lundi 19 juillet 2010

Economie sociale. Du social au sociétal…

Comment les spécificités
de l’économie sociale
se traduisent-elles sur le terrain?
Et le cas échéant,
comment répondent-elles
aux aspirations éthiques des citoyens?
L’avis de l’économiste Sybille Mertens
(1)


Finalité sociale, démocratie économique, contrainte sur la distribution du profit, autonomie (voire indépendance) par rapport à l’Etat: telles sont donc les caractéristiques majeures de l’économie sociale. (2)
Mais quid à partir de là?
Comment les acteurs de ce secteur d’activité déclinent-ils de telles orientations dans les faits ?
Que font-ils pratiquement ?
Quelles sont leurs activités précises ?

Les sept travaux de l’économie sociale

Concrètement, il se trouve que les associations (de fait ou sans but lucratif), fondations, mutualités et sociétés (coopératives ou à finalité sociale) de l’économie sociale relèvent essentiellement sept défis…
. Soit elles prestent des services sociaux et de santé.
. Soit elles s’emploient à combattre le chômage ainsi qu’à favoriser l'entrepreneuriat et l'emploi de qualité.
. Soit elles se consacrent à la protection du consommateur et à la facilitation de l'accès aux marchés.
. Soit elles organisent des loisirs accessibles et soutiennent le secteur culturel.
. Soit elles cherchent à préserver l'environnement.
. Soit elles luttent contre les effets néfastes de la mondialisation.
. Soit encore elles répondent aux aspirations éthiques des citoyens…

Au fait, j’y (re)pense…

Dans le septième cas de figure en particulier, «Il ne s'agit pas vraiment d'expérimenter à grande échelle un nouveau modèle de fonctionnement de l'économie, mais plutôt de repenser, au sein du système actuel, l'implication des divers acteurs économiques en termes de responsabilité individuelle et collective, estime Sybille Mertens.
Depuis près de vingt ans, de nouveaux vocables ont ainsi fait leur apparition dans les sphères de discussion et d'influence.
On parle désormais en termes de développement durable, d'éthique des affaires, de bonne gouvernance, de responsabilité sociétale des entreprises, d'investissement socialement responsable, de commerce équitable ou encore de consommation citoyenne.
Dans la construction graduelle de ce nouveau paradigme
(3), l'économie sociale peut remplir une fonction importante vis-à-vis des citoyens et des entreprises qui entendent adopter une démarche sociétalement responsable.» (4)

De ma responsabilité citoyenne...

«Le citoyen qui souhaite prendre ses responsabilités dans l'exercice de ses actes économiques est souvent perplexe, poursuit Sybille Mertens.
Les enjeux le dépassent et il ne trouve pas facilement le moyen d'exprimer économiquement ses aspirations éthiques personnelles.
L'économie sociale lui offre la possibilité de se réapproprier ses principaux actes économiques: la consommation, le travail, l'épargne.
En rejoignant d'autres personnes animées du même questionnement, il peut choisir sa manière de consommer ou infléchir sur les conditions de sa consommation (en termes de prix ou de qualité, entendue au sens large en ce compris les circonstances sociales ou environnementales dans lesquelles les biens ont été produits), il peut, dans une certaine mesure, déterminer ses conditions de travail et celles de ses collègues et enfin, il peut enfin décider de l'affectation de son épargne.
S'il rejoint une organisation d'économie sociale dont la finalité est plutôt tournée vers le service à autrui, il peut exprimer sa solidarité envers les plus démunis ou à l'égard de la collectivité dans son ensemble à travers les actes économiques qu'il pose au sein de cette organisation.» (5)

... à notre responsabilité sociétale

«Mais l'économie sociale peut aussi contribuer au développement de la responsabilité sociétale des entreprises, précise encore Sybille Mertens.
Pour rappel, ce terme désigne les démarches volontaires dans lesquelles des entreprises s'engagent afin de respecter, au-delà de leur objectif de rentabilité économique, des exigences sociales et environnementales, et d’améliorer les relations avec toutes les parties prenantes concernés par leurs activités (clients, fournisseurs, travailleurs, pouvoirs publics, voisinage, etc.).
En réalité, ces démarches constituent le fondement même de l'économie sociale depuis plus d’un siècle dans la mesure où les organisations qui en font partie utilisent des moyens économiques pour rencontrer des objectifs sociaux, où leurs modalités de fonctionnement sont basées sur la personne et où elles mettent en oeuvre des principes de démocratie interne qui préfigurent un dialogue possible avec les différentes parties prenantes. Sur le thème de la RSE, elles ont donc un rôle de démonstration à jouer et une expertise à faire valoir (6)(7)

Panser les plaies de l'individu, penser le plus de la personne?

Finalement, l’enjeu sous-jacent ne serait-il pas, en quelque sorte, de panser des plaies individuelles en (re)pensant un plus (inter)personnel?
Ici aussi.
Ici encore... (8)

Christophe Engels
(D’après Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, Université de Liège, 2007)


(1) Sybille Mertens est directrice de recherches au Centre d'Economie Sociale et coordinatrice de la Chaire Cera, à l'Université de Liège.
(2) Voir le 46e message de ce blog : «Economie sociale. Rencontre du troisième type.»
(3) Gendron, C., Social Economy and Social Responsibility: Alternatives or Convergences ?, contribution au Séminaire international Social Economy : Towards a Worldwide Perspective, Leuven, 14-5 June 2007-07.
(4) Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, ULg, 2007, pp.45-46.
(5) Mertens Sybille, ibidem, p.46.
(6) Huybrechts, B., Mertens, S., Xhauflair, V., Les interactions entre l'économie sociale et la responsabilité sociale des entreprises. Illustrations à travers la filière du commerce équitable, Revue Internationale de Gestion, vol. 31, 2006, n°2, pp.65-74.
(7) Mertens Sybille, ibidem, p.46.
(8) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mardi 13 juillet 2010

Economie sociale. Business as unusual.

Ni capitaliste ni publique,
l’économie sociale ? (1)
Mais encore…
En Belgique francophone,

ce concept englobe
associations et sociétés.
Explications de l’économiste

Sybille Mertens (2)

En Belgique francophone (3), le concept d'économie sociale recouvre une vaste diversité d'organisations. On peut néanmoins les regrouper en deux grandes catégories: celle des associations (associations de fait, associations sans but lucratif, fondations ou mutualités) et celle des sociétés (qu’elles soient coopératives ou à finalité sociale)...

Associations de… bienfaiteurs !

L'association est souvent définie comme un contrat par lequel plusieurs personnes décident de s'unir en vue de poursuivre un but commun «non lucratif».
De facto, on en retrouve quatre types...
. L'association de fait.
Les associations n'ont pas besoin d'acquérir la personnalité juridique pour exister. On les dénomme alors associations de fait.
. L'association sans but lucratif.
La forme juridique de l'association sans but lucratif semble taillée sur mesure pour respecter les critères éthiques de la définition de l'économie sociale. En effet, la loi prévoit de réserver un droit de vote égalitaire à tous les membres de l’a.s.b.l.
. La fondation.
Autre figure juridique du type associatif : la fondation.
«Les fondations sont des organisations sans but lucratif qui disposent d'une source de revenus autonome et fiable, provenant (généralement mais pas exclusivement) d'une donation ou d'un capital, explique-t-on du côté de l’European Foundation Centre. Elles poursuivent des objectifs éducatifs, culturels, religieux, sociaux ou autres en octroyant des aides à des associations, des institutions caritatives, des établissements d'enseignement, des individus ou encore en mettant elles-mêmes des programmes sur pied.» (4)
Une fondation est une institution créée par une ou plusieurs personnes, physique(s) ou morale(s), afin d'affecter tout ou une partie d'un patrimoine à la réalisation d'un but désintéressé déterminé.
Cette forme juridique a été adoptée pour permettre aux particuliers de bénéficier de la générosité d'un tiers.
La loi précise que «la fondation ne peut procurer un gain matériel, ni aux fondateurs, ni aux administrateurs, ni à toute autre personne, sauf s’il s’agit de la réalisation du but désintéressé.» (5)
. La mutualité.
Les mutualités sont définies comme «des associations de personnes physiques qui, dans un esprit de prévoyance, d'assistance mutuelle et de solidarité, ont pour but de promouvoir le bien-être physique, psychique et social.» (6)
La mutualité a une finalité de services aux membres: elle consiste notamment à «gérer une couverture sociale contre les risques liés à l'état de santé, financée de manière solidaire et à constituer un mouvement social pour promouvoir la santé des membres par des actions internes et par des revendications de politique de santé.» (7)
La loi lui interdit d'exercer son activité dans un but lucratif.

Sociétés de… deuxième personne !

Comment définir la société à laquelle nous faisons référence ici?
Il s'agit d'une entité économique qui «a pour but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect à moins que, dans les cas prévus par la loi, l'acte de société n'en dispose autrement.» (8)
Elle peut se décliner de deux façons: coopérative ou à finalité sociale.
. La société coopérative.
L'article 350 du code des sociétés définit la société coopérative comme étant celle qui se compose d'associés dont le nombre et les apports sont variables.
Cette forme de société présente deux caractéristiques essentielles...
Premièrement, la coopérative est une société ouverte. Le nombre de ses associés et leurs apports peuvent varier.
Deuxièmement, les parts des sociétés coopératives ne peuvent être cédées ou transmises qu'aux personnes nommément désignées dans les statuts ou faisant partie de l'une des catégories que ceux-ci déterminent et qui remplissent les conditions légales ou statutaires pour devenir associés.
. La société à finalité sociale.
Elle a été créée par le législateur belge afin de combler une lacune. En effet, la loi du 27 juin 1921 définit l'association sans but lucratif (a.s.b.l.) en posant comme condition qu'elle ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales.
Jusqu'à présent, la conception dominante en matières de doctrine et de jurisprudence était d'autoriser une activité commerciale aux a.s.b.l. seulement dans la mesure où elle était nécessaire à une activité non-commerciale.
Or, comme le fait remarquer Coipel, depuis quelques années, on a vu se développer des entreprises qui ont une activité de type marchand, qui veulent être gérées avec les méthodes et l'efficacité des entreprises classiques mais qui entendent que les profits éventuellement dégagés ne soient pas destinés - du moins pas principalement - à enrichir leurs promoteurs (9).
Elles ne pouvaient prétendre ni au statut d'a.s.b.l. (en raison de leurs activités commerciales), ni au statut de société (en raison de leur absence de but principal de lucre).
Les exigences légales de la qualité «à finalité sociale»? Elle peuvent être ramenées aux huit points suivants...
- pas de but de lucre mais un avantage direct ou indirect limité pour les associés;
- l'affirmation d'un but social, externe ou interne;
- une politique d'affectation des profits conforme au but social;
- un processus de gestion démocratique (un dixième des voix maximum);
- un taux d'intérêt de 6% maximum sur les parts du capital social;
- l'obligation de mentionner dans un rapport annuel la manière dont la société a veillé à poursuivre son but;
- la possibilité accordée aux membres du personnel d'acquérir la qualité d'associés;
- l'affectation du surplus au but social en cas de liquidation. (10)(11)(12)

(A suivre)

Christophe Engels
(D’après Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, Université de Liège, 2007.
Cfr. aussi notre rubrique Un bon conseil...: Centre d'Economie Sociale (ULg).)

(1) Voir le précédent message de ce blog : «Economie sociale. Rencontre du troisième type. »
(2) Sybille Mertens est directrice de recherches au Centre d'Economie Sociale et coordinatrice de la Chaire Cera, à l'Université de Liège.
(3) Les lecteurs non-belges de ce blog voudront bien excuser la tonalité (exceptionnellement) «noire-jaune-rouge» de ce message, qui plus est assez technique.
(4) Cité par Develtere, P., Van Ootegem, L., Raeymaekers, P. [2004], Les fondations en Belgique – Profil du secteur, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, p. 2; cité dans Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume.2, ULg, 2007, p.32.
(5) Art.27, loi du 27 juin 1921; cité dans Mertens Sybille, ibidem, page 32.
(6) Art.2.§ 1° de la loi belge du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités; cité dans Mertens Sybille, ibidem, p.32.
(7) Feltesse, P., Les mutualités en Belgique, entre un système public pur d'assurance maladie et un système privé d'économie sociale, Annales de l'économie publique, sociale et coopérative, volume 63, n°4, p. 669 ; cité dans Mertens Sybille, ibidem, p.32.
(8) Art. 1832 du code civil belge des sociétés; cité dans Mertens Sybille, ibidem, p.33.
(9) Coipel, M., Le casse-tête de la définition légale de l'ASBL, in Non Marchand, n°1998/1, p. 49; cité dans Mertens Sybille, ibidem, p.36.
(10) Source: sur base de l'article 661 du code des sociétés; cité dans Mertens Sybille, ibidem, p.36.
(11) ) Pour suivre:
. Economie sociale. Du social au sociétal.
. ...
(12) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

dimanche 11 juillet 2010

Economie sociale. Rencontre du troisième type.



Eminent membre 
du «tiers secteur»,
l’économie sociale
est donc marquée
par des aspects
non-capitalistes
et non-publics
(1).
Approfondissement
avec une spécialiste
en la matière:
Sybille Mertens…



Directrice de recherches au Centre d'Economie Sociale et coordinatrice de la Chaire Cera, à l'Université de Liège, Sybille Mertens (photo ci-dessus) précise les aspects non-capitalistes et non-publics de l’économie sociale.
Elle propose en effet une série de critères de différenciations… (2)

Non au capitalisme !

Organisations non-capitalistes, les acteurs de l’économie sociale le sont par trois de leurs caractéristiques: la finalité sociale, la démocratie économique et la contrainte sur la distribution du profit.
. Première spécificité: ils accordent la priorité à une finalité sociale. Et pas seulement dans les mots. 
D’une manière ou d’une autre, ils donnent des gages de leur bonne foi en optant pour une forme juridique ad hoc. 
Celle d’une association sans but lucratif par exemple, qui suffit à démontrer de facto que le lucre n’est pas l'objectif prioritaire.
. Deuxième spécificité: la personne retenue pour sa singularité vivante et agissante l’emporte sur l’individu actionnaire. 
Et le système «une personne - une voix» prend donc le pas sur le processus «une action - une voix». 
C’est que le pouvoir de contrôle et de décision n’est pas distribué au prorata d’un apport sonnant et trébuchant. 
Et que, par voie de conséquence, la catégorie dominante n’est pas celle des investisseurs. 
Au minimum, les statuts limitent, en effet, le lien entre cet apport en capital et le pouvoir de décision. 
Souvent même, ils attribuent un pouvoir identique à chaque membre, quel qu’ait été le poids de son investissement financier.
. Troisième spécificité non-capitaliste d’une organisation de l’économie sociale: d’une manière ou d’une autre, elle se soumet à une contrainte sur la répartition du profit. 
Soit que, en tant qu’a.s.b.l., elle s’interdise la distribution de tout surplus à ceux qui la contrôlent ou la dirigent. 
Soit que, comme coopérative (3), elle veille à soumettre l’affectation de ses bénéfices à une décision de l'assemblée générale de ses membres (qui pourra ainsi décider d’autofinancer son développement et/ou de financer des actions sociales avant, finalement, de répartir le solde sans tenir compte des apports en capital de chacun).

Non à l’Etat !

Non-capitalistes, les organisations de l’économie sociale sont par ailleurs non-étatiques. 
A ce titre, elles doivent pouvoir se prévaloir de l’une ou l’autre forme de garantie d’indépendance ou, à tout le moins, d’autonomie par rapport aux administrations publiques: existence d'un budget propre, absence ou -au minimum- caractère minoritaire de la représentation des pouvoirs publics au conseil d'administration…


(A suivre)


Christophe Engels
(D'après Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, Université de Liège, 2007.)


(1) Voir le 44e message de ce blog: «Alternative économique. C'est trop injuste.»
(2) Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, Ulg, 2007, p.9-12.
(3) Nous parlons ici des sociétés coopératives avec un véritable projet coopératif. Cette nuance est expliquée dans la section 3 de Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, Ulg, 2007.
(4) Pour suivre :
. Economie sociale. Business as unusual.
. Economie sociale. Du social au sociétal.
. ...


samedi 10 juillet 2010

Alternative économique. L’appel du large.

En marge des secteurs
privé et public,
un «tiers secteur» économique
rassemble
toutes les organisations alternatives
qui entendent répondre
à un intérêt mutuel ou général.
L’appel du large, donc.

Voire du grand large…


Si le «tiers secteur» peut se définir en creux via les différences qu’il affiche par rapport aux domaines privé et public (1), il peut aussi s’appréhender en positif.
Sous cet angle, il rassemble à la fois des entités économiques qui poursuivent l'intérêt de leurs membres et d’autres qui offrent des services à une collectivité (encore) plus large.
Les premières sont des organisations d'intérêt mutuel, que l'on retrouve comme élément fondateur de la conception francophone du troisième secteur.
Les secondes sont des organisations d'intérêt général, qui constituent le noyau dur du tiers-secteur nord-américain.

Pas seulement l’économie sociale…

Si l’économie sociale trouve bel et bien sa place dans le tiers secteur, elle ne se confond pas pour autant avec lui. Car elle n’en est pas l’unique composante. Elle (2) recouvre en effet les associations (associations de fait, associations sans but lucratif, fondations ou mutualités) et les sociétés (qu’elles soient coopératives ou à finalité sociale) (3). Or ces catégories d’organisation ne suffisent pas à cerner toute la réalité du tiers secteur. Sans même revenir sur le cas spécifique du business social qui a déjà été abordé dans ces colonnes (4), on pense en particulier à trois notions qui ne se fondent pas dans ce double moule: le secteur non-profit, le domaine non-marchand et l’entreprise sociale.

Non-profit : associations only !

Intraduisible en français mais souvent rapproché des concepts associatif et sans but lucratif, le secteur non-profit rassemble les entités qui répondent aux cinq critères suivants (5):
. ce sont des organisations, c'est-à-dire qu'elles ont une existence institutionnelle;
. elles ne distribuent pas de profits à leurs membres ou à leurs administrateurs;
. elles sont privées, séparées institutionnellement de l'Etat;
. elles sont indépendantes dans la mesure où elles ont leurs propres règles et instances de décision;
. enfin, elles font l’objet d’une libre adhésion et sont capables de mobiliser des ressources volontaires sous la forme de dons ou de bénévolat.
L’approche non-profit partage donc de nombreux points communs avec le concept d'économie sociale. Comme lui, elle est issue du courant du tiers secteur. Et comme lui, elle se positionne à la fois en dehors du secteur privé capitaliste et à l’extérieur du secteur public.
Toutefois, les deux notions ne se confondent pas.
«Il subsiste en effet une différence, explique l'économiste Sybille Mertens, directrice de recherches au Centre d'économie sociale de l'Université de Liège. En insistant sur la contrainte de non-distribution et sur l'indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, le concept de secteur non profit exclut de sa compréhension du troisième secteur les sociétés de type coopératif qui redistribuent généralement une part de leurs excédents à leurs membres et les mutuelles lorsque, comme c'est le cas en Belgique, la plus grosse partie de leurs activités s'inscrit dans le cadre d'un régime national obligatoire de sécurité sociale contrôlé par l'Etat. Le secteur nonprofit, tel que défini dans le projet John Hopkins (6), se confond donc avec la composante associative de l'économie sociale.» (7)

Non-marchand : «plus de public, moins de marchand !» (8)

«Le secteur non marchand rassemble les organisations animées d’une finalité non capitaliste et qui cherchent à valoriser leur production autrement que par la vente à un prix couvrant le coût de production», explique Sybille Mertens (9).
Il se distingue de l'économie sociale sur deux plans.
. Tout d'abord, il intègre des organisations de la sphère publique.
. Ensuite, il exclut les entités appartenant à l'économie sociale qui produisent des biens et services individuels et dont les ressources proviennent quasi-exclusivement de la vente sur le marché.

Entreprises sociales : fibre sociale et goût du risque.

Les entreprises sociales sont des organisations qui, d’une part, accordent beaucoup d'importance à la préservation de leur autonomie et, d’autre part, prennent des risques économiques dans la conduite de leurs activités.
Elles se caractérisent de trois manières:
. elles naissent à l'initiative de groupes de citoyens;
. elles poursuivent explicitement un objectif de service à la collectivité;
. elles mettent des limites à l'intérêt matériel de leurs investisseurs. (10)
«Leur nature "sociale" apparaît à trois niveaux, explique Sybille Mertens.
. Premièrement, elles poursuivent une finalité sociale et socialisent – au moins en partie – les surplus issus de la production (en développant les activités ou en les affectant à d'autres personnes que celles qui contrôlent et dirigent l'organisation).
. Deuxièmement, elles mobilisent – même très partiellement – des ressources non marchandes (subsides, dons, cotisations, bénévolat) afin de poursuivre leur finalité sociale.
. Enfin, elles peuvent être caractérisées par une dynamique participative: leurs membres participent activement à la gestion et au contrôle de l'organisation. Cette participation se fait sur une base démocratique car le pouvoir de chacun n'est pas lié proportionnellement à ses apports en capital.
» (11)(12)

Christophe Engels

(1) Voir le précédent message de ce blog: «Alternative économique. C'est trop injuste...»
(2) Dans son acception belge francophone en tout cas.
(3) Pour plus de détails, voir «Business social. Business as unusual.», prochainement sur ce blog.
(4) Voir, en particulier, le 43e message de ce blog : «Economie sociale. Valeur humaine ajoutée».
(5) Selon Salamon, L.M. et Anheier, H.K., United States in Salamon, L.M. et Anheier, H.K. (eds) Defining the Nonprofit Sector, a Cross-national Analysis, The Johns Hopkins Sector Series, Baltimore, pp. 280-319; repris par Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, Volume 2, p.23.
(6) Pour plus de détails, voir Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, Volume 2, pp.23-24.
(7) Mertens Sybille, ibidem, pp. 23-24.
(8) Cette sous-section s’inspire de l'approche développée dans Marée, M., Mertens, S. [2002], Contours et statistiques du non-marchand en Belgique, Centre d'Economie Sociale, Presses universitaires de Liège et reprise dans Mertens Sybille, ibidem, p.24-25.
(9) Mertens Sybille, ibidem, p.25.
(10) D’après Defourny, J. et Nyssens, M., repris par Mertens Sybille, ibidem, p.26.
(11) Mertens Sybille, ibidem, pp.26-27.
(12) Pour suivre :
. Economie sociale. Rencontre du troisième type.
.
Economie sociale. Business as unusual.
. Economie sociale. Du social au sociétal.
. ...

mardi 6 juillet 2010

Alternative économique. C'est trop injuste...

Dans l'ombre des mastodontes privés et publics, un «tiers secteur» économique peine à capter le feu des projecteurs.
Pas de doute: ce troisième larron est considérablement sous-estimé.
C'est trop injuste...


A ma droite, le secteur privé, exclusivement ou essentiellement centré sur la quête du profit.
A ma gauche, le secteur public, tout entier dévolu – en principe – à la finalité de l’intérêt général.
Soit deux types d’acteurs auxquels les observateurs ont longtemps réduit l’activité économique des pays industrialisés.
Erreur, certes. Mais erreur provisoire. Que l’on se fit un devoir de réparer il y a quelques décennies.
Car entre-temps, il avait bien fallu se rendre à l’évidence: cette vision dichotomique n’avait jamais réussi à embrasser l’ensemble de la réalité en question.
Et pour cause: elle avait omis de prendre en compte une troisième catégorie.
Celle de ces organisations qui, pour faire partie du secteur privé, n’en poursuivent pas moins des objectifs renvoyant à la notion de service à la collectivité.
Celle qui s’attache à combler la lacune des nombreux besoins laissés insatisfaits par les deux pôles traditionnels du système capitaliste.
Celle qu’on allait finir par ranger dans le fourre-tout sémantique d'une «économie sociale»…

Public ou privé? Aucun des deux, mon général!

L’économie sociale s’inscrit pourtant dans un contexte plus large: celui d’un «tiers secteur». Un troisième larron, donc, constitué de toutes ces organisations qu’un statut privé n’empêche pas de poursuivre une finalité sociale. La Croix-Rouge, par exemple. Les ONG (1) de développement aussi. Ou alors les magasins du monde - Oxfam, la Ligue des familles, les associations de défense de l'environnement (comme Greenpeace ou le WWF (2)), les organismes de financement alternatif (tel Credal (3), qui, en Belgique francophone, se spécialise dans le micro-crédit, le crédit social et le prêt vert social), les pharmacies coopératives, les fondations qui soutiennent des programmes de la société civile…
Le point commun de ces entités «du troisième type»? Elles ne sont ni tout à fait capitalistes ni à proprement parler publiques.
- Pas tout à fait capitalistes, d’une part, dans la mesure où
. elles ne visent pas d'abord à rémunérer les investisseurs (actionnaires) qui leur ont apporté du capital,
. elles produisent parfois des services d’une nature plus largement collective,
. elles ne recourent pas nécessairement, pour ce faire, à des ressources qui proviennent de la vente de produits.
- Pas à proprement parler publiques, néanmoins, au sens où elles échappent dans une certaine mesure à la dépendance de l’Etat et des pouvoirs politiques. (4)(5)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Organisations non-gouvernementales.
(2) World Wildlife Fund.
(3) Pendant pour la Belgique néerlandophone: Hefboom.
(4) Ce message est principalement inspiré de Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, Volume 2. Pour plus de détails, voir notre rubrique Un bon conseil...: Centre d'Economie Sociale (ULg).
(5) Pour suivre:
. Economie alternative. L’appel du grand large.
. Economie sociale. Rencontre du troisième type.
. Economie sociale. Business as unusual.
. Economie sociale. Du social au sociétal.
. ...

jeudi 1 juillet 2010

Business social. Valeur humaine ajoutée.

En éludant le caractère multidimensionnel de la nature humaine, n'avons-nous pas créé un monde de maxi-profit?
Un monde exclusivement économique?
Un monde asocial et inhumain?
Autant de carences dénoncées par Muhammad Yunus
(1).
Qui invite à y remédier au plus vite.
Et propose un outil pour ce faire: le «business social»...


Le business social (2), c'est un nouveau type d’entreprise qui, pour ressembler à celles que nous connaissons, ne s’en distingue pas moins par ses objectifs...

Bénéfices... sociaux !

Le but ultime d'un business social est de générer des bénéfices... sociaux. Non pas que le profit individuel et matériel soit dorénavant considéré comme quantité négligeable. Mais il est relégué au rôle de moyen. Au point qu’un investisseur n’a plus à espérer retirer la moindre plus-value sonnante et trébuchante de son activité. Il se contentera en effet de récupérer sa mise initiale au terme d’une période préalablement convenue. Tout juste, à partir de là, restera-t-il propriétaire du business social concerné, conservant ainsi un droit de regard sur son fonctionnement.

Malin plaisir

Pourquoi, dans ces conditions, placer de l'argent dans un business social?
«De façon générale, les gens agiront de la sorte afin d’obtenir le même type de satisfaction personnelle que celle qu’apporte la philanthropie, répond avec assurance Muhammad Yunus. Leur satisfaction pourrait même être supérieure, car l’entreprise qu’ils auront créée continuera longtemps à apporter ses bienfaits à de plus en plus d’individus.» (3)

Ne pas confondre...

Business social n’est donc ni entreprenariat social, ni entreprise hybride, ni mouvement coopératif, ni association à but non lucratif, ni entreprise socialement responsable.
. Business social n’est pas entreprenariat social. Il ne doit pas être confondu avec ce concept qui, de plus en plus en vogue dans le monde des affaires et de moins en moins ignoré du grand public, s’est même payé le luxe d’ accéder au rang de discipline académique. Car un tel concept, beaucoup plus large, ne fait pas le tri entre initiative économique ou non, à but lucratif ou non.
. Business social n’est pas non plus entreprise hybride. En effet, ses objectifs à lui ne sont pas conflictuels.
«Les dirigeants de ces entreprises hybrides glisseront progressivement vers l'objectif de maximisation du profit, quel que soit la manière dont la mission de l'entreprise aura été conçue. (...) Sur quelle base sera-t-il jugé: celle de l'argent qu'il fait gagner aux investisseurs ou celle de l'objectif social qu'il remplit?» (4)
. Business social n’est pas davantage mouvement coopératif, celui-ci n’étant pas intrinsèquement destiné à aider les pauvres ou à produire des bénéfices sociaux.
. Par ailleurs, business social n’est pas organisation à but non lucratif, celle-ci ne parvenant généralement pas à couvrir la totalité de ses coûts parce qu’elle n’a pas fait le choix des investisseurs propriétaires et de leurs moyens financiers.
. Enfin, business social n’est pas entreprise socialement responsable, celle-ci ayant une nette propension à mettre ses objectifs sociaux de côté lorsqu’ils entrent en conflit avec l’objectif de maximisation de profit, ne serait-ce que parce que toutes les techniques de gestion ont été conçues dans cet esprit (alors même que l’évaluation des objectifs sociaux pose des difficultés conceptuelles).
Non, décidément! Business social n’est rien de tout cela. Pas plus qu’il n’est a.s.b.l., O.N.G. ou organisation charitable. Ses sources de financement ne sont ni les dons caritatifs ni les subventions accordées par les pouvoirs publics ni les soutiens alloués par les fondations. Entreprise au plein sens du terme, il facture bel et bien ses produits et ses services aux prix du marché. La réalisation de son objectif social passe en effet par une couverture autonome de l’ensemble de ses coûts.

Entreprise Canada Dry

Business social et entreprise classique, même combat?
Oui.
Sous bien des aspects, en tout cas:
. il est en concurrence avec elle, essaie de la surclasser, tente de lui prendre des parts de marché;
. il fonctionne avec des produits et des services, des fournisseurs et des clients, des charges et des recettes...
Seule mais essentielle spécificité: le principe de maximisation du profit est - rappelons-le - remplacé par celui de bénéfice social.
Un business social «peut ainsi être défini comme une entreprise qui ne réalise pas de perte et ne distribue pas de dividendes.» (5)
Telle est sa double singularité. Et son atout majeur.
Parce que les business sociaux seront avant tout des entreprises, ils «auront la motivation, les ressources et le pouvoir nécessaire pour diffuser leur message à une audience importante.» (6)
Ils «auront un avantage comparatif sur le marché des idées, car chacun saura qu’ils n’auront pas d’intérêt à mentir.» (7)
«Les efforts conjugués de milliers d’entreprises à vocation sociale produiront un changement incontestable dans le ton et le contenu des débats publics. Les valeurs autres que l’argent occuperont la place qui leur revient et seront reconnues pour ce qu’elles sont: des guides importants et des étapes vers une vie plus satisfaisante et riche de sens.» (8)(9)

Christophe Engels
(d'après Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007)

(1) Ceux auxquels le nom de Muhammad Yunus ne dirait rien se référeront utilement au 41e message de ce blog: «Business social. Nouveau capitalisme?».
(2) Le traducteur en français de Yunus a choisi de conserver l'expression «social-business». Nous préférons recourir ici à l'appellation «business social».
(3) Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007, p. 57.
(4) Ibidem, p. 52-74.
(5) Ibidem, p. 55.
(6) Ibidem, p. 329.
(7) Ibidem, p. 329.
(8) Ibidem, p. 329-330.
(9) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

Business social. Panne d'essence, non merci !


La théorie
du libre marché
s'avère défaillante
dans sa conceptualisation,
assure le détenteur
du prix Nobel de la Paix 2006,
Muhammad Yunus (1).
D'où son incapacité à saisir
l'essence même de l'humain...





Et si le capitalisme s’enracinait dans une conception trop étroite de la nature humaine?
Et si cet a priori réduisait la personne plurielle, foisonnante et complexe à un individu unidimensionnel?
Et si un tel cliché expliquait que l'homme puisse parfois se voir caricaturé sous la forme d'un être dont le seul et unique projet porterait sur la maximisation du profit?
«Notre théorie économique a créé un monde unidimensionnel peuplé par ceux qui se consacrent au jeu de la concurrence et pour qui la victoire ne se mesure qu'à l'aune du profit, écrit Muhammad Yunus.
Comme cette théorie nous a convaincus que la recherche du profit constituait le meilleur moyen d'apporter le bonheur à l'espèce humaine, nous imitons avec enthousiasme la théorie en nous efforçant de nous transformer en êtres unidimensionnels.
Et le monde d'aujourd'hui est si fasciné par le succès du capitalisme qu'il n'ose pas mettre en doute le système sous-jacent à la théorie économique.
La réalité est néanmoins très différente de la théorie.
Les individus ne sont pas des entités unidimensionnelles; ils sont passionnément multidimensionnels.
Leurs émotions, leurs croyances, leurs priorités, leurs motifs peuvent être comparés aux millions de nuances que sont susceptibles de produire les trois couleurs primaires.» (2)

Constat de carences

En éludant le caractère multidimensionnel de la nature humaine, nous avons créé un monde artificiel et décalé.
Un monde qui considère qu’une entreprise ne se conçoit pas sans quête de profit maximal.
Un monde qui exclut tout autre type d’activité économique.
Un monde qui, par conséquent, se montre rigoureusement incapable de répondre aux problèmes sociaux les plus pressants.
Autant de carences auxquelles il convient de remédier au plus vite... (3)(4)

(A suivre)

Christophe Engels
(D'après Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007)


(1) Ceux auxquels le nom de Muhammad Yunus ne dirait rien se référeront utilement au précédent message de ce blog: «Business social. Nouveau capitalisme?».
(2) Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007, p.48-49.
(3) Pour suivre: d'autres notes de lecture de Muhammad Yunus.
(4) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mercredi 30 juin 2010

Business social. Nouveau capitalisme ?















En fondant une banque pour les pauvres,
il a transgressé les préjugés économiques, politiques et religieux les plus tenaces.
Mes micro-crédits ?
Non seulement ils seront efficaces,
assénait-il audacieusement.
Mais en plus ils seront remboursés.
Même par les plus démunis.
Seul contre tous, Muhammad Yunus a démontré
qu’il avait raison.
95% des prêts sont revenus à sa «Grameen Bank».
Avec les (petits) intérêts convenus.
Et avec une (grosse) cerise sur le gâteau :
le prix Nobel de la Paix 2006 !
Première partie d’un voyage
au pays du «nouveau capitalisme» (1)
de cet économiste atypique.
Ou quand le Bangladesh fait la leçon à l’Occident…


Le capitalisme échoue irrémédiablement à résoudre les problèmes sociaux et écologiques qui se présentent à lui.
Tel est le constat, sans langue de bois, de Muhammad Yunus.
Qui poursuit, implacable...
Des instruments régulateurs ont bien été mis en place.
Mais ils ne suffisent pas.
Aussi utiles soient-ils, pouvoirs publics, associations caritative et humanitaire, Banque Mondiale et autres institutions internationales n’en ont pas moins montré leurs limites.

Du marché ne faisons pas table rase...

Faut-il donc faire table rase du marché?
Non, assure notre guide.
Il convient au contraire de prendre appui sur ses points forts pour mieux en dépasser les insuffisances.
Ses points forts? L’efficacité, le dynamisme, l’innovation, le développement...
Ses insuffisances? Les effets pervers du flagrant réductionnisme qui sous-tend ses fondamentaux anthropologiques.
«La pauvreté existe parce que notre conception du monde repose sur des hypothèses qui sous-estiment les capacités humaines, écrit l'auteur. Nous avons élaboré des conceptions trop restreintes: notre conception de l’entreprise (qui fait de la recherche du profit la seule motivation humaine), notre conception de la solvabilité (qui prive automatiquement les pauvres de l’accès au crédit), notre conception de l’entreprenariat (qui ignore la créativité de la majorité des gens) et notre conception de l’emploi (qui fait des êtres humains des réceptacles passifs au lieu de voir en eux des créateurs actifs). Et nous avons développé des institutions qui sont au mieux à moitié achevées, tels nos systèmes bancaires et économiques qui ignorent la moitié du monde. Nos insuffisances intellectuelles sont les principales responsables de la pauvreté.» (2)

Réduction, votre honneur !

Tragique conséquence de ce réductionnisme conceptuel: «Dans leur forme actuelle, les marchés libres ne sont pas conçus pour résoudre les problèmes sociaux.» (3)
L’exemple de la mondialisation est révélateur à cet égard…
«Pour moi, la mondialisation est comparable à une autoroute à cent voies parcourant le monde. Si cette autoroute est librement accessible à tous, ses voies seront monopolisées par les camions géants des économies les plus puissantes. Les pousse-pousse bangladais en seront éjectés. Afin que la mondialisation profite à tous, nous devons avoir un code de la route, une police de la circulation, et une autorité assurant la régulation du trafic sur cette autoroute mondiale. La loi du plus fort doit être remplacée par des règles qui préservent la place des plus pauvres. La mondialisation ne doit pas devenir un impérialisme financier.» (4)(5)

(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007)

(1) Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007.
(2) Ibidem, p.350.
(3) Ibidem, p.28.
(4) Yunus Muhammad, extrait du discours «La pauvreté est une menace pour la paix» prononcé lors de la réception du prix Nobel, à Oslo, le 10 décembre 2006.
(5) Pour suivre: d'autres notes de lecture de Muhammad Yunus.

samedi 26 juin 2010

Actu. Greenpeace... financier !


Pas inintéressant du tout,
le projet récemment dévoilé
par vingt-deux députés européens,
dont les Belges Philippe Lambert (Ecolo)
et Dirk Sterckx (VLD).
Il s'agit de mettre sur pied
une ou plusieurs organisation(s) non-gouvernementale(s)
susceptible(s) de faire contre-poids
à l'énorme puissance des lobbys du secteur financier.
Une sorte de «Greenpeace de la finance» en quelque sorte...

En attendant de battre le rappel de la société civile (ONG, universitaires, think-tanks, syndicats...), le groupe tente de rassembler les signatures d'un maximum de parlementaires, européens et nationaux.
Objectif: se donner les moyens de s'appuyer, à terme, sur une contre-expertise digne de ce nom. A savoir une contre-expertise fiabilisée et crédibilisée par le recours à des personnes qui pourront se prévaloir d'une solide expérience professionnelle dans le secteur des marchés financiers.
A toutes fins utiles, voici le texte de cet appel.
«Nous, élus européens en charge de réglementer les marchés financiers et les banques, constatons tous les jours la pression exercée par l'industrie financière et bancaire pour influencer les lois qui la régissent. Il n'est pas anormal que ces entreprises fassent entendre leur point de vue et discutent régulièrement avec les législateurs. Mais l'asymétrie entre la puissance de ce lobbying et l'absence de contre-expertise nous semble un danger pour la démocratie. Le lobbying des uns doit en effet être contrebalancé par celui des autres. En matière environnementale et de santé publique, en face des industriels, les organisations non gouvernementales (ONG) ont développé une véritable contre-expertise. Il en est de même en matière sociale entre les organisations patronales et syndicales. Cette confrontation permet aux élus d'entendre des arguments contradictoires. En matière financière, ce n'est pas le cas. Ni les syndicats de salariés, ni les ONG n'ont développé d'expertise capable de rivaliser avec celle des banques. Il n'existe donc pas aujourd'hui de contre-pouvoir suffisant dans la société civile. Cette asymétrie constitue à nos yeux un danger pour la qualité des lois, et pour la démocratie.
Car cette asymétrie s'inscrit dans un contexte de forte proximité des élites politiques et financières. Aux Etats-Unis les liens entre Goldman Sachs et l'administration fédérale sont connus. Mais en Europe cette proximité n'est pas moindre. Elle contribue à renforcer la prise en compte des arguments de l'industrie financière de manière unilatérale et constitue un frein certain à la capacité du personnel politique à prendre des décisions en toute indépendance. Or, l'absence de réponse politique adéquate à la crise du système financier peut nourrir toute forme de populisme, basé davantage sur l'émotion que sur la raison.
En tant qu'élus européens en charge de la réglementation financière et bancaire nous appelons donc la société civile (ONGs, syndicats, universitaires, think-tanks...) à s'organiser pour créer une (ou plusieurs) organisation non gouvernementale capable(s) de développer une contre expertise sur les activités menées sur les marchés financiers par les principaux opérateurs (banques, compagnies d'assurances, hedge funds, etc…) et de faire connaitre de manière efficace cette analyse aux medias. En tant qu'élus issus de plusieurs familles politiques nous pouvons diverger sur les mesures à prendre. Mais nous convergeons pour alerter l'opinion sur ce risque pour la qualité de la démocratie.
Nous invitons l'ensemble des parlementaires européens et nationaux à rejoindre notre appel.» (1)(2)

Christophe Engels

(1) Ce texte, tout comme la liste complète de ses signataires, est disponible sur
www.finance-watch.org
(2) En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

jeudi 17 juin 2010

Actu. Pour le meilleur et pour le lire.

En attendant le moment d'en revenir à un rythme de publication plus assidu, contentons-nous ici d'y aller de deux suggestions de lecture.
L'une renvoie au blog de Christian Arnsperger, qui propose depuis quelques jours l'approche critique d'un ouvrage préalablement évoqué ici-même: «Prospérité sans croissance» (1).
L'autre à un fort intéressant article du Soir, consacré à l'actuel débat de fond qui fait actuellement rage chez Inter-Environnement Wallonie (2).

Sur son blog «Transition économique», Christian Arnsperger propose depuis le 11 juin un message intitulé «Transition vers une "prospérité sans croissance"?», consacré au dernier livre de Tim Jackson, dont l'économiste philosophe de l'UCL s'emploie à souligner les forces et les faiblesses. (3)
Par ailleurs, un article paru ce jeudi 17 juin dans le journal Le Soir (4) révèle les dissensions qui opposent fundis et realos au sein de la mouvance écologiste belge. Les premiers dénoncent en effet de plus en plus... vertement le «ramollissement» (4) des seconds, accusés de ne plus proposer «rien d'autre que d'accompagner la course de la machine emballée» (4). Pour ces rebelles, l'heure du développement durable est (dé)passée. Place à l'objection de croissance.
«Le mouvement vert s'interroge, écrit le journaliste Michel De Muelenaere. Le message doit-il être plus radical? Parler de "développement durable", de "croissance verte" a-t-il encore un sens?» (4)
Non, répondent certains, qui jugent désormais ces notions parfaitement compatibles avec... la destruction de la planète!
"Un peu partout dans le monde associatif, le débat chauffe, au propre comme au figuré. Alors qu'ailleurs - la Banque nationale, par exemple - on se réjouit du retour de la "croissance".» (4)
En octobre, Greenpeace se penchera sur cette question de plus en plus existentielle, annonce le quotidien bruxellois. Et en novembre, ce sera le thème de la première université d'automne d'Inter-Environnement.
«Mais pour quel message au public? (...) En prônant quoi? Décroissance? Prospérité sans croissance? Sobriété heureuse? Développement durable?» (4)
Et le besoin de transcender la rigité des clivages d'apparaître, plus que jamais... (5)

Christophe Engels

1. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
2. Fédération wallonne des organisations environnementales.
3. Pour plus de détails, voir le lien renseigné dans notre rubrique «Un bon conseil...».
4. De Muelenaere Michel, «Les ultras secouent le lobby vert», in Le Soir, 17 juin 2010, p.8.
5. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

lundi 7 juin 2010

Développement durable. Alter-croissance.










La croissance du Produit Intérieur Brut favorise-t-elle réellement l’épanouissement humain ? Ne s’apparente-t-elle pas plutôt à une fuite en avant ? N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez» ? Et dans ce cas, n’avons-nous pas besoin de dépasser le système économique actuel ? Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à celle, artificielle, du PIB. Plaidoyer en faveur d’une «alter-croissance».
Signé Tim Jackson (1).

En plus d’être inefficiente (2), irréaliste (3) et injuste (4), la recherche permanente de la croissance économique pèche par son incapacité à générer l’épanouissement personnel. Car, au-delà d’un certain stade, elle ne semble plus en mesure de favoriser le bonheur humain. Pire: elle peut même l’empêcher.
Autant une telle stratégie relève donc d’une logique qui a de quoi séduire les pays les plus pauvres de la planète, autant se pose la question de l’opportunité de son maintien dans les pays plus riches, où les besoins de subsistance sont largement rencontrés.
Seulement voilà… La croissance articule deux dynamiques qui, en s’appelant mutuellement, donnent lieu à une espèce de «mouvement perpétuel».
D’un côté, la motivation du profit stimule la création de produits et de services nouveaux, meilleurs ou moins chers par un processus continu d’innovation et de «destruction créatrice». C’est ce que rappelle l’économiste Joseph Schumpeter: des technologies et des produits inédits font sans cesse leur apparition, reléguant leurs prédécesseurs aux oubliettes.
De l’autre, une logique sociale complexe contribue à gonfler en (quasi) permanence la demande de consommation de ces biens.
D’où l’apparition d’un cycle continu. Qui, pour faire les affaires de la croissance, n’en pose pas moins questions.
Favorise-t-il réellement l’épanouissement humain?
Ne s’apparente-t-il pas plutôt à une fuite en avant?
N’existe-t-il pas un stade où «assez est assez»?

Chronique d’une évolution annoncée

Récapitulons. La croissance est à la fois inefficiente, irréaliste, injuste et - nous venons de le voir - porteuse d'imposture.
En ce sens, on ne regrettera pas outre-mesure l’évolution qui s’annonce.
Trois des caractéristiques distinctives de la nouvelle économie devraient en effet contribuer à tirer la croissance vers le bas:
. l’imposition de limites écologiques,
. la transition structurelle vers des types particuliers d’activités de service à forte intensité de main d’œuvre,
. l’allocation de ressources importantes aux investissements écologiques.
Si l’on en croit Tim Jackson, cette évolution à la baisse s’avère inéluctable.
Rien ne suffira à la contrer.
L’économie sociale? Elle «est un point de départ incroyablement utile pour construire une société sobre en ressources» (5). Mais elle restera marginale.
La réduction et le partage du temps de travail? L’une améliorerait l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et l’autre favoriserait l’équité. Mais aucun des deux n’est susceptible de relancer la croissance.
Le glissement vers une base de revenu totalement différente, comme l’allocation universelle? Elle serait encore plus difficile à mettre en place.
Quant à l’économie verte…
«Les réponses dépendront de la composition de l’investissement nécessaire pour la transition. Il s’agit plus précisément de trois types d’investissements écologiques:
. les investissements qui améliorent l’efficacité dans l’utilisation des ressources et entraînent des économies en matière de coûts des ressources (par exemple l’efficacité énergétique, la réduction des déchets, le recyclage);
. les investissements qui substituent aux technologies conventionnelles des technologies propres ou sobres en carbone (par exemple les énergies renouvelables);
. les investissements dans l’amélioration de l’écosystème (adaptation climatique, reforestation, renouvellement des zones humides, etc.).
L’impact sur la capacité productive de l’économie différera sensiblement selon ces différents types d’investissement.
Les investissements dans la productivité des ressources sont susceptibles d’avoir un impact positif sur la productivité globale. Mais ils ne produiront pas nécessairement des rendements supérieurs aux investissements classiques.
(…)
Certains investissements dans les énergies renouvelables généreront des rendements concurrentiels dans certaines conditions de marché. D’autres ne généreront des rendements que sur des périodes beaucoup plus longues que ce qu’attendent les marchés financiers traditionnels. Les investissements dans l’amélioration de l’écosystème et l’adaptation
climatique ne produiront peut-être aucun rendement financier classique (…).
En d’autres termes, les prescriptions simplistes selon lesquelles l’investissement contribue à la productivité ne fonctionneront pas dans ce contexte.
» (6)
On aura compris la conclusion de Jackson: il ne suffira pas de «remettre l’économie dans un état de croissance perpétuelle de la consommation» (7). Pour toutes les raisons préalablement esquissées, cette «hypothèse par défaut du keynésianisme» (7) «reste toujours aussi peu durable» (7). Nous avons donc besoin de dépasser le système économique actuel. Non pas, certes, en recourant à une décroissance, synonyme de récession. Mais, quand-même, en amorçant le tournant d’une transition susceptible de nous mettre sur la voie d’une prospérité alternative à la croissance du PIB. (8)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

Un emploi du temps chargé nous contraindra

à ralentir sensiblement le rythme de parution

des messages de ce blog

au cours des prochaines semaines.

Ralentissement provisoire mais inéluctable.

Pour information.

Et avec nos excuses.


1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Voir le 35e message de ce blog:
Développement durable. Tout petit, ma planète…
3. Voir le 36e message:
Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Dépasser l’individualisme matérialiste et l’innovation sans lendemain...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 138.
6. 7. Ibidem, pp. 143-144 et 225.
8. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

mardi 1 juin 2010

Développement durable. Dépasser l'individualisme matérialiste et l'innovation sans lendemain

Le capitalisme de la croissance à tout crin se caractérise par sa propension à favoriser outrancièrement l’individualisme, le matérialisme, l’innovation et le court terme.

Autant d’aspects qu’il importe
d’identifier et de corriger,
insiste Tim Jackson (1).

«Une politique nouvelle du bien commun ne tourne pas seulement autour de la question de trouver des responsables politiques scrupuleux.

Elle requiert aussi une idée plus exigeante de ce que signifie le fait d’être citoyen, un discours politique plus robuste – qui s’engage plus directement sur les questions morales et même spirituelles.» (2)



Inefficiente (3) et irréaliste (4), la stratégie de la priorité à la croissance économique s’avère par ailleurs injuste. Car elle tend intrinsèquement à n’être respectueuse ni de la nature ni de l’autre.
En cause: la quadruple dynamique qui anime une logique
. avant tout génératrice d’individualisme,
. exagérément centrée sur le matérialisme,
. obnubilée par l’innovation,
. excessivement tournée vers le court terme.

Une croissance avant tout génératrice d’individualisme
et exagérément centrée sur le matérialisme

Par bon nombre de ses aspects les plus fondamentaux, cette logique incline à l’individualisme matérialiste, sape le potentiel d’une prospérité partagée et s’oppose à l’équilibre entre libertés individuelles et intérêt général.
«Incitants pervers» (5), s’insurge Jackson. Car il serait erroné de supposer que les motivations humaines soient toutes égoïstes.
«Dans une certaine mesure, nous sommes tous déchirés entre l’égoïsme et l’altruisme.» (6)

Une croissance obnubilée par l’innovation

A la tension entre égoïsme et altruisme s’en ajoute une autre: celle qui se joue entre l’ouverture au changement et la conservation; en d’autres termes, entre la nouveauté et le maintien de la tradition.
«Bombardés avec persuasion et séduits par la nouveauté, nous sommes comme des enfants dans un magasin de bonbons, nous savons que le sucre est mauvais pour nous, mais nous sommes incapables de résister à la tentation.» (7)

Une croissance excessivement tournée vers le court terme

Nous privilégions outre-mesure aujourd’hui par rapport à demain et demain matin au détriment d’après-demain. Un phénomène bien connu des économistes qui s’y réfèrent sous le nom d’«actualisation hyperbolique».

Interroger et corriger la croissance

Alors que chaque société trouve un point d’équilibre différent entre égoïsme et altruisme ainsi qu’entre nouveauté et tradition, la société de consommation a mis en place des institutions qui, de plus en plus, semblent avoir été conçues pour privilégier le terme qui, au sein de chacune de ces deux équations, fait le mieux tourner l’économie: le premier.
Par là, notre structure sociale complexe encourage un individualisme particulièrement matérialiste et la recherche sans trêve de la nouveauté dans la consommation. Des aspects qui doivent être identifiés, interrogés et corrigés.
«Une transition de l’intérêt personnel étroit à des comportements sociaux, ou de la nouveauté permanente à la conservation réfléchie de ce qui compte, ne peut se faire que via des modifications de la structure sous-jacente, modifications qui renforcent l’engagement et encouragent le comportement social, écrit le professeur de l’Université du Surrey (Grande-Bretagne). Et ces modifications exigent que des gouvernements agissent. (…)
Malheureusement, tant que la stabilité macroéconomique dépendra de la croissance économique, ces changements n’auront pas lieu. Les gouvernements auront inévitablement tendance à soutenir les structures sociales qui renforcent l’individualisme matérialiste et la quête de la nouveauté. Parce que c’est le prix à payer pour maintenir l’économie à flot.
Mais il ne doit pas nécessairement en être ainsi. Libérer la macroéconomie de l’exigence structurelle de la croissance de la consommation laissera, simultanément, l’Etat libre de jouer son propre rôle dans la fourniture des biens sociaux et environnementaux et dans la protection des intérêts à long terme. Le même objectif, qui est vital pour une économie durable, est essentiel à une gouvernance apte à recréer la prospérité.
» (8)
Car l’Etat est lui-même victime d'une croissance dont la poursuite se révèle ingérable sur le plan politique.
«Nous avons vraiment l’impression d’être en présence d’une schizophrénie institutionnelle, poursuit l’Anglais. D’une part, le gouvernement est lié à la poursuite de la croissance économique. D’autre part, il se trouve obligé d’intervenir pour protéger le bien commun des incursions du marché. (…)
Ayant pour responsabilité capitale de protéger l’emploi, l’Etat est contraint (dans les conditions actuelles) d’accorder la priorité à la croissance économique.» (9)
Un dilemme dont il n’existerait que deux moyens de sortir. L’un consiste à rendre la croissance durable. L’autre à rendre la décroissance stable… (10)(11)
(A suivre)

Christophe Engels
(d'après Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010)

1. Tim Jackson est professeur de développement durable au Centre for Environnemental Strategy (CES) de l'Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l'économie écologique et la philosophie de l'environnement. Au Royaume-Uni, il est l'un des pionniers du développement d'indicateurs alternatifs à la croissance économique. Depuis janvier 2003, il mène des recherches au sein du CES sur la psychologie sociale du consommateur.
2. Sandel Michael, première conférence dans le cadre des Reith Lecture, juin 2009, in Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 185
3. Voir le 35e message de ce blog: Développement durable. Tout petit, ma planète...
4. Voir le message précédent de ce blog: Développement durable. Quand croissance rime avec accoutumance...
5. Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010, p. 161.
6. Ibidem, p. 163.
7. Ibidem, p. 163.
8. Ibidem, p. 168.
9. Ibidem, p. 167.
10. Pour suivre: d'autres notes de lecture de l'ouvrage de Tim Jackson.
11. En cas de difficulté technique, vos commentaires peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr. Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.