jeudi 16 mai 2013

Le jour où la classe moyenne se soulèvera...

Nos dirigeants ne réalisent pas 
qu'ils sont assis sur un baril de poudre, 
à qui l’on refuse 
toute perspective 
de promotion sociale, 
pourrait envisager 
la voie de la révolution.
Un dernier recours
pour se faire entendre...

 
Marcin Król (1)


Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les pauvres et les malheureux qui font les révolutions en Occident, mais bel et bien les classes moyennes. 
Ce fut le cas de la révolution française et de toutes les autres, à la seule exception de celle d'Octobre, qui s'apparente plutôt à un coup d'Etat perpétré dans une situation de désordre politique extrême.
A la classe moyenne, donc, de décider quand déclencher une révolution.
Pas la classe moyenne dans son ensemble.
Ni même un groupe organisé.
Encore moins une communauté.
Mais plutôt des leaders de cette catégorie socio-professionnelle.
Ceux-là mêmes qui aujourd'hui gagnent les élections en Europe.
Ceux-là mêmes que l’on traite d’irresponsables dans la mesure où ils n'appartiennent pas à la gériatrique classe politique traditionnelle.

Ceux-là mêmes qui, tout à coup, se révèlent aussi grandement populaires qu'étonnamment efficaces.

Hier, des citoyens de deuxième zone...

Dans le cas classique de la Révolution française, le rôle d'avant-garde révolutionnaire est joué par des avocats, par des entrepreneurs, par des employés de l'administration publique de l'époque et par une partie des officiers de l'armée. 
Le facteur économique? 
Important mais pas déterminant.
Les éléments déclencheurs du mouvement insurrectionnel renvoient avant tout à une absence d’ouverture à la vie publique et à l'impossibilité de toute promotion sociale digne de ce nom. 
Lorsque l'aristocratie tente de limiter à tout prix l'influence des avocats et des hommes d'affaires, elle incite à la révolution. 
Nulle part en Europe -à l'exception de la sage Angleterre-, la nouvelle classe moyenne ne s'apparente à autre chose qu'à un rassemblement de citoyens de deuxième zone.
Impuissant, donc, à décider de son propre sort.

Aujourd'hui encore...

Et aujourd'hui, qu'en est-il de la discrimination? 
Elle est à la fois spécifique et illustrative de ce schéma. 
Certes, l'aristocratie ne monopolise plus la prise de décisions.
Mais tous les banquiers, spéculateurs boursiers et autres hommes d'affaires plusieurs centaines de fois millionnaires en euros écartent habilement la classe moyenne du processus décisionnel.

Avec les sévères conséquences que l'on sait. 
Et dont Chypre constitue le dernier et très significatif exemple.

Etc, etc, etc...

Des exemples, il y en a bien d'autres. 
Prenons les universitaires.
En Pologne comme sur le reste du Vieux Continent, ils tremblent pour leurs emplois.
Surtout s'ils ont le malheur d'enseigner des matières décrétées peu utiles par l'Union européenne, les Etats membres et les multinationales qui dictent leur loi sur le marché du travail.
En Slovaquie, les sciences humaines ont été à ce point mises à mal que les spécialistes de l'histoire, de la grammaire, de l'ethnographie, ou de la logique ont de graves soucis à se faire. 
D'ici peu, d'autres catégories professionnelles suivront. 
A commencer par les fonctionnaires de l'administration publique, dont le nombre a littéralement explosé dans le passé. 
Est-ce leur faute? 
Bien sûr que non. 

Offre grande expérience dans... la sécurité de l'emploi

Que peut faire un fonctionnaire avec quinze ans d'ancienneté, quand il est licencié alors que, jusque là, il avait toujours vécu sous le cocon protecteur d'une infaillible sécurité de l'emploi? 
Probablement pas grand chose. 
Il en va de même pour ces jeunes diplômés laissés sur le bord de la route du marché du travail.
Ou alors pour les artistes.
Pour les journalistes.
Pour les représentants de tous ces métiers fragilisés par l'avènement du secteur numérique...

Les vieillards vous saluent bien...

Les révolutions émergent d'un triple contexte d'exclusion professionnelle, de rejet décisionnel et de déficit démocratique. 
Elles se dressent aussi contre la barrière générationnelle ou, tout simplement, contre la domination des vieillards.
Il n'est en effet pas fortuit que l'âge moyen des dirigeants de la Révolution française aient voisiné avec les trente ans alors que celui des décideurs du Congrès de Vienne (2) flirtait avec le double. 
Les dirigeants européens actuels sont-ils majoritairement quinqua- ou sextagénaire?
Oui, mais compte tenues des avancés de la médecine, il y a fort à parier que dans vingt ans, les Merkel, Cameron, Tusk et Hollande seront encore aux affaires. 

Sauf s’ils sont balayés par la bourrasque de la révolution...

Le cri de la révolution

Majoritairement jeune, l'actuelle classe moyenne peine sur des voies d'avancement qui lui sont bouchées, soit par des milliardaires, soit par des personnes âgées (ou qui paraissent tels à un observateur de 25 ans). 
Une telle situation est explosive. 
Car les jeunes sont remontés contre le système.
On aurait donc tort de croire que ceux-ci, dépourvus du langage habituel des partis politiques et des mouvements politiques structurés, écarteront éternellement l'hypothèse d'une révolte organisée. 
Une révolution ne s'est jamais faite au nom d'une supervision bancaire plus stricte ou d'une autre mesure particulière, quelle qu'elle soit.
Elle s'est toujours appuyée sur une impossibilité de continuer à vivre de la même manière. 
Elle s'est systématiquement inscrite en porte-à-faux radical des méthodes de partis.
Et elle n'a jamais eu  recours au langage politique. 
La révolution crie.
Elle hurle.
Et son rugissement, par nature désordonné, est parfois très audible.

L'Histoire qui se répète? Elle est bien bonne!

Voulons-nous, ou non, une révolution? 
Je dirais: probablement pas. 
Car avant de déboucher sur la construction d'un ordre nouveau, ce phénomène passe par une phase de destruction totale. 
Reste que nos responsables politiques n'en finissent pas de ne pas réaliser qu'ils sont assis sur un baril de poudre. 
Un aveuglement qui va de pair avec leur obstination à se raccrocher à une sempiternelle antienne: en revenir à l'état de stabilité qui avait cours il y a dix, vingt ou trente ans. 
Ils ne savent pas que dans l'Histoire, il n'y a pas de retour en arrière possible. 
Et ignorent que leurs intentions fait écho à une très pertinente expression de Karl Marx:  «Si l'Histoire se répète, c'est à la manière d'une farce»... (3)(4)

Marcin Król (1)

(1) Né en 1944, Le Polonais Marcin Król est historien des idées, philosophe, journaliste et écrivain. Il a notamment publié: Europa w obliczu konca (L'Europe face à la fin), éd. Czerwone i Czarne, 2012.
(2) Le Congrès de Vienne s'est tenu en 1815. Il a rétabli l'ordre conservateur en Europe. 
(3) Ce message traduit un texte initialement paru en polonais: Marcin Król Marcin, Le jour où la classe moyenne se soulèvera, WProst, Varsovie, 10 avril 2013.
(4) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): une série de messages consacrés au populisme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire