révolution.
La quoi?
LA RÉVOLUTION.
Tu noues alors un turban rouge sur ton front, 
tu saisis le premier drapeau qui traîne 
et tu le brandis en criant:
"Mort au Système."
Je crains que tu ne te trompes.
En agissant ainsi, 
non seulement tu n’as aucune chance de gagner, 
mais tu renforces le Système.
Regarde, 
il vient de resserrer les colliers d’un cran 
en prétextant que c’est pour se défendre contre "ta" révolution.
Les enchaînés ne te remercient pas.
Avant, ils avaient encore un petit espoir d’élargir le métal en le tordant.
À cause de toi, c’est encore plus difficile.
Désormais, tu as non seulement le Système contre toi, 
mais tous les enchaînés.
Et ce drapeau que tu brandis, est-il vraiment le "tien"?
Désolé, j’aurais dû t’avertir.
Le Système se nourrit de l’énergie de ses adversaires.
Parfois, il fabrique leurs drapeaux, puis les leur tend.
Tu t’es fait piéger!
Ne t’inquiète pas: tu n’es pas le premier.
Alors, que faire, se soumettre?
Non.
Tu es ici pour apprendre à vaincre et non pour te résigner.
Contre le Système, il va donc te falloir inventer 
une autre forme de révolution.
Je te propose de mettre entre parenthèses une lettre.
Au lieu de faire la révolution des autres, 
fais ta (r)évolution personnelle.
Plutôt que de vouloir que les autres soient parfaits, 
évolue toi-même.
Cherche, explore, invente.
Les inventeurs, voilà les vrais rebelles! 
Ton cerveau est le seul territoire à conquérir.
Pose ton épée.
Renonce à tout esprit de violence, 
de vengeance ou d’envie.
Au lieu de détruire ce colosse ambulant 
sur lequel tout le monde s’est déjà cassé les dents, 
ramasse un peu de terre et bâtis ton propre édifice dans ton coin.
Invente. 
Crée. 
Propose autre chose.
Même si ça ne ressemble au début qu’à un château de sable, 
c’est la meilleure manière de t’attaquer à cet adversaire.
Sois ambitieux.
Essaie de faire que ton propre système soit meilleur 
que le Système en place.
Automatiquement, le système ancien sera dépassé.
C’est parce que personne ne propose autre chose d’intéressant 
que le Système écrase les gens.
De nos jours, il y a d’un côté les forces de l’immobilisme 
qui veulent la continuité, 
et de l’autre, les forces de la réaction 
qui, par nostalgie du passé, 
te proposent de lutter contre l’immobilisme 
en revenant à des systèmes archaïques.
Méfie-toi de ces deux impasses.
Il existe forcément une troisième voie 
qui consiste à aller de l’avant.
Invente-la.
Ne t’attaque pas au Système, 
démode-le!» (1)

Bernard Werber


(1) Extrait de Werber Bernard, Livre du Voyage, Le Livre de Poche, 2001.


samedi 21 février 2015

Epilogue. De quoi le djihadisme est-il... notre nom ?


Après cinq ans 
de «bons» (?!) 
et loyaux services, 
Projet relationnel 
tire -sans doute
provisoirement-
le rideau.
Car, entretemps, 
la situation
de son animateur 
a changé.
Autant que
le contexte sociétal.
Une prise de recul 

s'avère donc 
nécessaire.
Histoire 
de faire le point 
en ces temps troublés.
Marqués notamment 
par le djihadisme... 


«Tu sais, si nos réactions ont parfois pu décevoir au lendemain des attentats de Paris, c’est fondamentalement pour une raison assez simple: nous sommes perdus.»
Quand un proche musulman m’a fait cette confidence, je m’en suis voulu. 
Voulu de ne pas avoir compris. 
Ou, à tout le moins, pas suffisamment.
C’est dire si l'Européen de souche que je suis s’abstiendra bien, ici, du moindre propos qui, de près ou de loin, pourrait laisser suspecter un profil de donneur de leçons.
Bien loin de là, je voudrais proposer, en guise d'épilogue (au moins provisoire) à ce Projet relationnel, une réflexion susceptible de percoler au-delà des cercles islamiques, qui ont toute ma sympathie mais dont je ne suis pas. 

Changer de logiciel 

Le djihad a une double dimension: centrifuge et centripète.
Il réfère autant à une belligérance -«petite» (1) et «négative» (2)- contre les autres, qui rappelle la «guerre sainte» des chrétiens, qu'à un conflit -«grand» (1) et «positif» (2)- contre soi-même, qui, lui, renvoie à une lutte intérieure contre les mauvais penchants et à un effort personnel en faveur du dépassement de soi.
Côté cour, donc, un djihad que je me risquerais à qualifier de «militant». 
Et côté jardin, un autre que j’oserais appeler «méditant».

Militant?
Méditant?
Mais alors...
Bon sang, mais c'est bien sûr!
Ce n'est plus seulement du camp d'en face qu'il est question.
Car, devant nos yeux éblouis, apparaît une nouvelle grille de lecture.
Qui permet de déplacer les lignes. 
De sortir du cadre réducteur d'une pensée qui exclut
De prendre nos distances avec cette approche limitante qui ramène toujours à la dichotomie du «eux contre nous». 
Eux les musulmans contre nous les chrétiens (de foi ou de culture). 
Eux les immigrés contre nous les natifs. 
Ou pire encore: eux... les « basanés » contre nous les blancs de peau! 

Militants...

Un excellent moteur pour l’action, sans doute.
Mais aussi, parfois, un vecteur de dérive.
Car la colère n'est jamais très loin. 
Et avec elle, les excès de la distorsion cognitive. 
Soit des altérations et des erreurs qui apparaissent dans nos mécanismes de décodage. 
Ceux portant sur la réalité extérieure. 
Ceux, également, renvoyant à l’intimité de notre personne.
Notre conscience, en effet, ne se comporte pas simplement en réceptacle passif. 
Confrontée à une situation donnée, elle procède à une lecture très personnelle de l’environnement. 
En sélectionnant certaines données. 
En en ignorant d’autres. 
En leur attribuant des significations particulières...

Notre interprétation d’une situation dépend donc autant de cette situation elle-même que de nos a priori sur ce type d’occurrence. 
Or peuvent intervenir dans ces systèmes de traitement de l’information toute une série de dysfonctionnements, qui tendent à établir une hiérarchie, généralement inconsciente ou implicite...
. Moi, mes intérêts, mes comportement, mes opinions et/ou mes valeurs d’abord.
. Ceux de mes proches et/ou alliés ensuite.
. Ceux du reste du monde enfin.

... versus méditants

Les détracteurs des Occidentaux considèrent souvent que nous avons l'indignation sélective.
Ce n'est pas faux.
C'est même vrai.
Tout à fait vrai.
Seulement voilà...
En «bons» militants, ceux qui portent ce genre d'accusations sont rarement à l'abri, eux mêmes, du travers qu'ils dénoncent.
Quel gouvernement national (ou fédéral) ne chercherait-il pas à imposer ses vues s'il disposait de la puissance des Etats-Unis?
Quel Israélien soutiendrait-il, même de loin, la politique de Tel Aviv s'il était natif de Gaza?  
A contrario, quel Palestinien serait-il en phase avec le Hamas ou le Fatah s'il était né juif?
Et quel contribuable peu nanti s'abstiendrait-il de tout «artifice» fiscal s'il avait fait fortune?
A chacun, donc, de faire son propre examen de conscience.
Et de veiller à ce que la remise en cause ne se fasse pas qu'à la deuxième ou à la troisième personne du singulier ou du pluriel, mais aussi à la première.

La balle serait-elle, dès lors, dans le camp du méditant?
Oui et non.
Oui, si le méditant cherche à dépasser ses zones de «bêtise» émotionnelle et de souffrance affective.
Oui, aussi, s’il se consacre pleinement à la (re)construction et au développement de sa personne.
Mais non, s’il se referme dans son cocon individuel (restreint ou élargi).
Non, donc, s’il s’en tient à une démarche profondément égocentrée.

Le chaînon manquant

Ce que privilégie le militant, c’est le faire.
Un certain faire du moins.
Un faire qui s'ancre dans l'opposition: à l’intérêt établi, à l’indifférence, souvent même à la différence…

En revanche, ce qui prévaut chez le méditant, c’est l’être.
La quête de soi, donc, qui, en Occident aussi, peut s’inscrire dans une forme religieuse, mais qui, désormais, emprunte de plus en plus fréquemment une autre voie: spiritualisans Dieu, approche non formalisée, processus psychothérapeutique…

Le faire?
Très bien!
L'être?
Bravo! 
Mais faire ne va pas sans être.
Ni être sans faire.
D’où la nécessité de ce que le philosophe français René Macaire a baptisé «mutance».
Le mutant est adepte et porteur de mutation.
Et même de double mutation.
Tournée vers l'extérieur et dirigée vers l'intérieur.
Collective et singulière.
Interpersonnelle et (intra)personnelle.
On le comprend: ce créa... cteur de changement n’est donc pas de ces militants pur jus qui ne songent qu’à lutter, qui ne pensent qu’à combattre pour le triomphe d’une cause, qui se servent d’une organisation comme d’une arme sur le champ de bataille de leurs revendications, qui trouvent toujours de bonnes raisons à leurs contradictions, à leurs revirements, à leurs revers ou à la souffrance illégitimement infligée... 
Mais il ne se confond pas davantage avec le méditant brut, qui tend à ne rechercher que sa plénitude individuelle et à faire montre d'un déficit d’enthousiasme pour l’action, surtout collective.
Car le mutant ne se réduit pas à un méditant. 
Pas plus qu’il ne se résume à un militant.
Et pour cause: il est les deux à la fois.

Penser contre soi-même 

Le mutant se construit sur une approche humaniste qui consiste à vivre en toute… interdépendance.
Et qui requiert, pour ce faire, de penser… contre soi-même.
Car réfléchir authentiquement, ce n’est pas seulement penser par soi-même. 
C’est chercher à saisir toutes les occasions de se demander en quoi ce que dit l'autre est vrai et/ou légitime.
C’est jouer en permanence et de bonne foi le jeu de l'autocritique. 
C’est se faire constamment à soi-même les objections que d’autres pourraient faire.
C’est penser contre tous les préjugés et idées reçues, les nôtres compris.
C’est se mettre en danger de confrontation avec l’inconfort de l'inédit, de l’inconnu et du désagréable.
C’est reprendre à son compte l'équilibre réfléchi de John Rawls.
C’est faire honneur à Montaigne en adoptant l'idée que l’intelligence est fonction du degré de doute dont on gratifie sa propre parole.  
«La bêtise est un adversaire redoutable dès lors que celui qui en est l’émissaire considère qu’il en est lui-même exempté, explique le philosophe français Raphaël Enthoven. 
Celui qui croit savoir a encore tout à apprendre.»
Il s’agit donc en quelque sorte –et selon la jolie expression du philosophe belge Michel Dupuis- de «devenir à soi-même une question.»

Au-delà de cette limite, 
votre conscience n'est plus valable...

Un bémol, cependant: Karl Marx, Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud ont formulé des critiques graves qui mettent en cause l’authenticité de notre conscience.
L’apport de ces «maîtres du soupçon» a contribué à accréditer l’idée que nous ne pouvons que nous échapper à nous-même dans la mesure où nous sommes déterminé par un inconscient.
Conséquence: la connaissance directe de nous-même est vouée à l’échec.
Nous avons besoin d’une aide extérieure.

Le fait que l’homme d’aujourd’hui ait renoncé à se connaître lui-même d’une façon immédiate et transparente empêche-t-il de rester fidèle à la vision d’un sujet capable de traverser cette épreuve de la non-connaissance véritable de lui-même?
Non.
Mais une telle lucidité appelle au détour par un art de nous décrypter.

La plupart du temps, en effet, notre pensée exprime moins notre «vérité» que nos pesanteurs, nos défenses et nos conditionnements. 
Seule, donc, une boucle par l’extérieur, en autorisant un réel dépassement de croyances initialement fortuites, incertaines et circonstancielles, peut autoriser l’accès à une pensée authentique de nous-même.

Place, donc, à l'ouverture empathique d'un Carl Rogers.
Place à la «complexité» d'un Edgar Morin.
Place au «voile d'ignorance» et à la «position originelle» d'un John Rawls.
Voire à l'«agir communicationnel» d'un Jürgen Habermas.
Place, en tout cas, à la «raison procédurale» d'un Alain Renaut.
Autant d'outils évoqués, avec beaucoup d'autres, durant ces... cinq ans de réflexion.
Une réflexion dont l'animateur de ce Projet relationnel n'a cessé, dans son parcours de vie, de mesurer la vertigineuse insuffisance.
Une réflexion, notamment, dont la volonté constructrice n'a pu prendre le dessus sur la puissance de destruction de quelques-uns.
Utopie: 0?
Scepticisme, indifférence et hostilité (4): 1? 
A chacun de juger.
Cette réflexion, quoi qu'il en soit, existe désormais.
Telle une toute petite goutte d'eau dans ce grandiose océan qui, peut-être, finira par permettre à la société occidentale de passer un cap.
Un cap utile.
Un cap nécessaire.
Un cap indispensable.
Indispensable, par exemple, pour relever le défi formulé par la fameuse et interpellante  apostrophe de Noam Chomsky: «La propagande est à la démocratie ce que la violence est à la dictature.»(5)

Christophe Engels


(1) Selon le prophète Mahomet.
(2) D'après l'islamologue Malek Chebel.
(3) Que les lecteurs réguliers et attentifs qui attendaient les messages (un moment annoncés) sur l'immigration (sous l'angle économique), la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, avaient d'ores et déjà été abordés) veuillent bien nous excuser d'avoir finalement renoncé (en tout cas à ce stade) à publier sur ces thématiques.
(4) Qui a dit: «persiflage» et «acharnement»?
(5) A noter qu'une formule choc est par nature réductrice et que celle-ci ne fait pas exception à la règle, notamment en éludant le fait que la dictature recourt largement à la propagande.