jeudi 28 juillet 2016

Abdennour Bidar. «Le cancer généralisé de l'Islam»






















Réinventons
de fond en comble
une authentique culture
spirituelle.
Tel est le mot d'ordre
de ce «philosophe de l'Islam»
qu'est Abdennour Bidar.
Car, assure-t-il,
les musulmans
sous-estiment
considérablement

dont souffre leur religion.
Et notre «méditant engagé»
de mettre chacun
devant ses responsabilités...
«Non musulmans
et musulmans ensemble,
à nous tous échoit le devoir
de lutter pour la paix.
»


«Depuis janvier 2015, une série d’actes barbares frappe notre France et nous meurtrit profondément. 
Perpétrés au nom de l’islam, ils sont aussi bien le fait d’esprits malades que l’une des expressions les plus aiguës de la crise radicale dans laquelle sombre aujourd’hui la civilisation arabomusulmane.
De là, une très grande difficulté d’analyse: quel lien entre ces cas psychiatriques isolés et l’état général d’une civilisation?

D’aucuns disent qu’il n’y en a pas.
Ils sont aveugles.
Comme je l’ai montré dans ma Lettre ouverte au monde musulman, ceux qui nous agressent aujourd’hui sont parmi les métastases les plus meurtrières d’un cancer généralisé de l’Islam –qui tue à travers ses éléments les plus pathogènes.
Chez les plus fragiles psychologiquement, comme du côté des régions du monde musulman les plus déstabilisées par les affrontements entre volontés de puissance locales et occidentales, le cancer de l’Islam trouve le terrain le plus favorable pour déchaîner son appétit de destruction.

Ne nous y trompons pas, nous recevons jusqu’ici les éclats d’une déflagration géante dont l’origine est le wahhabisme de l’Arabie saoudite.
C’est elle l’épicentre du cancer –elle qui abrite les lieux saints de La Mecque et de Médine en trahissant honteusement leur sacralité.
Égarée en effet par son obscurantisme depuis le XVIIIe siècle, cette région du monde a désormais pourri le monde musulman tout entier avec l’argent de son pétrole, qui lui a donné le moyen maléfique de contaminer et de faire dégénérer une civilisation dans le néant de son propre obscurantisme, vide de toute spiritualité digne de ce nom.

Plusieurs choses à faire face à cela, pour nous musulmans: réinventer de fond en comble une authentique culture spirituelle –de paix, de non violence, de fraternité universelle, de liberté de chaque conscience face aux dogmes, aux normes et aux mœurs de la tradition, et enfin d’égalité entre les femmes et les hommes.

Tous les musulmans qui osent dire qu’une telle culture est majoritaire en Islam sont trop optimistes.
Ils prennent leur cas pour une généralité, et ne voient pas ou sous-estiment gravement la prolifération galopante de l’intégrisme.
Cette persistance à ignorer la profondeur et l’ampleur du mal fait courir un terrible danger non seulement à leur propre liberté mais aussi au monde humain.

Trois choses à faire aussi face à ce cancer au cœur de l’Islam, pour nous français aujourd’hui...
. Déclarer la fraternité au lieu de déclarer la guerre, c’est-à-dire refuser le piège de la haine entre les identités et se solidariser dans l’affirmation de nos valeurs sans se laisser désunir par rien de ce qui nous agresse.
. Avoir le courage et la force de lutter non seulement contre la radicalisation des candidats au terrorisme mais interdire et punir sur notre territoire toute manifestation publique d’un islam intégriste, dont le critère simple est la contradiction avec notre culture –valeurs, lois, art de vivre.
. Avoir le courage enfin de ne plus entretenir de relations commerciales et diplomatiques indignes et lâches avec des États musulmans fondés sur le pouvoir d’une religion archaïque, intolérante et expansionniste –Arabie Saoudite, Iran, etc.

Ma conscience d’être humain et ma responsabilité de philosophe de l’Islam me conduisent aujourd’hui à répéter tout cela –et je le ferai encore coûte que coûte jusqu’à ce que l’Islam se régénère entièrement.
De même, autre chose que je redis inlassablement, chacun a maintenant sa responsabilité face aux tragédies et aux périls du temps présent: non musulmans et musulmans ensemble, à nous tous échoit le devoir de lutter pour la paix à toutes les échelles.
» (1)


Abdennour Bidar


(1) Communiqué d’Abdennour Bidar à l’Agence France Presse (AFP) au sujet des attentats à répétition de ce mois de juillet 2016.


mercredi 20 juillet 2016

Démocratie de façade et république désincarnée Comment la crise nourrit les extrêmes

















La «crise» économique 
n'en finit pas de s'éterniser.
Circonstance aggravante: 
elle entraîne 
de plus en plus manifestement 
dans son sillage 
déstructuration sociale, 
fractures territoriales 
et tensions en tous genres. 
Car désormais, le doute n'est plus permis...
Ce qui nous unit s’étiole et se déchire.
Tout profit, évidemment, pour les extrêmes.
Qui s'engouffrent résolument dans la brèche.
Au grand dam des démocrates
Dont le député socialiste français Malek Boutih.
Extrait de son rapport...




Le développement de formes d’action alternatives aux mouvements sociaux traditionnels, l’usage de la violence dans les manifestations et la radicalisation de certains discours politiques traduisent l’affaiblissement des mécanismes démocratiques de régulation et de règlement des conflits. 
La radicalité politique s’exprime à travers des mouvements très variés, aux valeurs parfois opposées, mais qui partagent le rejet de la démocratie représentative. 
En cela, les groupes radicaux, certes minoritaires, sont le symptôme d’une crise politique profonde, confirmée à chaque élection par les taux d’abstention très élevés.

En passant en revue rapidement les nouvelles formes de radicalité, il apparaît nettement que le radicalisme islamiste est aujourd’hui le plus dangereux, du point de vue de son emprise et des failles qu’il creuse au sein de notre société. 
Néanmoins, l’implantation de l’extrême-droite dans le paysage politique, et notamment son audience auprès de la jeunesse, est également très préoccupante car facteur de division et de délitement de la cohésion nationale.


Défiance envers la démocratie 

Nouvelles formes de lutte 

Dans le domaine de la contestation sociale, le début du XXIe siècle marque indéniablement un tournant avec la disparition des luttes sociales adossées aux idéologies révolutionnaires marxistes qui ont structuré des générations de militants.
L’ultra-gauche n’a pas disparu mais ses combats et ses modes d’organisation ont changé de nature.

Plutôt qu’à des organisations militantes structurées, on a affaire aujourd’hui à des groupes d’individus autonomes, à la recherche d’actions directes.
Constellations, ouvrage collectif paru en 2014, témoigne de l’émergence de modalités d’action alternatives en retraçant les luttes «alter» depuis 2000. 
Ces mouvements sont liés à des projets spécifiques ou à une revendication précise (le mouvement Génération Précaire qui défendait les stagiaires et précaires ou Don Quichotte sur le logement par exemple) menés par des communautés protéiformes réinventant les outils révolutionnaires. 
On y trouve le récit des squats organisés dans les villes ou à la campagne, des expériences de jardins communautaires, des actions de soutien aux sans-papiers… 
De multiples initiatives qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans un projet de grand bouleversement, de «grand soir», mais participent plutôt d’une volonté de s’ancrer et de se réapproprier le territoire.

L’une des caractéristiques de ces luttes, qui les distingue des mouvements sociaux traditionnels, est leur capacité à «s’organiser sans organisation». 
Les Indignados ou les occupants de Wall Street par exemple revendiquaient le fait d’être «apolitique» et «sans-chef». 
On retrouve ce principe d’autogestion dans le fonctionnement des Zones à Défendre (ZAD) qui illustrent sûrement le mieux ces nouvelles formes de mobilisation. 
La première est née à Notre-Dame-des-Landes en 2012 pour contester le projet d’aéroport qualifié de «Grand Projet Imposé Inutile», elle rassemble des profils divers, écologistes, décroissants, anarcho-autonomes… autour de la volonté de construire un mode de vie collectif alternatif à la société de consommation. 
La primauté du combat local, la méfiance vis-à-vis des médias, les modes d’organisation informels et collaboratifs, le mépris des forces de l’ordre, sont autant de traits qui distinguent les zadistes de leurs aînés militants. 
Certains font d’ailleurs débat chez les théoriciens révolutionnaires contemporains qui s’interrogent sur les débouchés potentiels de ces mobilisations ainsi que sur la nécessité de globaliser les combats et d’y associer d’autres pans de la société.

Dans un autre registre, le développement des Anonymous s’inscrit dans cette même recherche d’action directe et de nouveaux outils de contestation.

Violence et «radicalité antisystème» assumées

D’autre part, depuis quelques années, des groupes radicaux revendiquent l’usage de la violence dans les manifestations. 
La radicalité antisystème est assumée, l’action directe devient une finalité en soi et la violence prend la place du discours politique.

Les Black Blocs, pour qui «frapper un flic, ce n’est pas de la violence, mais de la vengeance» contre des institutions illégitimes, s’inscrivent dans cette logique. 
Apparus en 1999 lors du sommet de l’OMC à Seattle, 
. ils sont à l’origine de pillages et de dégradations en marge des manifestations, 
. ils recherchent sciemment l’affrontement avec les forces de l’ordre,
. et surtout, ils n’ont pas d’autre existence que ces manifestations brutales et ponctuelles. 
A l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, plusieurs groupuscules recourent ainsi à la violence. 
Cela a conduit à la mort d’un militant, Clément Méric, en juin 2013, lors d’une rixe contre des jeunes nationalistes révolutionnaires, ou encore aux violences commises en marge des manifestations de la Manif pour Tous.

Et sans que cela ne relève tout-à-fait de la même logique, puisque ce n’est pas le fait de groupes plus ou moins organisés, la profanation du cimetière juif de Sarre Union ou le projet d’attentat contre une mosquée de jeunes du lycée militaire de Montbonnot-Saint-Martin (Isère) sont symptomatiques du niveau de violence dont est capable la jeunesse et de sa banalisation.

Radicalisation politique


Enfin, l’extrême-droite se radicalise, non pas tant dans ses actes que dans son discours. 
On observe un double mouvement: 
. la banalisation et l’institutionnalisation politique d’une part, 
. l’affirmation des identitaires comme tête de pont dans la société d’autre part.

Ces dernières années, l’extrême-droites’est installée dans le paysage politique français au gré de ses victoires électorales. 
Elle a acquis une forme de respectabilité qui permet désormais à ses électeurs et ses partisans de s’afficher publiquement, ce qui est une nouveauté.
Elle est même devenue la première force politique chez les moins de 35 ans: 30 % d'entre eux ont en effet voté pour les candidats du Rassemblement Bleu Marine aux élections européennes de 2014. 
Cette ascension traduit la banalisation de ses idées dans la société qui se manifeste également par la multiplication des insultes racistes ou homophobes assumées par leurs auteurs dans l’espace public.

Quant au mouvement des identitaires, il dépoussière en quelque sorte l’image de l’extrême-droite en adoptant des outils modernes (ils sont très présents sur internet) et en s’investissant par exemple dans la création de groupes musicaux. 
Le Bloc Identitaire s’est fait connaître en créant du buzz avec ses apéros «saucisson-pinard » par exemple, et on ne compte plus les sites d’information comme «fdesouche.com» (français de souche) qui distillent, sous couvert d’une information objective, 
. des idées réactionnaires, 
. des arguments contre l’immigration et l’islam. 
A cet égard, le lissage des discours électoraux ne doit pas occulter la radicalité du projet politique. 
Fermer les frontières et sortir de l’euro, cesser d’accueillir des immigrés sur notre territoire, stigmatiser les musulmans, retirer la possibilité de se marier aux couples homosexuels, envisager, même par le biais d’un référendum, de rétablir la peine de mort...: toutes ces propositions de l’extrême-droite sont d’une violence symbolique extrêmement forte pour une grande partie de la communauté nationale.

En dehors de l’émergence des identitaires (qui s’appuient sur un discours banalisé dans la société française et disposent des soutiens nécessaires pour s’installer dans la durée, comme une sorte d’avant-garde de l’extrême-droite), on note que les groupes radicaux tels que les Black Blocks ou les antifascistes ne cherchent pas à se constituer comme des entités structurées et stables. 
Au contraire, il s’agit plutôt de nébuleuses, de regroupements ponctuels liés à un événement. 

Ces différentes formes de radicalisation semblent contenues par les services de police et de renseignement. 
Qu’il s’agisse de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche, les effectifs sont peu nombreux et les actions restent classiques, des occupations de chantier notamment. 
Pour y faire face, les autorités ont des moyens adaptés et bénéficient d’un savoir-faire éprouvé en matière de maintien de l’ordre.
Quant aux mouvances anarcho-autonomes, leur nature même, très désorganisée, incite à croire qu’ils ne représentent pas une menace réelle dans l’immédiat.

Ce que l’on retient surtout, c’est l’investissement des sujets environnementaux et des enjeux de territoire par l’ultra-gauche, comme point de départ de la contestation du système démocratique et de la construction de modes de vie collectifs alternatifs. 
Compte tenu de la sensibilité des questions environnementales dans la société et chez les jeunes en particulier, l’hypothèse de la multiplication dans les années à venir de sites de ZAD et de réaliste et projets d’aménagement contestés est, par là même, préoccupante.


Djihadisme, l’hybride politico-religieux 

La révolution convertie à l’islam

Le succès du fondamentalisme religieux auquel souscrivent des milliers de personnes y compris dans les sociétés les plus développées ne cesse d’interroger les observateurs. 
Comment à l’ère du numérique, de la modernité débordante, peut-on adhérer à des idéologies présentées comme relativement primaires et sans fondement théologique solide?

L’émergence de l’islamisme radical et particulièrement du djihadisme n’ont pas été perçues immédiatement par nos sociétés démocratiques comme un réel danger. 
Les pays concernés au Maghreb, au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est partageaient des points communs: 
. pas ou peu démocratiques, 
. un niveau de développement faible, 
. des disparités sociales extrêmes, 
. un système éducatif primaire,
. une absence de séparation entre religion et Etat, voire une religion portée par l’Etat lui-même. 
Ces caractéristiques permettaient de comprendre, si ce n’est la forme, du moins les raisons des actes de rébellion contre les autorités et institutions de ces pays. 
Si la diatribe révolutionnaire iranienne a dans un premier temps inquiété, l’image plutôt sympathique du peshmerga afghan luttant contre les hélicoptères soviétiques aux cris d’«allah akbar» a détourné l’attention du phénomène naissant. 

Présenté avant tout comme un phénomène sectaire (déjà!), l’islamisme révolutionnaire iranien marque en réalité la naissance d’un nouveau syncrétisme, celui du fait totalitaire religieux et de la contestation politique révolutionnaire. 
Dès lors, l’islam n’est plus uniquement un fait religieux, mais est revendiqué comme un fait politique. 
De tels mouvements ont eu lieu au sein des églises chrétiennes, le plus connu étant la «théologie de la libération», mais le fait religieux et l’acte politique restaient séparés alors que le projet politique passait toujours par l’alliance avec d’autres forces autour d’idéaux démocratiques ou sociaux. 
Aussi, si l’idéologie islamiste est souvent datée du début du XXème siècle (avec la pensée des Frères musulmans), la révolution iranienne reste l’acte politique majeur et réalisé qui va influencer d’abord les pays musulmans, puis le reste du monde, et ce dans un projet assumé de révolution radicale et mondiale. 
Des attentats du 11 septembre à l’émergence de Daesh, c’est le même processus qui se développe. 

Crise politique et radicalité 

Au cœur du processus à l’œuvre, on retrouve une constante. 
L’expression politique radicale, le basculement dans la violence, se fait toujours quand apparaît une double impasse politique. 
«Ni Est ni Ouest, Dieu», proclament les banderoles islamistes. 
Quand les forces politiques progressistes et les forces conservatrices se retrouvent renvoyées dos à dos, la solution la plus aboutie radicalement parlant peut se développer. Dans les pays musulmans et avec beaucoup de facilité, l’islamisme radical s’est imposé. 
Dans les pays non musulmans, d’autres forces de radicalité voient le jour, souvent à caractère nationaliste et xénophobe dans les pays les plus fragiles démocratiquement. 
Au cœur même des pays les plus avancés, ces tendances s’expriment: 
. poussée électorale fulgurante ou durable de l’extrême-droite, 
. émergence d’une gauche «révolutionnaire» parfois victorieuse aux élections comme en Grèce, 
. organisations clandestines de contestation symbolique violente tel les Black Blocks, . multiplication des actions de blocage, d’occupation de lieux publics, 
. création de Zones à Défendre (ZAD), 
. résurgence des théories révolutionnaires et anarchistes violentes…

Pour comprendre ce désir d’action directe, de destruction du système, qui semble exclure tout mot d’ordre intermédiaire, il faut rappeler l’effondrement des forces de contestation traditionnelles. 
Les idéologies et les structures d’encadrement qui canalisaient auparavant les volontés de transformation sont disqualifiées.
Dès lors, le champ est libre pour les extrêmes.

République momifiée 

De tels phénomènes sont présents depuis longtemps dans notre pays. 
La crise des «bonnets rouges» en Bretagne, par exemple, illustrait les risques de déchirement qui menacent notre nation. 
L’appréciation politique du danger pour l’équilibre de la société de telle ou telle forme de radicalité ne fait pas consensus dans notre pays. 
Certains trouvent normal d’occuper de force un territoire, d’affronter les forces de l’ordre, de prendre le risque de blessures graves et de victimes car la cause serait juste. 
D’autres comprennent l’expression de violences homophobes, de menaces sur les élus, de refus de l’autorité, parce qu’ils partagent le point de vue de leurs auteurs.

Le consensus républicain s’est effiloché pour devenir un decorum, respecté, fêté, solennisé. 
La République Française semble être une expression historique, souvent nostalgique, pour les forces politiques françaises. 
Le changement de paradigme de la société mondialisée, l’intégration européenne actuelle, la mondialisation économique agissent comme des «normalisateurs» de la société française, de la même façon que pour les autres nations qui nous entourent. 

La République se distingue des autres modèles démocratiques parce qu’elle constitue la nation autour d’un projet collectif émancipateur tel qu’il fut rappelé par le Conseil National de la Résistance
Résumer la crise française aux difficultés économiques est réducteur; les faits politiques de ces dernières années le prouvent, en particulier l’élection présidentielle de 2002.

En définitive, la crise politique est déterminante, y compris dans la persistance de nos difficultés sociales et économiques. 
Sans projet collectif puissant, notre pays est soumis aux forces centrifuges du monde, aux intérêts divergents de groupes et d’individus. 
De fait, la France est affaiblie. 
Nos institutions sont de plus en plus contestées, l’action publique bloquée, la morale citoyenne reléguée derrière l’esprit de communauté, de territoire, voire les valeurs consuméristes. 
Dans un jeu de faux-semblant, les références nationales, nos symboles, notre drapeau sont de plus en plus présents, alors même qu’au cœur de la société ce qui nous unit s’étiole et se déchire.

La crise française est une vieille connaissance. 
On en parle depuis tellement longtemps que chacun a fini par se lasser et par s’adapter de gré ou de force aux nouvelles réalités qui s’imposent. 
La déstructuration sociale a atteint un stade critique, mais surtout une double fracture territoriale s’est produite ces dernières années... 
. D’abord dans les zones rurales où la fin de l’Etat providence, la rationalisation des politiques publiques et la désindustrialisation ont rompu un continuum républicain. 
Avoir 20 ans dans certains territoires, c’est se sentir enfermé et sans perspective; pour les plus âgés, c’est attendre son tour, celui où touts’effondre, où plus rien n’est comme avant.
. L’autre fracture, c’est celle des banlieues des pôles urbains. 
Comment douter de leur «explosivité»? 
Misère aux portes des richesses, déstructuration des forces sociales traditionnelles, concentration des populations étrangères ou des « minorités visibles»… 
Les émeutes de 2005, par leur durée et par leur ampleur, suffisent pour décrire cette fracture républicaine. 
La France rurale, territoire symbole de la droite? 
Les quartiers populaires, étendards de la gauche? 
Une double fracture.
Un double échec.
Qui rassemble les conditions d’émergence de la radicalité politique.

Islamisme vs fascisme 

Dans la diversité radicale du paysage français, deux forces semblent avoir pris l’ascendant.
L’extrême-droite a atteint en France un niveau historique ces dernières années, lors des différentes élections. 
Dans de nombreuses régions, des nébuleuses de groupes violents d’extrême-droite apparaissent, même si à ce jour ils restent à l’état groupusculaire.

La radicalité islamiste est elle aussi dans un mouvement ascendant au sein de notre société. 
Au-delà des chiffres officiels des départs vers le théâtre de guerre (457 français sont actuellement en Syrie et en Irak, 320 sont en transit et 521 projettent de s’y rendre), il faut prendre en compte l’organisation de réseaux sur le territoire et surtout l’influence croissante des djihadistes sur une partie de la population. 
Si la résurgence et l’attractivité de l’extrême-droite est relativement bien analysée, l’implantation et l’adhésion des jeunes de notre pays au djihadisme surprennent. 
Pourquoi? 
Tout part de l’a priori religieux sur ce phénomène. 
La religion joue son rôle, les musulmans sont particulièrement visés par cette idéologie et les auteurs des différents attentats ou crimes sur notre territoire le démontrent. 
Pourtant, les djihadistes de la nouvelle génération ne viennent pas que des banlieues.
Nombre d’entre eux ne sont pas issus de culture ou de famille musulmane (près de 30 %) et ne correspondent pas aux profils d’individus fragiles psychologiquement ou d’adolescents en rupture. 
La diversité des recrues du djihadisme s’élargit sans cesse. 
Ni musulmanes, ni fragiles, ni en crise d’adolescence, les nouvelles recrues marquent par leur profil la nouvelle dimension de cette radicalité: sa dimension politique. 

Face aux autres offres radicales qui visent la jeunesse, le djihadisme a une longueur d’avance aussi bien dans sa dimension politique que théorique. 
Bénéficiant de territoires, de pays conquis, d’une zone de guerre contrôlée, cette force a acquis une expérience et des moyens puissants et revendique maintenant le statut d’Etat. 
C’est une chose de proclamer l’action directe, c’en est une autre de la réaliser, surtout à grande échelle. 
Pour un jeune homme ou une jeune femme assoiffée d’action, le djihad serait l’évidence. 
Il ne s’agit pas simplement d’assouvir réellement des pulsions meurtrières ou des envies de guerre. 
La dimension théorique du djihad est la plus complète 
. dans son rejet de la démocratie, 
. dans la désignation de responsables à abattre,
. dans l’affirmation d’un contre modèle total. 
Au creux de l’offre idéologique des forces politiques traditionnelles, le djihad propose des explications et une solution globales. 

Théorie du complot 

Au cœur des radicalités de différentes natures, on trouve toujours la propagande, le discours et la manipulation. 
Tous les mouvements et regroupements qui prônent la violence comme forme d’action ont besoin de la justifier et d’amener les individus qu’ils manipulent à ne pas avoir d’autre choix que le passage à l’acte. 
Evidemment, le vecteur essentiel de cette action psychologique est internet mais pas seulement. 
Ouvrages, article de presse, rumeurs, chaînes de SMS…: par capillarité, de multiples moyens s’entrecroisent pour rendre efficace le «bourrage de crâne». 
Et dans ce domaine, l’extrême-droite et les islamistes radicaux sont en pointe. 

La particularité de ces deux radicalités repose sur leur capacité à relayer leur vision du monde par l’ensemble de leurs membres et sympathisants de manière à faire croire à l’objectivité de leur point de vue. 
Ces mouvements ont des outils identifiés de communication et expriment par voie certifiée leurs positions. 
Pourtant, conscients du rejet a priori des idéologies, ils prennent soin de diffuser l’essentiel de leur message par les rumeurs, les fausses informations, les montages et autres manipulations d’images.

L’efficacité de leur technique de manipulation repose sur deux éléments... 

. Le premier, c’est la défiance de plus en plus forte de la population, et des jeunes en particulier, vis-à-vis des médias installés et plus encore de la parole de l’autorité publique.
Quand, en chœur, journaux et responsables dénoncent la «théorie du complot», les nouveaux manipulateurs leur retournent l’argument. 
Le recours outrancier aux techniques de communication pour justifier l’action de certains états et en particulier des Etats-Unis finit par se retourner contre ses utilisateurs. 
Ainsi, l’accès aux archives textuelles et visuelles et la possibilité de les diffuser massivement brisent les codes de la manipulation. 
Il suffit pour un jeune de voir quelques images sur la guerre en Irak menée par les Etats-Unis pour être «accroché» d’abord au doute, puis lentement à la conviction que tout le monde ment et que la vérité est ailleurs. 
La preuve de la présence d’armes de destruction massive «bidonnée» à l’ONU, la fille d’un ambassadeur koweïtien présentée comme une jeune réfugiée...: autant d'actes de «communication maîtrisée» qui ont fourni des arguments pour décrédibiliser la parole des démocraties et celle des médias qui l’ont relayée.
Les organisations islamistes sont dans ce domaine les plus outillées, les plus pointues dans leurs techniques de déconstruction du discours des autorités. 

. La seconde technique repose sur le relais par la population elle-même de leur idéologie. 
Tout dans leur action porte vers cet objectif : travailler en profondeur les populations, semer le doute, lever une contre opinion pour agir efficacement et à long terme. 
Dans cette logique, la forme particulière des attentats, volontairement spectaculaire (New York, Madrid, Londres, Paris…), constitue un déclencheur puissant de leur manipulation. 
En choquant les opinions, en créant un trouble chez les autorités (perceptible  le 11 septembre dans l’image du président américain), l’objectif est de briser le cycle classique de  l’information de masse, de percuter les esprits les plus faibles et d’inciter les individus eux-mêmes à rechercher une autre explication. 
Si les adultes plus expérimentés en restent souvent au stade du doute, les jeunes, eux, deviennent très vite les relais de la propagande, par l’intermédiaire de la rumeur et de la circulation d’images, de textes qui, pour être parfois grossièrement manipulés, n'en impactent pas moins fortement. 

Les techniques de propagande ne servent donc pas qu'à justifier les actes des radicaux islamistes.
Ils visent par ailleurs à construire et à renforcer une vision binaire du bien et du mal.
Et aussi à déconstruire tout ce qui créerait un doute à leur égard.
Aussi, à la suite des attentats de janvier 2015, c’est autour des images du véhicule des frères Kouachi que l’opération de désinformation s’est organisée. 
L’affaire des rétroviseurs de différentes couleurs, qui semblait si simpliste aux yeux des médias, avait un but précis: semer le doute sur le meurtre du policier Ahmed Merabet. 
Pourquoi?
S’agissant d’un policier français, musulman, se sacrifiant pour sa mission et exécuté sans défense, cet acte risquait de nuire à leur image de «justicier». 
Autant la tuerie à Charlie Hebdo que les crimes de l’Hyper Cacher sont assumés, autant ces images du policier à terre leur posaient problème.
C’est donc sur cet événement que l’action de propagande s’est concentrée. 
Si elle paraissait grossière dans un premier temps, elle n'en a pas moins fait son chemin, réussissant à instiller le doute dans l’esprit de certains individus: à moyen ou à long terme, le meurtre pourrait être remis en question. 
Aucun site islamiste, aucune expression de ce mouvement ne reviendra sur ce fait; c’est au cœur de la population et dans la jeunesse que la propagande continuera de prospérer, sous forme de rumeurs et de fausses affirmations.
Ce qu’il est convenu de nommer «théorie du complot» n’est donc qu’un outil de la guerre de l’information que mènent les forces islamistes radicales. 
Le désemparement des médias et des autorités face à ce discours démontre simplement qu’à ce jour les techniques et l’expérience de ces mouvements sont redoutables de modernité et d’efficacité.
Ce n’est pas l’outil internet en soi qui est à l’origine de la puissance de la propagande des djihadistes, mais leur maîtrise de cet outil, leur connaissance des phénomènes d’opinion et leur usage de la «neutralité» du net. (1)


Malek Boutih


(1) Extrait de «Génération radicale», rapport du député (socialiste français) de l'Essonne Malek Boutih sur le djihadisme, juin 2015, pp.22 à 28. Pour un résumé du document complet, on se référera par exemple à Lombard-Latune Marie-Amélie, Djihadisme: le cri d'alarme de Malek Boutih. in Le Figaro, 02 juillet 2015. On consultera avantageusement, par ailleurs, les interviews du «Colloque international sur le djihadisme» («Ressources idéologiques, intellectuelles et économiques du djihadisme») organisé du 31 mai au 2 juin 2016 par la fondation «Maison des Sciences de l'Homme» (Université Libre de Bruxelles).


vendredi 15 juillet 2016

Je suis Nice


















«Sur un très vieux noyer un enfant est grimpé
Et tout là-haut perché il croit qu'il peut voler.
Il s'est mis à crier ses petits bras levés.
Il exprime sa gaîté son bonheur d'exister.

Sous ses cheveux si blonds sur sa frimousse ronde
Ciel et yeux se confondent, dans l'enfant vit un monde,
Cris et cœurs se répondent joies et pleurs se fondent
Et tout cela l'inonde d'amour chaque seconde.

Entendez-vous son rire? Il domine son empire
Ce qu'il voit il l'admire et le dit d'un sourire,
Petite "âme soupir" dans tout ce qu'il désire 
C'est toujours le plaisir de voir et de grandir.

Mon bel enfant radieux tes cris montent jusqu'aux cieux
Tu te sens si heureux et tu es si curieux,
Tout te semble précieux la vie te rend joyeux
Et ton cœur si soyeux porte le merveilleux.» (1)







jeudi 7 juillet 2016

Les migrants ne savent pas nager. «Plus jamais ça!»
















Il était officier de marine marchande 
à l'époque des Boat People
Mais il avait ordre 
de ne pas participer au moindre sauvetage.
Un jour pourtant, 
Klaus Vogel n'y a plus tenu.
Il s'est dit «Plus jamais ça!».
A créé «SOS Méditerranée».
Et a affrété 
le navire Aquarius.
Histoire de sillonner les flots.
Pour venir en aide
aux migrants.



En hommage à tous les migrants qui tentent la grande traversée.
Et en mémoire de ceux qui n'ont pas réussi.


«Vous savez ce que sont les limbes?
Les limbes, ce n'est pas exactement l'enfer.
C'est un lieu qui se situe aux marges de l'enfer.
Je sais que la plupart d'entre vous savent beaucoup de choses sur ces gens qui sont en Libye et qui attendent de traverser.
Pour faire simple, je dirais qu'ils vivent là-bas comme dans un camp de concentration.
C'est de l'esclavage.
Nous sommes ici, à vingt miles d'eux, sur une mer trop dure à traverser pour eux.
C'est trop dangereux.
Ce qui m'inquiète et m'empêche de bien dormir -et vous aussi peut-être-, c'est le fait que nous nous trouvons en réalité sur une mer qui fait office de frontière.
Une frontière sans barrières.
Sans chiens.
Sans soldats.
Sans ordre de tirer sur les gens.
Mais une frontière qui tue quand-même.
Trois mille six cents personnes sont mortes ici l'année dernière.
Pour donner une base de comparaison: le rideau de fer entre les parties est et ouest de l'Allemagne a, lui, coûté la vie à 800 ou 900 personnes en trente ans. 
Les gens n'aiment pas affronter la réalité.
Et personne n'en parle vraiment.
Mais ici, sur l'Aquarius, nous vivons cette situation de l'intérieur.
La terre, l'eau, le feu et l'air seront toujours là.
Ils ne sont pas humains, mais nous, nous le sommes. 
Il nous revient donc d'humaniser cette mer. 
Et le message que nous pourrions envoyer d'ici, de ce navire, pourrait être que nous espérons que les Européens essayent de comprendre ce que la Méditerranée devrait devenir... 
Un espace humain pour les êtres humains, avec des droits, du respect, de la dignité, de la protection, des liens... 
Et non pas une mer meurtrière.» (1) 


Klaus Vogel


(1) Extrait du remarquable documentaire «Les migrants ne savent pas nager», de Jean-Paul Mari.