vendredi 31 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (12) Indignés: les lendemains de la veille



Fini, le temps 
des campements.
Partout 
dans le monde,
la lassitude 
a gagné 
ceux qui 
ne voyaient pas 
apparaître 
le moindre 
changement 
significatif.
Vous vous 
indigniez?
J'en suis fort aise.
Eh bien, 
résignez-vous, 
maintenant... 



Ceux qui pensaient que les indignados risquaient de faire rendre gorge au système capitaliste se sont lourdement trompés.
L'avènement du 15-M (1) n'a absolument pas débouché sur une révolution. 
Et il n'a pas davantage fait chuter le gouvernement. 
On peut même se demander s'il a laissé la moindre trace...  
«Ici, en Espagne, il y a toujours eu un esprit libertaire très fort» (2), souligne Antonio Gómez, porte-parole de la «Plateforme Antiprivatisation de la Santé publique» (CAS).  
«La capacité à construire un autre monde est là.
Mais dans ce pays, les gens parlent beaucoup plus qu'ils n'agissent.
Il faut donc arrêter le spectacle.» (2)
Dixit Marcos Roitman, sociologue à l’Université Complutense de Madrid.
Qui ajoute... 
«Le 15-M a été, à tort, interprété comme l’explosion soudaine d’une indignation citoyenne généralisée. 
Mais cette indignation existait déjà bien avant le campement sur la Puerta del Sol.
Elle était organisée en collectifs citoyens hétérogènes, politisés, syndiqués.
Et elle se revendiquait autant d’une gauche anticapitaliste que de secteurs marginalisés par la politique conventionnelle. 
Le 15-M n’a fait que réunir ces luttes. 
Même si on lui saura gré d’avoir en parallèle ravivé la prise de conscience citoyenne et réveillé l'esprit critique.» (2)

Vous reprendrez bien un peu de réalisme

Trois ans plus tard, le mouvement des indignados a donc pris une nouvelle forme. 
Moins médiatisée, certes. 
Mais aussi plus réaliste. 
Ceux qui sont restés fidèles au 15-M ont donné le jour à des réseaux de soutien citoyen.
Dans tout le pays, des groupes d'action concrète se sont organisés à partir d'assemblées qui se tiennent régulièrement dans les quartiers.
Avec des objectifs considérablement revus à la baisse.
Des exemples?
. Une plateforme anti-expulsions a multiplié les occupations d'immeubles appartenant à des banques renflouées, voire créée (3), par l'Etat. 
. Un collectif «15-M PaRato» a fait éclater le scandale des «preferentes», ces produits financiers à hauts risques que les banquiers avaient sciemment présentés comme placements sûrs aux particuliers.
. Un syndicat madrilène de personnel soignant a fait mettre en examen deux anciens conseillers municipaux du système sanitaire de la capitale pour confusion entre intérêts publics et individuels dans l'attribution (frauduleuse) de contrats de services hospitaliers...

Liberté, liberté honnie...

Objectifs à la baisse, donc.
Mais résultats à la hausse.
Au point d'inquiéter les alliés conservateurs du Premier ministre Mariano Rajoy.
Qui se sont empressés de légiférer dans le sens d'un recadrage des libertés citoyennes fondamentales. 
Plus question, notamment, de manifester devant le congrès, le sénat ou un tribunal sans en avoir reçu l'autorisation préalable de la municipalité.

Real activism

Les indignados ont-ils un peu la gueule de bois?
Ils ne sont pas les seuls.
De l'autre côté de l'Atlantique également, on a éteint les lampions.
A New York et dans toute l'Amérique du Nord, les tentes de Occupy Wall Street ont, elles aussi, déserté l'espace public. 
Défaite par K.O.?
«Non, assure Maria Poblet, membre du mouvement aux Etats-Unis.
Occupy Wall Street a été un espace d’exaltation et de créativité. 
A bien des égards, il s’est traduit par une mobilisation inventive, relativement longue, qui a instauré au sein de la société américaine une «pause» psychologique inspirante dans la fuite en avant du capitalisme. 
En sensibilisant tous azimuts, cette mobilisation spontanée a changé le débat public aux États-Unis. 
Si bien qu'aujourd’hui encore, l’esprit de Occupy souffle sur les mobilisations contre le changement climatique, contre la dette ou contre le mal-logement.
Quand il s'agit de soutenir des causes liées à la la justice économique, les personnes et organisations qui se sont sérieusement impliquées dans Occupy Wall Street demeurent encore très actives. 
On continue donc à pouvoir compter sur elles pour façonner les prochaines initiatives susceptibles de contribuer à bâtir un mouvement de transformation de la société américaine.» (4)
Une transformation «bottom-up».
C'est-à-dire de bas en haut.
Car derrière les noms de «Occupy Sandy», de «Strike Debt», de «Walmart Workers» ou de «The Homes for All» se cachent des campagnes qui rassemblent des organisations communautaires et des nouveaux collectifs d’activistes. 
Soit, souvent, des personnes qui se sont engagées pour la première fois de leur vie et qui cherchent un moyen de continuer à militer pour le changement social.

Les pièces du... non-puzzle !

Reste que Occupy constitue moins que jamais, aujourd'hui, un ensemble unifié et planifié. 
Autant les différentes initiatives qui en sont issues s'avèrent liées par une critique partagée du système économique, autant elles se révèlent dépourvues de la moindre forme d'organisation forte ou d'alliance à long terme. 
«Un double besoin se fait sentir, reprend notre guide. 
D'abord, celui d’un espace ouvert de discussions et de convergences. 
Ensuite, celui de structures pour construire de la cohérence.
L'existence de groupes et de campagnes au niveau local est insuffisante en soi. 
L’absence d'organisation formalisée à l'échelle internationale a rendu difficile le maintien des relations de solidarité que les diverses entités Occupy avaient construites, entre elles et avec les mouvements émergents dans le reste du monde.» (4)
Un constat qui vaut aussi pour l'Espagne.
Et pour tous les autres pays qui furent de la fête indignée.
L'utopie, décidément, n'est plus ce qu'elle était... (5)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) 15-M comme 15 mai, date où l'événement indigné s'est déclaré sur le Puerta del Sol et qui a donné son nom au mouvement des indignados espagnols.
(2) Pedestarres Nathalie, Trois ans plus tard, où en est le mouvement espagnol des indignés?, Basta!, 6 janvier 2014.
(3) Pour récupérer des actifs toxiques.
(4) Chapelle Sophie, Que reste-t-il du mouvement Occupy qui a secoué Wall Street?, Basta!, 16 mai 2013. 
(5) Ce message est étroitement inspiré des deux articles susmentionnés de Basta!
(6) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): la suite d'une longue série de messages consacrés à une  réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.



lundi 27 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (11). L'indignation, en long et en large

 




 



                                                  
                                                    Les indignés pèchent-ils 
                                                    par leurs objectifs 
                                                    insuffisamment concrets?
                                                    Recourent-ils 
                                                    à des démarches trop incantatoires?
                                                    Sans doute.
                                                    Mais, comme se le demandait 
                                                    Thierry Verhelst,  
                                                    anthropologue belge 
                                                    récemment disparu,  
                                                    «qui donc possède 
                                                     les bonnes réponses?
                                                     Nous sommes 
                                                     à une époque charnière 
                                                     où l'humanité se cherche 
                                                     un autre avenir.
                                                     Il n'est pas raisonnable 

en ces circonstances 
d'exiger des programmes 
parfaitement ficelés.»
D'où ces propos, 
publiés, à la mort de Stéphane Hessel,
par le Guardian.
Qui inscrit l'indignation 
dans une perspective historique.    
Et considère que l'influence 
du Français né Allemand 
persiste un peu partout.
Urbi et orbi.



«Il arrive que des pays, sinon des civilisations entières, prennent de mauvaises habitudes. 
Voire pire...
C’est pourquoi, du temps des prophètes jusqu’à nos jours en passant par l'époque des Savonarole et autre Luther, l’indignation, la colère et les appels à un ressaisissement moral se sont de tous temps révélés nécessaires. 
Une adrénaline sociale qui a des effets à la fois créatifs et destructeurs.
Sans que, le plus souvent, nous ne comprenions lesquels finiront par prévaloir.»

Un coup de barre? 

Indignez-vous! 
Et ça repart...

«Mais qui pourrait nier le besoin de personnalités comme Stéphane Hessel (...) ou Beppe Grillo, qui va très bien, merci. 
Hessel, dont le pamphlet Indignez-vous! s’est répandu un peu partout sur la planète et a été traduit dans des dizaines de langues, a servi de source d’inspiration aux partisans de Grillo autant qu'aux indignados espagnols ou aux manifestants américains d’Occupy Wall Street
L’indignation, c'est autre chose que la révolution, la rébellion et la restauration, même si tout est dans tout. 
Lui arrive-t-il de s'avérer simpliste, feinte ou hors de propos?
Peut-être.
Mais sans elle, la vie s'enfoncerait dans une perpétuelle routine. 
Brisant systématiquement dans l'oeuf la moindre perspective de nouveau départ.» (1)

(A suivre)

C.E.

(1) Ce message est l'adaptation française d'un texte paru dans The Guardian au lendemain de la mort de Stéphane Hessel.
(2) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.




«Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s'y prendre de manière violente. 
Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l'idée de révolte ne viendra même plus à l'esprit des hommes. 
L'idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. 

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l'éducation, pour la ramener à une forme d'insertion professionnelle. 

Un individu inculte n'a qu'un horizon de pensée limité, et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l'accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. 

Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l'information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. 
Surtout pas de philosophie. 

Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe: on diffusera massivement, via la télévision, des informations et des divertissements flattant toujours l'émotionnel ou l'instinctif. 
On occupera les esprit avec ce qui est futile et ludique. 

Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d'empêcher l'esprit de penser. 
Comme tranquillisant social, il n'y a rien de mieux. 
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l'existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d'entretenir une constante apologie de la légèreté; de sorte que l'euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.» (1)

(1) Huxley Aldhous, Le Meilleur des mondes, Pocket, 1977 (1932) 

jeudi 23 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (10). Vers un alter-populisme indigné ?

 


Populiste, le mouvement indigné? 
Pas vraiment. 
A moins que l'on ne se risque à parler 
de populisme aimable. 
Voire de populisme discursif...

 

Il y a populisme et populisme.
Tel est l'avis de cet éditorialiste de Die Zeit qu'est l'Allemand Werner Perger. 
Qui voit dans le mouvement espagnol des indignés l’expression d’un populisme aimable, totalement dénué de xénophobie, qui pourrait faire pièce à celui des formations d’extrême droite...
«L’Espagne va-t-elle devenir le modèle du nouveau populisme des déçus et des laissés-pour-compte, comme les Pays-Bas, le Danemark et l’Autriche l’ont été pour le populisme des défenseurs des acquis et de la prospérité? (...)  
Ces manifestants (...) pourraient devenir un contrepoids aux antidémocrates de l’extrême droite, hostiles au consensus. 
Qui, sinon les indignés chers à Stéphane Hessel, pourra éviter que l’on ne glisse définitivement dans la postdémocratie?» (1) 

Un zeste de Mai 68, un peu de web...: le cocktail indigné

«La montée des populismes européens, classés à droite, n’est pas si éloignée d’un mouvement comme les "indignés" espagnols, classés plutôt à gauche, renchérit un autre éditorialiste, le Français Philippe Thureau-Dangin de l'hebdomadaire Courrier international. 
Ce sont même les deux côtés de la même médaille. 
On retrouve chez les uns comme chez les autres un égal rejet des partis politiques traditionnels et une déception à l’égard du système parlementaire. (...) 
Populistes et indignés refusent d’une même voix les diktats des marchés financiers, même si les premiers s’en prennent aussi aux étrangers de toutes conditions, coupables à leurs yeux de prendre le travail des autochtones. 
Bref, les indignés incarnent une sorte de "populisme aimable", non xénophobe, pour reprendre l’expression de l’hebdomadaire allemand Die Zeit.
Il y a pourtant une différence de taille entre les deux vagues. 
Les populistes, y compris le FN de Marine Le Pen, pratiquent le culte du chef et proposent des solutions simples, voire brutales, face à la complexité du monde. 
Les jeunes et moins jeunes qui campent sur la place de la Puerta del Sol, à Madrid, savent que la réalité n’est pas simple et qu’il faut d’abord réfléchir. 
Tandis que les populistes lancent des slogans, les indignés ouvrent des forums sur le Net. 
On assiste à une fusion de Mai-68 et du web.» (2)(3)(4)

(A suivre)

Christophe Engels


(1) Perger Werner, Un signal pour toute l'Europe démocratique, in Die Zeit du 26/05/2011.
(2) Thureau-Dangin Philippe, Editorial. Populistes, indignés, même combat ?, in Courrier international du 26/05/2011.
(3) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16.Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la publication initiale..
(4) Pour suivre:  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.


lundi 20 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (9)... La tentation du négationnisme politique




Souvent allergiques aux politiciens, 
les indignés.
Dont certains vont 
jusqu'à vouloir se passer 
de toute forme de politique. 
Attention!
La tentation du négationnisme guète...


Les indignés?
«Un présupposé utopiste les anime, insiste Temps critiques: si un très grand nombre d'individus s'indignent, alors le cours des choses ne pourra plus se poursuivre en l'état.» (1) 
C'est le syndrome de l'utopie libertaire.
Qui fait d'autant plus problème que les membres les plus influents du groupe ne sont nécessairement ni les plus légitimes ni les plus qualifiés.

Politique: je t'aime, moi non plus...

Manque de culture politique, dénonce le philosophe de l'Université de Liège et directeur du Centre pour l'égalité des chances, Edouard Delruelle (2).
Erreur stratégique, renchérit l'anthropologue belge Thierry Verhelst, récemment disparu...
«Il faut se garder de renforcer le discours néolibéral en dépouillant encore le politique de son rôle dans la société, écrit-il
Il demeure plus que jamais essentiel de s’engager politiquement en ces temps sinistres du tout-au-marché.» (3) 
Le constat, pourtant, est implacable: la plupart des indignés n'accordent aucune crédibilité à ce type d'engagement. 
Un rejet qui n'est sans doute pas signe de lucidité. 
Et qui pose donc question.
«Où peut aboutir cette allergie au politique, par ailleurs bien compréhensible?, se demande ainsi Verhelst.  
L’hostilité au politique ne s’adresse-t-elle qu’aux palinodies vaniteuses et aux slogans superficiels qui trop souvent déparent la politique politicienne? 
Ou faut-il craindre une démobilisation qui frôlerait le cocooning individualiste ?
Un regard plus optimiste verra dans cette désaffection une version originale de la politique de la chaise vide: le système souffre à la longue d’un tel déficit démocratique qu’il en perd sa légitimité.
Si une grande masse de gens sortent du système, dira-t-on, celui-ci ne pourra survivre à terme faute de légitimité. 

Peut-être… mais nous n’en sommes pas là. 
Et les partis populistes et d’extrême droite guettent toutes les occasions de détruire la démocratie.»  (4)(5)(6)

(A suivre) 

Christophe Engels


(1) Les indignés : écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283.
(2) Delruelle Edouard, C'est plutôt l'expression d'un no future, in La Libre Belgique, 01 juin 2011 (propos recueillis rar Thierry Boutte).
(3) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
(4) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, op cit., 2008.
(5) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la parution originale.
(6) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):  d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents.


jeudi 16 janvier 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (8). Indignés: un engagement indéfini dans son objet


Indéfini, le mouvement indigné.
Dans son intensité sans doute.
Mais aussi dans son objet...


Difficile, évidemment, de cerner l'ennemi à combattre quand on ne s'est mis d'accord
. ni sur des objectifs finaux à atteindre,
. ni sur des propositions à présenter,
. ni sur les stratégies d'action à arrêter...

Objectifs ? Quels objectifs ? 

Les objectifs à atteindre?
Entre les activistes terre-à-terre (en quête de potager ou de relations de bon voisinages) et les adeptes de l'envolée lyrique (qui souhaitent «jouir pleinement et dignement de nos existences», «une autre idée du bonheur» ou «vivre, vraiment vivre»), on trouve, outre ceux qui... «ne demandent rien», tous ceux qui sont en recherche... (1)
Mais, ici encore, en recherche de quoi?
«La notion même d'"indignation" ne dit rien sur ce qui la cause, reconnaît le collectif Réelle Démocratie Maintenant ! Belgium
Et cela est gros de malen­tendus en série.» (2) 
Aux yeux de ceux qui considèrent que la démarche citoyenne consiste à recréer les condi­tions d’appa­ri­tion d’une société civile qui échap­pe­rait aux fon­da­men­ta­lis­mes du marché et de l’indi­vi­dua­li­sa­tion, la cri­ti­que aura à se focaliser sur les poli­ti­ques néolibérales. 
Pour les autres, la poli­ti­que sera condamnée à la racine. 
Non pas seulement dans sa déclinaison peu ou prou néolibérale du moment, donc. 
Mais dans son fondement étatique même. 
Ceux-là redouteront comme la peste le piège d'une possible vic­toire à la Pyrrhus. 
Celle «d’une démocra­tie considérée sim­ple­ment sous sa défini­tion mini­ma­liste de moins mau­vais des régimes poli­ti­ques au sein d’un capi­ta­lisme perçu comme hori­zon unique et indépas­sa­ble.» (3)
Il est vrai que si les indignés mani­fes­tent leur exaspération et leur colère, c'est majoritairement dans le res­pect des ins­ti­tu­tions. 
Une modéra­tion qui découle manifestement de la nécessité de faire consensus entre
. la volonté d'auto-­li­mi­ta­tion des uns,
. la cons­cience, pour les autres, de la dif­fi­culté de mettre en branle une dyna­mi­que d'insubordination.
«L'essentiel est ailleurs, assène néanmoins Damien, déjà rencontré dans les messages précédents. 
Il renvoie au fait que le mouvement indigné se réunit bel et bien autour d'un objectif commun. 
Il s'agit de trouver une alternative humaine à toutes les inhumanités auxquelles notre planète est soumise. 
Ce qui nécessite le rejet de trois types d’"inacceptable":
. la toute puissance du monde financier,
. l'exploitation des ressources de la planète,
. la discrimination entre ceux qui ont des papiers et ceux qui n’en ont pas.
Dans la mesure où il s’agit d’un projet universel, il ne peut qu’être flou. 
Rappelons le: il faut laisser du temps au temps. 
Car nous n'avons pas d'autre choix. 
Aujourd’hui, nous nous dirigeons en somnambule vers l’horreur absolue. 
Celle-là même que nous nous étions promis de ne jamais répéter. 
A savoir celle des... camps de concentration! 
Sait-on par exemple que, dans les centres fermés, les réfugiés reçoivent 1000 calories par jour? Soit à peine plus que les 800 dont avaient à se contenter les victimes de la Shoa...?» 

Propositions ? Euuuh... 

Les propositions à présenter?
De l'altermondialisme à la simplicitévolontaire en passant par la décroissance, la créativité culturelle, l'allocation universelle (4), le développement durable (5), le business social (6), l'économie sociale (7), la responsabilité sociétale des entreprises et/ou des acteurs économiques (8), la finance solidaire ou  responsable (9), le commerce équitable (10), la monnaie sociale (11), la transition écologique et économique (12), le Revenu de Transition Economique (13), le post-capitalisme (14) ou le post-libéralisme (15)...: une série impressionnante de courants de pensée et modes de vie émergents pourraient servir de points d'appui aux indignés.
Qui s'abstiennent pourtant de toute source d'inspiration de ce type. 
Explicitement en tout cas, aucune référence n'est faite à ce qui existe. 
On semble préférer repartir de zéro. 
Et vouloir tout (ré)inventer par soi-même. 
Qui plus est, souvent, sans faire appel au moindre spécialiste, qu'il soit économiste, politologue, juriste ou autre. 
Côté jardin, un tel choix assure de ne pas se faire récupérer.
Mais côté cour, il expose à un triple risque...
. Celui de réinventer la poudre.
. Celui, en perdant du temps, de manquer une hypothétique fenêtre d'opportunité historique.
. Celui, enfin, dénoncé en son temps par Alexis de Tocqueville...   
«Dans la démocratie, les simples citoyens voient un homme qui sort de leurs rangs et qui parvient en peu d'années à la richesse et à la puissance, écrivait le penseur français.
Ce spectacle excite leur surprise et leur envie.
Ils recherchent comment celui qui était hier leur égal est aujourd'hui revêtu du droit de les diriger. 

Attribuer son élévation à ses talents et à ses vertus est incommode, car c'est avouer qu'eux-mêmes sont moins vertueux et moins habiles que lui. 
Ils en placent donc la principale cause dans quelques-uns de ses vices, et souvent ils ont raison de le faire. 
Il s'opère ainsi je ne sais quel odieux mélange entre les idées de bassesse et de pouvoir, d'indignité et de succès, d'utilité et de déshonneur.» (16)
Qu'en pensent nos interlocuteurs indignés ?
«Sous cet angle, l'expérience bruxelloise s'est avérée dramatique, tranche Ben, un Belge d'origine portugaise chargé du site internet de la capitale du plat pays. 
On peut presque parler de dictature de l'horizontalité. 
Un concept revendiqué par tout un tas de pseudo libres penseurs. 
Qui, malheureusement, réfléchissent beaucoup plus qu'ils n'agissent...» 

Vous avez dit stratégies ? 

Les stratégies d'action à arrêter ? 
«Devant l’absence de pers­pec­tive, même immédiate, le démocra­tisme abs­trait va être érigé en prin­cipe, "enfonce" Temps critiques. 
L’Assemblée générale doit être régie par le consen­sus après dis­cus­sion. 
Ce qui conduit le plus sou­vent au blo­cage puisqu’une petite mino­rité peut tou­jours cri­ti­quer un point par­ti­cu­lier. 
Dans ce cas, la décision est renvoyée à une com­mis­sion quitte à ce que la pro­po­si­tion revienne devant l’A.G. après modi­fi­ca­tion. 
On a là en germe toutes les tares du par­le­men­ta­risme.» (17)
«L’horizontalité bien comprise ne doit pas empêcher de fonctionner à la majorité, abonde Damien.  
Et pour cause: si elle se confond avec l’unanimité, elle barre la route à quelque décision que ce soit. 
Elle n’a donc à incorporer les avis divergents que jusqu’à un certain point: dès lors qu'un désaccord fondamental apparaît, on doit pouvoir continuer sans l’ultra-minorité qui le porte. 
Le cas échéant, celle-ci doit se montrer assez mature pour quitter le groupe.»
Une leçon manifestement tirée de l'expérience. 
Dont celle du Carré de Moscou, à Bruxelles.
Où certains caractères dominants sont notamment parvenus à faire passer l'idée que tout devait se régler «en famille», donc en évitant comme la peste quelque forme de patronage politique, syndical ou associatif que ce soit. 
Ainsi, rappelons-le, que toute velléité de récupération de la part de professionnels. 
Ceux de la politique ou du syndicalisme, bien sûr.   
Mais aussi ceux de l'économie, du droit... (18)(19)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Toutes ces idées et expressions parsemaient la littérature indignée.
(2) Réelle Démocratie Maintenant ! Belgium, Analyse. Le mouvement des "indignés". Potentialités, contradictions, perspectives, www.facebook.com/note.php?note_id=162316587171545.
(3) Les indignés : écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283.
(4) Voir par exemple Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005.
(5)Voir par exemple Jackson Tim, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, Etopia et De Boeck, Namur et Bruxelles, 2010.
(6) Voir par exemple Yunus Muhammad, Vers un nouveau capitalisme, J.-C. Lattès, coll. Le Livre de Poche, Paris, 2007.
(7) Voir par exemple Mertens Sybille, Définir l'économie sociale, Les cahiers de la Chaire Cera, volume 2, ULg, 2007.
(8) Voir par exemple Gendron Corinne, L’entreprise comme vecteur du progrès social: la fin ou le début d’une époque?, in Les cahiers de la CRSDD, collection Recherche, Montréal, 2009.
(9) Voir par exemple www.rfa.be
(10) Voir par exemple l'analyse du Siréas : Commerce équitable. L'intention qui compte. www.sireas.be/pages/spip.php?page=publications&id_article=559.
(11) Voir par exemple Blanc Jérôme et Ferraton Cyrille, Une monnaie sociale? Systèmes d’Échange Local (SEL) et économie solidaire, 2001, http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/13/36/57/PDF/BlancFerratonLame.pdf.
(12) Voir par exemple www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/documents/Arnsperger.TRANSITION.12.02.2010.pdf.
(13) Voir www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/documents/ARNSPERGER.Transition.Veritable.15.12.2010.pdf.
(14) Arnsperger Christian, Pour une éthique existentielle de l'économie, Cerf, Paris, 2005 et Arnsperger Christian, Ethique de l’existence post-capitaliste. Pour un militantisme existentiel, Cerf, Paris, 2009.
(15) Briey Laurent de, Le sens du politique, Mardaga, Wavre, 2009.
(16) Tocqueville Alexis de, De la démocratie en Amérique, in Oeuvres II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2004, pp.252-253.
(17) Les indignés: écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination, in Temps cri­ti­ques, .http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article283.
(18) Ce message est extrait de l'analyse: Engels Christophe, Une journée d'Ivan... l'indigné. L'épisode bruxellois: projet ou utopie?, n°2011/07, 2011, Analyses et études du Siréas, pp.14-16. Avec l'aimable autorisation de Mauro Sbolgi, éditeur responsable de la parution originale.
(19) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): d'autres messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents..