jeudi 28 juin 2012

Slow Science. Luxe nécessaire...













Est-il possible aujourd'hui, 
pour un scientifique, 
de récuser la course folle 
qui conduit à sacrifier la réflexion 
sur l’autel de délais toujours plus courts?
D'échapper à l’inquiétude qui le saisit 
lorsqu'il voit s’élever la pile des nouvelles publications 
sur le bureau d’un collègue. 
De s’offrir le «luxe», pour nourrir sa réflexion,
de folâtrer, de bricoler 
ou de s’absorber tout entier dans un problème
Difficile, estime Olivier Gosselain (1).
Et pourtant nécessaire...

Olivier Gosselain

Pour mieux cerner les termes de la réflexion à entreprendre, examinons brièvement le contenu des quelques appels en faveur d’une approche Slow Science. 

Symptômes et solutions

Le plus simple est de procéder chronologiquement, en commençant par Eugene Garfield. 
Ce dernier fustige l’image populaire d’un progrès scientifique essentiellement lié à une succession d’éclairs de génie et de découvertes fortuites. 
Les percées importantes, écrit-il, sont plus souvent issues de décennies de travail. 
Elles proviennent d’individus «qui labourent opiniâtrement un champ mûr pour une découverte, et qui sont préparés intellectuellement à reconnaître et exploiter des résultats inattendus». 
En matière de recherche, la lenteur et la constance l’emportent donc sur la vitesse et la versatilité. 
Le danger vient de la pression exercée par l’opinion publique sur les chercheurs – via les politiques de financement – dont on attend qu’ils obtiennent des résultats immédiats, dans des domaines qui changent sans cesse au gré de l’actualité. 
Ce que déplore Garfield, en définitive, c’est le déséquilibre actuel entre les recherches de type «curiosity driven» et «objective driven».

Dans un courrier adressé à Nature (2), Lisa Alleva (biochimiste) recentre la critique sur le comportement des scientifiques et particulièrement celui de ses jeunes collègues, engagés dans une course effrénée pour obtenir des financements, une direction de laboratoire ou une titularisation. 
Cette frénésie finit par les écarter des fondements mêmes de la recherche. 
«En me détachant des ambitions de mes pairs, j’ai découvert un secret, écrit-elle.
La science, la slow science, est peut-être le passe-temps le plus enrichissant et le plus agréable que l’on puisse avoir.» (3) 
L’origine de cette découverte? 
Un petit laboratoire dans lequel les chercheurs ont toute liberté de «lire la littérature, de formuler des idées et de préparer soigneusement (leurs) expériences», mettant en œuvre des «stratégies réfléchies.» (4)
Des idées du même ordre sont défendues par Dave Beacon, un physicien spécialisé en informatique quantique. (5)
Séduit par les appels au ralentissement dans de multiples domaines et soucieux de trouver un rythme de vie plus équilibré, il s’interroge...
«Quels changements faudrait-il pour faire advenir une “science plus lente”? 
Et que nous apporterait concrètement ce ralentissement?» 
En ligne de mire: la course folle qui conduit à sacrifier la réflexion sur l’autel de délais toujours plus courts –appels à projet, demandes de financement, publications, communications– ou l’inquiétude qui nous saisit lorsque nous voyons s’élever la pile des nouvelles publications sur le bureau d’un collègue. 
Refuser cette course ne revient pas à réduire sa quantité de travail, mais à transformer son rapport au travail. 
Et cela en s’offrant notamment le «luxe» de s’absorber tout entier dans un problème ou de folâtrer, courir ou bricoler pour nourrir sa réflexion. 
En se donnant le droit de savourer et partager les contributions qui nous émerveillent, plutôt que de se sentir obligé de les critiquer ou d’en produire une version légèrement altérée. 
En trouvant le temps, au final, de s’interroger sur ce que l’on recherche vraiment dans la recherche. 
Le problème est qu’il est très difficile d’atteindre des conditions propices à un tel recentrage lorsque les financements de projet privilégient systématiquement le court terme. 
Des programmes qui ne dépassent pas un horizon de quelques années (6) ont pourtant peu de chances d’engendrer des résultats satisfaisants, pour la simple raison qu’une recherche sérieuse impose souvent l’exploration méticuleuse d’innombrables culs-de-sac.

Notons que cet impératif du temps long est particulièrement cruel pour les programmes interdisciplinaires qui s’efforcent de dépasser la simple juxtaposition de domaines de recherche. 
Comme le constatent nos collègues F. Joulian, S. de Cheveigné et J. Le Marec, «(l)es équipes-projet qui font le pari de l’interdisciplinarité se trouvent (...) dans la nécessité de gérer les contradictions entre les exigences de résultats et retombées rapides de la recherche par projet, et le besoin de durée longue et de marges d’essais et d’erreurs, pour construire véritablement les conditions de l’interdisciplinarité.» (7)
Il en résulte une baisse marquée de la spéculation intellectuelle et de la créativité. 
Le formatage des projets commence d’ailleurs au niveau doctoral: pour espérer un financement, nos jeunes collègues se trouvent maintenant obligés de proposer des recherches balisées, qui sortent aussi peu que possible des sentiers battus. 
Annonçant pratiquement leurs résultats à l’avance, ils tentent ainsi de garantir le retour sur investissement. 
S’il fallait évaluer les projets de la génération précédente sur de telles bases, la plupart seraient tout simplement refusés. 
Quelle ironie, quand on pense que ses représentants occupent aujourd’hui les postes d’évaluateurs!

Science et longueur de temps...

Toute recherche comporte donc sa part d’incertitude et demande un temps considérable pour obtenir des résultats significatifs. 
C’est le leitmotiv des initiateurs de la «Slow Science Academy», qui a vu le jour à Berlin en 2010.  (8)

Dans leur manifeste (9), les auteurs se présentent comme des scientifiques qui ne remettent pas en question le fonctionnement actuel de la science (auquel ils prennent tous part), mais refusent qu’on la réduise à ces seules caractéristiques. (10)
La science, martèlent-ils, requiert du temps. 
Pour lire, pour se tromper, pour découvrir la difficulté de se comprendre –surtout entre sciences humaines et sciences de la nature–, pour digérer les informations et pour progresser. 
Afin de préserver ces bases, sur lesquelles s’est fondée la pratique scientifique durant des siècles, nos collègues allemands proposent la création d’un lieu inspiré des anciennes Académies, où se développait naguère le dialogue en face-à-face entre les scientifiques. 
Leur «Slow Science Academy» aura ainsi pour mission d’offrir une possibilité de retraite aux chercheurs, leur fournissant «de l’espace, du temps et par la suite des moyens, pour qu’ils puissent mener leur job principal : discuter, s’émerveiller, penser.» (11)

Quand plus personne n'a de temps pour rien...

Le dernier plaidoyer en date est un «Appel à un mouvement Slow Science» (12) lancé par un anthropologue français, Joël Candau. 
Ses griefs ont une teneur familière: 
. le temps nécessaire à la recherche manque de plus en plus dans le contexte actuel d’immédiateté, d’urgence, de flux tendus; 
. le fonctionnement des laboratoires impose la mise sur pied continue de projets que nous n’avons jamais le temps de mener correctement; 
. le mode d’évaluation des CV a entraîné une obsession de la quantité et la production de «milliers d’articles dupliqués, saucissonnés, reformatés, quand ils ne sont pas plus ou moins “empruntés”»; 
. les injonctions «d’innovation» et de «performance» poussent à sauter sans cesse d’un domaine à l’autre pour rester dans l’air du temps (et dans la compétition académique: c’est ce que l’Académie des Sciences française nomme «la chasse aux domaines à fort taux de citations et de publication» (13)). 
Quant à la dérive bureaucratique et la réunionite, elles «font que plus personne n’a de temps pour rien»: il faut se «prononcer sur des dossiers reçus le jour même pour une mise en œuvre le lendemain». 
La façon de combattre cette dérive? 
Donner «la priorité à des valeurs et principes fondamentaux».
Mais les propositions de Candau sont surtout d’ordre logistique et administratif: rééquilibrage des activités de recherche et d’enseignement, octroi de périodes strictement consacrées à la recherche, abandon de la bibliométrie dans les évaluations, réduction drastique du temps consacré aux tâches administratives, recentrage sur les questions de fond dans les activités de gestion. (14)(15)

(A suivre)

Olivier Gosselain

(1) Olivier P. Gosselain (photo du haut, à gauche) est professeur à l'Université libre de Bruxelles et Honorary research fellow au GAES de l'University of the Witwatersrand (Johannesburg).
(2) Alleva, L., 2006. Taking time to savour the rewards of slow science. Nature 443, 21 September: 271.
(3) Ibid.
(4) Lisa Alleva est aujourd’hui à la tête de son propre (petit) laboratoire, poursuivant des travaux sur le traitement de certaines maladies virales (voir ce lien, consulté le 17 juin 2011).
(5) Voir ce lien (consulté le 15 juin 2011). 
(6) Joulian, F., S. de Cheveigné et J. Le Marec, 2005. Évaluer les pratiques interdisciplinaires. Nature, Sciences, Sociétés 13 : 284-290 ; p. 286.
(7) Slow-science.org (consulté le 21 décembre 2010). Dommage que l’anonymat et le mode de présentation du site confèrent à cette « Académie » une totale opacité.
(9) Slow science manifesto (consulté le 21 décembre 2010).
(10) Evaluation par les pairs et classement des publications en fonction de leur impact, importance accordée aux médias et aux relations publiques, accroissement de la spécialisation et de la diversification dans toutes les disciplines, applications des recherches en vue d’accroître le bien-être et la prospérité (ibid.).
(11) Ibid.
(12) Daté d’octobre 2010, le document m’a été transmis par Agnès Jeanjean, avec laquelle j’ai souvent discuté des problèmes évoqués ici.
(13) Du bon usage de la bibliométrie pour l’évaluation individuelle des chercheurs, Rapport de l’Académie des Sciences remis le 17 janvier 2011 à Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Voir « Recommandation n°3, p. 6 » (voir ce lien, consulté le 14 juin 2011).
 (14) Ce message est publié avec l'autorisation de l'auteur, que nous remercions. Il constitue la deuxième partie d'un texte dont la suite sera proposée prochainement sur ce blog. Le chapeau, les deuxième et troisième intertitres ainsi que l'encadré sont de la rédaction. 
(15) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la Slow Science (par Olivier Gosselain),
. au rapport de la reliance à l'éthique (par Marcel Bolle de Bal),
. aux sociologie compréhensive, existentielle et clinique (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

En savoir plus sur le mouvement Slow...  
-> Be slow. Etre un activiste, cela veut dire quoi? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Be slow. Le slow activiste et la créativité. (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Be slow. Première expérience de slow activisme. (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne). 
- > Be slow. Le slow activiste est-il un funambule sans filet? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
- > Slow city. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement)
- > Slow travel. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement) 
- > Slow sex. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement) 

lundi 25 juin 2012

Slow Science. La désexcellence.



Le mouvement Slow Science
Une sorte de doigt d’honneur académique 
au Nouvel Ordre de la recherche. 
Celui-là même qui se retrouve 
en complet décalage 
avec les politiques développées par les institutions nationales 
et internationales. 
Il y a de plus en plus loin, 
en effet, 
entre les valeurs traditionnelles 
de la science 
et les injonctions 
de productivité, 
de rentabilité et d’immédiateté 
dorénavant ressassées 
par les managers académiques.
Dixit, ici, un professeur 
de l'Université Libre de Bruxelles

Olivier Gosselain

Ça a commencé comme ça. 
Une poignée de collègues issus de disciplines différentes, l’envie de travailler ensemble, un financement de cinq ans, des séminaires réguliers où le plaisir d’échanger se mêlait à un sentiment grisant de progression et, au final, des objets d’étude, des rencontres et des résultats qui dépassaient de loin nos attentes initiales. (2)
Une belle histoire de recherche, en somme, pour une petite communauté regroupant des académiques, des doctorants et des étudiants.
Le groupe n’avait pas en commun que des objectifs scientifiques. 
Il partageait aussi une conception de la recherche et des relations entre chercheurs centrée sur la convivialité, l’intelligibilité, l’échange et la volonté de bien faire son travail. 
Rien de révolutionnaire à première vue. 
Mais le décalage avec les politiques de recherche développées par nos institutions nationales et internationales était pourtant flagrant. 
Il y avait loin, en effet, entre ces valeurs et les injonctions de productivité, de rentabilité et d’immédiateté inlassablement ressassées par nos managers académiques.

Frappés par ce décalage et convaincus que notre façon de procéder était humainement et scientifiquement plus satisfaisante, nous avons esquissé l’idée d’un mouvement Slow Science –sorte de doigt d’honneur académique à ce Nouvel Ordre de la recherche. 
La filiation avec Slow Food était d’autant plus évidente que deux des valeurs qui nous tenaient à cœur étaient le plaisir et la créativité
Ici encore, rien de révolutionnaire. 
Retirez ça de la recherche: que reste-t-il ?

Le hasard a fait que nous avons été soumis quelques temps plus tard à une évaluation de laboratoire. 
L’outil destiné à mesurer nos performances était un formulaire standard, sorte de canif suisse du coaching en entreprise, avec son inévitable analyse SWOT (3)
C’était déconcertant de naïveté et presque embarrassant à remplir. 
Mais à une question au moins, portant sur notre conception de la recherche, nous avions apporté une réponse sincère: plaisir et créativité. 
Ce fut le point de rupture pour les duettistes en costume sombre qui pilotaient le groupe d’évaluation. 
De tels termes, nous affirmaient-ils, étaient tout simplement inacceptables. 
Indignes de figurer sur un formulaire d’évaluation et preuves évidentes de notre manque de sérieux.

Émergence d’une communauté

Les évaluateurs et leur rapport sont sortis de notre vie aussi rapidement qu’ils y étaient entrés. 
L’histoire serait donc sans conséquence, si elle ne soulignait l’énorme décalage qui s’est installé entre une conception bureaucratique de la recherche, fondée sur les préceptes de l’économétrie et de la communication d’entreprise, et sa pratique concrète, fondée sur l’engagement mutuel de chercheurs qui s’efforcent avant tout de faire honnêtement leur travail. 
Elle conduit également à s’interroger sur ce qu’apporte cette «excellence» dont on nous rebat inlassablement les oreilles en termes de satisfaction et de réalisation personnelles.

Nous sommes manifestement nombreux à nous poser la question. 
Une petite recherche sur le Net confirme d’ailleurs que les bonnes idées naissent rarement seules: la notion de «Slow Science» est dans l’air depuis vingt ans au moins. 
Apparue très paradoxalement sous la plume d’Eugene Garfield (4), le père de la bibliométrie et de «l’impact factor» (5), elle a ensuite été sporadiquement mentionnée par des chimistes et physiciens américains ou australiens, avant de faire son apparition en Europe dans l’univers des sciences humaines. 
Ce passage des sciences de la Nature aux sciences de l’Homme et du monde anglo-saxon à l’Europe (à l’exception notoire de l’Angleterre) correspond grosso-modo à la trajectoire historique des politiques de recherche centrées sur la compétitivité et la productivité. 
Les occurrences du concept de Slow Science se lisent ainsi comme les symptômes d’un malaise qui n’a cessé de s’étendre durant les dernières décennies. 
Toutes apparaissent d’ailleurs indépendamment les unes des autres, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène de mode, mais d’un mouvement de fond, né de la prise de conscience d’un problème par les acteurs eux mêmes, et d’une tentative de réponse remarquablement convergente.
Un aspect fondamental de cette convergence est qu’elle nous prémunit de toute tentative de confiscation du concept. 
Inutile de sombrer nous aussi dans la compétition et l’enfermement. 
Si Slow Science peut devenir un mouvement permettant à la fois de nous transformer nous mêmes et de transformer notre univers de travail, c’est probablement à la façon d’un logiciel libre (6)
L’approche classique –centralisée et experte– devrait en effet céder la place à une construction collective, plus apte à faire émerger une forme stable et cohérente de résistance. 
Au lieu de mouvement, on parlera alors de communauté. (7)

(A suivre)

Olivier Gosselain

(1) Olivier P. Gosselain est professeur à l'Université Libre de Bruxelles et Honorary research fellow au GAES de l'University of the Witwatersrand (Johannesburg).
(2)  Voir Gosselain, O.P., R. Zeebroek et J.-M. Decroly (eds), 2008. Des choses, des gestes, des mots. Repenser les dynamiques culturelles. Paris : Editions de la MSH (Techniques et Culture 51).
(3) « Strenghts, Weaknesses, Opportunities, Threats ». C’est sur cette base que s’élaborent les plans stratégiques dans les milieux d’affaire et, depuis quelques années, dans les universités.
(4) Garfield, E., 1990. Fast Science vs. Slow Science, Or Slow and Steady Win the Race. The Scientist 4(18) :14.
(5) Outils statistiques servant de balises actuelles à la gestion des carrières scientifiques. Pour l’Europe et dans le domaine des sciences humaines, le classement des revues (European Reference Index for the Humanities) a été initié par la European Science Foundation au début des années 2000 et concrétisé en 2007. Cet outil, qui n’a fait qu’accroître la pression sur les chercheurs (particulièrement les plus jeunes) et renforcé la position hégémonique de certaines universités, est présenté comme une progression favorable, émancipatrice et garante de la diversité des cultures scientifiques européennes. Les formules qui égrènent le texte de présentation laissent en tout cas peu de doute sur la culture dans laquelle baignent ceux qui pilotent l’initiative : « …how the community of European humanities researchers can best benchmark its outputs… » ; « … systematic turnover of panel membership was also implemented… » ; « … impact and… appropriate evaluation mechanisms for humanities research…» ; « … to raise the threshold of editorial standards… » ; « …to meet stringent benchmark standards… » (voir ce lien , consulté le 17 juin 2011).
(6) Du moins ceux qui se fondent, comme Linux, sur un style de développement de type « bazar », pour reprendre la terminologie d’Eric Raymond (voir ce lien, consulté le 15 juin 2011).
(7) Ce message est publié avec l'autorisation de l'auteur, que nous remercions. Il constitue la première partie d'un texte dont la suite sera proposée prochainement sur ce blog. Le chapeau et l'encadré sont de la rédaction. 


En savoir plus sur le mouvement Slow...  
-> Be slow. Etre un activiste, cela veut dire quoi? (Culture-Multimédia, Atelier Multimédia-Communication Citoyenne).
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- > Slow sex. (Le slow mouvement, le blog qui traite du slow mouvement) 

vendredi 22 juin 2012

Actu. Collectif Roosevelt: «C'est grave, docteurs !»

 
Tous à l'Assemblée Nationale!
Le mot d'ordre est lancé par le Collectif Rossevelt 2012.
Qui fixe rendez-vous,
ce 26 juin, au très parisien Palais Boubon.
Histoire de faire pression sur les députés.
Histoire, aussi, de rappeler 
à ces (souvent) docteurs es choses économiques
politiques et/ou diplomatiques
leurs devoirs de créativité et d'humanité. 

Ça y est! 
La gauche a les pleins pouvoirs. 
Mais alors que la nouvelle Assemblée Nationale va se mettre au travail, le président de la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme.
 
Tous ensemble, tous ensemble...

«Pour pousser nos députés à l'audace, pour leur dire la gravité de la situation et leur présenter les solutions de Roosevelt 2012, nous proposons d’aller tous ensemble, le 26 juin, mardi prochain, devant l'Assemblée, expliquent Emmanuel Poilane et Pierre Larrouturou.
C'est le jour de la rentrée parlementaire. 
Il y aura tous les député(e)s et un très grand nombre de journalistes.
Rendez-vous est donné à 10 heures place du palais Bourbon, derrière l’Assemblée, devant le café Le Bourbon, pour la journée.
Pour celles et ceux qui peuvent venir une heure ou deux, sachez que les moments importants seront:
de 10h à 11h, avant les réunions des groupes (les députés de chaque groupe se réunissent pour réfléchir à leur organisation à 11 h);
- de 12h30 à 14h45, pendant les allers-retours des députés et des journalistes entre l'Assemblée et les bureaux ou les restaurants du voisinage;
entre 18h et 20h, à la sortie des députés, après la séance.
Des affiches illustreront nos analyses. 
Des documents expliquant les propositions de notre collectif seront distribués aux députés et aux journalistes.
Nous comptons sur votre présence  pour montrer aux élus que des citoyens se mobilisent nombreux pour faire vivre la démocratie.
A une semaine du discours de politique générale qui va "fixer le cap", ce moment est important: il faut que nous soyons le plus nombreux et le plus convaincants possibles.
»
A ceux qui pensent venir, il est demandé de s'inscrire, via un petit formulaire qui permettra de faciliter l'organisation.
Mais encore... 
. Soutenez le collectif Roosevelt 2012: faites un don à Nouvelle Donne.

mercredi 20 juin 2012

Actu. Rio: et plus si affinités ?

 
Le Sommet de la Terre s'est ouvert ce mercredi 20 juin, 
à Rio de Janeiro.
Objectif: transition.
Transition vers un nouveau modèle de croissance.
Transition vers les énergies renouvelables 
et la gestion raisonnée des ressources.
Transition vers l'insertion des plus pauvres.

Deux décennies après le «Sommet de la terre de Rio» et une décade après le «Rio+10» de Johannesburg, la troisième «Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement» (ou «Rio+20») se déroule ces 20, 21 et 22 juin 2012.
A Rio donc. 
Un retour aux sources fort sympathique. 
Mais qui risque bien de se heurter aux écueils 
. de la crise économique mondiale, 
. de la fragilité politique des pays du Nord, 
. des divergences de points de vue entre Nord et Sud. 
Dans ce contexte, on se contentera sans doute de faire le bilan des vingt dernières années.
Et plus si affinités?
Rares sont ceux, en tous cas, qui osent miser sur un accord digne de ce nom.
L'occasion, peut-être, d'une bonne surprise.
L'opportunité en tout cas de quelques précieuses révisions. 
Avec, d'abord, un petit rappel (grâce au Programme des Nations Unies pour le Développement) de ce que sont les Objectifs du Millénaire.
. Avec, aussi, le discours, en 1992, d'une jeune fille, Severrin Suzuki, qui n'hésita pas à remettre les dirigeants du monde à leur place en y allant, à l'ONU, d'un discours extrêmement fort se concluant de la sorte: «Faisons-nous seulement partie de vos priorités? Mon père disait: "Tu es ce que tu fais, pas ce que tu dis." Ce que vous faites me fait pleurer la nuit. Vous continuez à dire que vous nous aimez. Mais je vous mets au défi: s’il vous plaît, faites en sorte de faire coïncider vos paroles et vos actes(1)
. Avec, pour suivre, un bilan des actions passées (d'après Oxfam).
. Avec, par ailleurs, une infographie (signée Youphil).
. Avec, last but not least, un Rio+20 pour les nuls (également réalisé par «Le média de toutes le solidarités»).
. Avec, enfin, une pétition initiée par l'épistémologue de l'économie Christian Arnsperger (de l'Université Catholique de Louvain): «A tous les citoyens, et aux décideurs politiques en particulier: Manifeste pour une sortie de crise par l'écologie et par le civisme.»

(1) Voir aussi l'interview récente de la femme qu'elle est devenue.

mardi 19 juin 2012

Actu. Questions pour un... Plihon !

Peut-on réguler l'économie 
à l'heure de la mondialisation? 
Et, le cas échéant, comment s'y prendre?
Deux questions que Dominique Plihon (1) 
s'apprête à se poser. 
Ce 20 juin, à l'Université Populaire d'Amiens.

La crise bancaire américaine de 2008, rapidement étendue à l’échelle planétaire?
Les désastres sociaux provoqués par les délocalisations des entreprises industrielles?
Les menaces d’atteintes irrémédiables portées à la nature et à la vie?
Le jeu pervers de la spéculation sur la dette des Etats?...
Autant de faits massifs et redoutables qui rappellent à ceux qui en douteraient encore que la vie économique des sociétés ne peut, sans risques de dévastations catastrophiques, être abandonnée aux seuls acteurs du monde financier.
 
Projets alternatifs

L’entrée dans l’ère de la modernité politique se marque par l’expression de la volonté des peuples de maîtriser leurs destins communs. 
Conquête constamment menacée, longtemps réservée aux possédants, la démocratie représentative a d’abord laissé à l’extérieur du champ d’action de l’Etat l’organisation de la production et des échanges.
Il aura fallu la révolution industrielle et l’intensité infernale de l’exploitation du travail à l’époque du «capitalisme sauvage» pour que surgissent des projets économiques et sociaux alternatifs au libéralisme alors hégémonique et pour que, tardivement, soient prises en compte les revendications du monde ouvrier par un pouvoir politique réticent à légiférer dans ce domaine, et à limiter ainsi le pouvoir jusqu’à lors sans contrôle des entrepreneurs capitalistes.

Savants propos...

En ce début de XXIème siècle, on peut encore entendre de savants propos soutenir que la destruction, certes douloureuse pour de larges parties de la population, de secteurs devenus obsolètes de l’appareil de production est la condition même de l’essor économique. 
Aux individus de savoir s’adapter aux évolutions d’un système indifférent aux souffrances humaines et soumis à sa seule logique interne, celle de la maximisation du profit. 
Nul doute qu’un plus grand bien en résultera pour le plus grand nombre et vouloir contrarier ce processus serait aussi contreproductif qu’obscurantiste.
La faillite des Etats qui avaient mis en œuvre la planification quasi intégrale de leur vie économique constitue un épouvantail commode pour les tenants de la soumission aux
lois «naturelles» du marché, érigé ainsi en nouvelle divinité tutélaire! 
En matière d’économie, la sagesse consiste, recommandent ces experts avisés, à renoncer à toute velléité d’orienter les processus en fonction d’une idée, soumise à délibération, du bien commun et la liberté doit cesser de s’exercer au seuil de ce monde régi par un providentiel pouvoir d’autorégulation.

Prise de position

Cette confrontation entre partisans de la soumission aux impératifs absolus du fonctionnement «naturel» de l’économie et citoyens aspirant à l’exercice de leur responsabilité collective y compris à l’égard de cette composante substantielle de la vie sociale est toujours celle au sein de laquelle nous avons à nous situer et à prendre position. 
Elle continue à nous concerner de manière fondamentale.
 
S'il te plaît, dessine-moi une solution...

Depuis près d’un siècle maintenant, l’option «social-démocrate» ou «réformiste» a entrepris de réguler le fonctionnement d’une vie économique dont les entreprises privées restent des acteurs essentiels mais non uniques. 
Dans une conjoncture économique critique et alors que la France vient d’élire un Président de la République qui a déclaré n’avoir pour seul ennemi que la finance, il sera demandé à Dominique Plihon d'expliquer...
. comment nous pouvons étendre notre pouvoir citoyen au sein de cette composante de la vie sociale qui n’a aucune vocation rationnelle à rester hors d’atteinte de la décision démocratique,
. comment cela peut s’envisager alors que les circuits économiques se sont fortement internationalisés, autrement dit, qu’ils échappent aux contrôles des législations restées nationales.
 

En bref
Quoi?
Une conférence-débat organisée dans le cadre du cycle Choses publiques:  "Peut-on, et comment, réguler l'économie à l'heure de la mondialisation?"
Qui?
Un conférencier: Dominique Plihon (1), professeur d'économie à l'Université Paris XIII.
Un organisateur: l'Université Populaire d'Amiens.
Où? 
Maison du Théâtre.
Rue des Majots, 8.
Amiens.
Quand?
Le mercredi 20 juin, à 19h30.
Combien?
Entrée libre.
Mais encore... 
Renseignements et réservations: 0(033)3 22 71 62 90.
Relations presse: Véronique Chapeyrou, 0(033)3 22 71 62 99,
v.chapeyrou@amiens-metropole.com

(1) Dominique Plihon est Professeur de sciences économiques à l’Université de Paris-Nord au sein de laquelle il dirige le pôle spécialisé en économie financière et l’école doctorale Erasme (Lettres-SHS). Il a été chargé de mission à la Banque de France, membre du Commissariat Général au Plan (1983-1994) et également membre du Conseil d’Analyse Economique (2001-2004).
Ancien militant à la CFDT et au PSU, il préside, depuis 2001, le conseil scientifique d’ATTAC, participe au réseau des « Economistes Atterrés » et au Comité citoyen pour l’audit de la dette. 
Il est également membre du Conseil de rédaction de l’hebdomadaire Alternatives économiques et l’un des invités réguliers de l’émission L’économie en questions de Dominique Rousset diffusée sur France-Culture le samedi de 11 à 12 heures.
Auteur de plusieurs rapports pour le Commissariat Général au Plan et le Conseil d’Analyse Economique publiés à la Documentation Française, il a participé à la rédaction de plusieurs ouvrages collectifs tels que:
. Changer d’économie ! Nos propositions pour 2012, Les Economistes Atterrés, 2011;
. Le piège de la dette publique, Comment s’en sortir ? ATTAC, 2011;
. Quelles leçons de la crise pour les banques ? Documentation Française, 2012;
. Le savoir et la finance. Liaisons dangereuses au cœur du capitalisme contemporain, avec E.M. Mouhoud, Ed. La Découverte , 2009.
En son nom propre, il a, entre autres, signé:
. Les taux de change, Ed. La Découverte, 2012;
. Le nouveau capitalisme, Ed. La Découverte, 2009;
. La monnaie et ses mécanismes, Ed La Découverte 2008.

lundi 18 juin 2012

Actu. Le G20 nouveau est arrivé.


Le G20 nouveau est arrivé.
L'occasion d'un triple rappel.
Celui, schématique, de ce qui s'est décidé 
lors du précédent épisode, à Cannes (ci-dessus).
Celui, contextuel, de ce que sous-tend cet acronyme.
Et celui, actualisé, de son ordre du jour mexicain.  

D'après Oxfam

Le G20, ou groupe des vingt, regroupait initialement les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales des vingt puissances économiques (dans les faits, il s’agit de 19 pays, auxquels s’ajoute l’Union européenne) qui se rassemblaient une fois l’an pour discuter d’enjeux clefs sur le plan de l’économie mondiale. 
Depuis 2008, ces réunions se font au niveau des chef-fe-s d’Etat et de gouvernement. 
Ensemble, les économies du G20 représentent les deux tiers de la population mondiale et plus de 80% du Produit mondial brut (PMB). 
Le G20 s’est lui-même affiché comme étant le premier forum mondial sur les questions liées au développement économique, plaçant donc la barre très haut.
Ces quatre dernières années, d’importants engagements sur le développement ont été pris lors des sommets du G20. 
Et il ne tient qu’à nous de rappeler nos dirigeant-e-s à leurs responsabilités. 
En 2009, le G20 lançait un cadre pour une «croissance équilibrée, durable et solide». 
Pour le mettre en œuvre, ils affirmaient qu’ils lutteraient contre les paradis fiscaux, tiendraient leurs engagements en matière d’aide publique, et veilleraient à ce que les populations les plus pauvres au monde disposent de la nourriture, du carburant et des financements dont elles ont un besoin vital. Mais jusqu’à présent, il y a eu bien peu d’actes.

A l'ordre du jour... 

Cette année, le gouvernement mexicain accueille le G20 à Los Cabos, au Mexique, ces lundi 18 et mardi 19 juin. 
En tant que président du sommet, le gouvernement mexicain a défini un ambitieux ordre du jour pour encadrer les discussions...
1. Stabiliser l’économie mondiale et engager des réformes structurelles au service de la croissance et de l’emploi.
2. Renforcer le système financier et promouvoir l’inclusion financière pour soutenir la croissance économique.
3. Améliorer l’architecture financière internationale dans un monde interconnecté.
4. Accroître la sécurité alimentaire et régler le problème de la volatilité des prix des produits alimentaires et des matières premières.
5. Promouvoir le développement durable, la croissance verte et la lutte contre le changement climatique.
Déjà découragé-e? 
Certes, les dirigeant-e-s du G20 sont confronté-e-s à des défis considérables, de même que tous ceux et celles qui sont affecté-e-s par la crise économique mondiale– et il ne s’agit pas de le nier. 
Mais les personnes les plus durement touchées sont celles qui sont maintenues dans le cycle de la faim et de la pauvreté. 
Aujourd’hui même, une personne sur sept s'endormira, ce soir comme chaque nuit, la faim au ventre. 
Cela représente près d’un milliard de personnes à travers le monde. 
Et, alors que les marchés comme le climat deviennent imprévisibles, les prix alimentaires flambent, empêchant des millions d’individus de sortir de la pauvreté.  
Il est essentiel de saisir cette opportunité pour introduire des pratiques de développement équitable et durable et répondre promptement aux crises qui nous frappent aujourd’hui. (1)(2)

D'après Oxfam 

Que peut-on faire ?

Pendant que les équipes d'Oxfam plaident en coulisse en faveur de politiques du G20 qui contribueraient à mettre un terme à la pauvreté et à la faim, nous avons vraiment besoin de votre aide. 
Tweetez votre message au G20 en utilisant le mot-clef #tweetG20. Nous apporterons vos tweets lors du sommet de Los Cabos. 
Vous pouvez tweeter votre propre message, comme ceux ci-dessous:
#tweetg20 : Ce soir, 1 personne sur 7 s’endormira la faim au ventre. Le #G20 doit remettre le système alimentaire sur la bonne voie.
#tweetg20 : Les prix de produits alimentaires de base (riz, blé, maïs) risquent de doubler d’ici 2030. Le #G20 doit réagir #tweetg20.
#tweetg20 : Si la faim avait continué à reculer comme avt mi-90, 413M de personnes n’en souffriraient plus auj. Le #G20 doit agir #tweetG20.
#tweetg20 : + de la moitié des 1,3 milliard de personnes ds le mde qui vivent avec moins d’1,25$/jour résident ds 1 pays du #G20 #tweetG20.
Nous pouvons toutes et tous faire la différence. 
Aujourd'hui, c'est à vous de faire entendre votre voix !

D'après Oxfam

(1) Ce message relaye ici Oxfam, en reprenant intégralement un présentation récemment parue sur son site.
(2) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la Slow Science (par Olivier Gosselain),
. au rapport de la reliance à l'éthique (par Marcel Bolle de Bal),
. aux sociologie compréhensive, existentielle et clinique (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

jeudi 14 juin 2012

« Reliance », « médiance » et « interstances » ... R.M.I. du développement.

Reliance.
Médiance.
Interstances.
Trois notions mystérieuses
dont Marcel 
Bolle de Bal (1)
fait notre... Revenu 
Minimum 
d’Insertion!
Minimum pour contribuer 
au développement social.
Minimum pour participer 
à la gestation de la société hypermoderne
Minimum pour en réussir la construction...

Marcel Bolle de Bal

Le titre de cette contribution peut paraître mystérieux, ce qui est bien normal. 
Il a pour vocation d’exciter notre curiosité, de solliciter notre imagination. 
Il comporte trois termes peu courants:
- reliance, notion qui m’est chère, qu’Edgar Morin et Michel Maffesoli, entre autres, utilisent à de fréquentes reprises;
- médiance, un vocable forgé par Augustin Berque;
- interstance, un concept mis en avant par deux collègues belges, Jean-Louis Darms et Jean Laloup.

Qui ne perçoit immédiatement que ces trois notions –étroitement reliées entre elles– évoquent irrésistiblement celle d’intermédiation au cœur de notre réflexion collective? 
N’y a-t-il pas, dans cette dernière notion, de l’inter, de la médiation et finalement du lien social, bref des interstances, de la médiance et de la reliance?

La thèse que je souhaite défendre peut, de façon synthétique, être formulée comme suit : les trois notions évoquées –Reliance, Médiance, Interstances– constituent le R.M.I. (revenu minimum d’insertion) indispensable pour contribuer efficacement au développement social, pour participer à la gestation de la société hypermoderne (2) pour, d’un point de vue à la fois théorique et pratique, s’insérer dans cette société et en réussir la construction.

Tentons donc d’étayer ce point de vue.

LA RELIANCE, C'EST BIEN PRATIQUE... (3) 


La reliance est un concept-charnière, duel, interprétatif et opérationnel...

Liens sociaux et liens scientifiques: 
la charnière de la reliance

 L’intérêt épistémologique du concept de «reliance» et plus particulièrement de celui de «reliance sociale» me paraît résider dans le fait qu’il se situe à l’articulation d’au moins trois approches du lien social:
. une approche sociologique (la médiatisation du lien social et la création de rapports sociaux complémentaires),
. une approche psychologique (l’aspiration à de nouveaux liens sociaux),
. une approche philosophique (les liens manifestes ou latents entre reliance et religion).

Or la sociologie existentielle que je souhaite voir s’élaborer progressivement (4) suppose une ouverture vers les disciplines complémentaires, trop souvent ignorées ou négligées: la philosophie et la psychologie notamment.

Ce que Jean Maisonneuve écrit à propos du concept «groupe de référence» me paraît applicable, mutatis mutandis, au concept de «reliance»: «il s’agit d’un concept charnière indispensable en psychosociologie, il permet de relier les situations collectives où l’individu est sans cesse immergé (au sein de tel groupe, près de tel compagnon) et les processus psychologiques qui confèrent leur sens à ces situations en fonction d’une dynamique personnelle» (5).

La reliance avait un complice:
un concept duel 

Mes recherches et réflexions les plus récentes m’ont amené à considérer que plus que le seul concept de reliance, c’était le couple conceptuel déliance/reliance qui pouvait le mieux rendre compte des réalités humaines contemporaines: la reliance ne peut –théoriquement et pratiquement– être dissociée de la déliance, son double antagoniste et complice.

La reliance est une réalité «duelle», dialogique (6) et paradoxale: avec la déliance, qui lui est toujours liée, elle forme un couple soumis à des logiques différentes et complémentaires, toutes deux nécessaires à l’existence de la vie psychique, sociale et culturelle.

Le jour nouveau de la reliance:
un concept interprétatif  

Ce concept-charnière et «duel» ne présente pas qu’un intérêt théorique abstrait.
Il permet de rendre compte et surtout d’éclairer d’un jour nouveau des procès de reliance visant à la création de liens sociaux nouveaux, en rupture avec les structures de reliance instituées.
Dans le cadre d’un ouvrage collectif (7), il a pu être utilisé de la sorte pour décrire des phénomènes aussi divers que le désir de liaison, l’Etat-Nation, le devenir de la société civile, la reliance par le travail, la phénoménologie du deuil et de la mort, la reliance religieuse, les images et les émotions, la musique et les jeunes, la tentation communautaire, la reliance interculturelle, l’expatriation professionnelle, la dynamique des groupes, etc.
Il devrait en être de même pour relier entre elles les diverses contradictions de la présente réflexion sur l’intermédiation.

Opération reliance:
un concept opérationnel 

Mais la reliance, par delà les interprétations qu’elle favorise, se révèle un concept opérationnel, très fécond pour la définition et la mise en œuvre de divers chantiers d’intervention dans le champ des sciences humaines: en particulier pour des actions de formation et de travail social, mais également pour des pratiques psychologiques, psychanalytiques, ergonomiques, organisationnelles.
En témoignent plusieurs des contributions réunies dans l’ouvrage collectif déjà cité, consacré à la reliance, ses théories et ses pratiques et beaucoup de celles ici réunies, même si elles n’utilisent pas ce concept relativement neuf.

Une affaire de famille: 
reliance, médiation et intermédiation   

L’idée de médiation, précédemment évoquée, est importante non seulement parce qu’elle est un proche cousin de celle d’«intermédiation», mais aussi parce qu’elle étaye la dimension sociologique de ce concept-charnière entre psychologie et sociologie.

La reliance –nous l’avons dit– suppose en effet des rapports sociaux médiatisés, c'est-à-dire un procès de médiatisation (procès de reliance), une structure de médiation (structure de reliance), le résultat de cette médiation (le lien de reliance).

Or cette idée de médiation, au cœur même de celle d’«intermédiation», sous-tend le rapprochement légitime qui peut être fait entre les concepts de reliance et de médiance, second terme de notre R.M.I. hypermoderne.

MEDIANCE: VALORISER LA PARTICULARITE DE CHACUN

Le terme de médiance –très intéressant car il évoque précisément cette idée de médiation, de lien, de reliance, d’intermédiation– a été avancé par Auguste Berque.

Celui-ci, cherchant à rendre compte des diverses dimensions de la culture et de l’espace japonais (8), a construit ce vocable par la combinaison de trois éléments (9): «medi» (c'est-à-dire la racine latine de «milieu»), «ambiance» et «médiante» (terme de musique qui désigne en harmonie le troisième degré de la gamme, entre tonique et dominante, et qui forme la tierce).
Nous retrouvons donc, au cœur de la médiance, cette idée de tiers médiateur qui fonde les liens de reliance… et les pratiques d’intermédiation.

Le concept de «médiance» tend à exprimer une dimension propre du milieu, et ce à partir de trois notions japonaises (10): fudo, en et engawa, lesquelles évoquent notamment la plate-forme ou la véranda entre la maison et le jardin (l’on connaît la valeur symbolique des jardins japonais), c'est-à-dire un système médiateur (une structure de reliance) reliant la maison (= la culture) et le jardin (= la nature), le social et le physique, l’existence sociale et l’existence naturelle.

Cette médiance, dimension propre du milieu, fait et donne sens. Les deux –la médiance et le sens– tendent à se dissoudre à l’occasion de deux mouvements symétriques: vers la périphérie d’un milieu, et dans l’appropriation d’un lien singulier (à l’extrême, celle du corps d’un sujet).
Il y aurait alors variation de la médiance, comme densité de sens (11).

La médiance, en tant qu’expression géographique et historique, de l’alternance (de la reliance) nature/culture fonde à la fois (12):
- l’illusion (subjective) qui nous fait souvent paraître naturel ce qui résulte en fait de la culture et de l’histoire ;
- la possibilité (objective) que l’action humaine embraye sur la nature, et vice versa ;
- la volonté qu’a l’homme de créer la nature, de la dépasser dans son domaine propre.

La médiance implique une organisation du rapport de chaque lieu avec chacun de ses voisins de telle sorte que la particularité de chacun soit valorisée.

Michel Maffesoli voit en elle, à l’ère de la post-modernité, le vecteur de l’être-ensemble social, de la constitution de la société: une apparence au creux de laquelle se dévoile en profondeur la reliance en ses multiples facettes (13).

Là, le temps (procès de reliance) se contracte en espace (structure de reliance) afin de «former» la société (liens de reliance).

En, creuset de la médiance, est un concept qui renvoie à de nombreux termes tenant du lien et de la bordure.

Se fondant sur une logique du tiers non exclu (14), il suppose que A n’existe véritablement que dans sa relation C avec une entité B, et réciproquement C, troisième terme médiateur (structure de reliance) tient de A et de B, mais n’est ni l’un ni l’autre: la bordure participe de A mais n’est pas A, suppose la présence de B mais n’est pas B.

De même, au Japon, l’intermédiaire de mariage est un homme du milieu, garant des unions, et donc bien plus qu’un simple entremetteur (intermédiateur): il incarne, matérialise la relation (15).
C’est en quelque sorte, une «interstance», pour avancer dès à présent une notion qui sera développée dans quelques instants.

Notons ici une différence entre la médiance européenne et la médiance nippone: l’originalité de cette dernière réside dans son respect des interstices et des espacements, des vides et des silences, des failles «que l’on aura garde d’obturer, car d’elles vient le réel»(16).
Nulle médiance, en fait, n’est transposable: c’est l’intimité avec un milieu, dans la multiplicité de ses langages, mais surtout au-delà de tout langage, dans l’imaginaire enraciné au creux de la médiance, qui nourrit la communication réelle.
Une communication à contre-sens, comme le suggèrent les promoteurs des «interstances»(17).

INTERSTANCES: LA RELIANCE, EN SUBSTANCE...

Jean-Louis Darms et Jean Laloup se font en effet les hérauts de ces «interstances», «inter» qui selon eux, relient les substances, les nourrissent et sont nourris par elles – bref, en quelque sorte, les substances de la relation, des reliances.

Leurs conceptions, à cet égard proches de la culture japonaise, tendent à rejeter le substantialisme, cette pensée substantialiste qui suppose que tout être dispose d’un substrat, d’un «noyau dur» lui assurant stabilité et permanence.
A l’encontre de ce type de pensée, laquelle considère qu’il faut des termes constitués pour établir une relation, l’approche «interstantialiste» qu’ils défendent pose qu’il faut un «entreterme» pour que surviennent les termes (18).

Les inter ou les interstances seraient des énergies non pas allant de A à B et de B à A, mais surgissant «entre» A et B, les unissant et les séparant, les reliant et les déliant à la fois.
Ce seraient des agents de communication, d’information et de reliance, et non la relation elle-même.
Dès lors ces auteurs proposent de partir des reliants plutôt que des reliés (19), et d’arriver à concevoir que les personnes elles-mêmes sont peut-être le principal obstacle à la communication, à la reliance. 
La personne est moins la source de relations qu’un confluent de reliances, semblables au carrefour d’une cité encombrée: à la fois un «vide» vers lequel convergent des relations de tous ordres, et un «plein» qui, à l’instar d’un agent de la circulation, arrête, accélère, déroute, favorise ces relations (20).

Non seulement ce type de réflexion s’inscrit dans la perspective de la philosophie orientale, mais il rejoint également les enseignements de la physique moderne, pour laquelle le monde matériel est dénué de «logique fondamentale»(21), et les thèses d’un sociologue aussi renommé que Norbert Elias (22): pour ce dernier, lui aussi en lutte contre les excès du substantialisme, il est essentiel de penser le monde comme un tissu de relations, de dépendances réciproques qui lient et relient les individus les uns aux autres.
Les images qu’il suggère pour rendre compte de cette société maillée par les interstances, sont celles de la danse, du jeu d’échecs et de la partie de cartes (où les acteurs sont reliés par le fait qu’ils sont à la fois partenaires et adversaires, que leurs actes sont en inter-relation avec ceux de ces partenaires ou adversaires), ou encore celle du filet, des multiples fils reliés et reliants.
Les « interstances » de Darms et Laloup ne sont-elles pas les agents symboliques de cette théorie de l’inter-dépendance et des configurations chères à Elias n’éclairent-elles pas le phénomène de «surgissement des inter» qu’évoque Marie-Lise Semblat dans sa contribution à ce volume (23).

Thèse originale et relativement jargonnante, la théorie des interstances peut donc se targuer de diverses reliances scientifiques.
Elle peut notamment trouver un appui de choix dans certaines des idées avancées par Edgar Morin lui-même (24):
«A la différence de l’en-soi des substantialismes philosophiques, cette identité (Soi = Soi) a besoin du tiers: le flux énergétique, la relation écologique, la fraternité d’un autre soi…»(25)..., bref de reliance, de médiance, d’interstances … et d’intermédiations.

LE R.M.I. DU DEVELOPPEMENT HYPERMODERNE

Arrivés à ce point de nos réflexions, laissons donc flotter notre imagination.
Reliance, Médiance, Interstances, R.M.I., Revenu Minimum d’Insertion…
Les trois notions que nous avons évoquées et reliées ne constitueraient-elles pas l’investissement (= le revenu) essentiel (= minimal) à réaliser pour favoriser l’entrée (= l’insertion) –intellectuelle, affective et sociale– dans la société en gestation?
Ce R.M.I. symbolique –qui se fonde sur cette réalité que les faits sociaux ne sont pas des choses, mais des relations– est porteur de deux messages complémentaires:
. sur le plan théorique et conceptuel, il nous invite à réfléchir sur l’importance et les reliances entre ses trois notions constitutives (Reliance, Médiance, Interstances),
. sur le plan pratique et opérationnel, il nous montre la voie d’une action sociale (la reliance), écologique (la médiance) et communicationnelle (les interstances), se fondant sur divers processus d’«intermédiation».

Ce typique RMIste (mais ici ces trois mousquetaires, comme dans le célèbre roman, sont bien quatre…) ne constitue-t-il pas l’indispensable passeport pour la société de l’hypermodernité?
Plus que jamais, je l’ai dit, la modernité et sa logique de déliance (par le jeu de la raison et des rationalisations) sont présentes, actives, à l’œuvre.
Il n’y a pas réellement une post-modernité supposant la fin de la modernité, mais une modernité poursuivant son développement dialectique: les excès des reliances techniques (les nouvelles technologies) entraînent chaque jour, des déliances –sociales, économiques, culturelles– de plus en plus durement ressenties.
Face à ces problèmes d’exclusion et de dés-intégration alimentés par une modernité exacerbée, les acteurs dé-liés partent en quête de nouvelles reliances sociales, psychologiques et culturelles : témoignent de ce mouvement les multiples résurgences, pour le meilleur (les communautés, les actions humanitaires) et pour le pire (les sectes, la purification ethnique) d’un tribalisme actif.
Déliance et reliance sont dialectiquement, dialogiquemen( (26) liés: leurs logiques duelles, à la fois antagonistes et complémentaires, se développent en étroite symbiose. La modernité et son antithèse sont dans un semblable rapport dialogique.
Cette antithèse n’est donc pas réellement une «post-modernité»: certains la définissent comme une «sur-modernité» ou une «modernité avancée».
Personnellement, je préfère parler d’une «hyper-modernité», terme construit sur le même modèle que ceux d’hyper-complexité développé par Edgar Morn (27) et d’entreprise hyper-moderne avancé par Max Pagès (28), pour décrire des réalités en gestation au sein même de la modernité.

Finalement, la Reliance me paraît pouvoir être proposée comme une possible synthèse théorique et pratique des trois composantes de notre R.M.I. symbolique: elle est au cœur des problèmes de médiance et d’interstances, les traverse, les englobe et les prolonge.
Paradigme émergeant de l’hyper-modernité, elle constitue avec sa compagne la déliance une piste féconde pour comprendre l’hypermodernité, pour en définir les enjeux capitaux, pour porter remède aux «ruptures de la modernité», pour proposer une synthèse éthique entre la fission impliquée par la logique de la raison et la fusion rêvée par la logique du cœur.

Comment ne pas percevoir que cette notion de reliance recouvrant un double projet de reliances intellectuelles (scientifiques: la complexité) et de reliances existentielles (à soi, aux autres, au monde, psychologiques, sociales et politiques: travail sur l’identité, la solidarité et la citoyenneté) pourrait ou devrait constituer une base conceptuelle privilégiée pour soutenir et célébrer les pratiques d’«intermédiation», indispensables pour la réalisation de l’intérêt général et du développement social, voire local ? (29)(30)(31)

Marcel Bolle de Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...  
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.  
(2) Je préfère ce qualificatif à celui de «post-moderne», un peu trop à la mode aujourd’hui, selon moi. En effet, la modernité continue son œuvre, la société moderne ne disparaît pas pour céder la place à une hypothétique société «post-moderne». Notre société me paraît «hyper moderne» dans la mesure, elle développe à la fois sa modernité (la déliance) et les régulations dialectiques imposées par celle-ci (les reliances). En ce sens, je rejoins Edgar Morin qui analyse «hyper-complexité» et Pax Pages qui étudie une entreprise «hyper moderne».
(3) Une partie du texte original n'est pas reprise ici dans la mesure où elle peut apparaître redondante par rapport aux textes sur la reliance récemment publiés sur ce blog. Les lecteurs intéressés trouveront néanmoins la portion manquante ci-dessous, en encadré («Vous devriez le savoir...»).
(4) Marcel BOLLE DE BAL, Les adieux d’un sociologue heureux. Traces d’un passage, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 17-50 ; Edward TIRYAKIAN.
(5) Jean MAISONNEUVE, Introduction à la psychosociologie, Paris, PUF, 1973, p. 155.
(6) Dialogique: association complexe (complémentaire, concurrente, antagoniste) d’instances nécessaires à l’existence d’un phénomène organisé (Edgar Morin, 1986, p. 98) ; «unité symbiotique de deux logiques qui se nourrissent l’une l’autre, se concurrencent,
se parasitent mutuellement, s’opposent et se combattent à mort» (Edgar Morin, La Méthode, I, p. 80).
(7)  Marcel BOLLE DE BAL (Ed.), Voyages au cœur de sciences humaines. De la reliance, 2 tomes, Paris, L’Harmattan, 1996.
(8) Augustin BERQUE, Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, (S.A.), Paris, Gallimard, 1986 ; Vivre l’espace au Japon, (V.E.J.), Paris, PUF, 1982.
(9) S.A., p. 162.
(10) S.A., pp. 53, 268.
(11) S.A., p. 162.
(12) S.A., p. 192.
(13) C.A., pp. 208-209
(14) S.A., p. 268 ; V.E.J., pp. 68-70.
(15) V.E.J., ibid., p. 204.
(16) S.A., pp. 289-290.
(17) Jean LALOUP, Interstances. Communiquer à contre-sens, (I.C.), Louvain-La-Neuve, Cabay, 1983.
(18) I.C., p. 14.
(19) I.C., p. 10.
(20) I.C., p. 35.
(21) I.C., p. 25, cf. entre autres, Capra Fritjof, Le Temps du changement, Monaco, éd. du Rocher, 1983.
(22) Cf. ELIAS Norbert, La Société des individus, Paris, Fayard, 1991.
(23) SEMBLAT Marie-Lise, « De la médiation à l’intermédiation  par l’articulation de la pédagogie de l’action et d’une formation par la recherche-action », cf. supra.
(24) MORIN Edgar, La Méthode, notamment I. La Nature de la nature, Paris, Le Seuil, 1977.
(25) MORIN Edgar, Ibid., p. 212.
    (26) Cf. Edgar MORIN, La Méthode III, La Connaissance de la connaissance, 1986, pp. 98-99.
(27) Edgar MORIN, Ibid., pp. 85 et suivantes.
(28) Max PAGES et al., L’Emprise de l’organisation, Paris, Dunod, 1979. L’entreprise «hypermoderne» se caractériserait, selon ces auteurs, «par un développement fantastique des processus de médiation» (p. 35).
(29)  On s'excusera de la difficulté et de la longueur inhabituelles de cette contribution dont nous pensons néanmoins que la lecture attentive suffit à faire comprendre la raison pour laquelle elle nous a semblé devoir être présentée ici dans son entièreté. 
(30) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Pour rappel (voir note 3), une partie du texte original a été reportée en encadré («Vous devriez le savoir...»). Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(31) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la Slow Science (par Olivier Gosselain),
. au rapport de la reliance à l'éthique (par Marcel Bolle de Bal),
. aux sociologie compréhensive, existentielle et clinique (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

Vous devriez le savoir...

La notion de reliance trouve son origine dans la sociologie des média. 
Roger Clausse semble être le premier sociologue à avoir défini (1) la fonction de reliance sociale des techniques de diffusion collective (cinéma, presse, radio, télévision): rupture de l’isolement, communion humaine, recherche de liens nouveaux. 
Personnellement j’en ai élargi la portée en l’utilisant pour évoquer la dynamique conduisant à recréer des liens distendus par la logique évolutive de la société dite de la modernité, en ne limitant pas le phénomène à sa seule dimension sociale (reliance aux autres) mais en y ajoutant les dimensions psychologique (reliance à soi), culturelle (reliance au monde et à son devenir), anthropologique (reliance à l’espèce) et philosophique (reliance au cosmos).
L’utilité de cette notion, sa valeur heuristique et pratique, me paraît résider dans sa capacité à poser un diagnostic éclairant sur les ruptures de la modernité, à cerner les enjeux d’une «hypermodernité» en voie d’émergence.
Le diagnostic sociologique de base comporte deux volets: la définition de notre société comme un système socio-scientifique de division et de déliance, la détection d’aspirations de reliance à l’œuvre au sein du corps social.
Une société de déliances
Notre société comporte deux sous-systèmes avec leurs dynamiques propres, étroitement interconnectées: un sous-système scientifique et un sous-système social.
Le sous-système scientifique est marqué par le triomphe de la raison simplifiante ou du paradigme de simplification, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin: il tend à produire une connaissance atomisée, parcellaire, réductrice, bref de la déliance intellectuelle.
Le sous-système social, lui, peut être décrit comme celui des rationalisations déliantes : caractérisé par la désintégration communautaire, par la dislocation des «groupes sociaux primaires –la famille, le village, la paroisse, l’atelier– et par des applications déraisonnables de la raison scientifique, technique, sociale et culturelle, il produit une déliance existentielle aux multiples dimensions (psychologique, sociale, économique, écologique, ontologique, cosmique).
Des aspirations de reliance 
Face à ce double procès de déliance –intellectuelle et existentielle– naissent des aspirations à de nouvelles re-liances, à la fois scientifiques et humaines.
Des re-liances scientifiques : sont souhaités de divers côtés de nouveaux liens entre théorie et pratique, recherche et action, entre disciplines trop souvent cloisonnées.
Des re-liances humaines : sont révélateurs d’aspirations de ce type, l’attrait exercé par les sectes, les communautés, les luttes nationales, le mouvement écologiste, les groupes de rencontre, bref cette résurgence d’une sorte de néo-tribalisme mise en évidence par Michel Maffesoli (2).
La déliance, paradigme de la modernité 
La modernité, fondée sur l’essor de la raison, s’est construite sur le principe de séparation, voire de division: diviser pour comprendre (Descartes), diviser pour produire (Taylor), diviser pour régner (Machiavel). 
Raison abstraite et déraisonnable, elle est devenue source de déliances multiples: culturelles, urbaines, familiales, religieuses, écologiques, etc., bref de cette solitude existentielle dénoncée de divers côtés (Riesmann, Camus, Buber, …), de cette « dé-solation » stigmatisée par Hannah Arendt. 
En quelque sorte le paradigme de déliance gît au cœur de la modernité triomphante, à la fois facteur de son triomphe et générateur de la fragilité de ce dernier.
La reliance, paradigme de la post-modernité 
Telle est, réduite à l’un de ses axes essentiels, une thèse défendue avec force par Michel Maffesoli: pour lui, si le paradigme de déliance structure la modernité, la post-modernité (car lui persiste à utiliser ce terme) en revanche, devrait être caractérisée par la revitalisation du paradigme de reliance.
 Cette thèse, il l’a exposée, argumentée, plaidée dans ses nombreux ouvrages (3)
N’est-ce pas lui qui définit la «reliance» comme l’«étonnante pulsion qui pousse à se rechercher, à s’assembler, à se rendre à l’autre»(4) et qui évoque « cette chose «archaïque» qu’est le besoin de reliance» (5)
Pour lui, les manifestations de cette logique de reliance à l’œuvre dans la société post-moderne sont multiples, variées et signifiantes. 
Il range notamment parmi elles le retour des tribus, l’exacerbation des corps et des sens (6), l’idéal communautaire (7), l’essor de l’écologie, la vitalité de la socialité, l’idée obsédante de l’être ensemble (8), les identifications supplantant les identités, le présentéisme, le carpe diem (9), l’immoralisme éthique, le lococentré s’élevant face à l’égocentré, la baroquisation du monde, la prégnance des images (10), le rôle du look et de la mode, l’exacerbation de la mystique et de la religion (11), le règne de Dionysos le reliant succédant à celui d’Apollon le déliant. 
S’inscrivant dans la mouvance des idées développées par Gilbert Durand et Edgar Morin, il détecte dans la post-modernité et son effervescence la fin de la séparation entre nature et culture, l’émergence du «divin social»(12), l’épanouissement de la reliance comme forme profane de religion, d’une sorte de transcendance immanente (13).
La reliance, concept sociologique 
Une première approche superficielle de l’idée de reliance pourrait donner à penser qu’il s’agit d’un concept d’essence psychologique renvoyant aux besoins et désirs qu’éprouveraient les individus perdus au sein de la foule solitaire, de nouer ou renouer des relations affectives (des liens sociaux) avec autrui: dans ces conditions, les sociologues n’en auraient que faire. 
Telle n’est pas ma conviction. 
La dimension sociologique du concept saute aux yeux dès que l’on désire prendre en considération le fait que l’acte de relier implique toujours une médiation, un système médiateur… ce qui, encore une fois, nous rapproche de la notion d’intermédiation.
Reliance sociale et système médiateur 
Les acteurs sociaux sont à la fois liés (ils ont des liens directs entre eux), et re-liés par un ou des systèmes médiateurs (qu’il s’agisse d’une institution sociale, d’un système culturel de signes ou de représentations collectives). 
Dans la relation intervient un troisième terme. 
Naissent ainsi ce que Eugène Dupréel a appelé des «rapports sociaux complémentaires» (14).
La définition de la reliance peut donc être affinée et être formulée dans les termes suivants: «la production de rapports sociaux médiatisés, c'est-à-dire de rapports sociaux complémentaires». 
Ou en d’autres termes : «la médiatisation de liens sociaux».
Les systèmes médiateurs mis en jeu par cette médiation, peuvent être:
- soit des systèmes de signes (la langue, la possession d’objets de consommation…) ou de représentations collectives (les croyances, la culture…) permettant la communication, l’échange, la reliance;
- soit des instances sociales (groupes, organisations, institutions…), déterminant et modelant les rapports de reliance. 
La reliance sociale, concept tri-dimensionnel 
A partir du fait que la reliance n’existe pas indépendamment d’instances médiatrices, trois sens du concept «reliance sociale» peuvent être distingués d’un point de vue sociologique, selon que cette reliance est envisagée:
- en tant que médiatisation, c'est-à-dire comme le processus par lequel des médiations sont instituées qui relient les acteurs sociaux entre eux: c’est le procès de reliance (reliance-procès);
- en tant que médiation, c'est-à-dire comme le système, plus ou moins institutionnalisé, reliant les acteurs sociaux entre eux ; c’est la structure de reliance (reliance-structure);
- en tant que produit, c'est-à-dire comme le lien entre les acteurs sociaux résultant du ou des systèmes médiateurs dont font partie ces acteurs ; c’est le lien de reliance (reliance-lien).

M. B.d.B.

(1) Roger CLAUSSE, Les Nouvelles, Bruxelles, éd. de l’Institut de Sociologie, 1963.
(2) Michel MAFFESOLI, Le Temps des tribus, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988.
(3) En particulier dans le Temps des tribus (T.T.), op. cit. Au Creux des apparences (C.A.), Paris, Plon, 1990 ; La Transfiguration du politique (T.P.), Paris, Grasset, 1992 ; La Contemplation du monde (C.M.), Paris, Grasset, 1993.
(4) T.P., p. 41.
(5) C.M., p. 151.
(6) C.A., p. 66.
(7) C.M., p. 18.
(8) C.A., p. 28.
(9) C.A., p. 48; T.P., p. 18.
(10) C.M., pp. 21, 131, 165.
(11) C.A., pp. 27, 83, 84, 195, 215; T.P., p. 137.
(12) C.M., p. 104.
(13) C.A., p. 27.
 (14) Eugène DUPREEL, Traité de Morale, vol.1, Bruxelles, Presses Universitaires, 1967, p. 300.