vendredi 19 février 2010

Vert, j'espère... (Pour une humanisation du capitalisme vert)


Pour la personne que je suis, l’environnement, c’est la végétation et l’air pur, certes, mais c’est aussi toi, lui, vous, eux. C’est la nature, donc, mais c’est également l’humain. Un texte de Christian Arnsperger (1), consacré aux transitions écologique et économique qui s'annoncent, offre une excellente occasion d’approfondir cette idée. En voici une présentation raccourcie et «convivialisée». Qui cherche, autant que possible, à rencontrer les moins «intellos ». Et à mettre l’eau à la bouche de tous les autres. (2)





Ecolos inconditionnels et susceptibles, s’abstenir ! Le document dont nous contribuons à la diffusion repose sur le socle d’une idée potentiellement dérangeante. A savoir que l’écologie politique risque toujours de pécher par omission. De faire passer le facteur humain à l’arrière-plan. De se focaliser sur la seule composante «verte» des dommages collatéraux du capitalisme. Et, par le fait même, de ne pas (suffisamment) prendre en compte d’autres effets pervers. Moins visibles sans doute. Mais aussi plus fondamentaux. Car liés au fonctionnement même d’un système directement destructeur de potentiels humains.
Obnubilé par les premiers enjeux (qualifiés de «bio-environnementaux»), on en viendrait à sous-estimer, voire à ignorer l’importance cruciale des seconds (baptisés «anthropo-environnementaux»).
Réconcilier l’économie et la nature ne suffit donc pas. Il faut également débarrasser la première nommée de sa propension aux vertiges du «toujours plus» et aux étourdissements du «jamais assez». La déconnecter, donc, d’un objectif si souvent considéré comme incontournable : la maximalisation absolue du profit.
Mission impossible ?
Gageure en tout cas…
Car les acteurs les plus capables de relever efficacement un tel défi sont précisément ceux qui, privilégiés par le système, y ont le moins intérêt.
«Les victimes des effets internes – c’est-à-dire essentiellement les travailleurs les plus fragiles – pourront bien vociférer : personne ou presque, en externe, n’aura intérêt à les entendre afin de prendre en compte leurs appels.» (p.3)
A cette difficulté-là, primordiale pourtant, le capitalisme vert n’apporte aucune solution.
Pas question, donc, d’éluder la nécessité d’en «revenir à la racine» (p.3) du problème. Pas question d’en rester aux lieux communs d’un certain environnementalisme. Pas question de faire l’impasse sur l’approfondissement qui s’impose…


Proximité, le retour

Au sein de nos «pseudo-démocraties capitalistes» (p.4), l’essentiel des revendications «citoyennes» renvoie plus ou moins directement à notre compte en banque. Celui-là même qui, à condition d’être suffisamment fourni, constitue l’indispensable moyen d’accès à la vaste «tuyauterie» (p.4) des échanges économiques mondiaux.
«L’expérience de ne pas trouver, dans le rayon habituel de notre supermarché ou de notre épicerie, l’inévitable paquet de pâtes s’apparente à celle de l’Inca se réveillant pour constater que le soleil, ce matin, ne s’est pas levé. C’est comme la fin du monde.» (p.4)
Du coup, nos responsables politiques s’emploient d’abord et avant tout à «canaliser vers l’électeur un maximum de pouvoir d’achat» (p.4).
Les penseurs libéraux du «doux commerce» ont-ils tout à fait tort quand ils présentent la mondialisation comme un remède aux conflits et guerres européens qui secouaient les nations d’ancien régime ? Non, sans doute. Mais l’arbre de cette relative réussite ne doit surtout pas occulter la forêt de tous ces peuples qui restent dépourvus de nos «facilités» occidentales. Si «marché libre il y a, il ne l’est que pour les privilégiés qui ont les moyens effectifs d’y accéder. Une asymétrie profonde et institutionnalisée qui a tous les atours d’un implacable constat d’échec.
Défaillance provisoire ? C’est l’avis d’un certain nombre d’économistes qui, «soucieux de justice et d’égalité, croient encore aujourd’hui dans les vertus libératrices d’une intégration de tous au marché mondial.» (p.6).
Oui, mais…
Un tel optimisme n’acquérra aucune crédibilité réelle tant que ne verra pas le jour un changement radical de ce qui sous-tend plus que jamais notre activité commerciale : «la compulsion rapace d’extraction, d’appropriation et de consommation.» (p.6)
Conséquence : «Au lieu d’intensifier des échanges mondiaux qui ne sont soutenables à court terme que par une destruction de notre planète à moyen terme, et au lieu de rêver pour tous une participation égale et « équitable » à cette intensification insoutenable, il faut d’urgence repenser et restructurer les mécanismes clés de notre système économique (…).» (p.6)
De toute façon, certains changements s’annoncent inéluctables. Ainsi, la fin de l’Âge du pétrole imposera une plus grande parcellisation des communautés de vie. Une espèce de «protectionnisme , si l’on veut. Mais un «protectionnisme» qui n’aurait rien d’idéologique. Un «protectionnisme» contraint et forcé. Un «protectionnisme» qui déboucherait non seulement sur une relocalisation de la production, mais aussi sur une autolimitation de la consommation.
Mieux vaut donc renoncer à ce terme pour parler, avec les écologistes, de «bio-régionalisme».


Une écologie de… l’humain

Cette idée de bio-régionalisme, Christian Arnsperger ne s’y réfère que pour mieux la déborder. Il suggère en effet de recourir à un nouvel outil conceptuel : le «bio-anthropo-régionalisme». Histoire de réveiller «ce qui reste dormant sous la surface, étouffé par les urgences (au demeurant bien légitimes) du moment» : «le gigantesque chantier de la transition économique et sociale – «notre » transition vers le post-capitalisme.» (p. 8)
Car «Le capitalisme est intrinsèquement gaspilleur non seulement de ressources naturelles, mais aussi de ressources humaines. La prétendue «efficacité» du modèle de croissance capitaliste est en réalité une inefficacité profonde, non seulement écologiquement mais aussi humainement.» (p.8-9)
L’écologie de la nature ne suffit donc pas. Place à une écologie de… l’humain.
«Un capitalisme vert va-t-il remédier à ces mécanismes profonds simplement parce qu’on produira des éoliennes, des sacs en maïs ou des moteurs de cogénération ? Tant que l’enjeu sera la rentabilité maximale (…), nous ne sortirons pas de la logique ambiante. Il n’est pas plus joyeux d’être exploité pour des éoliennes ou des saris en lin biologique que pour des automobiles ou des chaussures de sport. Raison principale du malentendu : le capitalisme vert insiste sur la centralité des ressources naturelles et de l’environnement, mais nettement moins (ou pas du tout) sur l’écologie humaine. Quand ses défenseurs nous disent que, par ailleurs, il faut se débarrasser de la mentalité du « toujours plus » pour aller vers le « toujours mieux », ils semblent oublier de nous dire comment nous allons nous y prendre, au sein d’une logique capitaliste mondialisée où, précisément, « toujours mieux » coïncide avec « toujours plus ».» (p.9)


Demain, c’est aujourd’hui…

Si l’écologie de la nature doit continuer à être encouragée, c’est donc en tant que marche-pied à une écologie de l’humain.
Utopie ? Non.
Rêve encore inaccessible ? Apparemment.
Mais à y regarder de plus près, y a-t-il nécessairement si loin de la coupe aux lèvres… ?
«Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas tant une volonté de changement profond du côté des citoyens, c’est un soutien politique réel aux initiatives radicales.» (p.8)
Effet boomerang de cette inertie des partis en place : les citoyens sont toujours plus nombreux «à se déplacer en douce vers des mouvements politiques et culturels nouveaux, comme l’objection de croissance, la simplicité volontaire, les villes et communes en transition, les coopératives ou les écovillages.» (p.9)
Estimant que les promesses de sens n’ont pas été tenues par le capitalisme productiviste et consumériste, «ces citoyens éveillés se décident à devenir des militants existentiels.» (p.9)
Les décideurs publics seraient donc bien avisés de prendre la mesure des initiatives post-capitalistes qui ont commencé à voir le jour. Non pas pour tenter de les récupérer ou de les mettre sous tutelle. Mais pour les accompagner. Pour les financer. Pour les encourager. Pour les amplifier.
En la matière, Arnsperger y va de ses suggestions concrètes...
. Elaboration d’un «Revenu de transition économique» qui «pemettrait à ceux qui y aspirent de se déconnecter de la logique dominante et de construire sur le long terme des exemples de vie alternative» (p.10).
. Création d’un «Ministère de la transmission économique» qui aurait pour mission «de financer (…), de coordonner et d’accompagner ces initiatives citoyennes économiquement novatrices» (p.10).
. Impulsion d’une dynamique multipartite de réflexion citoyenne sur les enjeux de la transition économique (p.13).
. Soutien public aux «associations de transition économique». Fut-ce au détriment des autres sous-secteurs de l’associatif, du non-marchand et de l’économie sociale. Et en ponctionnant les bénéfices des acteurs du capitalisme vert si (comme probable) il le faut. «Ainsi, au moins, le passage par le green capitalism ne servirait pas à affermir l’emprise de la logique dominante, mais à la dépasser.» (p.13).
. …


Main verte et doigt sur la (double) détente

On l’aura deviné : le but est de concilier court, moyen et long terme.
«A court terme, l’encouragement d’un capitalisme vert devrait se faire (puisque c’est un moindre mal par rapport à un « capitalisme gris »), mais jamais de telle sorte que les enjeux de la transition post-capitaliste soient étouffés.» (p.13)
« Il convient donc de mettre en place une dynamique de transition à double détente, qui seule donnerait son sens réel à un green deal :
1° Gérer la transition du capitalisme gris vers un capitalisme vert.
2° Utiliser les moyens dégagés pour gérer la transition du capitalisme vert vers un post-capitalisme vert, c’est-à-dire la transition radicale aussi bien bio-environnementale qu’anthropo-environnementale
(…) qui est requise par les problèmes désormais insurmontables que le capitalisme pose aux être humains.» (p.14)
Le militant existentiel ne se doit donc pas seulement d’avoir la main verte. Il doit aussi avoir le doigt sur la détente. Et même sur la double détente.
«L’idée d’une transition à double détente est de se servir des ressources financières actuelles engendrées par un système économique dont le fonctionnement (aussi aliénant soit-il) nous est familier – mais de s’en servir pour dégager les ressources d’une transition vers un au-delà de ce système.»
Cet au-delà semble porteur de perspectives prometteuses. A commencer par celles d’une nouvelle égalité des chances.
Une égalité des chances qui, désormais, ne soit plus virtuelle et artificielle.
Une égalité des chances qui, au contraire, s’avérerait bien réelle et authentique.
Une égalité des chances qui, loin de contraindre le citoyen à s’insérer coûte que coûte dans les rouages du capitalisme, lui offrirait dorénavant la possibilité d’élargir en toute conscience le panel de ses choix de vie potentiels.
Resterait alors, pour chacun, à opter pour celui des deux termes de l’alternative qui lui conviendrait.
Le capitalisme s’il le désire.
Le post-capitalisme s’il le préfère…

Christophe Engels (d'après Christian Arnsperger)

(1) Christian Arnsperger est docteur en sciences économiques, chercheur au Fond national belge de la recherche scientifique (FNRS) et professeur de l'UCL (rattaché à la Chaire Hoover d'éthique économique et sociale). Il a notamment écrit Critique de l'existence capitaliste / Pour une éthique existentielle de l'économie, Cerf, Paris, 2005 et Ethique de l’existence post-capitaliste : Pour un militantisme existentiel, Cerf, Paris, 2009 (voir photo).
(2) Ce compte-rendu a été rédigé par Christophe Engels. Par souci de rigueur et… par simple courtoisie (!), nous ne saurions assez conseiller, néanmoins, de faire l’effort de lecture du texte original de Christian Arnsperger, évidemment plus précis et plus complet : «Transition écologique et transition économique : Quels fondements pour la pensée ? Quelles tâches pour l’action ?», disponible sur le blog de Christian Arnsperger: «transitioneconomique.blogspot.com» (voir lien en rubrique «Un bon conseil...», en haut à gauche de cette page).

5 commentaires:

  1. Où est le relationnel sur un blog en fait ?
    Je veux dire le VRAI partage, la vibration, le bonheur de se voir, de s'enrichir perso...
    On n'a jamais autant communiqué que dans toute l'histoire du monde, on n'a jamais étét autant "connect"
    D'autre part, on n'a jamais autant eu de solitude...
    Pourquoi Christophe ?

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  2. Merci, Michel, de ce commentaire, ...fusse-t-il à mon sens le plus critique reçu à ce jour !
    Juste une remarque : comme initialement annoncé, ce blog n'est, à mes yeux, qu'une première étape.

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  3. Comme beaucoup de détracteurs de l'écologie politique telle qu'actuellement représentée en Belgique, vous semblez n'avoir pas lu la moindre ligne du programme Ecolo.
    La simple lecture de votre deuxième paragraphe en est la meilleure preuve.
    Les travaux du Docteur Arnsperger font partie de notre corpus de réflexion, comme bien d'autres travaux scientifiques.
    Alors, vous même, renseignez vous avant de diffuser des contre-vérités.
    Cordialement.
    Jacky Morael
    (Par courriel, le 18/02/2010)

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  4. Quelle bonne interprétation "concise" d'une foule d'idées qui se mettent à traverser un cerveau en pensée.
    Merci cher Christophe pour cela.
    Un petit point seulement a suspendu ma réflexion, celui de ton appel à tous les "déficitaires".
    En effet, dans mon esprit, le déficit est un constat qui porte peu de dynamique de "changement". C'est pourquoi, porté par ton initiative, oserais-je une proposition toute "personnaliste" et néologique en remplaçant "déficitaire" par "justicitaire". L'utilisation de ce terme devrait s'inscrire dans l'affirmation d'une volonté de recherche continue de meilleure équité dans tous les rapports et sous toutes leurs formes.
    Ceci ne constituerait qu'un premier pas dans une démarche qui se voudrait volontariste dans une recherche et une volonté de mise en place de tous les mécanismes des mieux vivre partagés. Ceci exigerait bien sûr de très longs et larges développements.
    Très cordialement.
    Philippe Sourdeau
    (Par courriel, le 18/02/2010)

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  5. Félicitations pour ton "blog" personnel, fort bien présenté, tout comme celui de Christian Arnsperger.
    Je me réjouis de recevoir dans les prochaines semaines la série de "cogitations" à intervalles plus ou moins réguliers que tu annonces.
    Vincent Triest
    (Par courriel le 19/02.2010)

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