dimanche 7 mai 2017

Sen concitoyennes, Sen concitoyens...


















Avant de devenir 
haut fonctionnaire, 
banquier d'affaires, 
secrétaire général adjoint à la Présidence de la République, 
puis ministre de l'Economie, 
le désormais Président Emmanuel Macron 
avait tâté de la philosophie.
Inspiré du Français Paul Ricoeur, 
il l'est aussi de l'Américain John Rawls 
(dont ce Projet relationnel 
vous a assez largement entretenen son temps) (1) 
et de l'Indien Amartya Sen (photo ci-dessous). 
Soit deux très grands formats, 
ayant contribué à mettre le nouveau locataire de l'Elysée
au diapason d'un courant de pensée: 
le «libéralisme égalitaire».
Coup d'oeil sur un aspect 
de la foisonnante pensée 
du dernier nommé.
Qui, outre les honneurs 
d'un Prix Nobel
eut le privilège d'occuper, 
dans... le même temps, 
les chaires d'économie 
et de philosophie 
de la prestigieuse 
Université de Harvard


Amartya Sen entend mettre au coeur de l'économie une démarche éthique elle-même recentrée sur la liberté.
La liberté, oui.
Mais pas n'importe laquelle.
Une «liberté réelle».
Qui garantisse à chacun de pouvoir faire ou être ce qu'il valorise. 

Liberté, liberté réelle, combats avec tes défenseurs...

«Les revendications des individus ne doivent pas être jugées en fonction des ressources ou des biens premiers qu'ils détiennent respectivement, mais de la liberté dont ils jouissent réellement de choisir la vie qu'ils ont des raisons de valoriser.» (2)
Ecrit Sen.
Qui affuble ce qui doit être égalisé du doux nom de «capabilités».
Soit bien davantage que les «libertés formelles» qui renvoient à l'existence des ressources et à la garantie du droit formel d'y accéder.
C'est que, pour l'Indien, la qualité de vie ne se conçoit pas sans liberté de choix.
Et le fait de pouvoir choisir entre différentes possibilités est une composante essentielle de la richesse d'une vie.
D'où une conception spécifique du développement économique, appréhendé comme «processus d'expansion des libertés réelles dont jouissent les individus». (3)


Plutôt que de définir la pauvreté par rapport à un seuil déterminé de revenu, Sen propose de l'appréhender comme privation de certaines libertés fondamentales.
Et de préciser...
«La pauvreté d'une vie, dans cette perspective, ne tient pas seulement à l'état d'appauvrissement dans lequel vit effectivement une personne, mais également au manque de réelles opportunités -découlant des contraintes sociales aussi bien que des circonstances personnelles- de choisir d'autres types de vie.» (4)

Oyez, citoyens!

Dans ce schéma, l'action publique joue un rôle clé.
Charge à elle de ne pas envisager l'individu comme un bénéficiaire passif, mais aussi et surtout comme un agent capable de se montrer autonome dans ses choix de vie et de participer à la construction démocratique.
Les droits économiques et sociaux, c'est bien!
Les droits à l'autonomie et à la participation, c'est mieux!

Etat correcteur

Reste, pour permettre aux politiques publiques d'atteindre leur objectif de développement des capacités, à opter pour les bons moyens.
Sur ce plan, Sen prend nettement position en faveur d'un Etat intégrateur de l'action associative et correcteur par rapport aux activités de marchés qu'il ne convient ni d'exclure ni de remplacer.
Bienvenue, donc, à la complémentarité, pour autant qu'elle consente à se mettre au service d'un mot d'ordre commun: l'élargissement des libertés individuelles.
«De la sorte sont fortement remises en question toutes les formes d'action publique, même paternaliste ou bienveillante, qui cherchent à imposer des fonctionnements déterminés aux individus plutôt qu'à développer leurs capabilités ou leurs libertés réelles, expliquent le sociologue Jean-Michel Bonvin et l'économiste Nicolas Farvaque.
Cette remarque vaut pour les acteurs du marché et de la société civile, qui sont également invités à ne pas entraver la liberté de choix des individus.» (5)


Idéaliste, Amartya Sen?
Non, considèrent implicitement les auteurs précités.
Qui attirent l'attention sur le fait que le philosophe fonde son approche sur des observations empiriques, se démarquant par là de la plupart de ses confrères qui, comme Rawls, conduisent ce type de débat sur le plan plus abstrait des principes.
«L'enjeu n'est pas chez lui la promotion d'une société idéale, mais la progression vers une société plus juste, c'est-à-dire plus soucieuse du développement des capabilités.» (6)


(1) 1921-2002.

(2) Sen Amartya, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, Paris, 2000, p.122.
(3) Sen Amartya, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, Paris, 2000, p.13.
(4) Drèze Jean et Sen Amartya, India: Economic Development and Social Opportunity, Oxford University Press, New Delhi, 2002, p.11.
(5) Bonvin Jean-Michel et Farvaque Nicolas, Amartya Sen. Une politique de la liberté, coll. Le bien commun, Michalon, Paris, 2008, 113.
(6) Bonvin Jean-Michel et Farvaque Nicolas, Amartya Sen. Une politique de la liberté, coll. Le bien commun, Michalon, Paris, 2008, 119.