lundi 30 juillet 2012

Ethique de reliance. Vers de nouveaux espaces...

L'éthique 
de reliance 
serait-elle porteuse 
des dérives potentielles
d'une fusion 
aliénante? 
Marcel 
Bolle de Bal (1)
invite 
en tout cas 
à la vigilance. 
Et à la conquête 
parallèle 
de nouveaux espaces
Ceux de la déliance...

Marcel Bolle de Bal

 

L'éthique de reliance tend à faire de la reliance une valeur centrale, fondamentale, indiscutable.
Sous son égide, l’action visant à créer de nouvelles reliances –psychologiques, sociales, culturelles, cognitives– ou à revivifier d’anciennes reliances distendues, est parée de toutes les vertus. 
Edgar Morin s’en est fait le chantre le plus convaincant: pour lui, la reliance constitue une valeur à la fois scientifique et sociale, intellectuelle et humaine, cognitive et ontologique, de laquelle l’idée de «communion» n’est pas absente (2).
Ici aussi  émerge subrepticement la dimension psychosociologique du phénomène …

Attention, danger...

Or c’est là que le bât peut blesser, aux yeux d’aucuns. 
Certains se méfient en effet d’une telle assimilation entre les idées de reliance et de communion: n’impliquerait-elle pas une éthique de reliance fusionnelle, synonyme d’aliénation potentielle? 
D’autant plus que, complexité oblige, la déliance –elle aussi– paraît pouvoir être érigée en valeur existentielle, du moins dans certaines circonstances: il est de bonnes déliances (celles qui libèrent de liens qui ligotent ou aliènent)… et de mauvaises reliances (celles de foules acclamant les chefs nazis à Nuremberg ou les intégristes iraniens à Téhéran, par exemple). 
La déliance sociale (une retraite) peut favoriser la reliance psychologique (par la méditation), la déliance cosmique (la mort) peut nourrir la reliance existentielle (des survivants), la reliance cosmique (la méditation transcendantale) peut s’accompagner de déliance sociale (les sectes) et psychologique (l’équilibre mental de la personne).

Partage des solitudes acceptées

Pour moi, l’éthique de reliance –du moins dans sa dimension sociale– implique fondamentalement le «partage des solitudes acceptées» et l’«échange des différences respectées» (bref l’antithèse de la reliance fusionnelle et de l’idéologie intégriste …). 
A quoi j’ajouterais volontiers «la rencontre des identités affirmées» et la «confrontation des valeurs assumées», ce qui révèle bien le lien complexe entre les dimensions sociale, psychologique, culturelle et politique de la reliance: en arrière plan, se profile tout le problème de l’engagement social, communautaire et politique, de la démocratie, de la société civile en tant que structure médiatrice (reliante) entre l’individu et l’Etat-Nation, du mouvement écologiste (la «reliance» pourrait bien constituer le thème majeur de son programme politique: reliance homme-nature, homme-environnement, autres types de reliances entre les hommes (interactions psychosociologiques), entre les hommes et la cité, les citoyens et la politique, sciences de la nature et action communautaire, etc.).

Déliance: l'autre face de la pièce

Une éthique de reliance implique «le développement des capacités et des structures de reliance» (à soi, aux autres, au monde): n’est-ce point là le cœur même de maints programmes de formation psychosociologique?
Mais aussi, de façon paradoxale (la pensée complexe n’est pas loin!), elle se doit d'être accompagnée d’objectifs antithétiques s’inscrivant dans une éthique de déliance: il s’agira dès lors d’envisager la possibilité de favoriser certaines déliances, de développer les «capacités de déliance» –sociales et spirituelles– des personnes (capacité de se désaliéner, de conquérir son autonomie), de créer des «espaces ou des structures» où la déliance pourrait cesser d’être subie ou deviendrait source de nouveaux départs (psychologiques, sociaux… ou intellectuels). 
Une «éthique de reliance» ne peut faire l’économie d’une «éthique de déliance»: c’est ce qu’exprime l’expression «éthique de la reliance» dont je me propose d’évoquer prochainement quelques dimensions. (3)(4)


(A suivre)

Marcel Bolle De Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels... 
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990; 
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998; 
. Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999; 
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001; 
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003; 
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004; 
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005; 
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007; 
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008. 
(2) Marcel Bolle De Bal, La Tentation communautaire. Les paradoxes de la reliance et de la contre-culture, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1985. 
(3) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Les titre, chapeau et sous-titres sont de la rédaction. 
(4) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés 
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal), 
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal), 
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...). 

jeudi 26 juillet 2012

Michel Maffesoli et l'éthique de la reliance.

L’éthique  de la  reliance 
Une éthique 
qui laisse 
toute sa part 
à l’affect
Qui tisse 
un lien solide 
entre les individus.
Qui favorise 
l’intensité 
des relations.
Et qui valorise 
une communauté 
émotionnelle 
au détriment 
d'une société
 beaucoup plus 
rationnelle.

Marcel Bolle de Bal (1)

Entre Edgar Morin et Michel Maffesoli, le contraste est saisissant. 
Et ce tant sur la forme que sur le fond. 
Si Morin recourt fréquemment à l’usage du terme «reliance» (plus de  soixante fois, d’après une estimation grossière), Maffesoli, lui, est à cet égard plus parcimonieux.
Paradoxal, même: dans le chapitre intitulé «Ethique de la reliance» de son «Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps», il réussit la gageure de parler de reliance sans jamais employer le mot!

Il faut savoir émotion garder

De quoi traite-t-il dans ce chapitre? 
De «participation», de l’«ombre de Dionysos»,  de «deep ecology», d’«enracinement dynamique»… 
Le tout dans la perspective d’une éthique où l’affect a sa part, qui tisse un lien solide entre les individus, favorise l’intensité des relations, valorise la communauté émotionnelle au détriment de la société  beaucoup  plus rationnelle, encourage le sentiment d’appartenance via les mythes, contes et petites histoires comme autant de vecteurs communiels (2)
Ou encore revivifie la mémoire d’un pré-subjectif, manifeste le triomphe d’une «religiosité» plus vivace que jamais, génère la «communion des saints», cette «pulsion animale» justifiant le besoin inconscient d’exprimer et de vivre  la  nécessaire  «sortie de soi» (3).  

Attention! Danger...

Jusqu’ici, Michel Maffesoli paraît rejoindre Edgar Morin dans sa description de la reliance communautaire. 
Toutefois, il commence à s’en «délier» lorsqu’il évoque le caractère «compensatoire» de ce type de reliance, l’«anomie» qui en est la source, la paranoïa de la modernité, jusques et y compris la reliance à travers les sectes et diverses émissions de télé-réalité.  
Ou encore: le libre-cours d’un inconscient collectif préparant l’adhésion à des produits marchands ou culturels, aux pressions de la mode, la fondation de nouveaux liens sociaux formatés par l’«obscure clarté» des émotions et des passions (4)
Certes, il y a de l’éthiquement positif dans de tels phénomènes, de la densité vitale, une ambiance à certains égards «spirituelle», une série de dilatations effervescentes, la force de l’esthésie (le «sentir en commun», du grec «aesthesis»), antidote de l’anesthésie sociale. 
Là émerge, chez Michel Maffesoli, l’amorce d’une réflexion critique sur certains processus pervers de «reliance» à l’œuvre au sein de la «Gesellshaft», bref d’une  indispensable interrogation éthique sur les enjeux posés par ces types de reliance, ce que résume bien l’expression «éthique de la reliance», et des débats qu’elle ne peut manquer de susciter.

De l'individu à la personne...

Dans cette perspective mérite d’être questionné le glissement de l’individu, indivis univoque, à la personne («persona») affublée de ses masques divers, la porosité de l’identité et l’émergence des identifications multiples (5)
Ethiquement, le fait d’être solitaire ne signifie  nullement  être isolé (6), ni non solidaire: la solitude bien intégrée peut favoriser l’accueil, le rassemblement, la réunion de ce qui est séparé. 
Là se nichent les enjeux concrets de l’«éthique de la reliance»: le retour à des valeurs archaïques refoulées, la re-connaissance des atouts de l’inconscient collectif, l’importance de l’imaginaire. 
Volet positif: une éthique de l’instant. 
Volet problématique: quelle place accorder aux leçons du passé, aux défis de l’avenir...?

Perpétuelle interaction

En d’autres pages, Michel Maffesoli évoque cette notion de «reliance», curieusement absente du chapitre censé lui être consacré. 
Il lui arrive même d’en préciser le contenu, malgré son aversion maintes fois exprimée pour les définitions par lui considérées comme réductrices: 
«… la perpétuelle interaction qui s’établit entre le matériel, le spirituel, l’animal, l’organique, le naturel et le culturel: voilà ce qu’est la reliance.» (7)

Pluralité des lieux et des liens

Ethiquement,  
«On ne peut continuellement comprimer les passions.
Il, convient, bien au contraire de leur permette de s’exprimer.» (8)
Dans tout ce qui se passe en nos temps troublés, la morale universelle éprouve de grandes difficultés à maintenir son audience traditionnelle. 
Mais Maffesoli est tenté d’y percevoir une nouvelle «déontologie» (éthique?):
«Particulariste. 
Localiste. 
Déontologie parfois immorale ne se reconnaissant plus dans l’unidimensionnalité du sens de l’Histoire, mais qui, plutôt, privilégie le pluralisme de la reliance.» (9)
Notons ici que par «pluralisme de la reliance», Michel Maffesoli  entend cette notion dans un double sens: le sens français (on est relié aux autres, à la nature environnante)  et le sens anglais (on fait confiance – to rely on -  aux autres de la tribu et à la nature dont on fait partie). 
Pour lui, il existe une intime et secrète liaison entre la pluralité des lieux et celle des liens. 
Ce qui l’amène à préciser ainsi sa pensée :
«A l’encontre d’une morale une et universelle, la déontologie-éthique est complexe, concrète, en ce qu’elle s’enracine dans des manières d’être et de penser dont l’élément essentiel est l’hétérogénéité.» (10)
Ce qui semble donc se vivre aujourd’hui, c’est un renouveau de ce polythéisme des valeurs que la tradition judéo-chrétienne, moderne, avait cru définitivement dépasser. 
Triomphe en notre monde –occidental tout au moins– la réaffirmation du complexe, l’hétérogénéité de tous les aspects de la vie:
«Pluralisation de la personne, fragmentations tribales, polyculturalisme galopant… il y a du polythéime, voire du panthéisme dans l’air.» (11)

Fantasme de l'Un

Certes, le grand fantasme de l’Un constitue le substrat culturel de la modernité, que l’on retrouve à la base des religions monothéistes. (12)
Mais «l’éthique de la reliance» s’inscrit paradoxalement en contre-pied de cette vision théologique: primum relationis,  la mise en relation, dans le respect des identités multiples, «c’est bien cela la reliance.» (13). 
Propos que ne reniera certainement aucun psychosociologue averti…
 
Ethique et reliance: 
des relations «duelles», complexes mais pas compliquées

A la lecture de ce qui précède,  nous le percevons aisément: les points de vue de nos deux éminents auteurs, malgré maintes convergences dans leurs analyses, ne se confondent pas. 
Certes, tous deux mettent l’accent sur la reliance communautaire, ainsi que sur la reconnaissance des liens épistémologiques et politiques entre reliance et complexité. 
Tous deux, également, n’accordent que relativement peu d’intérêt à la dimension psychologique –après tout ils se veulent  sociologues plus que psychologues …- de  la reliance (reliance à soi, travail sur l’identité). 
Partant de prémisses différentes, ils nous proposent finalement des visions complémentaires: Edgar Morin conçoit la reliance comme une éthique, un objectif, une finalité, à la limite un «impératif»;   Michel Maffesoli, lui, y voit plutôt une réalité, dont il convient de cerner les enjeux, positifs et/ou négatifs.  
«Ethique de reliance» dans le premier cas, «éthique de la reliance» dans le second.

Complexité, reliance et éthique    

Pour évoquer les fondements éthiques du recours à cette idée de reliance, il me paraît opportun, à ce stade de nos réflexions et pour la clarté du débat, de reprendre ici une distinction que j’ai exposée à diverses reprises. (14)
Celle entre les deux notions illustrées par les écrits qui viennent d’être évoqués: d’une part, l’éthique de reliance, c’est-à-dire une éthique qui place la reliance au centre de son système de valeurs; d’autre part, l’éthique de la reliance, c’est-à-dire tous les problèmes éthiques posés par les théories, pratiques, politiques et actions de reliance (… et de déliance).

 

(A suivre)

 

Marcel Bolle De Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...  
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Michel Maffesoli,  Michel Maffesoli, Le Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps, Paris, La Table Ronde, 2007, pp.114-115.
(3)  Id. pp.117-119.
(4) Id., p. 122.
(5) Id., p. 123.
(6) Id., p.125.
(7) Id., p. 143.
(8) Ibid.
(9) Id., p. 144.
(10) Id., p. 146
(11) Id., p. 150.
(12) Id., p. 152.
(13) Ibid.
(14) Notamment dans la conclusion déjà citée de l’ouvrage collectif sur la reliance, voit Marcel Bolle De Bal, loc.cit.  et dans Marcel Bolle De Bal, « Complexité, identité, fraternité, citoyenneté : le quadrige de la reliance », Cahiers de l’imaginaire , Monpellier, n°22, 2008.
(15) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Le chapeau et plusieurs des sous-titres sont de la rédaction.
(16) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

lundi 23 juillet 2012

Edgar Morin et l'éthique de reliance























«L’éthique est reliance 
et la reliance est éthique»,
estime Edgar Morin.
Qui parle 
d'«éthique  de reliance»
pour désigner 
une éthique altruiste.
A laquelle il assigne 
une triple mission...
Maintenir l’ouverture 
sur autrui tout d'abord.
Sauvegarder 
l’identité commune ensuite. 
Raffermir et tonifier 
la compréhension enfin.

Marcel Bolle de Balle (1)

La notion de «reliance» est omniprésente dans le livre «La méthode 6. Ethique» d’Edgar Morin
Non seulement dans son chapitre sur «Ethique de reliance», mais aussi à de multiples autres endroits (pas moins de sept citations en ne se référant qu’à la seule table des matières …). 
Il la définit dans les termes suivants:
«La notion de reliance … comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement et en donnant un caractère actif à ce substantif.
«Relié» est passif, "reliant" est participant, "reliance » est activant.
On peut parler de "déliance" pour l’opposé de "reliance"». (2)

Reliance à soi, aux autres, au monde... et à l'espèce humaine

Dans son premier chapitre, il précise ainsi sa conception des rapports entre éthique et reliance: 
«Tout regard sur l’éthique doit percevoir que l’acte moral est un  acte individuel de reliance: reliance avec un autrui, reliance avec une communauté, avec une société et, à la limite, reliance avec l’espèce humaine.» (3). 
Ce faisant, il cerne bien les trois dimensions principales du projet et de l’acte de reliance: à soi (celle-ci, toutefois est chez lui plus implicite que concrètement affirmée), aux autres, au monde … en y ajoutant la reliance à l’espèce humaine. 
Puis, il met l’accent sur l’éthique de communauté  en tant que forme particulière de l’éthique de reliance et de solidarité
Nous retrouvons ici l’opposition classique entre les relations primaires, chaleureuses, affectives de la Gemeinschaft  (la communauté) d’une part, les relations secondaires, froides, techno-bureaucratiques de la Gesellschaft  (la société) d’autre part. 
Sauf que, fidèle à sa constante dialogique (4), il insiste sur la complémentarité de ces deux éthiques apparemment opposées. 
Néanmoins, toujours selon lui, «Le sentiment de communauté est et sera source de responsabilité et de solidarité, elles-mêmes sources de l’éthique» (5).
Elargissant ses perspectives au cosmos –et donc à la reliance cosmique– Edgar Morin note que «Un monde ne peut advenir que par la séparation et ne peut exister que dans la relation entre ce qui est séparé» (6).
En d’autres termes, en réaction contre le temps et l’espace, grands séparateurs nés avec notre monde, apparaissent des forces de reliance (formation de noyaux, atomes, molécules, étoiles, galaxies, etc .) luttant contre la dispersion. 
Mais dans l’univers, ces forces de reliance ont toujours subi un sort «fragile, périlleux, douloureux» (7) leur lutte contre la dispersion (déliance) a par bien des aspects été «pathétique» (8).

Reliance communautaire

Avec l’apparition des sociétés humaines surgit un nouvel  ordre de reliance, fondé sur le principe de la reliance communautaire, familiale, groupale, tribale. 
Ordre renforcé par le développement de la culture religieuse. 
Car la «religion» (religare, relier) implique  non seulement la reliance entre les membres d’une même foi, mais également la reliance avec les forces supérieures du cosmos, notamment avec leurs présumés souverains, les dieux. 
Comme j’ai souvent eu l’occasion de le préciser, la religion n’est qu’un cas particulier de reliance, cas particulier qui implique la référence à un transcendant plus ou moins céleste. 
Et Morin d’ajouter:
«Et c’est sans doute la Reliance des Reliances que célèbrent les cultes et rites des religions, les cérémonies sacrées, inconsciemment adoratrices du mystère suprême de la Reliance cosmique» (9).
En ce sens, nous autres êtres humains sommes intégrés, selon notre auteur, dans le jeu cosmique entre forces de reliance et forces de déliance:
«Nous sommes à la pointe de la lutte pathétiquede la reliance contre la séparation, la dispersion, la mort.
En cela nous y avons développé la fraternité et l’amour.» (10)

Impératif de reliance

Quant à l’éthique, elle est –ou devrait être– pour les individus autonomes  et responsables, l’expression de l’«impératif de reliance»
Tout acte éthique est un acte de reliance (11)
Selon une formule typiquement morinienne: «l’éthique est reliance et la reliance est éthique» (12).
Approfondissant ce qu’il appelle l’éthique de reliance, qu’il perçoit comme une éthique altruiste, Edgar Morin lui assigne la mission de maintenir l’ouverture sur autrui, de sauvegarder l’identité commune, de raffermir et de tonifier la compréhension. 
En cela, il met l’accent sur la dimension normative, sociale et psychosociale de la reliance (reliance à autrui. aux autres, au groupe). 
En termes éthiques, il souligne que la disjonction (la déliance) sans reliance permet le mal, tandis que le bien est reliance dans la séparation (la déliance). 
Reliance et déliance forment un couple conceptuel, duel et dialogique, comme le yin et le yang.
Or que constate Edgar Morin, après bien d’autres?  
Notre société sépare plus qu’elle ne relie, ce qui fait de nous des êtres en mal de reliance. 
Impératif éthique fondamental, la reliance commande les autres impératifs -tolérance, liberté, fidélité, amitié, amour, respect, courtoisie– à l’égard d’autrui, de la communauté, de la société, de l’humanité (13).

Reliance et complexité

Finalement, l’éthique de reliance  s’inscrit logiquement dans  une éthique de la complexité, de la pensée complexe. 
Voilà qui n’étonnera guère les lecteurs familiers de l’œuvre d’Edgar Morin. 
La pensée complexe n’est-elle pas par essence une pensée ayant pour vocation de «relier»? La reliance est au cœur de la pensée complexe, d’une éthique complexe, d’une complexité éthique: «la mission éthique peut se concentrer en un terme : "relier"» (14). 

Ne confondons pas...

Nous le constatons: pour Morin, la reliance est une norme éthique, un impératif intellectuel, social et moral. 
C’est en ce sens que nous pouvons légitimement parler à ce propos d’une «éthique de reliance», en la distinguant de l’«éthique de la reliance» dont nous entretient Michel Maffesoli... (15)(16)   

(A suivre)

Marcel Bolle De Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...  
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Edgar Morin, La Méthode 6. Ethique, Paris, Seuil, 2004, pp.239.
(3) Id. p. 16.
(4) «Unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes qui se nourrissent l’une de l’autre, se complètent, mais aussi s’opposent t se combattent». Id., p.234.
(5) Id., p. 17.
(6) Id.,  p. 27
(7) Id.,  p. 32.
(8) Id., p. 28.
(9) Id., p. 32.
(10) Id., p. 33.
(11)  Ibid.
(12) Id., p. 37.
(13) Id., p. 114.
(14) Id., p. 222.
(15) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Les chapeau et intertitre sont de la rédaction.
(16) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

jeudi 19 juillet 2012

«Ethique de reliance» selon Edgar Morin versus «éthique de la reliance» d'après Michel Maffesoli... Provocation en duel ou conception duelle?


Edgar Morin 
et Michel Maffesoli.
Deux approches
différentes
de l'idée 
de reliance.
Provocation 
en «duel»?
Non !
Simple 
vision 
«duelle»
des enjeux,
assure 
ce parrain 
de la notion
qu'est 
Marcel 
Bolle de Bal.
Qui distingue
«éthique 
de reliance» et
«éthique 
de la reliance»...

Marcel Bolle de Bal (1)
  
En 1985 sortait de presse le premier ouvrage concernant le concept de reliance (2). 
Auparavant, cette notion avait fait l’objet, de 1975 à 1981, d’une vaste étude pluridisciplinaire sur les aspirations de la population belge, notamment en matière de reliance et de lien social (3)
Quelques années plus tard, en 1996, cette même notion a constitué le thème central d’un livre collectif réunissant les contributions de quarante-cinq chercheurs de différentes nations, experts reconnus dans quinze disciplines scientifiques, relevant des sciences dites humaines pour la plupart, des sciences dites exactes pour quelques-uns (4)
Ce concept a été rapidement adopté au sein de multiples associations ainsi que par des sociologues africains enthousiastes qui y ont vu une clé pour rendre compte des avatars subis par leurs cultures traditionnelles face à l’intrusion de la modernité occidentale, système socio-scientifique à base de division et de déliance (c’est-à-dire de rupture de liens humains et sociaux fondamentaux). 
Malgré cela (ou à cause de cela), il a éprouvé –et éprouve encore– d’indéniables difficultés pour se faire une place au soleil de la sociologie académique en nos contrées dites développées. 

Francs-tireurs

Sans doute le caractère «duel» -à la fois psychologique et sociologique, donc essentiellement psycho-sociologique (5)– de cette notion nourrit-il la réticence des sociologues purs et durs, formatés à certains types de raisonnements, méthodes et analyses? 
Je laisserai aux futurs historiens de nos disciplines le soin de déterminer les raisons des réticences de certains de mes collègues sociologues. 
Il n’empêche. 
Deux sociologues renommés –Edgar Morin et Michel Maffesoli– ont fait exception, ont saisi toute la valeur heuristique  de cette notion,  y ont eu régulièrement recours et s’en sont fait  avec constance et autorité les avocats chaleureux, … ceci sans s’en attribuer indûment la paternité (honnêteté intellectuelle qui mérite d’être signalée …). 
Deux exceptions qui confirment la règle. 
Morin et Maffesoli, quel que soit leur incontestable rayonnement, ne sont pas considérés comme faisant partie du «petit monde» de la sociologie officielle. 
Deux francs-tireurs aux marges de celui-ci. 
Le fait que leurs interprétations, analyses et descriptions du monde contemporain comporteraient des dimensions proches de la psycho-sociologie ne serait-il pas quelque peu dérangeant pour les forteresses disciplinaires repliées sur elles-mêmes, en ces temps de disette financière?
Leur vocation à relier des savoirs trop souvent séparés (sociologie, psychologie, philosophie…) ne constituerait-il pas un crime de lèse-majesté et ne justifierait-il pas leur relatif ostracisme? 
Toujours est-il  que  ces  auteurs prolixes viennent tous deux –convergence fortuite… mais peut-être pas tant qu’il n’y paraît- de consacrer un chapitre de l’un de leurs derniers ouvrages aux rapports entre l’éthique et la reliance. 
Edgar Morin, dans le sixième et ultime tome de La Méthode,  son œuvre maîtresse, intitule un de ses chapitres Ethique de reliance (6)
Michel Maffesoli fait de même dans son livre Le réenchantement du monde,  mais en analysant, lui, l’Ethique de la reliance (7)
Ethique de reliance, éthique de la reliance: deux expressions proches, point toujours aisées à distinguer, et pourtant différentes en leur essence. 
Notions duelles, qui sous-tendent la vision «duelle» (8) de nos deux éminents auteurs: elles sont inséparables, distinctes et complémentaires, forment une paire philosophique, un tout, une entité en deux parties. 
Il se fait que, personnellement, j’avais naguère tenté de cerner cette nature duelle des rapports entre éthique et reliance, les contours spécifiques de l’une et l’autre expression, en conclusion de l’ouvrage collectif évoqué il y a quelques instants (9)
Je ne sais si nos deux sociologues ont perçu ou eu conscience que ces deux expressions n’étaient pas équivalentes. 
Ils ne le précisent pas, en tout cas. 
Point de «duel» entre eux … et pourtant leur vision des enjeux est «duelle», complémentaire. 
Car, à travers la différence de leurs points de vue, leurs analyses sont révélatrices de deux approches personnelles, confortant la nécessité d’identifier la spécificité de chacune des expressions en cause. 

(A suivre)

Marcel Bolle De Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...  
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Marcel Bolle De Bal, La Tentation communautaire. Les paradoxes de la reliance et de la contre-culture, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1985.
(3) Pour une étude détaillée sur la naissance, le développement et le contenu de la notion de reliance, ainsi que sur les enjeux scientifiques et politiques qu’elle porte en elle, voir Marcel Bolle De Bal, « Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques », Sociétés, n° 80, 2003, pp. 99-131.
(4) Marcel Bolle De Bal (ed.), Voyages au cœur des sciences humaines. De la reliance, Paris, l’Harmattan,  2 tomes, 1996.
(5) Ce que notre maître ès-psychosociologie, Jean Maisonneuve, écrit à propos du « groupe de référence » peut s’appliquer, mutatis mutandis, au concept de « reliance :; « il s agit d’un concept  charnière indispensable en psychosociologie, il permet d relier les situations collectives où l’individu est sans cesse immergé (au sein de tel groupe, auprès de tel compagnon) et les processus psychologiques qui confèrent leur sens à ces situations en fonction d’une dynamique personnelle ». Jean Maisonneuve, Introduction à la psychosociologie, Paris, PUF, 1973, p. 155.
(6)Edgar Morin, La Méthode, VI. Ethique, Paris, Seuil, 2004, pp.113-120.
(7) Michel Maffesoli, Le Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps, Paris, La Table Ronde, 2007, pp. 109-130.
(8) Entendons-nous bien : si j’utilise ici le mot « duel », ce n’est pas dans son sens courant de joute entre deux orateurs ou de combat entre deux personnes, mais bien dans son sens grammatical et numérique :  je fais ici référence au “duel”, nombre intermédiaire entre le singulier et le pluriel, tel qu’il existe dans de nombreuses langues (le grec, le slovène, l’hébreu, etc. mais pas le français). Ce nombre désigne ce qui va par deux et forme néanmoins un ensemble, deux qui forment un tout, une entité en deux parties : les deux yeux, les deux mains, le yin et le yang, le bonheur et le malheur, la vie et la mort, l’ombre et la lumière, l’ignorance et la connaissance, etc.
(9) Marcel Bolle De Bal, « Ethique de reliance et éthique de la reliance », in Marcel Bolle De Bal (ed.), op.cit., tome 2, pp. 307-318. 
(10) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Les titre, chapeau et intertitre sont de la rédaction.
(6) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).