dimanche 30 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (24) Méditants spi. Esprit de corps



Moins désincarnée 
que branchée sur le corps.
Moins occidentale 
qu'orientale.
Moins traditionnelle
que recomposée.
Telle est la spiritualité 
du «méditant spi».
Qui prend  le risque  
de l'opportunisme. 
Et celui du syncrétisme.


«De même que le travail d'affirmation de soi occultait l'influence du milieu, de même le travail spirituel refuse l'allégeance à une tradition qui prétendrait fonder sa légitimité sur le seul fait qu'elle vient de nos ancêtres.
Les traditions de toutes les civilisations sont à notre disposition, insiste-t-on.
Il n'y a qu'à choisir parmi elles.» (1)
Ainsi s'exprime le philosophe français Michel Lacroix (2).
Qui attire l'attention sur le double danger d'une telle approche.
A savoir celui de l'opportunisme. 
Et aussi celui du syncrétisme.
Car les les traditions sont testées et passées aux crible de l'utilité, les éléments retenus étant réagencés artificiellement entre eux, sans souci de cohérence autre qu'apparente.
«Là encore, l'analogie entre la démarche spirituelle et l'affirmation de soi est frappante, analyse notre guide.
Dans l'un et l'autre cas, on recommande au sujet de discuter les croyances, on le presse de discuter celles qui ne conviennent pas.» (3)
Ce faisant, le développement personnel (D.P.) adopterait un point de vue plus oriental qu'occidental.
«En Occident, le rapport au surnaturel s'établit traditionnellement sur la base d'une révélation, laquelle résulte d'une intervention divine.
C'est sur cette révélation que se fonde la foi du croyant.
En Orient, on accorde la primauté à l'expérience et cette approche directe convient parfaitement au développement personnel, qui considère la réalité transcendante non comme un article de foi, mais comme quelque chose qu'il est possible de vivre en soi-même.» (4)

Déprogrammation/reprogrammation: le retour

Nous avons vu dans le message précédent que, pour le D.P., la démarche d'affirmation de soi reposerait sur un processus de déprogrammation/reprogrammation. 
Il en irait de même ici.
«Il convient d'abord de libérer le corps et ses entraves, et ce travail s'apparente à une déprogrammation; il faudra ensuite, par des exercices appropriés, le reprogrammer pour la spiritualité.» (5)
L'équivalent des croyances limitantes, ce sont, à ce stade, les postures limitantes.   
Les premières empêchaient-elles l'affirmation de soi?
Les secondes retarderaient l'éveil de la spiritualité.
«De même qu'on s'affranchit des chaînes mentales, des idées fausses, des raisonnements fallacieux par un travail cognitif, de même il faut dénouer les tensions, réduire les blocages.» (6)
En témoignerait la multiplication des consignes de relaxation délivrées dans les stages de D.P.

Exercices spirituels

Une fois terminé le travail de déprogrammation, place, donc, à des exercices de reprogrammation spirituelle.
Que Lacroix suggère de regrouper en trois catégories...
. Ce seraient d'abord les exercices d'immobilité qui conduisent à l'extase (assise en silence, yoga, méditation, contemplation...).
. Ce seraient ensuite ceux qui prennent appui sur le «geste juste», parfaitement contrôlé et ritualisé (arts martiaux, cérémonie du thé, taï-chi... voire même simples gestes de la vie quotidienne pourvu qu'on les pose en pleine conscience). 
. Ce seraient enfin les activités de groupe organisant l'agitation et la décharge émotionnelle dans une ambiance sonore et bruyante (danse, battements de tambours, chant, transe érotique...).

Sublime inversion

D'où ces exercices tiennent-ils le pouvoir spirituel qu'on leur attribue?
Pour répondre à cette question, Lacroix propose de recourir à deux métaphores...
. «La première est celle de l'inversion.
Le sujet pratiquera l'un de ces exercices jusqu'à un point de renversement, de basculement où, de l'aveu des formateurs, il se sentira brusquement envahi par la sensation non plus d'agir, mais d'"être agi".» (7)
Tout en continuant l'exercice, je deviens passif.
Mon moi entre en fusion avec l'univers.
Il est dissous dans le transpersonnel. 
. «La deuxième métaphore à laquelle nous pouvons recourir pour expliquer le passage du corporel au spirituel est celle de la sublimation.
En physique, on appelle sublimation le passage direct d'un corps de l'état solide à l'état gazeux.
C'est en un sens ce qui se produit dans les exercices d'extase, de transe et de geste juste, lorsque le sujet, oubliant qu'il est fait de chair, éprouve à un moment donné la confuse sensation d'être pure énergie.» (8)
Quand la sensation de dématérialisation touche-t-elle à son apothéose? 
Au moment où j'en arrive à vivre cette énergie comme une pure conscience.
«Tout se passe comme si la matérialisation spirituelle atteignait son apogée quand on a déroulé intégralement la triade matière -> énergie -> conscience.» (9)

Entrer dans le corps pour mieux s'en évader 

Nous sommes ainsi en mesure de comprendre la raison pour laquelle le D.P. recommande avec insistance la voie du corps.
«En vérité, il faut entrer dans le corps pour mieux s'en évader, pour prouver d'une façon plus éclatante qu'il n'est qu'énergie et conscience.» (10)(11)

C.E. (d'après Miche Lacroix)


(1) Lacroix Michel, Le développement personnel, Flammarion, coll. Dominos, Paris, pp.53-54.
(2)  Michel Lacroix est maître de conférences aux universités et auteur de plusieurs ouvrages.
(3) Lacroix Michel, ibidem, p.54.
(4) Lacroix Michel, ibidem, pp.55.
(5) Lacroix Michel, ibidem, p.58.
(6) Lacroix Michel, ibidem, p.60.
(7) Lacroix Michel, ibidem, p.63.
(8) Lacroix Michel, ibidem, p.64.
(9) Lacroix Michel, ibidem, p.65.
(10) Lacroix Michel, ibidem, p.65.
(11) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...
 


mercredi 26 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (23) Méditants psy. Mieux je crois, mieux je croîs...


Mieux je crois, 
mieux je... croîs!
Telle pourrait être
la devise 
du «méditant psy».
Celui, donc, 
qui s'en réfère 
à l'une ou l'autre forme 
de ce développement 
personnel
dont nous parle si bien 
le philosophe français 
Michel Lacroix (1)...

Quels sont les facteurs qui empêchent une personne d'actualiser son potentiel?
Pour répondre à cette question, le psychologue se retrouve à la croisée de deux explications antithétiques.
La première consiste à chercher la cause de cet inachèvement dans l'environnement familial et social.
La deuxième renvoie à des facteurs d'ordre psychologique.

Réformer les structures sociales...

Selon le premier point de vue, le milieu est déterminant.
C'est l'action répressive qu'il exerce sur l'individu qui empêche ce dernier de s'épanouir.
«Ainsi raisonnent les partisans de l'explication sociologique, pour qui la misère psychologique des individus est, en dernière analyse, le signe d'une société mal conçue et pathogène, explique Michel Lacroix. (...) 
Leur postulat commun est que, pour permettre aux individus de se réaliser, il faut préalablement réformer les structures sociales.» (2)

... Non! Travailler sur moi-même

L'autre approche considère que les obstacles à la réalisation de soi résident moins dans l'action exercée par le milieu social qu'en moi-même.
Si je ne parviens pas à mobiliser mes ressources, c'est, alors, en raison des peurs qui me travaillent.
Place, donc, à la nécessité d'un travail sur mes «croyances limitantes».
«L'important n'est pas ce qu'on a fait de moi, estimaient déjà les Stoïciens. 
C'est ce que je fais moi-même de ce qu'on a fait de moi.»
«Dès lors, l'individu doit répondre de son existence, embraye Lacroix.
Le développement personnel érige en dogme la responsabilité personnelle illimitée.
» (3)

Déprogrammer pour mieux reprogrammer

Par-delà leur diversité, les méthodes d'actualisation de soi obéiraient à un schéma invariable qui consiste à déprogrammer, puis à reprogrammer le psychisme.
Un processus qui se déroulerait en quatre étapes...
. D'abord, il s'agit de «prendre conscience» du fait que je suis maître de mes représentations et, partant, des effets affectifs qui en découlent.
. Par ailleurs, il convient
d'explorer la manière dont je me représente les mondes extérieur et intérieur.
. Ensuite, il y a lieu de procéder à un examen critique des pensées limitantes qui encombrent ma vie intérieure.
. Enfin, le moment vient d'installer en moi un certain nombre d'images et de pensées
«aidantes».
«Le développement personnel postule que les hommes possèdent les mêmes ressources, mais il concède que des différences les séparent, précise notre guide. 
Celles-ci résulteraient de leur plus ou moins grande capacité à mobiliser leurs ressources.
Or cette capacité dépend à son tour de la programmation de leur cerveau, de sorte que le dernier mot appartient à la pensée positive. (...)

C.E. (d'après Michel Lacroix)

(1) Michel Lacroix est maître de conférences aux universités et auteur de plusieurs ouvrages.
(2) Lacroix Michel, Le développement personnel, Flammarion, coll. Dominos, Paris, p.36.
(3) Lacroix Michel, idem, p.41.
(4) Lacroix Michel, idem, pp.51-52.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...
 

 

samedi 22 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (22) Méditants. Quête de puissance ou travail sur soi ?



 






Autre acteur des 
courants de pensée 
et modes de vie émergents,
le méditant est souvent
adepte du
développement personnel.
Un certain 
développement personnel du moins.
Précisions avec Michel Lacroix (1)...


Nous avons proposé de subdiviser les courants de pensée et modes de vie émergents (C.P.M.V.E.) en trois groupes: 
. les «militants»
. les «mutants»,
. les «méditants».
Après nous être penché sur les premiers nommés, le moment est venu de nous attarder sur les troisièmes cités.
Prenons donc congé des militants.
Et faisons connaissance avec les méditants.   
Soit une catégorie aussi périphérique que la précédente. 
Car, rappelons-le, si les C.P.M.V.E. intègrent les militants et les méditants, c'est à la marge
Leur centre de gravité, en effet, renvoie plutôt à une tierce catégorie, composée de ceux dont le philosophe français René Macaire faisait des «mutants».
Soit une notion que nous n'aborderons que postérieurement...

Les deux visages du développement personnel
 
Gros plan, donc, sur ceux que feu l'anthropologue belge Thierry Verhelst appelait «méditants».
C'est-à-dire ceux qui ressortissent 
. à l'univers d'une spiritualité sur laquelle nous reviendrons  
. et/ou au royaume du fameux «développement personnel» (D.P.).
Le développement personnel?
Un domaine initié par le psychologue américain Abraham Maslow, puis défriché par ceux qui le relayèrent dans le cadre du courant dit «humaniste»
Bien loin de sacrifier à la supposée nécessité de brider des pulsions, ces opposants au freudisme et au comportementalisme partagent une conception positive de la personne.
Le D.P., en effet, s'inscrit radicalement dans une telle optique. 
A preuve, le concept central retenu par cette nébuleuse.
A savoir le «potentiel».
«Se développer, c'est actualiser le potentiel que l'on porte en soi, explique le philosophe français Michel Lacroix. 
C'est-à-dire mobiliser ses ressources propres.» (2)
Et en particulier celles de mon cerveau. 
Comment?
En recourant à des techniques qui, pour nombreuses et variées qu'elles soient, ne s'en laissent pas moins classer en deux grandes catégories...

Et moi, et moi, et moi: la dérive narcissique

C'est qu'il existerait deux façons antinomiques de concevoir la réalisation de soi.
Deux formes de croissance, donc.
«La première s'inscrit à l'intérieur de la sphère de l'ego.
Elle vise à renforcer la position du moi, en augmentant ses pouvoirs, en développant ses aptitudes et ses compétences.» (3)
Autant d'activités de renforcement du moi qui sont orientées vers la réussite. 
Et qui mobilisent les potentialités de l'individu pour lui permettre d'agir avec efficacité.
Le but?
Obtenir des résultats.
Qu'ils se déclinent à l'aune de l'argent, du succès, du pouvoir, du charisme, voire de l'amour ou de la guérison...

Au-delà du moi: le travail sur soi 

«La deuxième forme de croissance ne se place pas, comme la précédente, à l'intérieur de la sphère de l'ego, mais au-delà.» (4)
Plus question, alors, de renforcer le moi.
Il convient désormais de le dissoudre.
En faisant appel à un autre concept-clé.
Celui de la «non-séparation».
«Dans une telle situation, le moi ne se sent plus séparé d'autrui. (...)
Comme dans l'expérience mystique, la totalité du monde apparaît comme une unité, tandis que les repères ordinaires du temps et de l'espace s'évanouissent.» (5)
A ce stade, la séparation se fait lacunaire. 
Et l'ego prend les allures d'une prison.
Au point de conférer au développement personnel une dimension transpersonnelle.  
L'affirmation du moi, non merci!
A présent, c'est sa dissolution qui est recherchée. 
«Loin d'accroître la prise sur le monde, ce type de développement encourage le "lâcher prise".
Au lieu d'un engagement dans la lutte sociale et économique, il prône le retrait, le désengagement, le repli dans l'intériorité. (...)
Le mode de présence au monde qu'il exalte n'est ni la compétition, ni la performance, mais le recueillement, la contemplation, l'extase.» (6)

Méditant psy

Ainsi se caractérise le méditant.
Ou en tout cas le premier des deux types de méditant qui animent les courants de pensée et modes de vie émergents. 
. Celui qui tout en s'adonnant au développement personnel n'en évite pas moins soigneusement de tomber dans le piège du narcissisme.
. Celui qui, à la quête de puissance, privilégie le travail sur soi.
. Celui que l'on peut qualifier de «méditant psy».
A ne pas confondre avec son homologue «spi». 
Qui fera l'objet d'un prochain message... (7)

Christophe Engels

(1) Michel Lacroix est maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise. 
(2) Lacroix Michel, Le développement personnel, Flammarion, coll. Dominos, Paris, p.24.  
(3) Lacroix Michel, idem, p.26.
(4) Lacroix Michel, idem, p.28.
(5) Lacroix Michel, idem, p.29.
(6) Lacroix Michel, idem, p.32.  
(7)  Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...
  

 

mardi 18 mars 2014

Assoc. citoyennes. Le coeur et l'argent du coeur


A force de voir le robinet 
des ressources se tarir, 
les associations citoyennes s'asphyxient. 
Tirer le diable par la queue 
ne suffit plus.
Place, donc, aux solutions qui s'imposent.
Les alliances par exemple.
Ou la visibilité.

C'était il y a quelques jours, à Paris. 
Le Collectif français des Associations Citoyennes se réunissaient pour analyser le nouveau discours qui se développe depuis quelques mois dans certains milieux gouvernementaux ou associatifs.  
Lequel présente le déclin des soutiens publics comme inéluctable et propose aux associations de trouver de nouvelles sources de financement dans le mécénat d'entreprise, le mécénat de compétences et les fonds privés, par des appels sur internet ou par voie de publicité. 
«Ces recommandations sont, comme on peut le regretter, tout à fait en phase avec les positions européennes et avec les pressions très fortes exercées sur les démocraties occidentales par les puissances économiques aux plans national, européen et mondial, explique, pour le collectif, Isabelle Boyer.
Il est pourtant évident que les pratiques préconisées ne peuvent s'appliquer qu'à un petit nombre d’associations de grosse taille et ne sauraient constituer une solution générale de financement pour l'ensemble des associations.
Par ailleurs, l'enjeu de ce débat n'est pas seulement financier. 
C'est aussi un enjeu de société, un enjeu de domination et un enjeu anthropologique. 
Face à ce nouveau discours, les associations doivent réagir en refusant toute assimilation forcée à la logique caritative ou à la marchandisation de leur action, et en réaffirmant leur volonté d'agir au service du bien commun.
Elles doivent pour cela construire un rapport de forces en s'alliant avec d'autres organisations et rendre visible l'espoir dont elles sont porteuses.
Il est en effet important de réaffirmer que les richesses produites par les associations citoyennes se situent avant tout dans les domaines qualitatifs du développement humain, de la démocratie locale, de la participation à la vie de la cité, du renforcement du lien social et de l'épanouissement des personnes. 
La création de richesse économique, bien que réelle, n'est jamais qu'une conséquence de leur activité et ne correspond aucunement à leur finalité. 
Les associations citoyennes réalisent, un peu partout sur le terrain, des actions porteuses d’alternatives à la logique dominante qui, toutes ensemble, tracent les contours d'une alternative globale. 
Elles sont l'expression concrète de la liberté fondamentale de s'associer, qui doit être clairement garantie pour redonner toute sa réalité au pouvoir du peuple. 
Enfin, les associations citoyennes ont des responsabilités essentielles en ce qu'elles constituent, par leur action et les valeurs qu'elles promeuvent, un rempart face à la montée de l'extrême-droite et de la xénophobie.»

Pistes d'action

Sur ces bases, le collectif a retenu plusieurs pistes d'action:
  • définir des méthodes de gestion des associations qui soient en cohérence avec leurs projets porteurs d'autonomie et de transformation sociale; 
  • analyser de façon systématique des exemples positifs d'actions innovantes et de difficultés associatives sur le terrain;
  • organiser des temps de débats pour élargir la réflexion commune à une vision globale de l'Europe et du monde;
  • poursuivre la mobilisation sous de nouvelles formes, pour soutenir collectivement des associations en difficulté, interpeller les équipes municipales nouvellement élues, poser des questions aux candidats aux élections européennes et participer à des actions communes contre l’austérité. (1)

(1) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration... 


Pour plus d'informations... 

Pour le Collectif des Associations Citoyennes: Isabelle Boyer
0(033)7 70 98 78 56



vendredi 14 mars 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (21) Nouvelle militance. Je t'aide, moi non plus...




Tout groupe militant attire, 
par définition, 
des fortes personnalités.
Et c’est tant mieux!
Mais ne peut-on pas être tel
sans pour autant sacrifier le vivre ensemble?
Sans pour autant se sentir moins relié 
à ses compagnons de lutte? 
Sans pour autant éluder l'effort 
d'une réflexion sur soi-même?
Questionnements sans concession
de Bernard Legros (1)...  

«Le néo-activiste est un butineur, mais un butineur bien souvent incapable de polliniser; il prend davantage qu’il n’apporte et oublie de s’insérer dans le cycle du don; il a toujours "d’autres fers au feu" comme bonne raison de s’absenter des réunions ou des actions; il n’écoute pas, il parle. 
Le néo-activiste est un Narcisse (2).» (3)
Ainsi s'exprime l'objecteur de croissance Bernard Legros.
Qui affiche haut et clair sa désillusion.
«Il est devenu presque impossible d’affirmer, sans aussitôt prendre une volée de bois vert, qu’un groupe résistant vit de l’abnégation de tous ses membres, pas seulement du plaisir ou de l’intérêt propre qu’ils en retirent.» (4)
Et l'enseignant belge d'ajouter... 
«Les termes effort, devoir, fidélité, fiabilité, loyauté, morale, renoncement, modestie, vertu, honneur (ne parlons même pas de sacrifice!) sont devenus des gros mots partout, à forte teneur liberticide voire crypto-fasciste, y compris chez ceux qui se targuent de vouloir changer le monde en oubliant de se changer d’abord eux-mêmes. 
Pourtant, si le néo-activiste ne remet pas en question sa culture individualiste –"je fais ce que je veux sans rendre de comptes à personne"–, ou libérale-libertaire, comme dirait Jean-Claude Michéa, nous ne risquons pas de bâtir un monde différent qui nous permette de bien vivre ensemble, sans sacrifier notre individualité. 
Si nous n’aplanissons pas, dans une certaine mesure, nos petites différences individuelles –plus ou moins réelles, plus ou moins fantasmées–, nous ne risquons pas de refaire du collectif, pas plus que si nous ne redéfinissons pas ensemble les critères de la "vie bonne" que le libéralisme avait cantonnés à la sphère privée.» (5)  

Altruisme vs égoïsme: le combat tronqué

Au-delà de toute naïveté («Nous, petits-bourgeois de la classe moyenne, estimons avoir encore trop à perdre à nous engager(6)), Legros renvoie à la socio-analyse de Alain Accardo.
Présentée comme susceptible de nous aider à débusquer dans notre psychisme les multiples chaînes qui nous relient aux modes de vie capitalistes (7) .
«Si altruisme et égoïsme coexistent au sein de la psyché, on constatera avec désarroi que le second semble aujourd’hui l’emporter. 
J’ai souvent entendu l’argument empreint de réalisme et de tolérance: "il faut prendre les gens tels qu’ils sont, pas tels qu’on voudrait qu’ils soient". 
Justement, les gens tels qu’ils sont aujourd’hui font sérieusement douter qu’un activisme humainement équitable et politiquement efficace ait un avenir.» (8)
En cause, notamment, l'idéologie néolibérale. 
Qui «nous répète 
. que nos désirs priment tout le reste et doivent être le moteur exclusif de nos actions (quand ce ne sont pas plus vulgairement nos humeurs ou nos pulsions), 
. que notre épanouissement dans l’hédonisme et notre "développement personnel" sont des objectifs prioritaires, 
. que toute forme d’autorité autre que technocratique et "experte" est à rejeter, ainsi que toute forme de contrôle social, du plus imposant (celui de l’État) au plus simple (celui de l’association libre et informelle). 
Le néolibéralisme produit la "désagrégation de l’humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier." (9)
Le sentiment, jadis répandu, de "devenir soi-même en faisant ce que la société attend" (10) s’est étiolé.» (11)

Questions pour un pigeon

Conséquence d'une telle situation: la montée en puissance de cette sempiternelle question...   
«Comment régler pacifiquement et démocratiquement le problème des free riders?»
Soit la difficulté du «passager clandestin», qui consiste à laisser une minorité d’actifs travailler, faire des efforts et prendre des risques personnels pour ensuite profiter facilement des bénéfices obtenus par eux. 
«D’où il s’ensuit qu’être passager clandestin dans une dissociété libérale (12) est un choix rationnel.»
De là, donc, une série d'interrogations...
. Comment faire «pour que militer ne soit plus synonyme de "pigeonner ou être pigeon"»?
. «Plus fondamentalement, quelles seront désormais les conditions du changement social? 
. Est-il simplement envisageable avant que ne surviennent les grandes catastrophes? 
Nous devons bien poursuivre "la résistance aux effets psychologiques et culturels humainement dévastateurs de la logique libérale" (13), mais le désespoir guette…» (14)(15) 

(A suivre)

C.E. (d'après Bernard Legros)

(1) Bernard Legros est enseignant, essayiste et objecteur de croissance.
(2) Christopher Lasch, La culture du narcissisme, Climats, Paris, 2000, pp. 62-85.
(3) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, Le Stroboscope, 2013, www.lestroboscope.net/lindividualisme-en-milieu-militant.
(4) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, idem.
(5) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, idem. 
(6) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, idem. 
(7) Cf. Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, éd. Agone, 2009.
(8) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, ibidem.
(9) Une objection pénible est celle qui brise l’élan politique, précise Michel Lepesant in Politique(s) de la décroissance. Propositions pour Penser et Faire la Transition, Utopia, Namur, 2013.
(10) Guy Bajoit, Le changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Armand Colin, Paris, 2003, pp.63 et suivantes.
(11) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, ibidem.
(12)  Cfr. Jacques Généreux, La dissociété, Seuil, Paris, 2006.
(13) Jean-Claude Michéa in Revue du MAUSS, L’homme est-il un animal sympathique? Le contr’Hobbes, La Découverte, n° 31, premier semestre 2008, p. 301.
(14) Legros Bernard, De l'individualisme en milieu militant. Eléments pour une anthropologie néo-activiste, ibidem.
(15) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une longue série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,
. (d'ici plusieurs semaines,) une enquête sur l'immigration...