lundi 10 mai 2010

Allocation universelle. Sus à la pauvreté !
















S’il est vrai que la lutte contre la pauvreté est autre chose qu’une forme de charité, la voie de l’allocation universelle ne peut sans doute pas être ignorée.
Pour Yannick Vanderborght (photo du dessus) et Philippe Van Parijs, l’Union européenne serait donc bien inspirée d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Au nom d’un idéal de justice qui accorde à la fois à l’égalité et à la liberté la place qui leur revient... (1)

Yannick Vanderborght (2) et Philippe Van Parijs (3),
Chaire Hoover

Il est indéniable que la sécurité économique est accrue, aujourd'hui comme hier, par l'accès à une activité rémunérée.
Dans le cadre de la Méthode ouverte de coordination de l'Union européenne, les institutions européennes ont ainsi fait de l’inclusion active la pierre angulaire de leurs efforts pour combattre la pauvreté. Au-delà de l’affirmation de lignes directrices qui, par définition, restent vagues et non-contraignantes, cet objectif mérite d’être poursuivi avec détermination. Pourquoi alors défendre une mesure aussi radicalement inconditionnelle? N’est-ce pas chercher à éradiquer l’exclusion en incitant à une dangereuse passivité?
Pas du tout. L’allocation universelle, en effet, n’est pas une alternative résignée au plein-emploi, mais une stratégie pour l’atteindre. Les dispositifs d'assistance classique, comme tous les programmes ciblés dont il a été question plus haut, tendent à creuser un véritable piège de l’inactivité en pénalisant les personnes qui parviennent à trouver un emploi peu rémunéré.
Les gains obtenus sont parfois plus qu’annulés par la réduction correspondante ou le retrait total du transfert. En cas d’allocation universelle, par contre, l’accès à l’emploi, même faiblement payé, peu productif ou à temps partiel, améliore le revenu net par rapport à une situation d’inactivité, l’allocation étant intégralement conservée.

Quand l’Etat social actif s’émancipe…

Contrairement aux apparences, l’allocation universelle constitue donc un élément essentiel d'une politique d'inclusion active. Mais alors qu'une version dure de l'activation constitue un retour au travail forcé, elle offre une perspective totalement différente. En effet, l’absence d’exigence de contrepartie confère aux plus faibles un pouvoir de négociation leur permettant de refuser des emplois abrutissants qui ne leur apportent ni formation ni perspectives d’avenir. Si l’universalité de la mesure en fait un subside à l’emploi peu rentable (en un sens économique immédiat), son inconditionnalité l’empêche de fonctionner comme subvention aux emplois dégradants.

Vers un euro-dividende ?

Il est douteux que l’allocation universelle soit instaurée où que ce soit par une transformation abrupte des régimes de transferts.
Mais il n’est pas du tout illusoire d’espérer que la proposition et l’argumentation qui la sous-tendent puissent non seulement muscler la résistance à la tentation myope de rendre nos systèmes nationaux de redistribution plus ciblés, mais aussi inspirer des réformes substituant l'universalité à la sélectivité.
Il est même permis de penser qu’à mesure que l’impuissance grandissante des Etats-nations nous forcera à penser et réaliser un dispositif de redistribution inter-individuelle à l’échelle de l’Union européenne, l’idée d’allocation universelle s’imposera d’elle-même: un euro-dividende qui pourrait prendre initialement la forme d’allocations familiales universelles financées au niveau de l’Union et distribuées à un niveau variant en fonction du coût de la vie dans chaque Etat membre. A la fois appui et substitut partiel aux politiques régionale, agricole, sociale et démographique de l’Union, un tel euro-dividende serait en même temps la préfiguration d’un modèle social européen enfin rénové en profondeur.
La voie de l’allocation universelle, en tout cas, ne peut être ignorée par quiconque voit dans la lutte contre la pauvreté non une forme de charité à l’égard de miséreux mais une exigence essentielle d’un idéal de justice qui accorde à la fois à l’égalité et à la liberté la place qui leur revient.

Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs,
Chaire Hoover

(1) Cette contribution a fait l’objet d’une première publication : Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs (Chaire Hoover), L’allocation universelle contre la pauvreté, Réseau européen contre la pauvreté, novembre 2009. Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(2) Yannick Vanderborght (photo du dessus) est professeur aux Facultés Universitaires Saint-Louis (FUSL) de Bruxelles et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain. Il est membre de la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique et du Basic Income Earth Network (BIEN). Il a notamment écrit L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Philippe Van Parijs).
(3) Philippe Van Parijs est professeur ordinaire à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques de l'Université de Louvain, où il anime la Chaire Hoover d'éthique économique, sociale et politique depuis sa création en 1991. Il est également professeur invité au département de philosophie de Harvard University depuis 2004 et professeur invité à l'Institut supérieur de philosophie de la Katholieke Universiteit Leuven depuis 2006. Le Prix Francqui lui a été attribué en 2001. Cofondateur du Basic Income Earth Network (BIEN), il est l'auteur de nombreux livres, dont L'Allocation universelle, coll. Repères, La Découverte, Paris, 2005 (avec Yannick Vanderborght).
(5) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

4 commentaires:

  1. Les textes sur l'allocation universelle me posent 3 questions. 1/ Quelle est la différence entre allocation universelle, revenu garanti, revenu de citoyenneté, revenu d'existence, revenu d’intégration et revenu minimum d’insertion ?
    2/ Je n'ai compris qu'à moitié ce qui est entendu par «piège de l'inactivité». 3/ Est- ce que l'allocation universelle est conciliable avec un partage du temps de travail ? (Par courriel)

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  2. En supposant que l’allocation universelle soit réaliste (je n'en suis pas convaincu et d'ailleurs vous ne parlez pas chiffres), je ne vois toujours pas pourquoi il faudrait payer pour entretenir TOUT LE MONDE c'est à dire aussi ceux qui ne veulent pas travailler, ceux qui n'ont aucun souci de la société, les délinquants sexuels, les voleurs etc! (Par courriel)

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  3. C'est bien noté. Le (ou un) prochain message de ce blog aura donc pour objectif de tenter de répondre à ces questions sur
    . la différence entre allocation universelle, revenu garanti, revenu de citoyenneté, revenu d'existence, revenu d’intégration et revenu minimum d’insertion,
    . l'idée de «piège de l'inactivité»,
    . le lien entre temps de travail et allocation universelle,
    . la notion de justice qui sous-tend cette dernière.
    Christophe Engels

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  4. Il me semble que l'allocution universelle viendrait remplacer toute les autres formes d'aide (comme les allocation de chômage, les pensions, les allocations familiales, les congés parentaux... - Économie dans la gestion). IL s'agirait d'un montant de base auquel on aurait tous droit. Les revenus du travail s'ajouteraient à ce montant. Donc, cela suppose un changement majeur dans l'organisation du travail. On serait aussi moins entrain de courir aux salaires les plus élevés. On ouvrirait la porte à de la créativité individuelle et collective (jardinage, service rendu entre voisins par le système de troc...). On aurait moins de burn-out... Bref, moi j'y crois.

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