vendredi 7 mai 2010

Allocation universelle. «Ambitieuse et efficace.»

L’allocation universelle ?
Plus ambitieuse et plus efficace que le revenu minimum, expliquent Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght.
Car elle favorise bel et bien les plus démunis.
Sans, pour autant, avantager les plus nantis. (1)

Philippe Van Parijs (2) et Yannick Vanderborght (3),
Chaire Hoover

La majorité des pays européens ont désormais introduit des systèmes d’assistance sociale qui permettent, en principe du moins, à ceux qui n’ont pas ou peu de ressources de bénéficier d’un revenu minimum.
Il est permis d’espérer que, dans les années à venir, les quelques Etats membres retardataires, l’Italie par exemple, suivent cette voie et mettent enfin en place un tel filet de dernier recours.

Plus ambitieuse que le revenu minimum

L’allocation universelle se veut toutefois plus ambitieuse. Certes, il y a des similitudes: comme les minima sociaux classiques, il s’agit d’un revenu en espèces, en principe financé par l’impôt, et payé sur une base régulière. Mais il y a aussi trois différences essentielles.
. En premier lieu l’allocation universelle est strictement individuelle, alors que les minima sociaux classiques sont attribués en tenant compte de la composition du ménage.
. Ensuite, elle est accordée sur base universelle, c'est-à-dire sans aucun contrôle de ressources. Riches et pauvres la perçoivent, quel que soit leur niveau de revenu.
. Enfin, elle est attribuée sans aucune exigence de contrepartie, que ce soit la disponibilité au travail ou l'obligation de signer un contrat d'insertion.
Cette triple inconditionnalité n'est pas totalement révolutionnaire. Plusieurs pays connaissent déjà des systèmes universels d’allocations familiales, de pension de base et d’assurance soins de santé. Il reste que l’allocation universelle a quelque chose de déroutant: ne serait-il pas manifestement plus intelligent, si l'on cherche à attaquer de front le problème pressant de la pauvreté, de cibler les dépenses sur ceux qui en ont vraiment besoin?

Plus efficace contre la pauvreté

Il serait effectivement insensé de donner une allocation à tous les citoyens si ceci impliquait d'accroître le revenu disponible de chacun d’entre eux. L’introduction d’une allocation universelle n’a cependant pas pour objectif, et n’aurait pas pour effet, de réaliser une amélioration nette de la situation des plus riches. D’une façon ou d’une autre, l’allocation doit être financée, comme n'importe quel autre programme de redistribution.
La plupart des versions de la proposition impliquent une restructuration des dispositifs actuels de transferts sociaux et d’impôt sur les personnes physiques. Concrètement, il s’agirait d’une part de supprimer ou réduire certains transferts en faveur des plus pauvres - mais jamais d’un montant supérieur à l’allocation universelle - et d’autre part d’en finir avec les exonérations fiscales (ou taux réduits) dont les plus riches bénéficient plus que les plus pauvres. Selon le montant de l’allocation universelle, un surcroît d’impôt plus ou moins négligeable ou important devra être prélevé.
Qu’il le soit de manière progressive ou proportionnelle, ce sont bien entendu surtout les plus riches qui y contribueront.
Une allocation accordée même aux riches n’est donc pas meilleure pour les riches. Mais pourquoi serait-elle meilleure pour les pauvres? Il est instructif, à cet égard, de comparer un instant les pays de tradition universaliste, essentiellement scandinaves, à ceux qui, comme le Royaume-Uni, l'Irlande, ou les Etats-Unis, ont le ciblage pour tradition. Tous les indicateurs le montrent, les premiers parviennent bien mieux à réduire pauvreté et inégalités que les seconds. Plusieurs arguments sont généralement avancés pour expliquer ce paradoxe, qui n'est qu'apparent.
. En premier lieu, les programmes de transfert ciblés sont mal connus de leurs bénéficiaires potentiels, qui se perdent dans un maquis d’organismes, de règlements et de catégorisations.
. Deuxièmement, la nature même des programmes ciblés implique de vérifier, parfois de manière intrusive et humiliante, que les bénéficiaires effectifs remplissent bien les conditions d’octroi.
. Enfin, les programmes ciblés assurent très mal la continuité des droits. Les transferts sont partiellement ou totalement supprimés en cas de changement de statut, ce qui n’incite pas les bénéficiaires à prendre des risques pour se réinsérer sur le marché du travail.
En évitant ces trois obstacles inhérents aux transferts ciblés sur les plus défavorisés, le paiement régulier d’une allocation inconditionnelle contribue à asseoir leur sécurité économique. (5)

Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght,
Chaire Hoover

(1) Cette contribution a fait l’objet d’une première publication : Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs (Chaire Hoover), L’allocation universelle contre la pauvreté, Réseau européen contre la pauvreté, novembre 2009. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(2) Philippe Van Parijs est professeur ordinaire à la Faculté des sciences économiques et sociale de l'Université de Louvain, où il anime la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique depuis sa création en 1991. Il est également professeur invité au département de philosophie de Harvard University depuis 2004 et professeur invité à l'Institut supérieur de philosophie de la Katholieke Universiteit Leuven depuis 2006. Le Prix Francqui lui a été attribué en 2001. Cofondateur du Basic Income Earth Network (BIEN), il est l'auteur de nombreux livres, dont L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Yannick Vanderborght).
(3) Yannick Vanderborght est professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis (FUSL) de Bruxelles et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain. Il est membre de la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique et du Basic Income Earth Network (BIEN). Il a notamment écrit L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Philippe Van Parijs).
(4) Pour suivre:
. Allocation universelle. Sus à la pauvreté !
(5) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr . Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

2 commentaires:

  1. La difficulté que soulève le projet d'allocation universelle dépend du montant auquel on la fixe.
    S'il est suffisant pour assurer une certaine autonomie financière à ses débiteurs
    (revenu d'intégration ou plus), il faudra composer avec un énorme coût financier et avec de fortes résistances culturelles, sociales et politiques.
    S'il se cantonne à un faible niveau (moins ou beaucoup moins que le revenu d'intégration), le coût et les résistances seront réduit d'autant mais l'impact sur le revenu des personnes exclues du marché du travail resterait limité ou insignifiant, mettant au demeurant les moins nantis à la merci de (réels) risques de détricotage de la sécurité sociale et de déréglementation du marché du travail.
    La première hypothèse est-elle bien réaliste, surtout en période de crise économique ?
    La deuxième ne laisse-t-elle pas plâner l'ombre d'un renforcement des méfaits de l'exclusion et de la dualisation ?

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  2. Excellente objection, en effet. Elle est d'ailleurs l'une des plus fréquentes et peut-être la plus convaincante qui soit opposée à l'allocation universelle. Et justifie donc la publication d'un prochain message qui lui soit - au moins partiellement consacré.
    Christophe Engels

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