mardi 30 décembre 2014

Pablo Iglesias (Podemos): leçon de stratégie politique à l'usage de ceux qui veulent changer le monde




Parti espagnol issu du mouvement des Indignés
Podemos a trouvé son meneur. 
Il s'appelle Pablo Iglesias (1).
Est devenu en quelques mois 
le porte-voix de tous ceux qui se sentent 
frappés par la crise 
et abandonnés par les pouvoirs publics.
A réussi, en moins d'un an, à faire de sa formation 
la deuxième force politique du pays (2). 
Et y va de sa petite leçon de stratégie politique 
à l'usage de ceux qui veulent changer le monde... 


«Il ne m'a pas échappé que la clé pour comprendre l'histoire de ces cinq derniers siècles, c'est l'émergence de catégories sociales spécifiques, que l'on appelle "classes". 
Je le sais, bien sûr.
Mais laissez-moi vous raconter une petite histoire...
Quand le mouvement des Indignés a pris son envol sur la Puerta del Sol, des étudiants de ma faculté -la fac' de sciences politiques de l'Université Complutense de Madrid-, des étudiants très politisés qui avaient lu Karl Marx et Lénine, se sont confrontés pour la première fois de leur vie à des gens... normaux!
Ils étaient désespérés.
Ils se plaignaient de ne pas être compris...
"On leur dit qu'ils font partie de la classe ouvrière, même s'ils ne le savent pas!", m'expliquaient-ils.
Les gens les regardaient comme s'ils venaient d'une autre planète. 
Et les étudiants rentraient chez eux dépités, en se lamentant...
"Ils ne comprennent vraiment rien à rien".

Le problème vient de vous

Moi, j'ai envie de leur répondre ceci...
Ne voyez-vous pas que le problème vient de vous? 
Que la politique n'a rien à voir avec le fait d'avoir raison?
Qu'elle n'a qu'un but: rencontrer le succès?
Vous pouvez vous fendre de la meilleure analyse du monde, comprendre les processus politiques qui se sont déroulés depuis le seizième siècle, savoir que le matérialisme historique est la clé de la compréhension des mécanismes sociaux...
Et alors?
Qu'allez-vous faire par rapport aux gens?
Allez-vous leur hurler: "Vous faites partie de la classe ouvrière, et vous n'êtes même pas au courant!"? 

Avoir raison ne suffit pas

L'ennemi ne demande qu'à se moquer de vous. 
Vous pouvez porter un tee-shirt avec une faucille et un marteau. 
Vous pouvez même hisser un très, très long drapeau, puis rentrer chez vous avec lui.
L'ennemi n'en continue pas moins de se rire de vous. 
Car les gens en général, et les travailleurs en particulier, ont tendance à croire l'ennemi. 
Ils lui accordent leur préférence par rapport à vous. 
Ils croient à ce qu'il dit. 
Ils le comprennent quand il parle. 
Alors qu'ils ne vous comprennent pas, vous!
Et le fait que vous ayez raison ne change rien à l'affaire! 
Il ne vous  restera alors qu'a demander à vos enfants d'écrire ceci sur votre tombe: "Il a toujours eu raison... mais personne ne le sut jamais"...

Adapter votre message

En étudiant les mouvements de transformation qui ont réussi par le passé, on se rend compte que la clé du succès, c'est la manière dont vous parvenez à adapter votre analyse au ressenti de la majorité. 
Et c'est très difficile. 
Car il s'agit de dépasser les contradictions.
Croyez-vous que j'ai un problème idéologique avec l'organisation d'une grève spontanée de 48 ou même de 72 heures? 
Pas le moins du monde! 
Mais le fait de partir en grève n'a rien à voir avec la force de notre volonté en la matière. 
Et, en revanche, tout à voir avec la puissance syndicale.
Un facteur auquel je soupçonne que vous comme moi sommes complètement étrangers.

Vous et moi, nous pouvons souhaiter que la terre soit un paradis pour l'humanité. 
Nous pouvons désirer tout ce que nous voulons et l'imprimer sur des tee-shirts. 
Mais la politique est un rapport de force.
Pas du tout le résultat des incantations ou des belles paroles martelées dans des assemblées générales. 

Dans ce pays, il n'y a que deux syndicats qui ont le pouvoir d'organiser une grève générale: le C.C.O.O. et l'U.G.T. 
Cette idée me comble-t-elle d'aise?
Non. 
Mais les choses sont ce qu'elles sont.
Et organiser une grève générale, c'est difficile.

J'ai participé à des piquets de grève devant des arrêts d'autobus à Madrid. 
Les gens qui passaient là-bas, à l'aube, vous savez où ils allaient? 
Au boulot.
Ce n'étaient pas des briseurs de grève.
Mais, le cas échéant, ils se seraient fait virer.
Parce qu'à leur travail, il n'y avait pas de syndicat pour les défendre.

Et parce que les travailleurs qui peuvent se défendre, ce sont ceux qui sont protégés par des syndicats puissants. 
Ce sont ceux qui prestent pour des chantiers navals ou dans les mines. 
Ce ne sont ni les jeunes qui gagnent leur vie dans un centre d'appel ou comme livreurs de pizzas ni les femmes qui exercent leur activité professionnelle dans un magasin.
Qui, eux, n'ont pas les mêmes latitudes.
Et qui se feront licencier dès la grève terminée.
Quand ni vous ni moi ne serons là.
Ces jeunes, ces femmes..., aucun syndicat ne pourra jamais leur garantir qu'il pourra parler en tête-à-tête avec leur patron pour lui dire "V
ous n'avez vraiment pas intérêt à virer cet employé qui n'a fait qu'exercer son droit de grève, parce que, si vous le faites, nous vous le ferons payer au prix fort."
Il ne faut pas rêver, quel que soit notre enthousiasme.
La politique, ce n'est pas ce que vous ou moi voudrions qu'elle soit. 
C'est quelque chose de terrible. 
Terrible. 
Voilà pourquoi nous devons viser à l'unité populaire.
Et faire preuve d'humilité.


Nous faisons fausse route depuis des années

Parfois, il faut parler à des gens qui n'aiment pas notre façon de parler et chez qui les concepts auxquels nous recourons habituellement n'évoquent rien. 
Ce que cela nous apprend? 
Que nous faisons fausse route depuis des années. 
Que le "sens commun" des gens est fort différent de ce que nous pensons. 
Et qu'ils ne se retrouvent pas dans les messages que nous essayons de faire passer. 
Rien de très nouveau dans ce constat!
Connu depuis longtemps des révolutionnaires. 
La clé, c'est de réussir à diriger ce "sens commun".
De l'orienter vers le changement.

Un gars très intelligent, César Rendueles (3), dit qu'autant la plupart des gens sont opposés au capitalisme, autant... ils ne le savent pas! 

Plus de potentiel de transformation sociale 
chez un papa qui fait la vaisselle 
que dans tous les drapeaux rouges

Regardez les féministes...: même s'ils sont majoritaires, la plupart d'entre eux n'ont lu ni Judith Butler ni Simone de Beauvoir.  
Il y a plus de potentiel de transformation sociale chez un papa qui fait la vaisselle ou qui joue avec sa fille et chez un grand-père qui explique à son petit-fils qu'il faut partager les jouets que dans tous les drapeaux rouges qui sont brandis  à une manif'.
Et si nous ne parvenons pas à comprendre que tout doit faire farine au moulin du trait d'union, l'ennemi continuera à se moquer de nous.
C'est ainsi qu'il nous... aime: petits, parlant une langue que personne ne comprend, minoritaires, cachés derrière nos symboles désuets...
Il rit sous cape, l'ennemi, car il sait qu'aussi longtemps que nous nous montrerons de la sorte, nous ne représenterons pas le moindre danger.
Nous pouvons tenir un discours très radical, menacer de faire une grève générale spontanée, parler de prendre les armes, brandir des symboles, tenir bien haut les portraits de grands révolutionnaires...: nos manifestations n'en finissent pas de les faire rire!
Ils se moquent de nous! 
Mais commençons à rassembler des centaines, des milliers de personnes et à convaincre au sein de la majorité, y compris donc parmi ceux qui ont voté pour l'ennemi auparavant, et là, la peur les envahira.

Matérialisme dialectique vs pain et paix: 
un combat inégal

Voilà ce qu'on appelle la politique. 
C'est ce que nous devons apprendre.
Il y avait un gars qui parlait de Soviets en 1905. 
Il y avait ce chauve, là...
Un génie.
Son analyse concrète de la situation a débouché sur une vraie compréhension des événements. 
Vous savez, c'était en temps de guerre, en 1917, en Russie, quand le régime s'effondra...
Il a dit une chose très simple aux Russes, qu'ils soient soldats, paysans ou travailleurs. 

Il leur a dit "pain et paix".
Et quand il a prononcé ces mots qui évoquaient ce que tout le monde voulait (la fin de la guerre et de quoi manger), de nombreux Russes, qui ne savaient plus s'ils étaient "de gauche" ou "de droite" mais qui savaient qu'ils avaient faim, se sont écriés: "le chauve a raison". 
Le chauve avait tout compris. 
Il n'avait pas parlé au peuple de "matérialisme dialectique" mais de pain et de paix!  

Aujourd'hui est un autre jour 

L'une des principales leçons du XXème siècle, c'est... qu'il est ridicule de vouloir transformer la société en imitant l'Histoire et les symboles!
Les expériences d'autres pays, les événements qui appartiennent à l'Histoire ne se répètent pas. 
La clé, c'est d'analyser les processus, de tirer les leçons de cette Histoire. 
Et de comprendre qu'à chaque moment de celle-ci, si le "pain et paix" que l'on prononce n'entre pas en résonance avec les sentiments et les pensées des gens, on ne fera que répéter, comme une farce, une victoire qui, dans le passé, s'avéra tragique sur bon nombre de points.» (4)(5)

Pablo Iglesias


(1) Pablo Iglesias est madrilène et professeur de sciences politiques.
(2) Les sondages la donne même en tête des intentions de vote pour les prochaines élections générales.
(3) Socilogue et essayiste espagnol.
(4) Ce message traduit de l'espagnol la contribution originale de Pablo Iglesias. Le chapeau et les intertitres sont de la rédaction.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. des voeux de nouvel an;
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration;
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).

 

1 commentaire:

  1. Qui a dit que Noël était fini ?
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